Texte intégral
La faillite d'Enron, ce groupe américain de commerce énergétique devenu en peu d'années l'un des géants du monde avant de provoquer par son écroulement brutal à la fois la ruine de ses salariés qui y avaient investi leur retraite, la déconfiture des actionnaires - sauf les dirigeants - et le suicide d'un vice-président, cette faillite n'est pas seulement un scandale de plus, aux conséquences politiques encore incertaines. Sans rejoindre cet économiste qui estime qu' " Enron, et non pas les attentats du 11 septembre, apparaîtra à l'avenir comme le principal tournant du début du siècle ", on doit souligner l'importance majeure de l'événement. Il nous invite à réfléchir et à agir.
L'affaire Enron confirme d'abord les excès dangereux qu'engendrent les bulles financières. Endettement spéculatif, extrapolation excessive des tendances de court terme, sous-évaluation systématique des risques constituent les ingrédients de l'explosion. Le modèle patrimonial de croissance des années 1990 enregistre là une défaillance grave, illustrée par des prises illégales d'intérêt et par le contraste choquant entre, d'un côté, des dirigeants qui ont bénéficié d'énormes indemnités et vendu leurs actions au plus haut et, de l'autre côté, des salariés coincés avec leurs plans " 401 (k) " qui ne valent plus rien.
Au-delà, cette faillite souligne les lacunes de la régulation dans au moins cinq domaines : la définition des normes comptables ; l'audit et la certification des comptes ; l'utilisation des produits dérivés et les transferts de risques du secteur bancaire vers les autres secteurs, particulièrement l'assurance ; l'encadrement prudentiel de l'épargne retraite ; le financement des partis politiques.
Les Etats-Unis, mais pas seulement eux, vont devoir rapidement en tirer les leçons. Ce week-end, à Ottawa, lors de la réunion des ministres des finances du G7, j'ai réaffirmé nos thèses favorables à une lutte contre toutes les zones financières d'ombre et à une meilleure régulation, en proposant notamment que celle-ci soit élargie aux " biens publics " qui assurent la stabilité des marchés : l'accès à l'information, l'évaluation des risques, les obligations déontologiques des professions financières - intermédiaires ou comptables.
Par souci d'efficacité, c'est l'occasion de promouvoir le modèle européen tout en l'améliorant, par exemple dans le débat important sur les normes comptables internationales. C'est par exemple le problème de la " fair value ", norme américaine qui a permis dans le cas d'Enron d'afficher des profits immédiats sans doute fictifs car fondés sur des évaluations à long terme de recettes incertaines. C'est aussi la question du " hors bilan ", ici probable instrument de fraude, massivement utilisé pour améliorer d'une façon comptable la profitabilité et la solvabilité apparente des entreprises.
Au-delà de l'aspect délictueux sur lequel je ne dispose pas d'information particulière, la faillite d'Enron souligne les insuffisances d'une conception selon laquelle tout pourrait être régulé par le seul marché. Chaque pays et la communauté internationale ont besoin d'une meilleure régulation du système financier mondial. L'Europe ne doit pas hésiter à défendre et à améliorer son propre modèle, notamment en matière de normes comptables et de régulation prudentielle. Par exemple, le principe d'indépendance des commissaires aux comptes, posé en France par la loi, pourrait être affirmé et renforcé au plan européen avec une claire incompatibilité entre les fonctions d'audit et celles de conseil.
Par son activité sur le marché de produits dérivés, Enron était devenue au fil des ans une véritable institution financière. Un lobbying intense lui avait permis de soustraire une partie de ses activités à toute supervision. Ces pratiques doivent susciter une prise de conscience au moins aussi forte que celle qui, en 1998, à propos des " hedge funds ", avait suivi l'énorme faillite du fonds LTCM. Les modalités de déréglementation de l'énergie devraient se retrouver également sur la sellette. De même, doit être rapidement réaffirmée la nécessité d'une répartition équilibrée des placements en cas d'épargne retraite.
En réalité, c'est l'ensemble des institutions ayant des activités financières qui doivent être soumises à des obligations précises de transparence. On parle peu des fournisseurs privés de biens collectifs que sont devenus les auditeurs, les agences de notation ou les concepteurs d'indices boursiers. Pourtant, leur influence est devenue déterminante sur l'organisation et la stabilité des marchés financiers. Eux aussi doivent être soumis à la transparence, cette grande absente de l'affaire Enron. Il revient à chaque pays et aux forums internationaux compétents d'avancer en ce sens.
Longtemps, attractivité a rimé avec obscurité. L'affaire Enron peut changer la donne. Il faut revenir à des principes de base : une société est fondée sur un contrat qui suppose confiance et contrôle. Les comptes doivent servir à donner une image sincère de l'entreprise et non à en masquer la réalité. Dans la bataille mondiale de la compétitivité, les pays et les continents qui pourront garantir que leurs marchés, leurs opérations et leurs professionnels sont réellement transparents bénéficieront d'un avantage réel. Ils contribueront utilement à la stabilité financière mondiale.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002
L'affaire Enron confirme d'abord les excès dangereux qu'engendrent les bulles financières. Endettement spéculatif, extrapolation excessive des tendances de court terme, sous-évaluation systématique des risques constituent les ingrédients de l'explosion. Le modèle patrimonial de croissance des années 1990 enregistre là une défaillance grave, illustrée par des prises illégales d'intérêt et par le contraste choquant entre, d'un côté, des dirigeants qui ont bénéficié d'énormes indemnités et vendu leurs actions au plus haut et, de l'autre côté, des salariés coincés avec leurs plans " 401 (k) " qui ne valent plus rien.
Au-delà, cette faillite souligne les lacunes de la régulation dans au moins cinq domaines : la définition des normes comptables ; l'audit et la certification des comptes ; l'utilisation des produits dérivés et les transferts de risques du secteur bancaire vers les autres secteurs, particulièrement l'assurance ; l'encadrement prudentiel de l'épargne retraite ; le financement des partis politiques.
Les Etats-Unis, mais pas seulement eux, vont devoir rapidement en tirer les leçons. Ce week-end, à Ottawa, lors de la réunion des ministres des finances du G7, j'ai réaffirmé nos thèses favorables à une lutte contre toutes les zones financières d'ombre et à une meilleure régulation, en proposant notamment que celle-ci soit élargie aux " biens publics " qui assurent la stabilité des marchés : l'accès à l'information, l'évaluation des risques, les obligations déontologiques des professions financières - intermédiaires ou comptables.
Par souci d'efficacité, c'est l'occasion de promouvoir le modèle européen tout en l'améliorant, par exemple dans le débat important sur les normes comptables internationales. C'est par exemple le problème de la " fair value ", norme américaine qui a permis dans le cas d'Enron d'afficher des profits immédiats sans doute fictifs car fondés sur des évaluations à long terme de recettes incertaines. C'est aussi la question du " hors bilan ", ici probable instrument de fraude, massivement utilisé pour améliorer d'une façon comptable la profitabilité et la solvabilité apparente des entreprises.
Au-delà de l'aspect délictueux sur lequel je ne dispose pas d'information particulière, la faillite d'Enron souligne les insuffisances d'une conception selon laquelle tout pourrait être régulé par le seul marché. Chaque pays et la communauté internationale ont besoin d'une meilleure régulation du système financier mondial. L'Europe ne doit pas hésiter à défendre et à améliorer son propre modèle, notamment en matière de normes comptables et de régulation prudentielle. Par exemple, le principe d'indépendance des commissaires aux comptes, posé en France par la loi, pourrait être affirmé et renforcé au plan européen avec une claire incompatibilité entre les fonctions d'audit et celles de conseil.
Par son activité sur le marché de produits dérivés, Enron était devenue au fil des ans une véritable institution financière. Un lobbying intense lui avait permis de soustraire une partie de ses activités à toute supervision. Ces pratiques doivent susciter une prise de conscience au moins aussi forte que celle qui, en 1998, à propos des " hedge funds ", avait suivi l'énorme faillite du fonds LTCM. Les modalités de déréglementation de l'énergie devraient se retrouver également sur la sellette. De même, doit être rapidement réaffirmée la nécessité d'une répartition équilibrée des placements en cas d'épargne retraite.
En réalité, c'est l'ensemble des institutions ayant des activités financières qui doivent être soumises à des obligations précises de transparence. On parle peu des fournisseurs privés de biens collectifs que sont devenus les auditeurs, les agences de notation ou les concepteurs d'indices boursiers. Pourtant, leur influence est devenue déterminante sur l'organisation et la stabilité des marchés financiers. Eux aussi doivent être soumis à la transparence, cette grande absente de l'affaire Enron. Il revient à chaque pays et aux forums internationaux compétents d'avancer en ce sens.
Longtemps, attractivité a rimé avec obscurité. L'affaire Enron peut changer la donne. Il faut revenir à des principes de base : une société est fondée sur un contrat qui suppose confiance et contrôle. Les comptes doivent servir à donner une image sincère de l'entreprise et non à en masquer la réalité. Dans la bataille mondiale de la compétitivité, les pays et les continents qui pourront garantir que leurs marchés, leurs opérations et leurs professionnels sont réellement transparents bénéficieront d'un avantage réel. Ils contribueront utilement à la stabilité financière mondiale.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2002