Interview de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à LCI le 23 janvier 2002, sur les revendications des médecins généralistes, la loi sur la présomption d'innocence et sur le thème de la sécurité au cours de la future campagne présidentielle.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.- Si vous étiez médecin en exercice, est-ce que vous feriez grève aujourd'hui ?
- "Tous les médecins font grève aujourd'hui, c'est historique - y compris SOS Médecins -, parce que depuis cinq ans maintenant, à aucun moment, un ministre des Affaires sociales du gouvernement Jospin ne les a rencontrés. Aucune reconnaissance. Un immobilisme incroyable. Bien sûr, [il faut] une augmentation des rémunérations, mais aussi une reconnaissance dans la société française. Le médecin généraliste, c'est celui qui vous connaît : il connaît votre famille, vos problèmes d'emploi, vos antécédents. Il donne un petit peu de liant entre votre santé et le corps social. C'est important, c'est une pierre angulaire pour la prévention, pour le système de santé français qui est un des meilleurs au monde. On n'a pas le droit de le laisser tomber. Et c'est la première fois qu'un ministre ne les reçoit même pas."
Il semble qu'elle soit en train d'évoluer...
- "Bien sûr que cela évoluera, parce que c'est une erreur qui ne peut pas continuer comme cela. La réalité est qu'on ne peut pas continuer à payer de la même manière un médecin qui fait une prescription de pilules pour la quinzième fois chez la même personne - une jeune femme de trente ans qui va bien - et une primo-consultation - la première fois que vous voyez quelqu'un - avec une douleur thoracique, où il faut interroger la personne pendant dix-quinze minutes, l'examiner, et en tout peut-être trois quarts d'heure d'examen."
Cela incite à la triche...
- "Non, et c'est justement la question. En 1996, A. Juppé, que l'on a tellement décrié avec ses ordonnances, avait en réalité déjà prévu l'organisation de l'information de ce que fait le médecin par rapport à son malade. Si je vous soigne, il faudra que ce soit écrit quelque part pour qu'on sache ce que j'ai fait pour vous, avec vous, et quel traitement je vous ai donné. Et alors, il n'y a plus de triche possible."
Il a donc été incompris ?
- "Depuis, cela n'a pas suivi. Rien n'a été fait pour les médecins. Et les médecins le demandent..."
Rappelez-vous comment les médecins se sont levés contre le plan Juppé...
- "A l'époque, comme la Sécurité sociale allait disparaître, il a fallu faire une régulation dite "comptable". Ce n'était pas une bonne chose. Nous l'avons dit. A. Juppé l'a dit. On n'a pas été bon là-dessus. La question n'est pas là. Aujourd'hui, il faut faire une régulation avec les médecins, reprendre confiance avec eux, et surtout les écouter. On ne peut pas continuer à rembourser 25 ou 30 francs le déplacement d'un médecin chez un malade. Ce n'est pas possible."
Vous sentez que cette confiance revient chez vous ?
- "En tout cas, je crois qu'ils sont étonnés de voir que le Gouvernement actuel ne les a même pas reçus et même pas écoutés. Le médecin n'a plus confiance véritablement au système politique. C'est nous - avec peut-être un certain nombre d'amis, comme J.-F. Mattéi, des gens qui sont médecins - qui [pouvons] peut-être les écouter, mieux les comprendre et surtout ne penser qu'à une chose : aux malades. Car n'oublions pas que si on n'aide pas les médecins généralistes, in fine, c'est le malade qui en pâtira. Et cela n'est pas possible."
Le Gouvernement n'a peut-être pas entendu les médecins suffisamment tôt, mais en revanche, il a bien entendu les policiers et leurs critiques contre la loi sur la présomption d'innocence. Il a décidé de réagir : il y a eu le rapport Dray ; il y a la proposition de loi socialiste qui reprend des propositions que vous-mêmes - pas personnellement, mais vos amis - avez faites. Et là, on ne vote pas. On ne fait pas ce cadeau au Gouvernement, c'est cela ?
- "70 % des condamnés à la prison pour moins de six mois ne vont pas en prison. Il y a une augmentation de 50 % des délinquants mineurs en Haute-Garonne, dans mon département. Une violence qui a complètement changé. Une délinquance qui est passée d'une délinquance d'appropriation à une délinquance d'agression : faire mal pour faire mal. Une géographie de la délinquance qui a changé : ce n'est plus un quartier ou deux quartiers, c'est toute une ville, voire une agglomération. 82 % des dossiers sont classés sans suite parce que les procureurs, les magistrats, n'ont pas suffisamment de moyens. Comment voulez-vous, dans ce contexte-là..."
Ce n'est pas ce texte de loi qui en est responsable...
- "Ce texte de loi n'augmente absolument à aucun moment les moyens de la justice. Il y avait 6.100 magistrats en 1900. Il y en a aujourd'hui 6.500. On ne peut pas faire l'économie d'une vraie réflexion sur la justice. Et il faut surtout dire que tout délit mérite une sanction. Cette sanction doit être rapide, graduée mais faite. On n'a pas le droit aujourd'hui de laisser un sentiment d'impunité vis-à-vis des délinquants. Monsieur Dray n'y est pas arrivé, je m'excuse..."
On verra cela... Il faut attendre maintenant l'application des nouvelles dispositions...
- "C'est la raison pour laquelle je ne voterai pas. C'est ce que je voulais vous dire."
Les élections vont-elles se gagner sur les questions de sécurité ou d'insécurité ?
- "Permettez au maire de Toulouse de dire que c'est la première préoccupation de tous les Français. On ne peut pas aujourd'hui continuer dans ce climat. C'est absolument impossible. Et arrêtons surtout de mettre d'un côté le social et le sécuritaire, de diviser justice et police, de diviser maires et préfets, de diviser répression et prévention. C'est toute une palette qu'il faut. Il faut que tout délit mérite sanction. Il faut aussi améliorer ces lieux, ces quartiers, ces barres architecturales inhumaines qui sont faites pour séparer et pas pour unir. Et il faut réussir l'intégration."
Toulouse va accueillir dans un mois une grande réunion politique, la réunion de l'UEM, l'Union en mouvement. On aimerait quand même savoir quel va être le devenir de cette UEM. Est-ce que cela va être un label législatif ? Sont-ce les prémices d'un grand parti de l'opposition ou de la future majorité, selon les résultats de l'élection ? Et le 23 février, on aimerait aussi savoir si votre candidat sera déclaré.
- "Chaque chose en son temps. Pour l'instant, nous faisons en effet un projet. Car, on le voit bien, les petites phrases terribles, telles qu'on les voit aujourd'hui, les arrière-pensées sordides électorales, cela ne marchera pas, cette fois-ci. Du moins, je l'espère. Ce qui marchera, c'est un programme contre un autre. Etre capable de montrer que nous avons une équipe, que l'on joue collectif, et qu'en même temps, nous sommes capables de faire un projet."
Et vous avez l'impression que c'est le cas ?
- "Un projet avec plus d'autorité, avec aussi plus de liberté pour l'entreprise. Donner aux jeunes la liberté d'entreprendre. Et puis aussi ne pas oublier le partage. Cela se fera avec l'Union en mouvement, une synthèse des programmes des partis politiques RPR, UDF et DL. Ce sera le 23 février à Toulouse, toute la journée, et je vous y invite."
Synthèse, c'est aussi fusion ?
- "Ce sera ensuite, après l'élection présidentielle, la possibilité de faire - je l'espère en tout cas personnellement - une grande formation de centre-droit et de droite, ce qui existe dans tous les pays de l'Union européenne. Si nous pensons la même chose, pourquoi ne pas nous mettre ensemble ?"
Et cette UEM va être le label législatif ?
- "Oui, bien sûr. Nous souhaitons qu'il y ait un seul candidat - arrêtons les divisions ! - par circonscription. A nous de nous mettre d'accord pour qu'il puisse ensuite gagner..."
Vous allez à la convention de l'UDF de samedi ?
- "Bien sûr."
Malgré tout ?
- "Bien sûr. Il faut aujourd'hui que les partis présentent leur programme. Pour moi, c'est l'UDF. Et ensuite, il y aura une synthèse au sein de l'Union en mouvement le 23 février."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 23 janvier 2002)