Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en réponse à une question sur la censure par le Conseil constitutionnel du projet de loi pour la Corse, à l'Assemblée nationale le 22 janvier 2002.

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Circonstance : Réponse à une question posée par M. Hubert Plagnol, député UDF, lors de la séance des questions d'actualité à l'Assemblée nationale le 22 janvier 2002

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le député,
Première observation que m'inspire votre question sur les censures du Conseil constitutionnel qui nous affecteraient. Je ne sais pas si nous sommes mauvais juristes ou si nous voudrions faire exprès d'être censurés par le Conseil constitutionnel, ce qui serait paradoxal. Ce qui est sûr, c'est que le Gouvernement que je dirige et la majorité qui vote les lois, ont été censurés par le Conseil constitutionnel 23 fois en quatre ans et demi et que les deux gouvernements précédents que dirigeaient monsieur Balladur d'abord, et monsieur Juppé ensuite, en quatre ans ont été censurés 27 fois !
Alors, si nous étions insuffisants juristes, je crois que vous ne vous êtes pas montrés très performants à cet égard.
Deuxième observation que m'inspire votre question et qui touche à un problème important : c'est le sens même que donnez dans l'opposition aux décisions du Conseil constitutionnel. Vous avez indiqué à l'instant, monsieur le député Plagnol, que vous vous indignez des attaques qui seraient portées contre le Conseil constitutionnel ou plus exactement contre ses décisions. D'abord, constatez que le Premier ministre que je suis ou que mes ministres se sont interdits tout commentaire sur ces décisions. Mais je pense, qu'il y aurait certainement moins de chance de critique des décisions du Conseil constitutionnel au plan politique, si vous ne vous réjouissiez pas vous-mêmes bruyamment de décisions qui devraient être fondées sur le droit. Et je vous interroge donc - parce que cette question pourrait être bien utilement débattue dans l'avenir - : est-ce que les décisions du Conseil constitutionnel sont prises au regard de la constitutionnalité d'une loi - ce qui devrait en limiter l'ampleur - ou bien est-ce que ces décision, selon vous, sont des sanctions politiques du Conseil sur les lois du Parlement ? Je ne crois pas que vous avez intérêt à insister dans ce sens.
Troisième observation que me suggère votre interpellation, monsieur le député. J'ai du mal, personnellement, à saisir la cohérence de vos positions sur la Corse. D'abord je voudrais rappeler, que le président de l'Assemblée de Corse - qui appartient à l'opposition - ; que le président de l'exécutif de l'Assemblée territoriale de Corse qui appartient à l'opposition, ont approuvé, parce qu'ils la jugeaient intelligente, la position qui a été la nôtre. Je voudrais vous rappeler aussi, que sur le même texte de loi en première lecture, 50 députés de l'opposition ont voté en faveur de ce texte et ils auraient certainement continué à le faire si la perspective des élections ne vous avait pas conduits à faire pression sur eux pour qu'ils ne maintiennent pas leur accord à cette démarche.
J'ai entendu le président du Sénat, monsieur Poncelet, dire que "la démarche qu'[il recommandait] [était] d'aller dans la République pour l'autonomie". Quelle est la cohérence de cette position alors que ce que nous proposions pour la Corse n'était pas l'autonomie, c'était moins que l'autonomie ! J'ai entendu monsieur Fillon, membre du RPR, déclarer que "ce n'était pas tellement à cette disposition [qu'il était] opposé, que plus exactement au fait que nous ne le proposions pas pour toutes les régions de France !". Ce qui veut dire que, ce qui serait bon pour toutes les régions de France, y compris celles qui ne le demandent pas, serait mauvais pour une région qui le demande.
Enfin, monsieur Méhaignerie a fait une proposition de loi, que d'ailleurs la majorité a voté, proposant de pouvoir faire de "l'expérimentation constitutionnelle". Mais monsieur Méhaignerie, si vous soumettiez cette loi, aujourd'hui au recours du Conseil constitutionnel, vous seriez à l'évidence censuré. Et il n'empêche que votre démarche est positive.
J'en termine. Ce projet sur la Corse, débattu ouvertement, en transparence, appuyé par l'essentiel des élus de la Corse, ayant eu - et je les en remercie encore - le secours d'une partie de l'opposition en première lecture, vise le développement de la Corse ; il vise la prise en compte de son identité culturelle par des efforts sur le développement de la langue corse, vise à essayer de répondre à un problème politique posé depuis 25 ans par le débat, par une démarche évolutive au sein de la République. Vous devriez nous aider à résoudre ce problème plutôt que de continuer vos arguties sans poids !"

(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 25 janvier 2002)