Texte intégral
Treize chefs d'Etat et de gouvernement africains ont été invités par le président français, Jacques Chirac, à une réunion de travail consacrée au Nepad (Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique), aujourd'hui à l'Elysée. Les enjeux du développement seront également évoqués lors de prochaines rencontres internationales : réunion des ministres des Finances du G7 le prochain week-end à Ottawa ; conférence de Monterrey en mars ; G7/G8 au Canada en juin ; enfin, sommet de Johannesburg sur le développement durable en septembre.
La question du développement des pays pauvres sera nécessairement centrale au cours des prochaines années.
Pourquoi ? Parce que la persistance d'inégalités massives devant la santé, l'éducation et plus généralement face à la vie, heurte la conscience humaine. Parce que la sécurité du monde suppose que des centaines de millions de personnes ne soient pas condamnées au désespoir de la pauvreté. Parce que la perspective d'une croissance durable dans les pays riches souligne cruellement l'écart avec les pays pauvres.
La conférence de Monterrey occupe une place cruciale. Après le lancement de l'initiative appelée Nepad pour l'Afrique, puis la prise en compte positive de la nécessité du développement par l'OMC à Doha, elle nous offre l'occasion de sceller un partenariat Nord-Sud en faveur du développement. Cela impose de formuler des propositions concrètes pour rendre possible l'accès de tous, à terme, au développement.
Je partirai d'une idée simple et majeure : on ne peut pas séparer l'aide financière, le commerce et le développement.
Le développement économique et social des pays du Sud passe par une approche globale. Trois actions me semblent à cet égard essentielles : il faut augmenter le volume et l'efficacité de l'aide publique au développement, en la ciblant davantage vers les plus pauvres ; nous devons encourager la croissance des pays pauvres grâce à la mobilisation de tous les instruments à notre disposition (commerce, renforcement des institutions internationales, diminution des contraintes financières pesant sur la croissance...) ; il s'agit enfin de mieux réguler les excès de la globalisation, en encourageant les pratiques de bonne gouvernance et en mettant en place le cadre institutionnel nécessaire à une meilleure prévention des crises comme à une plus grande transparence des flux de capitaux.
Non, il n'y a pas de fatalité de la pauvreté. Les progrès fulgurants des nouveaux pays industrialisés puis le développement économique de nations comme la Chine ou l'Inde ont permis de sortir des centaines de millions de personnes de la misère. Chacun de ces pays a su, à sa manière, combiner des politiques macroéconomiques sérieuses, l'insertion dans le commerce international et l'appel aux investissements étrangers.
Cependant, les crises de ces dernières années en Asie du Sud-Est ou en Amérique latine, en détruisant des années d'efforts, montrent que d'effrayantes fragilités persistent, et que la mondialisation manque encore de règles. Dans les régions les plus pauvres, c'est l'impossibilité même d'accéder aux bénéfices de la mondialisation qui bloque le développement. Face à des enjeux qui sont globaux et qui nous concernent tous, nous devons trouver des réponses globales et communes.
Pour avancer dans cette voie, je voudrais formuler ici quelques propositions.
1 Pour renforcer les réserves de change des pays en développement, il serait utile de décider rapidement une allocation exceptionnelle de droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI.
De nombreux pays sont aujourd'hui contraints de restreindre leur demande intérieure ou de renoncer à des dépenses d'avenir, afin de protéger leurs réserves de change, ou d'emprunter celles-ci à des conditions onéreuses. Cette situation freine leur développement, ce qui en retour affaiblit la croissance mondiale.
Des tendances de long terme justifient l'augmentation des réserves des pays en développement. L'essor du commerce international, voulu à Doha, implique une hausse de celles-ci, ne serait-ce que pour stabiliser le ratio entre réserves et importations. La vulnérabilité financière des pays en développement face à la volatilité des mouvements de capitaux suppose l'accroissement du matelas de réserves qui leur permet d'amortir les chocs financiers.
Dans ces conditions, une allocation de DTS, venant s'ajouter aux réserves actuelles, contribuerait à la croissance mondiale tout en renforçant la stabilité financière. C'est ce qu'a évoqué récemment Lionel Jospin. Je compte développer cette idée au cours des prochaines semaines dans la perspective de la conférence de Monterrey. L'allocation de DTS décidée en 1997 n'attend plus qu'une décision américaine pour être mise en oeuvre. Avançons en ce sens. Examinons les moyens de mieux concentrer les futures allocations vers les pays qui en ont le plus besoin.
2 Ma deuxième proposition vise à instaurer un mécanisme stable de traitement du surendettement des Etats souverains.
La très grave crise que connaît l'Argentine est bien sûr politique et sociale. C'est aussi une crise financière liée partiellement à un endettement incontrôlé. Elle illustre le caractère inadapté des instruments mis en place dans les années 80 pour répondre à la crise de la dette.
L'accès plus important des Etats aux marchés internationaux de capitaux et la part prise par les obligations privées dans le financement de leur économie ont représenté un changement majeur dans le système financier international. Or l'architecture financière mondiale n'a pas assez tenu compte de cette évolution pour organiser un meilleur partage du coût entre pays débiteurs, créanciers privés et communauté internationale. Le FMI a engagé une réflexion intéressante sur un nouveau mécanisme de règlement des crises de dette souveraine.
Je soutiens l'idée d'un tel mécanisme à condition qu'il soit respectueux de l'autonomie des Etats et qu'il repose sur une légitimité politique suffisante. Pour favoriser des négociations équilibrées entre les créanciers et les pays débiteurs, le mécanisme proposé devrait assurer plusieurs fonctions essentielles : sur la base d'une analyse économique justifiant le caractère non soutenable du niveau de la dette, il s'agirait de prononcer un moratoire des paiements de la dette avec le soutien de la communauté internationale, en protégeant le pays débiteur contre le recours de ses créanciers ; il faudra aussi apprécier le niveau de restructuration souhaitable, en permettant un partage équitable entre les efforts du pays débiteur et ceux des créanciers ; enfin la procédure devra définir les modalités de négociation et arbitrer les éventuels conflits.
Les difficultés techniques, juridiques et politiques d'un tel dispositif sont réelles. Je ne les crois pas insurmontables. Les propositions sont sur la table, il faut progresser avec pragmatisme. C'est ce à quoi j'encouragerai mes collègues du G7 et des pays émergents qui, j'en suis convaincu, y ont tous intérêt au nom même de la stabilité internationale.
3 Nous devons mieux équilibrer les relations commerciales internationales.
Ceux qui sont familiers des négociations commerciales savent que, face aux centaines d'experts des grands pays développés, les pays en développement ne peuvent souvent compter que sur des forces clairsemées. Nous devons renforcer les capacités institutionnelles des pays pauvres en matière commerciale, notamment en Afrique. Ceux-ci doivent pourvoir se doter en particulier d'une capacité en matière de normes et de sécurité des produits, afin d'éviter les risques de protectionnisme que certains suspectent derrière la nécessité de fournir à nos consommateurs des produits de qualité.
Mais l'expertise ne suffit pas. Il faut aussi et surtout que les flux commerciaux se développent. La Conférence de Doha a été un moment important dans cette perspective, même si un sujet comme l'agriculture a suscité de fortes tensions. Nous pouvons aller plus loin avec un geste fort, celui du " déliement " de l'aide alimentaire. Derrière ce jargon, il y a fréquemment une réalité peu flatteuse : l'aide alimentaire devient un moyen de déverser des surplus agricoles des pays riches au détriment du développement agricole des pays pauvres. Le temps n'est-il pas venu d'avancer vers un accord entre grands pays développés, au premier chef l'Europe et les Etats-Unis, pour supprimer ce lien entre l'aide alimentaire et l'écoulement des surplus agricoles afin de progresser vers un monde où de plus en plus " le Sud pourra nourrir le Sud " ? D'une façon générale, il s'agit d'accepter d'ouvrir plus largement nos marchés aux productions des pays pauvres.
La mise en place de ces propositions constituerait déjà une avancée notable vers le développement économique durable. Elles n'épuisent évidemment pas l'action à mener en faveur des pays pauvres et les réformes à opérer concernant les organisations internationales. Si elles peuvent favoriser une croissance de la production mondiale, elles ne sont pas exclusives d'une meilleure redistribution des richesses mondiales.
Depuis longtemps, la France joue un rôle pionnier en la matière. Malgré l'ajustement intervenu au milieu des années 90, nous avons conservé le niveau d'aide publique proportionnellement le plus élevé des grands pays industrialisés. Dans un contexte de gestion nécessairement serrée des deniers publics, nous sommes parvenus à stabiliser notre effort en 2001. Les prochaines années devraient nous permettre, soit directement, soit au niveau de l'Europe, de faire progresser la part de richesse nationale que nous transférons aux pays en développement.
Pour cela, nous nous appuyons sur deux priorités : d'une part, les annulations de dette ; d'autre part, le Fonds européen de développement et les fonds multilatéraux tournés vers l'Afrique. Nous contribuons ainsi au développement indispensable de l'Afrique, où les besoins sont les plus grands. Il nous faudra dans cette perspective parvenir rapidement à reconstituer les ressources de l'Agence internationale pour le développement (AID).
Nos partenaires américains ont proposé que les concours de l'AID soient désormais exprimés à 50 % sous forme de dons. Nous sommes favorables à ce que l'AID opère des dons, car certains projets dans des pays très pauvres le justifient, mais nous entendons rester attentifs à ne pas hypothéquer l'avenir de l'AID, ce à quoi une politique prétendument généreuse de transformation massive des prêts en dons pourrait aboutir en l'absence d'un effort supplémentaire très significatif en matière d'aide publique au développement.
4 Je m'arrête un instant sur la question majeure du montant de l'Aide publique au développement (APD). Le souci légitime de maîtriser les comptes publics et l'évolution des budgets rend malheureusement difficile d'atteindre rapidement l'objectif de 0,7 % du PIB pour la plupart des grands pays développés. Pour autant, il ne faut pas relâcher l'effort et renoncer.
Nous devons raisonner autant en termes de résultats que de moyens. Le fameux sommet du millénaire a retenu un certain nombre d'indicateurs du développement humain : la mortalité infantile (vingt fois plus élevée au Tchad qu'en France), le taux de scolarisation des enfants d'âge primaire, etc. Pour atteindre des objectifs minimaux, l'aide publique doit être concentrée sur des actions spécifiques et concrètes. Elle doit bénéficier en priorité aux pays qui mènent les politiques économiques et sociales les plus efficaces pour les réaliser. Elle doit être gérée dans des conditions exemplaires et transparentes. Les pays qui progressent doivent pouvoir être certains d'être financés et soutenus. Les critiques de la " société civile " sont stimulantes à cet égard.
5 Il est indispensable de rechercher de nouvelles sources complémentaires de financement pour le développement. J'ai proposé, il y a quelques mois, l'idée d'une taxation des exportations d'armes. J'ai noté les réserves qu'elle suscitait, aucune ne me paraît dirimante. Une première étape, même symbolique, de l'Union européenne renverserait la charge de la preuve, et les centaines de millions d'euros qui pourraient être collectés seraient bien utiles pour améliorer la santé dans les pays les plus pauvres.
Ce n'est pas la seule option possible. Certains évoquent un prélèvement sur les mouvements spéculatifs de capitaux. Plus récemment, l'idée a été lancée d'une taxe sur les émissions de carbone. C'est une idée séduisante, et il est probable qu'elle sera un jour mise en oeuvre. Le réchauffement de la planète est porteur de trop de dangers pour qu'il en soit autrement. Il faut toutefois rester conscient des limites de tels instruments. Une taxe visant à corriger ce qu'on appelle une " externalité négative " a pour conséquence si elle est efficace de réduire sa propre assiette, et donc les recettes potentielles qu'elle génère.
6 Dans le même temps, les besoins en termes de santé publique ou d'éducation restent immenses chez les plus pauvres. On dit parfois que l'amélioration de la situation dans ces domaines relève d'une politique de fourniture de " biens publics mondiaux ", ce terme signifiant que les progrès accomplis chez les plus pauvres dans le domaine de la santé (on pense à la lutte contre la progression effrayante de l'épidémie du sida) augmentent le bien-être de tous les habitants de la planète.
L'affectation de moyens exceptionnels contre le sida est une priorité. Dans le cadre des annulations de dette décidées à Cologne, pour ce qui concerne la dette due à la France, nous allons affecter un milliard d'euros supplémentaires à la lutte contre cette maladie. Au total, plus de 10 milliards d'euros devraient être consacrés à cette lutte dans les pays pauvres, y compris pour le financement des traitements.
Les enjeux sont, on le voit, considérables. Le terrorisme du 11 septembre nous l'a tragiquement rappelé. Pour réduire le fossé entre pays, nous avons besoin, non pas de murs, mais de ponts. Nous avons besoin de multiples partenariats : entre les riches et les pauvres ; entre les gouvernements, les organismes internationaux, la société civile et le marché ; entre le secteur public et le privé. La persistance de la misère à côté des zones de prospérité suscite l'indignation, notamment des plus jeunes. Il faut à la fois plus d'aides et plus de réformes. Que ce soit à travers le forum de Porto Alegre ou celui de Davos-New York, il est essentiel de convaincre l'opinion publique et les décideurs que cette aide et ces réformes sont indispensables. Les propositions que je formule peuvent être complétées, discutées, et j'espère qu'elles le seront. Mais elles ne peuvent être rejetées que par d'autres propositions, plus ambitieuses encore.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 février 2002)
La question du développement des pays pauvres sera nécessairement centrale au cours des prochaines années.
Pourquoi ? Parce que la persistance d'inégalités massives devant la santé, l'éducation et plus généralement face à la vie, heurte la conscience humaine. Parce que la sécurité du monde suppose que des centaines de millions de personnes ne soient pas condamnées au désespoir de la pauvreté. Parce que la perspective d'une croissance durable dans les pays riches souligne cruellement l'écart avec les pays pauvres.
La conférence de Monterrey occupe une place cruciale. Après le lancement de l'initiative appelée Nepad pour l'Afrique, puis la prise en compte positive de la nécessité du développement par l'OMC à Doha, elle nous offre l'occasion de sceller un partenariat Nord-Sud en faveur du développement. Cela impose de formuler des propositions concrètes pour rendre possible l'accès de tous, à terme, au développement.
Je partirai d'une idée simple et majeure : on ne peut pas séparer l'aide financière, le commerce et le développement.
Le développement économique et social des pays du Sud passe par une approche globale. Trois actions me semblent à cet égard essentielles : il faut augmenter le volume et l'efficacité de l'aide publique au développement, en la ciblant davantage vers les plus pauvres ; nous devons encourager la croissance des pays pauvres grâce à la mobilisation de tous les instruments à notre disposition (commerce, renforcement des institutions internationales, diminution des contraintes financières pesant sur la croissance...) ; il s'agit enfin de mieux réguler les excès de la globalisation, en encourageant les pratiques de bonne gouvernance et en mettant en place le cadre institutionnel nécessaire à une meilleure prévention des crises comme à une plus grande transparence des flux de capitaux.
Non, il n'y a pas de fatalité de la pauvreté. Les progrès fulgurants des nouveaux pays industrialisés puis le développement économique de nations comme la Chine ou l'Inde ont permis de sortir des centaines de millions de personnes de la misère. Chacun de ces pays a su, à sa manière, combiner des politiques macroéconomiques sérieuses, l'insertion dans le commerce international et l'appel aux investissements étrangers.
Cependant, les crises de ces dernières années en Asie du Sud-Est ou en Amérique latine, en détruisant des années d'efforts, montrent que d'effrayantes fragilités persistent, et que la mondialisation manque encore de règles. Dans les régions les plus pauvres, c'est l'impossibilité même d'accéder aux bénéfices de la mondialisation qui bloque le développement. Face à des enjeux qui sont globaux et qui nous concernent tous, nous devons trouver des réponses globales et communes.
Pour avancer dans cette voie, je voudrais formuler ici quelques propositions.
1 Pour renforcer les réserves de change des pays en développement, il serait utile de décider rapidement une allocation exceptionnelle de droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI.
De nombreux pays sont aujourd'hui contraints de restreindre leur demande intérieure ou de renoncer à des dépenses d'avenir, afin de protéger leurs réserves de change, ou d'emprunter celles-ci à des conditions onéreuses. Cette situation freine leur développement, ce qui en retour affaiblit la croissance mondiale.
Des tendances de long terme justifient l'augmentation des réserves des pays en développement. L'essor du commerce international, voulu à Doha, implique une hausse de celles-ci, ne serait-ce que pour stabiliser le ratio entre réserves et importations. La vulnérabilité financière des pays en développement face à la volatilité des mouvements de capitaux suppose l'accroissement du matelas de réserves qui leur permet d'amortir les chocs financiers.
Dans ces conditions, une allocation de DTS, venant s'ajouter aux réserves actuelles, contribuerait à la croissance mondiale tout en renforçant la stabilité financière. C'est ce qu'a évoqué récemment Lionel Jospin. Je compte développer cette idée au cours des prochaines semaines dans la perspective de la conférence de Monterrey. L'allocation de DTS décidée en 1997 n'attend plus qu'une décision américaine pour être mise en oeuvre. Avançons en ce sens. Examinons les moyens de mieux concentrer les futures allocations vers les pays qui en ont le plus besoin.
2 Ma deuxième proposition vise à instaurer un mécanisme stable de traitement du surendettement des Etats souverains.
La très grave crise que connaît l'Argentine est bien sûr politique et sociale. C'est aussi une crise financière liée partiellement à un endettement incontrôlé. Elle illustre le caractère inadapté des instruments mis en place dans les années 80 pour répondre à la crise de la dette.
L'accès plus important des Etats aux marchés internationaux de capitaux et la part prise par les obligations privées dans le financement de leur économie ont représenté un changement majeur dans le système financier international. Or l'architecture financière mondiale n'a pas assez tenu compte de cette évolution pour organiser un meilleur partage du coût entre pays débiteurs, créanciers privés et communauté internationale. Le FMI a engagé une réflexion intéressante sur un nouveau mécanisme de règlement des crises de dette souveraine.
Je soutiens l'idée d'un tel mécanisme à condition qu'il soit respectueux de l'autonomie des Etats et qu'il repose sur une légitimité politique suffisante. Pour favoriser des négociations équilibrées entre les créanciers et les pays débiteurs, le mécanisme proposé devrait assurer plusieurs fonctions essentielles : sur la base d'une analyse économique justifiant le caractère non soutenable du niveau de la dette, il s'agirait de prononcer un moratoire des paiements de la dette avec le soutien de la communauté internationale, en protégeant le pays débiteur contre le recours de ses créanciers ; il faudra aussi apprécier le niveau de restructuration souhaitable, en permettant un partage équitable entre les efforts du pays débiteur et ceux des créanciers ; enfin la procédure devra définir les modalités de négociation et arbitrer les éventuels conflits.
Les difficultés techniques, juridiques et politiques d'un tel dispositif sont réelles. Je ne les crois pas insurmontables. Les propositions sont sur la table, il faut progresser avec pragmatisme. C'est ce à quoi j'encouragerai mes collègues du G7 et des pays émergents qui, j'en suis convaincu, y ont tous intérêt au nom même de la stabilité internationale.
3 Nous devons mieux équilibrer les relations commerciales internationales.
Ceux qui sont familiers des négociations commerciales savent que, face aux centaines d'experts des grands pays développés, les pays en développement ne peuvent souvent compter que sur des forces clairsemées. Nous devons renforcer les capacités institutionnelles des pays pauvres en matière commerciale, notamment en Afrique. Ceux-ci doivent pourvoir se doter en particulier d'une capacité en matière de normes et de sécurité des produits, afin d'éviter les risques de protectionnisme que certains suspectent derrière la nécessité de fournir à nos consommateurs des produits de qualité.
Mais l'expertise ne suffit pas. Il faut aussi et surtout que les flux commerciaux se développent. La Conférence de Doha a été un moment important dans cette perspective, même si un sujet comme l'agriculture a suscité de fortes tensions. Nous pouvons aller plus loin avec un geste fort, celui du " déliement " de l'aide alimentaire. Derrière ce jargon, il y a fréquemment une réalité peu flatteuse : l'aide alimentaire devient un moyen de déverser des surplus agricoles des pays riches au détriment du développement agricole des pays pauvres. Le temps n'est-il pas venu d'avancer vers un accord entre grands pays développés, au premier chef l'Europe et les Etats-Unis, pour supprimer ce lien entre l'aide alimentaire et l'écoulement des surplus agricoles afin de progresser vers un monde où de plus en plus " le Sud pourra nourrir le Sud " ? D'une façon générale, il s'agit d'accepter d'ouvrir plus largement nos marchés aux productions des pays pauvres.
La mise en place de ces propositions constituerait déjà une avancée notable vers le développement économique durable. Elles n'épuisent évidemment pas l'action à mener en faveur des pays pauvres et les réformes à opérer concernant les organisations internationales. Si elles peuvent favoriser une croissance de la production mondiale, elles ne sont pas exclusives d'une meilleure redistribution des richesses mondiales.
Depuis longtemps, la France joue un rôle pionnier en la matière. Malgré l'ajustement intervenu au milieu des années 90, nous avons conservé le niveau d'aide publique proportionnellement le plus élevé des grands pays industrialisés. Dans un contexte de gestion nécessairement serrée des deniers publics, nous sommes parvenus à stabiliser notre effort en 2001. Les prochaines années devraient nous permettre, soit directement, soit au niveau de l'Europe, de faire progresser la part de richesse nationale que nous transférons aux pays en développement.
Pour cela, nous nous appuyons sur deux priorités : d'une part, les annulations de dette ; d'autre part, le Fonds européen de développement et les fonds multilatéraux tournés vers l'Afrique. Nous contribuons ainsi au développement indispensable de l'Afrique, où les besoins sont les plus grands. Il nous faudra dans cette perspective parvenir rapidement à reconstituer les ressources de l'Agence internationale pour le développement (AID).
Nos partenaires américains ont proposé que les concours de l'AID soient désormais exprimés à 50 % sous forme de dons. Nous sommes favorables à ce que l'AID opère des dons, car certains projets dans des pays très pauvres le justifient, mais nous entendons rester attentifs à ne pas hypothéquer l'avenir de l'AID, ce à quoi une politique prétendument généreuse de transformation massive des prêts en dons pourrait aboutir en l'absence d'un effort supplémentaire très significatif en matière d'aide publique au développement.
4 Je m'arrête un instant sur la question majeure du montant de l'Aide publique au développement (APD). Le souci légitime de maîtriser les comptes publics et l'évolution des budgets rend malheureusement difficile d'atteindre rapidement l'objectif de 0,7 % du PIB pour la plupart des grands pays développés. Pour autant, il ne faut pas relâcher l'effort et renoncer.
Nous devons raisonner autant en termes de résultats que de moyens. Le fameux sommet du millénaire a retenu un certain nombre d'indicateurs du développement humain : la mortalité infantile (vingt fois plus élevée au Tchad qu'en France), le taux de scolarisation des enfants d'âge primaire, etc. Pour atteindre des objectifs minimaux, l'aide publique doit être concentrée sur des actions spécifiques et concrètes. Elle doit bénéficier en priorité aux pays qui mènent les politiques économiques et sociales les plus efficaces pour les réaliser. Elle doit être gérée dans des conditions exemplaires et transparentes. Les pays qui progressent doivent pouvoir être certains d'être financés et soutenus. Les critiques de la " société civile " sont stimulantes à cet égard.
5 Il est indispensable de rechercher de nouvelles sources complémentaires de financement pour le développement. J'ai proposé, il y a quelques mois, l'idée d'une taxation des exportations d'armes. J'ai noté les réserves qu'elle suscitait, aucune ne me paraît dirimante. Une première étape, même symbolique, de l'Union européenne renverserait la charge de la preuve, et les centaines de millions d'euros qui pourraient être collectés seraient bien utiles pour améliorer la santé dans les pays les plus pauvres.
Ce n'est pas la seule option possible. Certains évoquent un prélèvement sur les mouvements spéculatifs de capitaux. Plus récemment, l'idée a été lancée d'une taxe sur les émissions de carbone. C'est une idée séduisante, et il est probable qu'elle sera un jour mise en oeuvre. Le réchauffement de la planète est porteur de trop de dangers pour qu'il en soit autrement. Il faut toutefois rester conscient des limites de tels instruments. Une taxe visant à corriger ce qu'on appelle une " externalité négative " a pour conséquence si elle est efficace de réduire sa propre assiette, et donc les recettes potentielles qu'elle génère.
6 Dans le même temps, les besoins en termes de santé publique ou d'éducation restent immenses chez les plus pauvres. On dit parfois que l'amélioration de la situation dans ces domaines relève d'une politique de fourniture de " biens publics mondiaux ", ce terme signifiant que les progrès accomplis chez les plus pauvres dans le domaine de la santé (on pense à la lutte contre la progression effrayante de l'épidémie du sida) augmentent le bien-être de tous les habitants de la planète.
L'affectation de moyens exceptionnels contre le sida est une priorité. Dans le cadre des annulations de dette décidées à Cologne, pour ce qui concerne la dette due à la France, nous allons affecter un milliard d'euros supplémentaires à la lutte contre cette maladie. Au total, plus de 10 milliards d'euros devraient être consacrés à cette lutte dans les pays pauvres, y compris pour le financement des traitements.
Les enjeux sont, on le voit, considérables. Le terrorisme du 11 septembre nous l'a tragiquement rappelé. Pour réduire le fossé entre pays, nous avons besoin, non pas de murs, mais de ponts. Nous avons besoin de multiples partenariats : entre les riches et les pauvres ; entre les gouvernements, les organismes internationaux, la société civile et le marché ; entre le secteur public et le privé. La persistance de la misère à côté des zones de prospérité suscite l'indignation, notamment des plus jeunes. Il faut à la fois plus d'aides et plus de réformes. Que ce soit à travers le forum de Porto Alegre ou celui de Davos-New York, il est essentiel de convaincre l'opinion publique et les décideurs que cette aide et ces réformes sont indispensables. Les propositions que je formule peuvent être complétées, discutées, et j'espère qu'elles le seront. Mais elles ne peuvent être rejetées que par d'autres propositions, plus ambitieuses encore.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 février 2002)