Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur la mondialisation du commerce et ses conséquences pour les entreprises tant nationales que très internationalisées, Paris le 11 décembre 2001.

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Circonstance : Colloque sur "Les nouveaux circuits du commerce mondial", à Paris le 11 décembre 2001

Texte intégral


Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs, Chers amis,
Bienvenue au centre de conférence Pierre Mendés France pour cette journée de dialogue et de travail consacrée aux nouveaux circuits du commerce mondial.
Je veux d'emblée remercier très chaleureusement mon associé dans l'organisation de ce colloque : Bertrand Collomb. Ce colloque est une initiative conjointe et coordonnée du ministère et de l'Institut de l'entreprise et nous voulons qu'il soit une occasion privilégiée de faire dialoguer l'Etat et l'entreprise, les acteurs politiques et économiques.
Dialogue qui apparaît plus que jamais précieux dans le contexte du ralentissement économique apparu au début de l'année aux Etats-Unis et accentué par la tragédie du 11 septembre.
Dans la diversité de leurs rôles et de leurs responsabilités, les Etats et les entreprises ressemblent aux acteurs d'une grande pièce de théâtre. Une pièce de bruit et de fureur parfois, une pièce sans deus ex machina peut-être.
Cette pièce s'appelle l'Histoire et l'acte qui se joue aujourd'hui a pour sous-titre la mondialisation.
Mais, comme toute pièce, celle que nous interprétons ensemble ne manque pas de critiques qui dénigrent aussi bien l'Etat que les entreprises. Les critiques, c'est leur rôle, passent sous silence les succès et concentrent leur verve sur les échecs.
Néanmoins, dans notre pièce, l'Etat et les entreprises sont l'objet de reproches exactement inverses. L'Etat incarnerait un personnage lourd et lent, toujours dépassé par les événements.
Les entreprises, les multinationales, semblent au contraire des personnages agités, emportés dans une course folle à l'innovation, si ce n'est au moins-disant social.
Enfin, synthèse de ces critiques inverses : sur la scène de la mondialisation, l'Etat et les acteurs économiques se croisent sans se voir, ou s'aperçoivent pour mieux s'éviter.
Nous n'allons pas aujourd'hui dissiper tous ces reproches, nous ne changerons ni le décor ni la mise en scène.
En abandonnant ma métaphore littéraire, je crois que nous devons mener un exercice visant à une meilleure compréhension des processus en cause, et en donnant la parole aux entreprises elles-mêmes.
La mondialisation, en dégageant l'entreprise du cadre de l'Etat national, semble lui offrir une forme d'émancipation, apte à favoriser un développement plus libre et plus étendu.
Mais il serait absurde d'oublier que la globalisation constitue aussi pour les grandes entreprises une source de vulnérabilité. Aux nouvelles opportunités correspondent de nouveaux risques. L'ouverture des frontières commerciales entraîne la disparition des marchés captifs. La libre circulation des capitaux augmente leur volatilité. La rapidité de l'information expose l'entreprise aux regards des actionnaires, des consommateurs, quand elle n'encourage pas la cybercriminalité.
En un mot, la mondialisation signifie pour les entreprises à la fois moins d'allégeance mais aussi moins de rente, plus de liberté et moins de certitude.
Cette liberté et ces incertitudes me semblent correspondre à une triple complexité.
1. La première complexité est liée aux différents modes de présence à l'étranger des entreprises.
Les historiens de l'économie nous expliquent que la mondialisation n'est pas un phénomène inédit et que l'internationalisation de l'économie était plus poussée avant la première guerre mondiale qu'aujourd'hui. Nous serions même seulement en train de retrouver les niveaux d'ouverture qui prévalaient au début du siècle dernier avant la tragique parenthèse de 1914-1945.
Mais, le niveau des échanges n'est pas seul en cause : c'est leur nature même qui est modifiée. On échange aujourd'hui moins de " spécialités " d'un pays à l'autre, on échange plus de biens intermédiaires qui rentrent dans une longue chaîne d'activité globalisée. La fabrication d'un jean se décompose en dizaines de composants et d'interventions distincts sur plusieurs continents, depuis la cueillette de la matière brute coton jusqu'au marketing en passant par le design, la teinture et l'assemblage.
La part du commerce intra-firme ou intra-branche est croissante et se tissent ainsi progressivement, entre les économies nationales, des liens transversaux qui se réduisent de moins en moins aux schémas classiques des échanges entre nations spécialisées. Le modèle ricardien des avantages comparatifs serait-il en train de mourir de sa belle mort ?
Dans la croissance des échanges intra-firmes, l'échange international n'est plus une activité " en aval " mais une composante intime de l'organisation industrielle et stratégique des entreprises.
Ce qui nous oblige à reconsidérer la définition du commerce international. Excédent et déficit commerciaux, indicateurs de flux internationaux et de parts de marché, importent moins que les évolutions stratégiques des acteurs de ces échanges : les entreprises elles-mêmes.
Exportations de la France vers l'étranger, exportation des filiales étrangères vers l'extérieur, ventes locales des filiales, échanges intra-groupes : c'est tout cela qui est désormais au cur du commerce mondial.
Cette complexification des modes de déploiement international influe bien sûr profondément sur les relations Etat-entreprises.
La multiplication des investissements étrangers et la progression des échanges intra-firmes peuvent être lus comme les deux faces d'un même phénomène. C'est le signe que l'investissement à l'étranger, loin d'être un simple substitut à l'exportation, la prépare, la complète, et la consolide.
Cela renforce l'idée que les politiques commerciales, traditionnellement vouées à l'ouverture des marchés, aux productions nationales, doivent aujourd'hui mettre au premier rang de leurs priorités l'accès au marché pour les investissements.
Au delà des traditionnels accords bilatéraux de protection des investissements, la question cruciale est celle de la transparence et de la non discrimination, dans la phase de pré-établissement. L'Union européenne, vous le savez, a beaucoup plaidé à Doha pour que cette question figure au programme des prochaines négociations à l'OMC. Nous sommes également déterminés à placer la question des règles sur l'investissement au cur des prochains rounds de négociations avec les pays comme le Chili, ou les unions régionales comme le Mercosur.
La croissance rapide des investissements est également liée à des enjeux stratégiques : les entreprises qui investissent bénéficient a priori davantage des marchés en forte expansion que sont les marchés émergents, que les entreprises qui y exportent.
Mais elles prennent aussi plus de risques. D'où le rôle d'impulsion que doit avoir l'Etat, lorsque ces marchés sont la source de notre compétitivité de demain. C'est la raison pour laquelle, lors de la crise asiatique, alors que la plupart des opérateurs financiers se retiraient, le gouvernement français est resté confiant dans les potentialités de ces pays et n'a pas voulu compromettre les efforts importants de pénétration réalisés par nos entreprises.
Ce soutien est particulièrement important en période de crise, où les bouleversements des positions établies signifient aussi de nouvelles opportunités dont ont su profiter les sociétés françaises en rachetant des réseaux de distribution concurrents à un faible coût.
2. La deuxième complexité réside dans les nouvelles géographies de l'espace économique.
On a beaucoup débattu des qualificatifs à donner aux entreprises très internationalisées. Fallait-il les appeler trans-nationales, multinationales?
Ce qui nous intéresse aujourd'hui, ce sont moins ces questions sémantiques, que la géographie des différentes " plateformes " ou " marchés pertinents " de l'organisation des entreprises internationalisées, géographie qui dessine les nouveaux circuits du commerce international.
Les politiques commerciales ou les politiques d'intégration régionales contribuent également à la recomposition des marchés et des échanges internationaux, à la reconfiguration de leurs architecture.
De ce point de vue, on assiste plutôt à une convergence des deux processus:
Les entreprises très internationalisées opèrent de plus en plus à partir d'une base régionale, et organisent leurs activités à une échelle continentale. Pour les entreprises françaises, c'est surtout vrai à l'échelle européenne, assez vrai à l'échelle de l'ALENA, un peu moins peut-être à l'échelle de l'ASEAN.
A cette régionalisation des stratégies industrielles fait écho une régionalisation politiquement organisée des économies, à travers les accords de libre échange régionaux, ou des intégrations régionales plus profondes.
Ces tendances appellent d'ailleurs des réponses spécifiques dans la politique commerciale que nous contribuons à définir au sein de l'Union européenne.
Nous restons vigilants face aux effets d'exclusion ou de détournement engendrés par la prolifération des accords de libre échange régionaux, qui peuvent déboucher sur l'exclusion des pays les plus faibles, mais également, pour les accords dont nous ne sommes pas parties, sur une dégradation des positions de nos opérateurs.
Et il y a évidemment deux voies pour conjurer ces risques : la relance du travail vraiment multilatéral à l'OMC, et de ce point de vue, Doha nous aura donné largement satisfaction, et une politique dynamique d'accords interrégionaux.
Après l'accord signé avec le Mexique l'année dernière pour essayer de mettre nos opérateurs au niveau de ceux de l'ALENA, nous nous tournons désormais vers le Chili et le Mercosur pour ne pas risquer d'être distancés par la constitution, certes encore hypothétique, de la Zone de libre échange des Amériques.
Nous sommes également déterminés à concevoir ces accords de manière à ce qu'ils n'affaiblissent pas les intégrations régionales en voie de construction : de ce point de vue, le développement d'un Mercosur puissant, qui soit une force d'équilibre en Amérique latine, apparaît essentiel pour les intérêts européens.
3. Dernière complexité : celle du couple innovation/compétitivité.
La répartition géographique de la présence internationale des entreprises françaises appelle des formes de compétitivité où se cumulent désormais les facteurs de prix et les facteurs de différenciation que sont la qualité, l'innovation et la variété, surtout lorsqu'on opère depuis des zones à hauts salaires et monnaie forte. L'innovation, nous le savons, est un facteur clef de la réussite internationale : on a pu montrer que le taux d'exportation entre les entreprises innovantes et celles qui ne le sont pas, passait du simple au double, soit de 14 à 28%.
La première conséquence est que l'une de nos priorités à l'international doit être le respect de la propriété industrielle, les brevets bien sûr, mais également les dessins industriels et les marques. Le cadre légal minimal est fixé, grâce aux accords de l'OMC sur la propriété intellectuelle, mais le plus dur est peut-être ailleurs : ce qui compte, c'est le respect effectif de ces normes.
Nous ne ménageons pas nos efforts, notamment avec les pays émergents d'Asie du sud-est, en matière de coopération réglementaire, douanière, judiciaire et de sensibilisation des administrations. Je vois d'ailleurs là un des aspects les plus fructueux du dialogue entreprises/administrations.
Mais, la compétitivité n'est pas seulement celle du " produit ", elle est aussi, de plus en plus, celle de l'organisation industrielle qui est rendue possible par les nouveaux services, et les nouvelles technologies.
Certes, l'éclatement de la bulle spéculative, et la crise que traverse le secteur ont douché une certaine exubérance irrationnelle. Les espoirs de ceux qui voyaient l'Internet se substituer au marché réel (B to B, B to C) ont été - provisoirement? - déçus.
Toutefois, cette crise des technologies ne doit pas dissimuler l'impact bien réel qu'elles ont dans la réorganisation des entreprises et dans la gestion des échanges et des flux : qu'il s'agisse des achats ou de la gestion de la relation clients.
Le corollaire de cette évolution est une complexité accrue des prestations logistiques qui engendrent des coûts et des moyens énormes et sollicitent des choix stratégiques de plus en plus vitaux.
S'y ajoute surtout la nécessité pour les Etats de prendre en compte les coûts collectifs engendrés par cette nouvelle organisation qui consacre, quoi qu'on en dise, la prédominance du transport routier et fait croître de manière spectaculaire le fret par avion : deux modes de transport qui présentent de réelles " externalités négatives " en matière de consommation d'énergie, d'effet de serre ou de nuisances sonores.
Conclusion :
Voilà Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs, les thèmes dont nous allons débattre aujourd'hui.
Nous partons explorer le monde nouveau de ce XXIème siècle. Un monde où les frontières historiques et géographiques aboutissent à de nouvelles organisations. Un monde où les idées anciennes ne disparaissent pas mais se transforment. Ce monde, nous devons l'affronter avec ce qui constitue notre nature, c'est-à-dire l'intelligence.
Je disais en commençant que dans le théâtre du monde, il n'y avait pas de deus ex machina. A nous de montrer qu'il en existe un peut-être, qui porterait ce nom que les drames de l'Histoire nous font parfois oublier, alors qu'il exprimait l'espoir de l'humanité moderne.
Ce nom si simple : le Progrès.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 20 décembre 2001)