Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à RFI et RMC le 14 juin 1999, sur la victoire de la droite européenne aux élections du Parlement européen, le bon score des listes "pro-européennes" en France, la modification du rapport des forces au sein de la majorité plurielle entre le PS et Les Verts.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Radio France Internationale - RMC

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC "RFI" le 14 juin 1999
Q - Invité de ce journal, Pierre Moscovici, une interview réalisée dans le courant de la matinée. Le ministre délégué aux Affaires européennes revient tout d'abord sur l'inversion des rapports de force au sein du parlement de Strasbourg.
R - C'est vrai qu'il y a eu un certain nombre de résultats un peu surprenants et pas forcément agréables pour les sociaux-démocrates, dont les facteurs sont divers : d'une part, le changement de mode de scrutin en Grande-Bretagne qui, mécaniquement, devait faire perdre des sièges ; d'autre part, la participation en Grande-Bretagne qui a manifestement défavorisé les travaillistes et un certain nombre d'échecs, notamment en Allemagne, qui peuvent susciter des interrogations.
Q - Précisément, comment expliquez-vous l'échec cuisant du chancelier Schröder qui n'est même pas au pouvoir depuis un an ?
R - Je pense que dans des élections intermédiaires, la participation différentielle joue beaucoup. Je n'ai pas d'éléments suffisants mais c'est sans doute un signal que les Allemands ont voulu adresser au gouvernement allemand dans une élection qui est sans enjeu et je suis persuadé que Gerhard Schröder conserverait les responsabilités dans une élection "grandeur nature" où lui-même serait candidat. Mais c'est vrai qu'en Allemagne, il y a un effet Schröder. Il y a aussi des critiques qui peuvent s'émettre sur tel ou tel gouvernement. Je ne crois pas que cela remette en cause la crédibilité du Chancelier.
Q - Et plus généralement, donc, au plan européen, cette majorité de droite ne va-t-elle pas gêner les gouvernements sociaux-démocrates qui restent tout de même majoritaires ?
R - Tel que je vois le Parlement, les choses sont un peu plus compliquées. C'est-à-dire que les gauches réunies - avec les libéraux qui sont en partie situés à gauche en Grande-Bretagne -, sont exactement à égalité, voire légèrement en avance sur les droites et il est vrai que le Parti populaire européen est devant le Parti des Socialistes européens. Ce sont les deux grands partis, et maintenant, tout peut se jouer dans le Parlement. Je crois que trois solutions existent : la droite peut chercher une majorité mais je ne vois pas comment elle la trouverait, la gauche peut chercher une majorité mais celle-ci serait extraordinairement composite ; ou bien l'accord de gestion qui prévalait jusqu'à présent entre le PPE et le PSE peut se renouveler, avec, c'est vrai, des rapports de force entre ces deux groupes qui seraient imparfaits.
Q - Comment expliquez-vous, à contrario, qu'en France, la liste de François Hollande réalise un bon score ?
R - Je crois que les Français ont beaucoup dispersé leur vote mais qu'en même temps, ils cherchent toujours un môle de rassemblement, qu'ils ont manifesté à travers ce bon score de la liste de François Hollande la confiance qu'il faisait au gouvernement de Lionel Jospin et aussi à la campagne la plus européenne car les Français, manifestement, avaient envie d'entendre parler d'Europe. Les trois listes, finalement, qui font le meilleur score, à gauche, celles de François Hollande et Daniel Cohn-Bendit, à droite celle de François Bayrou, en relatif, sont trois listes qui ont parlé d'Europe. Je pense qu'à parler d'Europe, on gagnait dans cette campagne.
Q - Précisément, Pierre Moscovici au sein de la majorité plurielle, l'équilibre est tout de même modifié, les Verts ne vont-ils pas devenir pour les Socialistes des partenaires un peu gênants ?
R - Vous savez, je pense qu'une seule élection, qui plus est une élection particulière avec un taux d'abstention important comme l'élection européenne, ne crée pas un nouveau rapport de forces pour le gouvernement, pour des élections municipales, pour des élections législatives. Je suis plutôt satisfait du résultat des Verts. Je trouve que tout ce qui va dans le sens du progrès de la majorité plurielle va dans le bon sens mais, en même temps, c'est une élection très particulière. Je ne crois pas que nous allons commencer demain des négociations pour renouveler la coalition. Cela ne me paraît pas d'actualité mais encore une fois, c'est à Lionel Jospin d'apprécier.
Q - Le Parti communiste, à long terme, demeure-t-il à votre sens un partenaire pour les socialistes ?
R - Evidemment, les communistes demeurent nos partenaires d'autant que c'est une élection qui a prouvé par le passé qu'elle était très difficile pour le Parti communiste car c'est un parti qui recrute dans les couches populaires et ce sont ces couches populaires qui, traditionnellement, se déplacent moins pour ce type d'élection.
Q - Pierre Moscovici, je vous remercie.
ENTRETIEN AVEC "RMC-FORUM ACTUALITE" le 14 juin 1999
Q - Bonsoir Pierre Moscovici. Merci d'être en direct. Un petit mot d'abord de l'abstention. Pour vous cet échec d'un point de vue strictement européen, ce manque de passions, prenez-vous cela pour une défaite personnelle?
R - Non, pourquoi prendrais-je cela pour une défaite personnelle ? C'est vrai que c'est préoccupant pour l'Europe, encore que les Français ont baissé en participation mais relativement moins, finalement, que d'autres pays. C'est tout simplement le fait que les électeurs ne se reconnaissent pas, je crois, dans une certaine façon d'expliquer l'Europe. Il faut que les hommes politiques en tirent les conséquences, dans leur rapport à l'Europe. L'Europe, c'est de plus en plus important, il y a un désir d'Europe. A nous d'être capables de rapprocher l'électeur de l'Europe et cela passe aussi peut-être par une réforme du mode de scrutin aux élections européennes. La proportionnelle nationale en France est un scrutin qui éloigne trop des élus, je crois.
Q - On dit toujours, réforme du mode de scrutin, mais on ne la fait pas. Cette fois le gouvernement essaiera-t-il de porter le projet ?
R - Mais le gouvernement avait porté le projet. Il est allé jusqu'au Conseil des ministres. Mais il n'y avait pas de majorité pour cela. Nous avons cinq ans pour reprendre ce dossier calmement. Mais pour moi c'est un des éléments parmi d'autres ; il y en a beaucoup d'autres qui expliquent l'abstention. Il faut surtout parler d'Europe et faire que tous ceux qui ont eu un comportement pro-européen dans cette campagne, que ce soit en France - François Hollande, Daniel Cohn-Bendit et même François Bayrou - à l'étranger, comme Emma Bonino, ont su rallier des scrutins.
Q - Il y a une majorité pro-européenne en France.
R - C'est clair que, contrairement à ce qu'on peut voir, superficiellement, à travers le succès de Charles Pasqua, les listes anti-européennes ou les listes souverainistes réalisent un mauvais score. L'extrême-droite est en fort recul. Charles Pasqua fait le même score que Philippe de Villiers à peu de choses près. Quand au Parti communiste, il a évolué et il est désormais tout à fait euro-constructif. Donc, la France bouge vers l'Europe et je crois que de ce point de vue-là, les pro-européens l'ont nettement emporté sur les anti-européens.
Q - Comme membre du gouvernement, comment analysez-vous le résultat des Verts ? Est-ce un début de gêne pour Lionel Jospin?
R - Pas du tout. Lionel Jospin n'est plus aujourd'hui le premier secrétaire du Parti socialiste, c'est François Hollande. Il est le chef de la majorité et ce qui lui importait c'était d'abord que cette majorité soit en tête devant la droite - elle l'est. C'était aussi que chacune de ses composantes se portent bien : le Parti communiste résiste même s'il aurait espéré un meilleur score - Les Verts progressent ; le Parti socialiste est de loin la première formation politique. Tout cela s'inscrit dans une progression et je crois que Lionel Jospin doit être satisfait de voir la percée des Verts d'autant qu'il me semble que les Verts ont une attitude raisonnable. Ils savent bien qu'une élection ne refait pas un rapport de forces.
Q - C'est vrai, mais comme disait Dominique Voynet, "on regarde ce qu'il y a dans l'assiette et, de ce point de vue-là, les Verts ont beaucoup à dire. Lionel Jospin les entendra davantage.
R - Si vous voulez parler du fond, c'est-à-dire des vrais problèmes écologiques, d'une certaine attitude par rapport à l'Europe, je crois que de ce point de vue-là il faut écouter le message des électeurs qui sont attachés à des aspects de la vie quotidienne : les peurs alimentaires qui ont joué un rôle évident, toutes les questions environnementales. Il faut apporter au message des Verts une attention sans doute accrue.
Q - D'ailleurs, d'une certaine manière, cela implique davantage d'Europe. On pense à une agence de sécurité sanitaire européenne, par exemple.
R - De ce point de vue-là, nous pouvons et nous devons travailler ensemble. Nous allons le faire dans le cadre du gouvernement pour faire en sorte que, là encore, l'Europe dont on parle, soit l'Europe concrète, celle qui répond aux problèmes des gens et pas uniquement une Europe qui est affiliée à des problèmes économiques, d'ailleurs de façon négative.
Q - Le fait que le président de la République soit politiquement affaibli, compte tenu des résultats du RPR, peut-il amener un durcissement de la cohabitation ?
R - En tout cas, pas du point de vue de la majorité. Pour ce qui nous concerne, nous nous sentons plutôt confortés. Après deux ans de travail, c'est rare qu'un gouvernement gagne des élections intermédiaires comme nous le faisons. C'est un encouragement à continuer. Nous n'avons pas l'intention de bousculer particulièrement la cohabitation ; ces rythmes sont donnés par les élections. Il n'y a pas d'élections en principe avant deux ans. Continuons à travailler calmement. Je ne vois pas pourquoi la cohabitation se raidirait, du fait de la gauche plurielle.
Q - Sur le plan européen maintenant, François Hollande a fait sa campagne et vous avez fait la campagne sur le fait qu'il y avait une sorte de cohésion entre les différents partis socialistes et gouvernements de gauche, en Europe. Maintenant, on se retrouve avec un Parlement, qui pour la première fois, sera à droite. Ce n'était peut-être pas ce que vous aviez prévu. Comment allez-vous portez vos demandes européennes ?
R - C'est un peu plus compliqué que cela. Le Parlement n'est pas à droite. Il est vrai que le principal parti de droite européenne, le PPE, est en progrès devant le PSE - les Socialistes européens.
Q - Et va présider le Parlement européen...
R - ..Il va le présider ? On ne le sait pas encore parce qu'il y a des discussions mais il le présidera peut-être durant la première partie du mandat, deux ans et demi. Ensuite, ce sera un socialiste européen. Au fond, ce serait, si cela se confirmait, la combinaison inverse du précédent Parlement où, de toute façon, on est obligé d'agir en coalition. Les gouvernements restent ce qu'ils sont et en Europe c'est le Conseil des ministres, le Conseil européen qui donne les orientations. Cela dit, il faudra tenir compte du nouveau Parlement européen. Mais mon expérience - j'ai été parlementaire européen - me laisse penser qu'il n'y a pas de raison que ce Parlement soit un frein ; il sera exigeant, il aura d'autres idées, nous trouverons les compromis nécessaires. C'est une autre forme de cohabitation à faire vivre. Je souhaite que celle-là se passe bien.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juin 1999)