Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF à LCI le 2 juillet 1999, sur le second projet de loi sur les 35 heures, la mobilisation du patronat en vue de la discussion parlementaire sur le projet présenté en septembre, la croissance économique, la relance et la création d'emplois dans le cadre des 35 heures.

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Texte intégral

ERNEST-ANTOINE SEILLIERE
INVITE DU
" CLUB DE L'ECONOMIE "
VENDREDI 2 JUILLET 1999
A 10 HEURES 15
JEAN-MARC SYLVESTRE : Bonjour. " Club de l'économie " aujourd'hui avec Ernest-Antoine Seillière. C'est le président du MEDEF, un président du patronat qui parcours la France aujourd'hui pour expliquer que le projet de loi sur les 35 heures est mauvais. Un président du MEDEF qui vient aussi d'envoyer un certain nombre de propositions au ministre de l'Economie et des Finances pour amender le projet de loi de Finances en préparation pour l'an 2000. Pour vous interroger, monsieur Seillière, Nicolas Beytout du journal LES ECHOS, et Pierre Briançon de L'EXPANSION. Je disais tout-à-l'heure que vous parcouriez la France, vous multipliez les déplacements de ville en ville. Un peu comme un homme politique, vous faites campagne politique contre le projet des 35 heures ? Parce que ça ressemble quand même un peu à ça.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non. On aurait bien tord de dire cela. Je fais un
tour de France des entrepreneurs...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Oui, mais enfin, vous faites des meetings...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE :...Pas du tout. Ce sont les entrepreneurs qui viennent entendre, et que je viens écouter, pour savoir ce qu'ils pensent de ce qu'on leur prépare en matière d'organisation de travail. Ca les concerne au principal, on ne les a pas beaucoup entendus, on ne les a pas beaucoup respecté, ils ont le sentiment que tout cela
?2 se prépare dans les officines bureaucratiques, avec des connotations politiques, sans regarder leurs entreprises. Ce sont des entrepreneurs de terrain. Je m'exprime comme ils me demandent de s'exprimer, et je veux vérifier, dans ce tour de France, en effet, qu'on est bien en adéquation, que ce que je dis bien, c'est bien ce qu'ils pensent.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Oui, mais il y a quand même un mode d'action du président du MEDEF qui est différent d'auparavant.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : A chacun son style ! Ah, ça c'est vrai !
JEAN-MARC SYLVESTRE : Quand vous dites les chefs d'entreprise en province ne sont pas au courant du projet de loi sur les 35 heures, ils le sont ! D'abord, parce que vous leur envoyez des documents, ensuite parce qu'ils vous voient, qu'ils vous entendent dans la presse nationale. Donc, on a l'impression que vous êtes vraiment en train de dynamiser sur le terrain, de faire campagne.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, vous avez tort. Je me met en effet en contact
avec le réseau des entrepreneurs que nous constituons, de façon à ce que cette force de la société civile, qui est très importante, il y en a 1,2 million, ce sont d'ailleurs dans l'ensemble des petits entrepreneurs, ne croyez pas qu'ils ont beaucoup le temps de lire ni LE MONDE ni le Journal Officiel. Donc, ils sont tout de même à dire : laissez-moi travailler, ne m'embêtez pas avec tout cela, c'est cela plutôt. Donc, ils viennent pour entendre et pour écouter, je les écoute et, ensuite, je traduis ce qu'ils disent. Si mon langage ne plaît pas, c'est le leur.
NICOLAS BEYTOUT : Ernest-Antoine Seillière, ça fait un moment que vous tournez en France précisément, est-ce que vous sentez que l'opinion des patrons, des entrepreneurs que vous rencontrez, a changé entre le moment où on doutait de ce que serait la deuxième loi et le moment où l'on a vu que cette deuxième loi était moins dure pour les entreprises que ce que vous craigniez auparavant.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : A mon sens de ce que j'entends, pas du tout. Il faut
bien distinguer, si vous voulez, la grande entreprise, qui est armée, au fond, pour traiter
3 ce sujet, et qui l'a traité. Il y a d'ailleurs déjà un certain nombre d'entreprises, des
grandes, qui ont dominé ce problème, se sont organisées, enfin, bref, ne rentrons pas dans les détails, mais pour lesquelles ça ne constitue pas un problème. A la vérité, ça constitue un vrai problème pour les entrepreneurs de terrain, les petits, vous le savez, je le redis sans cesse, il y a 1,2 million entreprises de moins de 50...
NICOLAS BEYTOUT : ... Oui mais dont une très grosse partie est exclue de la loi pour l'instant...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Non, les tous petits ne sont pas exclus...
NICOLAS BEYTOUT : ... Les moins de 20 personnes...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Ils ne sont pas du tout exclus, ils subiront les
mêmes contraintes, mais seulement en 2003. Alors là, on leur a donné tout de même en effet, un peu de temps, si bien qu'aujourd'hui, ils disent : ça ne me concerne pas. Donc eux, ils ne s'en occupent pas. Ils disent : on verra bien ça, trois ans, on a bien le temps. Pour les autres, en réalité, ils ne sont absolument pas rassurés. C'est ce qui m'a fait, en effet, réagir un peu vivement, c'est le sentiment que l'on a voulu donner - ça a été très bien lancé par un gouvernement qui sait très bien communiquer - que, au fond, les entrepreneurs étaient contents de cette loi, c'était presque un cadeau qu'on leur faisait. Mais enfin, c'est une vaste rigolade ! Je l'ai traduit très vivement en disant : surtout, pas ce vieux truc, j'ai même dit " astuce politique ", et j'ai ajouté " médiocre " parce que je trouve que, en effet, quand on use et qu'on ré-use le vieux même disque, ça finit par être assez médiocre de continuer sur le même ton. Mais, il n'y a rien dans le fait de retarder d'un an l'échéance qui puisse rassurer en quoi que ce soit les entrepreneurs. Et ils verront au contraire se durcir la loi tout au long de la procédure parlementaire, c'est évident, et ils découvriront quelque chose que, ou ils penseront pouvoir appliquer ou ils ne penseront pas pouvoir appliquer.
PIERRE BRIANCON : En terme de communication, si le projet de loi le plus récent est apparu un peu en-deçà des craintes de certains chefs d'entreprise, c'est notamment parce que vous et d'autres aviez un peu sonné les grandes cloches de l'Apocalypse et aviez averti que ce
4 gouvernement-là était décidément très hostile aux entrepreneurs. Du coup, par contraste, ça apparaît aujourd'hui beaucoup plus doux et beaucoup plus tendre pour les entrepreneurs.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non mais attendez...
PIERRE BRIANCON : ... Est-ce que vous n'aviez pas été un peu loin dans les premiers mois ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non mais attendez, je crois que vous ne voyez pas le sujet. En fait, on nous a demandé de négocier après la première loi. Nous l'avons fait. Nous avons conclu 87 accords de branche, de métier, qui couvrent 10 millions de salariés. On nous a dit : c'est dans ces accords-là que l'on tirera la matière de la seconde loi, c'est fait pour ça. La séparation entre la première et la deuxième loi, c'est pour que vous négociez. Alors, on a négocié, on a tous ces accords, et aujourd'hui, on lit dans la loi, on le lira de plus en plus au fur et à mesure qu'elle se durcira, que tous ces accords sont inapplicables. Alors, je ne comprend pas, moi, ce que cherche le gouvernement. Il avait une manière de mettre en place les 35 heures par la négociation sociale entre les syndicats, qui était les accords de branche, qui couvrent 10 millions de salariés, enfin, c'est la convention collective, c'est ultra-classique, c'est là, c'est fait, ça fait rentrer les 35 heures sans des difficultés énormes, parce que la flexibilité donnée en échange de la réduction du temps de travail permet de régler plus ou moins la question. Et au lieu de cela, il casse l'ensemble de ces accords.
NICOLAS BEYTOUT : Mais en quoi est-ce que ces accords de branche ne vont pas être applicables ? Pourquoi est-ce que la deuxième loi les empêche ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Parce que... Mais l'ensemble des éléments que nous connaissons déjà de l'avant-projet ne rend pas ces accords applicables parce que le nombre d'heures supplémentaires est inférieur à celui qui est prévu, parce que la durée du travail à 1 600 heures est inférieure à celle qui est prévue, parce que ce qui est prévu pour les cadres n'est pas compatible avec ce qui est prévu. Et donc, nous savons que tous les accords vont être annulés et cassés. Alors nous sommes très inquiets.
5 NICOLAS BEYTOUT : Donc il faudra remonter les accords, renégocier les accords ? Comment est-ce que cela va se passer pour les entreprises qui ont déjà négocié ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien justement, je ne sais pas du tout ! On nous
dit que l'année qui va venir est une année de négociation. Mais quand on a cassé tous les accords au terme d'une année de négociation qu'on a demandée et qu'on vous demande de biens vouloir vous rasseoir et de recommencer, moi je ne sais pas du tout si les syndicats ou si les entrepreneurs seront disposés à renégocier. Et nous, nous sommes très inquiets. C'est une véritable incertitude pour les salariés, comme pour les entrepreneurs. Et je ne comprends pas pourquoi, c'est inexplicable, sauf à ce que, comme vous le disiez on a mis de tels espoirs, alors là je dirai de nature politique, dans la loi, que, parce qu'elle n'est pas ce que l'on croit, on en est déçu et que l'on veut imposer à l'ensemble des entrepreneurs et des salariés des choses qui ne sont pas possibles pour eux. Si c'est cela, alors je ne sais pas du tout, en effet, vers quoi nous allons. Et ça m'inquiète beaucoup.
NICOLAS BEYTOUT : Mais, si vous vous mettez dans le cas de figure, Ernest-Antoine Seillière, d'une entreprise dont la branche devra durcir, en réalité son accord. Il y a des entreprises qui ont négocié et qui sont arrivées à un accord, par exemple pour les cadres, avec, 12, 14 jours de congés supplémentaires ou de repos supplémentaires. La loi prévoit beaucoup moins. Comment ça va se passer ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui ! Eh bien écoutez, ça, c'est la tradition
française ! Vous lisez dans la loi un minimum, et ensuite, par convention collective, et
accord d'entreprise, on fait mieux. C'est comme cela que ça marche. La convention
collective, elle est faite pour améliorer la situation des salariés. On négocie pour cela bien entendu. Mais si on inscrit dans la loi des choses qui sont plus dures que ce qu'il y a dans les accords, alors nous sommes à l'inverse de la tradition, et je ne sais pas comment ça se passe. Et en réalité, si vous voulez, on le verra à mon avis dans les mois qui viennent, on découvrira que la manière dont le législateur veut, pour des raisons qui lui sont propres, imposer à la réalité des entreprises des choses qui ne sont pas prévues, je ne sais comment on peut ensuite appeler à la négociation. Je ne vous dis pas ça dans une intention politique, je ne sais pas comment ça se passe. L'incertitude aujourd'hui est
6 totale. Alors, on dit qu'il y a une année de transition. Mais, l'entreprise, ce n'est pas à un an, c'est à 5-10 ans. Alors, tout ceci est du très court terme.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors, vous dites aussi que cela va se durcir pendant la
discussion...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Oui, bien évidemment.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Mais qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien écoutez, la clameur, la clameur de l'ensemble des forces politiques qui appuient les 35 heures, et que vous connaissez
comme moi, pour dire " cadeau au patronat ! " montre bien que pour eux, ce qu'ils ont lu, n'était pas compatible avec leurs espoirs. Et c'est d'ailleurs là, en effet, qu'il y a eu déception.
PIERRE BRIANCON : Vous voulez dire que la gauche plurielle, la fameuse gauche plurielle, va pousser le projet loi dans un sens plus dur...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Bien sûr, bien sûr. Parce que vous avez lu les
Verts, vous avez lu les communistes, vous avez lu la CGT qui, tous, trouvent ça
absolument un cadeau au patronat.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Oui mais enfin, la brutalité de votre réaction rend service aussi, dans un autre sens, parce qu'elle fait passer le projet pour beaucoup plus à gauche qu'il ne l'est.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous voudriez me faire faire de la politique. Moi je
n'en fais pas, je dis.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous faites de la politique...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Je dis.7
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Si vous faites de la politique.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais non écoutez, ne dites pas des choses qui ne
sont pas sensées. Je représente des entrepreneurs qui disent : pouvons-nous ou ne
pouvons-nous pas faire notre métier dans un pays, compte tenu de sa législation ? Que ce soit la gauche ou la droite qui décrète tout cela, ce n'est absolument pas mon affaire. Ca m'est égal. Ca m'est totalement égal. Et les entrepreneurs aussi. Ce que nous voulons c'est faire notre métier en Europe correctement.
NICOLAS BEYTOUT : Enfin, Ernest-Antoine Seillière, tout de même, lorsque vous prenez position très durement en craignant que, à l'automne, un débat parlementaire ne durcisse la loi, c'est bien fait pour, comment dire, avoir une posture politique face à une menace politique, n'est-ce pas.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, parce qu'à mon avis, ça ne sert de rien. Plus,
dans la tradition française, les représentants des entrepreneurs disent que quelque chose leur est désagréable, et plus on a envie de le faire politiquement pour satisfaire son électorat. Ca fait partie, je dirai, des...
PIERRE BRIANCON : ... Vous croyez que c'est encore vrai ça ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ah, totalement exact. Et je crois que c'est une des
grandes faiblesses de la démocratie française que de n'avoir pas compris que l'entreprise n'était pas le lieu du conflit social, le lieu du prélèvement, mais le lieu du projet. Et d'ailleurs, c'est comme cela que nous vivons l'entreprise, nous les entrepreneurs.
PIERRE BRIANCON : Alors, quand vous battez l'estrade comme ça, quand vous parcourez la France, vous tenez meeting pour écouter les patrons, vous avez bien un but. Au-delà de ça, c'est pour mobiliser les patrons...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Oui !...?8
PIERRE BRIANCON : ... dans le but de faire pression au moment de la discussion
parlementaire ? C'est dans le but de les inciter à quoi, à faire la grève de la négociation ? Quelle est votre stratégie finale ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ma stratégie, je n'en n'est pas, mais en tout cas,
mon devoir, c'est de représenter les entrepreneurs et de m'assurer qu'il y a un réseau national qui les rassemble. Ca c'est vrai que je me donne beaucoup de mal pour faire en sorte que ce que l'on appelle les MEDEF territoriaux, il y en a 165 dans notre pays, rassemblent les entrepreneurs de la base, pour faire sentir leur présence dans le débat. C'est-à-dire que quand on ne peut pas se traduire, en terme, en effet, politique, puisque la politique ne reprend pas votre argumentaire, il faut que la société civile fasse sentir qu'elle existe. Et c'est vrai que les MEDEF territoriaux, et les fédérations, ont aujourd'hui un nouveau rôle qui est de faire sentir que les entrepreneurs existent et d'ailleurs qu'il faut faire attention à ce qu'ils restent là, parce que c'est en effet leur tendance de se dire : attendez, si c'est comme ça dans ce pays, peut-être en effet, développerons-nous notre entreprise ou nos initiatives entrepreneuriales ailleurs. Et pour nous, c'est un très gros problème.
PIERRE BRIANCON : Donc, ça ressoude votre organisation, ça, cette menace extérieure, ce projet ? Ca ressoude votre organisation, ça lui permet d'exister davantage ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, je ne sais pas si ça la ressoude mais en tout cas ça a été un puissant levier pour qu'elle se modernise, se réorganise et devienne, un jour, j'espère, un jour plus efficace.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Monsieur Seillière, pour revenir sur le fond du dossier et pour donner un peu d'explications, vous considérez néanmoins que la réduction du temps de travail est inscrite dans l'évolution de la société, c'est un dividende du progrès, de la productivité...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE :... Quand on a dit ça, on n'a rien dit du tout...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Premier point, donc. Mais à quelles conditions précises...?9
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE :... On se gargarise de généralités...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... à quelles conditions précises pensent-vous possible
l'organisation d'une réduction du temps de travail ? A quelles conditions ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, attendez, on l'a dit cent fois. D'abord, ce
n'est pas dans la loi que....
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... Non, non, mais...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Ah, mais attendez, c'est une condition majeure :
que le législateur ne s'en mêle pas. Ce n'est pas exactement dans cette perspective que nous sommes. Deuxièmement : qu'on laisse, dans la spécificité de chaque entreprise et de chaque métier, définir les conditions dans lesquelles on mettra en oeuvre cette affaire. Et à son rythme ! Le monde entier nous regarde en disant : mais la France s'inscrit dans une démarche archaïque dans laquelle on lit dans les règlements et les textes de loi la manière dont il faut faire travailler 1,2 millions d'entreprises qui chacune est dans un cas spécifique. Vous savez, tant qu'on n'aura pas compris cela, il y aura un très gros handicap pour développement de l'économie française.
NICOLAS BEYTOUT : Vous êtes, j'allais dire, à la pêche aux signatures, comme les hommes politiques sont à la pêche aux voix. Vous avez essayé de remonter des signatures, une sorte de pétition, pour faire pression sur le gouvernement. Vous en êtes à combien de signatures, sachant que vous avez promis, ou plutôt fixé la barre à 100 000 au moins ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, nous avons déjà dépassé 100 000...
NICOLAS BEYTOUT : ... Déjà dépassé 100 000 !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je ferai le compte vers le 15 juillet de la manière
dont cette affaire s'est passée. Ce n'est pas une démarche très usitée chez les
entrepreneurs. Ca marché énormément. Si vous voulez, j'étais à Niort, Niort où on m'a donné 2 000....?10
NICOLAS BEYTOUT : ...Donc le gouvernement....(inaudible)...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Oui, c'est une lettre ouverte à la ministre qui dit
d'ailleurs une chose très simple. Elle dit : écoutez, nous sommes responsables
d'entreprises, nous faisons de l'emploi et de l'expansion, laissez-nous l'organiser comme nous voulons et pour cela, permettez-nous d'organiser notre entreprise selon les accords sociaux. Et respectez les accords sociaux !
NICOLAS BEYTOUT :... Est-ce qu'il s'agit de faire pression ? De modifier un peu l'état d'esprit, la vision du patronat ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous savez, si nous sommes dans un pays dans
lequel quand on dit quelque chose qui est sujet très très positif par un Premier ministre, c'est de dire : la loi que je vais faire n'est pas contre les entreprises. Alors, tout le monde dit " ah, bravo, bravo ! ". Mais il n'a rien dit ! De faire quelque chose qui n'est pas contre les entreprises... Dans tous les pays du monde, on fait des choses qui sont pour les entreprises, pour les faire réussir, pour faire de l'emploi, dans la compétition mondiale ! Voyez-vous où nous en sommes !
PIERRE BRIANCON : Dans le débat autour des 35 heures, il y a eu un phénomène que l'on a pu observer ces derniers mois, cette dernière année, c'est l'adhésion, semble-t-il, des cadres de plus en plus à ce projet des 35 heures, alors qu'ils étaient au départ plutôt sur une ligne de réalisme économique, plutôt. Ils sont plutôt demandeurs aujourd'hui, parce qu'ils se rendent compte que ça fait, comme vient de le dire Nicolas Beytout, une douzaine de jours, 14 jours de congé en plus, donc du temps de libre en plus dans l'année. Est-ce que vous n'avez pas perdu des alliés ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Des alliés, des alliés... Vous savez, nous, notre seul allié, c'est la réussite de notre entreprise. Et ceux qui travailleront contre la réussite de l'entreprise, jugeront, d'ici 5 ou 10 ans, durement la situation qu'ils auront créée. Mais je crois qu'en effet, à force de répéter qu'on avait droit à travailler moins, et à force de condamner ceux qui faisaient travailler trop - n'oubliez pas tout de même qu'il y a eu
?11 un directeur général d'une des principales affaires françaises qui a frôlé la prison pour ne pas avoir veillé assez à ne pas faire travailler ces cadres. Vous voyez, là aussi où on en est -. Et donc, je crois que, dans ce contexte-là, en effet, les cadres ont dit : après tout, pourquoi pas ? Et puis, ils se sont dit : attention, si on réduit le travail dans les entreprises avec les 35 heures sur les salariés, il ne faut pas que nous, on reste plus tard pour faire leur boulot. On en veut aussi. Et donc, il y a en effet des réactions, et notamment dans les grandes entreprises, de cadres qui disent : les 35 heures, c'est bon pour nous aussi, après tout, on a le droit de faire du golf et de la voile en fin de journée. Et pourquoi pas ? Mais je ne considère pas du tout que ce soit, je dirais, quelque chose qui profite à l'économie française et qui nous donne des avantages dans la compétition. Donc, quand vous dites vous avez des alliés : des alliés pour quoi ? Moi, je vous dis simplement qu'il faut que les entreprises marchent par rapport, bien entendu, à la compétition mondiale que vous n'évacuerez pas. Alors, si l'on veut constituer une sorte de paradis à la française dans laquelle les gens ne travaillent pas autant que les autres,
vous en verrez les conséquences ! C'est tout ce que nous disons vous savez, nous, les responsables des entreprises.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Bien, Ernest-Antoine Seillière. Que les entreprises marchent, ça dépend aussi de la fiscalité, de l'environnement économique et de la conjoncture. On en parle dans un instant. Flash info
JEAN-MARC SYLVESTRE : Retour sur le plateau du " Club de l'économie ", toujours avec Ernest-Antoine Seillière, le président du MEDEF. On a beaucoup parlé des 35 heures et de votre combat contre ce projet de loi présenté par Martine Aubry. Tout cela se déroule dans un contexte économique qui est pourtant aujourd'hui assez favorable si l'on en croit les dernières prévisions de l'Insee qui table sur une croissance économique pour 1999 de 2,2 %. L'Insee, qui est d'ailleurs un peu plus prudent que la plupart des conjoncturistes privés, y compris ceux qui travaillent pour le patronat ou même pour le ministre de l'Economie. Est-ce à dire que l'économie française aujourd'hui se porte bien, vraiment bien ? Le scénario catastrophe que
l'on attendait ne se produit pas finalement.?12
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, nous, nous avons dit 2,2 % depuis mai 1998.
Ca, je crois que les gens qui sont honnêtes... 2,7 % qui a été l'objectif du gouvernement. Quant on a dit 2,2 %, on nous a accusé d'être pessimistes, etc. Alors, à 0,1, les conjoncturistes et le gouvernement disent maintenant : 2,2, 2,2 c'est très bien, c'est très bien. Non. C'est beaucoup moins bien que les 2,7 % qui étaient annoncés. Mais 2,2, c'est encore pas mal. Nous avons pensé que c'était en effet l'étiage. A 2,2, on crée de l'emploi, on fait de l'expansion, et donc la conjoncture est relativement porteuse. Ne nous emballons pas. Notre croissance depuis 8 ans, à 1,3 % est 30 % inférieure à la moyenne européenne. Mais le politique exige que l'on commente l'instant. Nous sommes sur un trend de croissance qui, en Europe, est moins fort que celui de ceux qui nous entourent.
NICOLAS BEYTOUT : Mais vous disiez qu'on est sur un trend de croissance, effectivement, et la tendance, telle que la voit l'Insee, ce sont les chiffres d'aujourd'hui, est à l'amélioration.Est-ce que vous voyez effectivement ce 2,2 monter en puissance avec une fin d'année 1999 et une année 2000 nettement meilleures ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je ne peux pas vous dire parce que je suis incapable de mesurer cela, encore une fois, au mois près. Mais disons que nous avons le sentiment, en effet, que la consommation est installée à un assez bon niveau, l'investissement déçoit, mais il n'est pas mauvais non plus, il accompagne d'ailleurs le renouvellement de la consommation et l'export est favorisé par un taux de change de l'euro qui est extrêmement favorable. Donc tout cela devrait à mon avis confirmer... et d'ailleurs, vous savez, nous sommes nous, les entrepreneurs, plutôt optimistes. Les fondamentaux français sont bons, la conjoncture française est porteuse, l'infrastructure française est bonne...
NICOLAS BEYTOUT : ... Mais les créations d'emplois ne sont pas très nombreuses...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... Non, elles ne le sont , mais je crois que les 35
heures pèsent énormément sur l'embauche. Mais tout cela, c'est de l'économie....?13
JEAN-MARC SYLVESTRE : ...Parce que les 35 heures sont un frein à l'embauche
aujourd'hui ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui. Absolument. Il y a énormément de gens qui
retardent l'embauche, ne sachant pas dans quelles conditions ils emploieront. Il y a
énormément de gens qui se disent que s'il faut faire travailler des gens 35 heures au lieu de 39, je vais essayer de me débrouiller pour m'en passer. Il faut bien regarder ça en face. Pour nous, c'est un frein à l'emploi et pas du tout créateur d'emplois. D'ailleurs, je crois que, aujourd'hui, on a à peu près renoncé à tous les chiffres mirobolants qu'on avait lancés en même temps que la croissance à 2,7 %.
PIERRE BRIANCON : C'est un frein à l'emploi, mais finalement, pas un frein à l'optimisme, pour les chefs d'entreprise. Les chefs d'entreprise continuent d'agir comme... Donc ils n'ont pas cette espèce d'épée de Damoclès...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, l'entrepreneur peut être optimiste sans créer
d'emploi, ça peut exister, ce n'est pas du même ordre mais je vous rappelle que tout ceci c'est de l'économie à 39 heures et que nous ne sommes pas dans l'économie à 35 heures. Et que donc on ne peut pas dire que les 35 heures ont freiné ou n'ont pas freiné, elles ne sont pas encore en route et nous estimons que leur perspective a freiné l'emploi.
NICOLAS BEYTOUT : Il y a quelque chose qui semble étonnant dans votre démonstration, vous dites que la consommation des ménages est bonne, bon il n'y a pas beaucoup d'emploi, effectivement, mais tous les observateurs considèrent que les emplois-jeune, les 200 000 emplois qui ont été créés, ont fait beaucoup pour le moral des ménages et donc pour la consommation des ménages. Est-ce que aujourd'hui, après avoir critiqué, comme beaucoup de chefs d'entreprise, ou de libéraux, disons, les emplois-jeune, est-ce que vous, vous vous dites finalement que sur le plan de la psychologie c'est une bonne affaire ?
PIERRE BRIANCON : Une forme de relance ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que dans le domaine de la psychologie le
gouvernement n'a pas mal agi. Je pense qu'en ayant lancé les 35 heures qui donne
?14 l'impression que le monde est facile, les emplois-jeune qui ont en effet donné à certaines familles la perspective de voir leurs jeunes entrer dans le travail et qui donc ont joué un rôle considérable, à un coût colossal, 35 milliards de francs
NICOLAS BEYTOUT : Est-ce que ce n'est pas ce coût-là qu'il fallait mettre dans la machine pour réamorcer la pompe ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je ne suis absolument pas d'accord qu'en mettant
des jeunes dans l'administration, à ne pas faire grand-chose et en sachant que dans 5 ans on retrouvera pleinement le même problème, on a fait quelque chose qui est bon pour l'économie française. On a fait quelque chose qui est bon pour un gouvernement qui mène une politique de court terme.
PIERRE BRIANCON : L'économie, c'est aussi de la psychologie ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, moi je ne suis pas d'accord, l'économie
c'est de la psychologie sur la base ...
PIERRE BRIANCON : L'économie c'est " aussi " de la psychologie ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... oui, c'est aussi de la psychologie mais sur la base d'une stratégie de moyen terme ...
PIERRE BRIANCON : Le moral des patrons, ça compte ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Le moral des patrons ne compte pas si les éléments du moyen terme ne sont pas en place et vous verrez le moral des patrons s'effondrer dans trois ans si ...
NICOLAS BEYTOUT : Il y a des bombes à retardement, lesquelles ?
JEAN-MARC SYLVESTRE : Les 35 heures ??15
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Actuellement vous avez les 35 heures qui vont à mon avis dérégler le fonctionnement de l'économie française et créer toutes sortes d'ennuis sur le dialogue social, c'est inévitable. Nous avons l'investissement français qui se dirige de plus en plus hors de France et là ne rentrons pas dans le débat du fameux investissement étranger en France qui traduit en réalité, on le sait bien, le rachat d'entreprises françaises par l'étranger. Nous, dans notre groupe, nous avons Warburg, qui est un très gros investisseur mondial, qui a pris 10 % de CGIP et 10 % de Marine-Wendel, il y en a pour 3 milliards de francs, c'est un investissement étranger. Tout le monde croit que c'est une usine qu'on a créée, pas du tout, on a racheté pour le compte d'actionnaires étrangers une portion de l'économie française.
PIERRE BRIANCON : C'est pas bien ça, à l'heure de la mondialisation ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, ce n'est pas bien quand on dit, on se rassure en disant : vous voyez, comme ça marche bien l'économie française, comme elle est
attirante ... Pas du tout, on rachète en fait nos affaires. Nous, notre groupe était à 80 % à l'étranger. Ce n'est nullement une démonstration. On est toujours en train de se
rassurer, nous, notre sentiment d'entrepreneur, c'est que les éléments que l'on est en train de mettre en place, et vous le disiez aussi sur la politique budgétaire où il aura 1% de croissance de la dépense publique les trois prochaines années, tout le monde s'enchante en disant : c'est très bien. Nous, nous proposons de réduire la dépense publique de façon à être à l'équilibre dans 5 ans. Comme s'en sont fixés l'objectif tous les gouvernements qui nous entourent. Nous estimons que pour satisfaire une politique de court terme -réussie, parce que d'ailleurs les sondages le prouvent, l'opinion française le prouve, elle est enchantée -, on met en place un dispositif qui selon nous, dans cinq, dix ans, c'est-à-dire un clin d'oeil pour un pays, et un clin d'oeil pour les entreprises, nous aurons des problèmes très, très sérieux. C'est cela qui nous préoccupe.
NICOLAS BEYTOUT : Aujourd'hui on peut dire sans crainte de se tromper que vous
défendez une ligne libérale, une vision libérale de l'économie ce n'est pas pour polémiquer
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, non, écoutez, ça n'est pas rendre service à
personne que de mettre des adjectifs ... J'ai peur des mots parce qu'on les utilise mal
?16 dans ce pays et dès qu'on l'a utilisé, tout le monde vous désigne du doigt. Nous faisons et nous réunissons les éléments d'une politique de développement des entreprises, point. Et nous ne mettons aucun adjectif là-dessus. Nous ne voulons pas nous enfermer. Ce sont des pragmatiques les entrepreneurs, comprenez le, et pas des politiques ...
NICOLAS BEYTOUT : Je voudrais vous poser une question. Le 13 juin dernier une liste, et une seule, a revendiqué une vision libérale de l'économie ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Laissons les faire ...
NICOLAS BEYTOUT : Elle a fait 13 % des voix, c'est la liste conduite par Sarkozy et
Madelin. Est-ce que pour vous c'est l'image de ce que le libéralisme n'est pas partagée aujourd'hui par la majorité des Français ? Ou est-ce que c'est un problème purement politique ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, si vous voulez me faire dire ça, à l'évidence la
majorité des Français est enchantée des approches socialistes et démocrates dans
lesquelles nous sommes et qui conduisent à l'intervention de l'Etat, au développement de l'égalité, à la fiscalité qui s'accroît et au découragement des entrepreneurs, ça, ca va de soi ... mais c'est pas pour autant que j'en suis heureux, ou que je reprends à mon compte ces approches ! Je dis qu'il y a énormément de socialistes en Europe qui ont compris en effet le monde qui vient, le monde de l'euro, le monde de l'Internet, le monde de l'évolution des technologies, le monde des révolutions des mentalités, on dit nos vieilles doctrines il faudrait quand même les rendre modernes, et c'est ce que nous aimerions que fasse d'ailleurs notre gouvernement, qu'il regarde le monde tel qu'il est au lieu de regarder dans le rétroviseur le passé et au lieu de regarder la loi en s'enchantant du fait qu'en ayant fait des textes il va régler la réalité.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous dites, il y a énormément de socialistes en Europe qui ont pris une orientation différente, dans les faits ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh écoutez, Blair et Schröder ne sont pas des
libéraux ...?17
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... dans les faits Schröder ça n'avance pas beaucoup sur cette ligne-là ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il a quand même décrété une baisse de 8 milliards
de marks de la fiscalité sur les entreprises, moi je regarde 25 milliards de plus par
l'écotaxe et la nouvelle taxe que l'on met pour payer les 35 heures. Je vois une différence considérable, permettez-moi de vous le dire ...
JEAN-MARC SYLVESTRE : Vous avez fait dans une note qui est relativement sévère une série de propositions au ministre de l'Economie en lui demandant de baisser de façon draconienne les dépenses publiques. Comment vous pouvez demander à un gouvernement de gauche de baisser les dépenses publiques alors que les gouvernements de droite précédents n'ont jamais pu le faire ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien on ne les baisse pas, eh bien voilà ...ni à
gauche, ni à droite. Vive la dépense publique ! On prélève plus encore sur les
particuliers, on augmente l'impôt sur les entreprises, c'est très bien ! allons- y ... Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Si personne n'en veut, on ne le fera pas !
JEAN-MARC SYLVESTRE : Est-ce que ce n'est pas une spécificité de ce que l'on appelle le modèle social européen ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais pas du tout ! L'ensemble du modèle social
européen est à l'heure actuelle en train de se mettre à la réduction de la dépense
publique et à la libéralisation des économies !
JEAN-MARC SYLVESTRE : Sauf la France !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais bien entendu, nous sommes en train de
devenir une véritable exception française ! Alors les socialistes nous disent : c'est un
modèle auquel tout le monde va se raccrocher ! Nous, les entrepreneurs ça nous fait bien rire, ce n'est absolument pas vrai, les entrepreneurs ont quitté le beau modèle pour aller?18
chez ceux qui se sont adaptés au monde qui vient ! Ce n'est pas dire de la politique, c'est faire en fait ce que feront les entrepreneurs si on continue comme ça !
PIERRE BRIANCON : Est-ce que de votre point de vue, il vaut mieux un gouvernement qui est effectivement plutôt modéré dans son approche mais qui arrive à se maintenir au pouvoir, et à être populaire ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Se maintenir au pouvoir n'est pas un but pour un
entrepreneur, non ...
PIERRE BRIANCON : ca peut être un but pour un parti politique ... ou un gouvernement qui engagerait une politique ou prétendrait engager une politique de réduction massive et qui ne reste que deux ans au pouvoir et se faire jeter aux élections suivantes ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est le problème des politologues, ça m'est
totalement égal ...
PIERRE BRIANCON : Dans le monde politique, tout le monde veut réduire les dépenses tant qu'il n'est pas au pouvoir . Une fois qu'on arrive au pouvoir, on fait ce que l'on appelle de la politique, c'est-à-dire du gouvernement et c'est pour cela que c'est difficile spécifiquement, précisément de réduire la dépense publique ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est difficile d'être courageux, c'est difficile de dire
le vrai, c'est difficile de regarder la réalité en face. Ca, c'est vrai et je crois que nous, les entrepreneurs, nous trouvons que gauche comme droite les gouvernements ont
particulièrement de la difficulté à le faire. Ca, c'est vrai.
PIERRE BRIANCON : Vous êtes ministre de l'Economie, vous coupez où d'abord ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, attendez, moi je ne coupe pas, je stabilise la
dépense publique, et j'utilise la croissance pour réduire les déficits. Alors ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, on ne va pas casser les écoles ou diminuer la police, non ! Simplement la croissance ne s'affecte pas à plus de dépenses et on se réorganise de façon?19
à pouvoir le faire. Les entrepreneurs font ça depuis plus de 20 ans et je préfère vous dire que si l'Etat se mettait devant l'obligation de le faire, il n'aurait aucune difficulté à
rendre les mêmes services meilleurs, à moindre coût et avec moins de monde.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Monsieur Seillière, vous défendez le parti de l'entreprise, ça se voit ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, ça n'est pas du tout le terme qui convient. Des entrepreneurs, si vous voulez ...
JEAN-MARC SYLVESTRE : ... des entrepreneurs qui sont aujourd'hui très préoccupés par la création de valeur, ce que l'on appelle création de valeur, qui profite le plus souvent aux actionnaires. C'est du moins ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, attendez ! Nous distinguons bien l'ensemble
des grandes sociétés cotées qui sont prises dans le mouvement de comparaison qui les oblige en effet à sécréter du développement de valeur. Et puis les centaines de milliers entrepreneurs;, familiaux, non cotés, les petites entreprises pour lesquelles cette affaire de création de valeur n'existe pas.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Est-ce que tout ce qui se passe aujourd'hui dans le système bancaire français avec les restructurations en développement participe au dynamisme de l'économie française.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Tout ce qui se passe dans le système bancaire
français, il faut en dire deux choses. Un, les banques se sont mises en mouvement pour se restructurer après avoir été nationalisées éternellement dans notre pays, souvenez-vous en quand même, en 82 on a renationalisé tout le système bancaire français. Deuxièmement il y a un certain nombre d'initiatives qui ont été prises sur lesquelles le marché devrait en effet trancher et puis il y a eu, de façon assez surprenante, la réintervention très puissante de l'Etat qui n'était pas illégitime mais qui était totalement à contretemps et qui fait qu'en effet le monde entier a vu avec stupeur une grande
?20 opération de restructuration stoppée par un gouverneur qui a voulu marquer
l'intervention de l'Etat.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Alors que dans le monde entier toutes les autorités de tutelle interviennent pour réguler le système bancaire.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Au départ, au départ ! On pouvait arrêter la Société
Générale, on pouvait arrêter la BNP, c'est la responsabilité en effet du Gouverneur
d'avoir sur le système bancaire français une vision et c'est sa responsabilité d'intervenir. Mais pas en milieu de partie, changer les règles du jeu en milieu de partie, c'est un peu comme les 35 heures pour les entreprises, c'est quelque chose qui ne favorise pas l'adaptation de notre pays au monde.
JEAN-MARC SYLVESTRE : A titre personnel, à titre de chef d'entreprise, et non plus avec votre casquette de président du MEDEF, vous vous étiez prononcé plutôt défavorablement par rapport à ce projet, à la constitution d'une grande banque ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca n'a pas beaucoup d'intérêt, je suis membre du
Conseil d'administration, je suis engagé auprès de certains acteurs, je suis membre du conseil d'administration de la Société Générale et donc j'appuie en effet son projet. Ca n'a rien à voir avec le MEDEF.
PIERRE BRIANCON : Quand on est membre du conseil d'administration, on vote toujours avec le PDG ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, mais quand on est convaincu on le fait ! On y
représente en fait les actionnaires et donc une grande société de services comme une banque est quelque chose qui mène avec beaucoup de difficulté pour motiver et gérer ensuite l'ensemble
JEAN-MARC SYLVESTRE : Les banques ne sont pas des entreprises comme les autres ??21
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Les banques ne sont pas tout-à-fait des entreprises
comme les autres, mais elles ont droit en fait à la même européanisation que les autres et au même jeu mondial que les autres et il n'y a pas à considérer qu'il y a un ensemble franco-français qu'il faut constituer. On a fait ce raisonnement autrefois dans la sidérurgie ou ... Tout cela évolue.PIERRE BRIANCON : Alors dans cette affaire,; il y a des gens qui commencent à dire le marché c'est pas terrible ... regardez, on a laissé faire le marché ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Comment ça, qui commencent à dire ?
PIERRE BRIANCON : Attendez, je termine ... on les laisse faire pendant 5 mois, les trois présidents de banque qui appliquent les règles du marche et regardez où on aboutit, ils se chamaillent comme des enfants ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : ... le marché dit et dira qui va l'emporter, c'est
tout-à-fait normal ...
NICOLAS BEYTOUT : Si la BNP l'emportait, comme il semble aujourd'hui que ce soit le cas aujourd'hui, est-ce que vous en tant que membre du conseil d'administration de l'ensemble qui est visé par la BNP est-ce que vous direz à un moment, OK, ils ont gagné, il faut collaborer, il faut coopérer, il faut construire effectivement cette grande banque que Pébereau veut faire ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Franchement, je ne voudrais pas m'engager en quoi que ce soit en tant qu'administrateur de la Société Générale dans le débat d'aujourd'hui mais ce qui est vrai c'est que je préfère le marché et sa règle à quatre très grands et éminents énarques et polytechniciens qui se mettent autour d'une table pour essayer de régler les choses ...
NICOLAS BEYTOUT : C'est-à-dire le gouverneur et les trois patrons des banques
..?22
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : La réalité économique probablement est plus proche de ce que préfère le marché mondial de ce que préfèrent quatre grands technocrates experts.
-JEAN-MARC SYLVESTRE : Donc ça veut dire que l'économie française est quand même en train de changer, les relations, les moeurs, le climat sont en train de changer.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : L'économie française est en train de changer, elle
change beaucoup moins vite que les autres, beaucoup moins vite qu'elle ne devrait, et il y a beaucoup de gens qui freinent et qui freinent des quatre fers et nous, les
entrepreneurs de France nous essayons en effet de pousser un peu au changement avec beaucoup de difficulté.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Merci monsieur Seillière.
(source http://www.medef.fr, le 12 février 2001)