Texte intégral
Q - A quelques encablures du scrutin du 13 juin et selon notre dernier sondage "Le généraliste", 30 % des médecins généralistes ne manifestent toujours pas d'intention de vote. Comment mobiliser les Français pour les élections européennes ?
R - Il est vrai que les élections européennes, qui n'ont lieu au suffrage universel direct que depuis 1979, n'ont pas encore réussi à trouver toute leur place dans la vie des citoyens. Je pense que les deux raisons principales de ce phénomène tiennent à la perception d'une Assemblée aux pouvoirs faibles et mal connus, d'une part, et à un mode de scrutin qui éloigne les électeurs de leurs élus, d'autre part.
Or, il faut savoir que les pouvoirs du Parlement européen ont été considérablement accrus par le récent Traité d'Amsterdam, qui vient d'entrer en vigueur, et que son accord est désormais nécessaire à l'adoption de la plupart des "lois" européennes, c'est-à-dire les directives et les règlements dont dépend une partie croissante de nos propres lois.
Q - Dernièrement, dans nos colonnes, François Hollande appelait de ses voeux une "Europe de la santé", qui a fait selon lui défaut lors de l'affaire de la "vache folle". Quelle pourrait être cette Europe ?
R - Vous savez, le Traité sur l'Union européenne a donné une impulsion importante dans le domaine de la santé. Le Traité d'Amsterdam étant quant à lui la portée des actions en matière de santé publique, en particulier pour les questions vétérinaires et phytosanitaires. Les instruments juridiques existent donc désormais. Je suis persuadé que l'Europe de la santé montera assez fortement en puissance au cours de ces prochaines années, et ce d'autant plus que la crise de la vache folle, le conflit sur le boeuf aux hormones ou la question des éventuelles conséquences des OGM pour la santé donnent à ce sujet une importance toute particulière.
De plus, le Parlement a montré, en provoquant la démission collective de la Commission, qu'il était devenu un acteur majeur en Europe. Ces élections représentent donc un enjeu crucial. J'espère que les citoyens français dans les jours qui restent jusqu'au 13 juin, vont en prendre conscience. Je viens d'ailleurs de lancer une campagne d'information pour les inciter au vote, sous la signature "Aujourd'hui en Europe, voter c'est exister". Pour construire une Europe plus attentive aux préoccupations des citoyens, plus démocratique. La mobilisation de tous est nécessaire.
Mais l'Europe de la santé devra naturellement signifier bien d'autres choses, à terme, que ces sujets ponctuels. Il faudra, en effet, permettre à tous les citoyens d'Europe de bénéficier de leur droit à la santé où qu'ils se trouvent sur le territoire communautaire, sans que cela n'affecte bien entendu leur situation, en termes de prise en charge, notamment. C'est là un grand chantier, qui suppose à la fois coordination des systèmes de chacun des Etats membres et harmonisation d'un certain nombre de dispositions. Toutefois, la crise de la vache folle a, aussi, souligné la difficulté de certains services de la Commission à faire passer les objectifs de santé publique devant d'autres considérations.
A la lumière de ce qui s'est passé, on peut penser que la montée en puissance de la santé en tant que politique communautaire nécessitera un regroupement des services en charge de ces questions, dont l'éclatement actuel constitue une entrave à un traitement efficace des dossiers, ce qui peut aller jusqu'à porter atteinte à la crédibilité même de l'intervention communautaire en ce domaine. Il appartiendra d'abord à Romano Prodi de traiter cette question.
Q - L'Europe est-elle une voie pour régler la question des revendications autonomistes comme celles qui secouent la Corse actuellement ?
R - L'aspiration à la décentralisation, c'est-à-dire à une prise de décision qui soit la plus proche possible du citoyen, existe partout en Europe. La France, malgré sa tradition centralisatrice, a connu elle-même de grandes avancées depuis la loi Deferre de 1982. La construction européenne s'inscrit parfaitement dans cette logique, à partir du moment où son principe cardinal, la "subsidiarité", comme l'ont baptisée les technocrates de l'Europe - se fondant sur un principe du droit canon -, consiste à ce que les décisions soient prises au niveau le plus approprié et le plus efficace. Cela signifie que, dans certains domaines, il est nécessaire de décider au niveau européen que, dans d'autres, le niveau national reste le plus approprié, mais aussi que, dans certains cas, il faut aller au niveau de la région pour être le plus proche des réalités et des besoins. En revanche, il ne faut pas entretenir de confusion. Il ne reviendra en aucun cas à l'Europe de décider du statut de telle ou telle région. Ces questions de souveraineté demeureront du ressort exclusif de chaque Etat.
Q - Pour la France et l'Union européenne, quel est l'enseignement de l'intervention de l'OTAN au Kosovo ?
R - Il est difficile de tirer, d'ores et déjà, des conclusions d'une opération qui n'est pas achevée. Je dirai deux choses. D'une part, l'Europe aurait été gravement coupable de ne rien faire face aux exactions du régime serbe au Kosovo. Non seulement parce que l'acceptation de cette situation aurait laissé se perpétuer un foyer de tension et de déséquilibre dans la région des Balkans, qui aurait débouché, un jour ou l'autre, en un conflit régional aux conséquences incalculables. Mais aussi et surtout parce que l'Europe que nous voulons bâtir pour le siècle prochain ne peut tolérer, sur son sol, la négation même des principes qui fondent notre Union, les valeurs de liberté, de démocratie, de respect des Droits de l'Homme. La seconde chose qui me paraît claire, après deux mois de conflit, c'est que l'Europe, bien qu'elle joue, contrairement à ce que disent certains, un rôle actif sur les plans diplomatique, humanitaire et militaire, doit se doter d'une réelle capacité autonome de défense. L'alternative ne doit plus être entre ne rien faire et agir dans le cadre de l'OTAN. Les pays européens se sont mis à travailler en ce sens, dès le Conseil européen de Cologne les 3 et 4 juin.
Q - La France n'accueille guère de réfugiés kosovars en regard d'autres pays. Qu'en pensez-vous ?
R - Je ne suis pas d'accord avec vous. Nous avons accueilli environ 7000 réfugiés en France, ce qui nous place parmi les tout premiers pays. Un grand élan de solidarité existe en leur faveur, comme j'ai pu le constater dans ma région de Franche-Comté, qui a accueilli de nombreux Kosovars. Et je constate que, dans la grande majorité des cas, leur séjour en France se passe dans de bonnes conditions. Cela étant, il ne faut pas perdre de vue que la priorité pour les centaines de milliers de réfugiés, sans oublier les déplacés à l'intérieur du Kosovo, est d'être en mesure de retrouver leur foyer et de vivre en sécurité dans un Kosovo démocratique en paix.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 1999)
R - Il est vrai que les élections européennes, qui n'ont lieu au suffrage universel direct que depuis 1979, n'ont pas encore réussi à trouver toute leur place dans la vie des citoyens. Je pense que les deux raisons principales de ce phénomène tiennent à la perception d'une Assemblée aux pouvoirs faibles et mal connus, d'une part, et à un mode de scrutin qui éloigne les électeurs de leurs élus, d'autre part.
Or, il faut savoir que les pouvoirs du Parlement européen ont été considérablement accrus par le récent Traité d'Amsterdam, qui vient d'entrer en vigueur, et que son accord est désormais nécessaire à l'adoption de la plupart des "lois" européennes, c'est-à-dire les directives et les règlements dont dépend une partie croissante de nos propres lois.
Q - Dernièrement, dans nos colonnes, François Hollande appelait de ses voeux une "Europe de la santé", qui a fait selon lui défaut lors de l'affaire de la "vache folle". Quelle pourrait être cette Europe ?
R - Vous savez, le Traité sur l'Union européenne a donné une impulsion importante dans le domaine de la santé. Le Traité d'Amsterdam étant quant à lui la portée des actions en matière de santé publique, en particulier pour les questions vétérinaires et phytosanitaires. Les instruments juridiques existent donc désormais. Je suis persuadé que l'Europe de la santé montera assez fortement en puissance au cours de ces prochaines années, et ce d'autant plus que la crise de la vache folle, le conflit sur le boeuf aux hormones ou la question des éventuelles conséquences des OGM pour la santé donnent à ce sujet une importance toute particulière.
De plus, le Parlement a montré, en provoquant la démission collective de la Commission, qu'il était devenu un acteur majeur en Europe. Ces élections représentent donc un enjeu crucial. J'espère que les citoyens français dans les jours qui restent jusqu'au 13 juin, vont en prendre conscience. Je viens d'ailleurs de lancer une campagne d'information pour les inciter au vote, sous la signature "Aujourd'hui en Europe, voter c'est exister". Pour construire une Europe plus attentive aux préoccupations des citoyens, plus démocratique. La mobilisation de tous est nécessaire.
Mais l'Europe de la santé devra naturellement signifier bien d'autres choses, à terme, que ces sujets ponctuels. Il faudra, en effet, permettre à tous les citoyens d'Europe de bénéficier de leur droit à la santé où qu'ils se trouvent sur le territoire communautaire, sans que cela n'affecte bien entendu leur situation, en termes de prise en charge, notamment. C'est là un grand chantier, qui suppose à la fois coordination des systèmes de chacun des Etats membres et harmonisation d'un certain nombre de dispositions. Toutefois, la crise de la vache folle a, aussi, souligné la difficulté de certains services de la Commission à faire passer les objectifs de santé publique devant d'autres considérations.
A la lumière de ce qui s'est passé, on peut penser que la montée en puissance de la santé en tant que politique communautaire nécessitera un regroupement des services en charge de ces questions, dont l'éclatement actuel constitue une entrave à un traitement efficace des dossiers, ce qui peut aller jusqu'à porter atteinte à la crédibilité même de l'intervention communautaire en ce domaine. Il appartiendra d'abord à Romano Prodi de traiter cette question.
Q - L'Europe est-elle une voie pour régler la question des revendications autonomistes comme celles qui secouent la Corse actuellement ?
R - L'aspiration à la décentralisation, c'est-à-dire à une prise de décision qui soit la plus proche possible du citoyen, existe partout en Europe. La France, malgré sa tradition centralisatrice, a connu elle-même de grandes avancées depuis la loi Deferre de 1982. La construction européenne s'inscrit parfaitement dans cette logique, à partir du moment où son principe cardinal, la "subsidiarité", comme l'ont baptisée les technocrates de l'Europe - se fondant sur un principe du droit canon -, consiste à ce que les décisions soient prises au niveau le plus approprié et le plus efficace. Cela signifie que, dans certains domaines, il est nécessaire de décider au niveau européen que, dans d'autres, le niveau national reste le plus approprié, mais aussi que, dans certains cas, il faut aller au niveau de la région pour être le plus proche des réalités et des besoins. En revanche, il ne faut pas entretenir de confusion. Il ne reviendra en aucun cas à l'Europe de décider du statut de telle ou telle région. Ces questions de souveraineté demeureront du ressort exclusif de chaque Etat.
Q - Pour la France et l'Union européenne, quel est l'enseignement de l'intervention de l'OTAN au Kosovo ?
R - Il est difficile de tirer, d'ores et déjà, des conclusions d'une opération qui n'est pas achevée. Je dirai deux choses. D'une part, l'Europe aurait été gravement coupable de ne rien faire face aux exactions du régime serbe au Kosovo. Non seulement parce que l'acceptation de cette situation aurait laissé se perpétuer un foyer de tension et de déséquilibre dans la région des Balkans, qui aurait débouché, un jour ou l'autre, en un conflit régional aux conséquences incalculables. Mais aussi et surtout parce que l'Europe que nous voulons bâtir pour le siècle prochain ne peut tolérer, sur son sol, la négation même des principes qui fondent notre Union, les valeurs de liberté, de démocratie, de respect des Droits de l'Homme. La seconde chose qui me paraît claire, après deux mois de conflit, c'est que l'Europe, bien qu'elle joue, contrairement à ce que disent certains, un rôle actif sur les plans diplomatique, humanitaire et militaire, doit se doter d'une réelle capacité autonome de défense. L'alternative ne doit plus être entre ne rien faire et agir dans le cadre de l'OTAN. Les pays européens se sont mis à travailler en ce sens, dès le Conseil européen de Cologne les 3 et 4 juin.
Q - La France n'accueille guère de réfugiés kosovars en regard d'autres pays. Qu'en pensez-vous ?
R - Je ne suis pas d'accord avec vous. Nous avons accueilli environ 7000 réfugiés en France, ce qui nous place parmi les tout premiers pays. Un grand élan de solidarité existe en leur faveur, comme j'ai pu le constater dans ma région de Franche-Comté, qui a accueilli de nombreux Kosovars. Et je constate que, dans la grande majorité des cas, leur séjour en France se passe dans de bonnes conditions. Cela étant, il ne faut pas perdre de vue que la priorité pour les centaines de milliers de réfugiés, sans oublier les déplacés à l'intérieur du Kosovo, est d'être en mesure de retrouver leur foyer et de vivre en sécurité dans un Kosovo démocratique en paix.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 1999)