Conférence de presse de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, sur les "idées neuves" et mesures concrètes pour l'emploi qu'il défendra pendant la campagne, Paris le 21 janvier 2002.

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Texte intégral

Ma dernière conférence de presse a traité des institutions et des droits nouveaux des citoyens. Aujourd'hui j'aborde le problème de l'emploi, qui est sans doute avec la sécurité, la préoccupation numéro un des Français.
Lorsqu'on parle de travail et d'emploi, on ne doit pas se limiter au commentaire économique et social : s'il est vrai que l'exercice d'un travail fournit d'abord un revenu, l'activité en elle-même, est un facteur de dignité, un élément clé de reconnaissance personnelle et sociale, dans la mesure où la personne qui travaille est reconnue pour ses compétences et son savoir-faire. C'est son utilité qui la fait reconnaître.
Le manque de travail et l'inactivité forcée comportent, à l'inverse, des effets dévastateurs et peuvent détruire en quelques mois, l'idée que chacun se fait de lui-même.
De la même manière, c'est une faiblesse nationale que de constater le faible taux d'activité des moins de 25 ans et des plus de 50 ans. Nous ne pouvons pas demeurer le pays du monde où travaillent le moins de personnes pendant la plus courte durée.
Cette situation est d'autant plus grave que le mystère est savamment entretenu en France sur le nombre exact de tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, sont exclus du monde du travail.
En Décembre 2001 par exemple, le ministère de l'emploi comptait en France 2,2 millions chômeurs indemnisés.
Ce chiffre est annoncé comme le chiffre du chômage, alors qu'il est bien loin de fournir le nombre beaucoup plus important de tous ceux qui sont touchés par le chômage.
D'autres chiffres, fournis par des institutions aussi officielles que l'INSEE et le ministère de l'emploi donnent d'autres réalités :
Temps partiels subis : 1.200.000
Emplois subventionnés : 577.000
Chômeurs découragés : 193.000
Préretraités dispensés de recherche : 167.000
Stages et formation professionnelle : 112.000
Si l'on additionne toutes ces situations et ces souffrances issues du chômage, le total en France des personnes touchées par le chômage compte les demandeurs d'emploi officiellement recensés et les victimes d'un chômage déguisé.
Dans la France d'aujourd'hui, 4.400.000 personnes sont touchées par le chômage, et non 2.200.000 comme pourraient le laisser penser les seuls chiffres officiels.
C'est la raison pour laquelle le taux d'emploi en France qui recense la proportion de ceux qui travaillent effectivement par rapport à ceux qui sont en âge de travailler, est un des plus bas d'Europe.
A titre indicatif, les taux d'emploi en 1999 étaient les suivants :
France : 60 %
Allemagne : 65 %
Royaume Uni : 70 %
Etats-Unis : 75 %.
Voilà pourquoi, et conformément à ce que j'ai dit la semaine dernière, en proposant une autorité indépendante chargée de l'évaluation, je m'engage à publier mensuellement les chiffres actuels du chômage, mais aussi le nombre de tous ceux qui sont touchés par le manque forcé d'activité ainsi que les taux d'emploi par tranches d'âge.
À la lumière des chiffres vrais, qui donnent donc une idée exacte du chômage en France, surgit immédiatement le sentiment que notre action pour l'emploi est très largement insuffisante.
Je ne dis pas que rien n'a été fait, ni par le gouvernement actuel ni par ses prédécesseurs, mais force est de constater que les efforts ont été insuffisants et que les moyens déployés étaient inadaptés.
Ma conviction est que le chômage peut être éradiqué. Si nous y avons échoué jusqu'à maintenant, c'est parce que nous n'en avons pas fait l'ennemi numéro 1.
Nous avons arbitré contre l'emploi, en acceptant que perdurent des archaïsmes confortables de la société française.
Si nous voulons concentrer nos forces, il nous faut un nouveau modèle.
La solidarité réelle, la solidarité active est avant tout de pouvoir proposer un emploi décent au plus grand nombre. Les modalités d'assistance sont certes indispensables, mais ils doivent être temporaires.
Pour donner une illustration de ce NOUVEAU MODELE FRANÇAIS que je propose, je prendrai appui sur l'actualité de ces derniers jours en matière économique et sociale.
Nous avons tous observé que le gouvernement Jospin avait élaboré et fait adopter une loi de modernisation sociale qui restreignait en apparence la possibilité de licencier. Cette loi a été faite au nom du DROIT AU TRAVAIL ; Comme vous le savez, cette partie de la loi a été annulée par le Conseil constitutionnel au nom de LA LIBERTE D'ENTREPRENDRE ;
Ainsi donc deux grands principes de notre République, tous deux inscrits dans notre constitution LE DROIT AU TRAVAIL et LA LIBERTE D'ENTREPRENDRE, ont-ils été utilisés et opposés tour à tour pour des motifs politiques. On continue d'opposer ces deux principes comme si le droit au travail pouvait nuire à la liberté d'entreprendre, et comme si la création d'entreprise, la liberté de tenter et d'innover n'était pas indispensable à la création d'emplois. C'est la poursuite de cette opposition factice, de cette mauvaise querelle qui fait de la France un des pays les plus mal placés en Europe dans la lutte contre le chômage
Il faut bien comprendre qu'il n'y aura pas de réussite en matière de politique de l'emploi, pas de progrès décisif, pas de paix sociale sans réconciliation de ces deux principes de notre constitution, sans mise en place d'un NOUVEAU MODELE FRANÇAIS.
Il serait criminel de continuer d'opposer nos deux grands principes, et dans mon esprit, le NOUVEAU MODELE ne consistera pas seulement à les réconcilier ou les faire cohabiter, mais à les mettre réellement en harmonie et renforcer chacun par l'existence de l'autre.
Il y a deux groupes de victimes :
- ceux qui travaillent et sont mal payés,
- ceux qui demeurent au chômage alors qu'ils devraient travailler.
Tout mon effort ira dans ces deux directions :
- payer comme ils doivent l'être ceux qui travaillent, notamment les travailleurs manuels ou les employés du bas de l'échelle, payés entre 10 et 20 % de moins en France qu'il ne le sont chez nos voisins. Le travailleur manuel est moins payé à Rennes, à Reims ou à Pau, qu'il ne l'est à Stuttgart ou à Milan. En ce sens, avantager vraiment ceux qui travaillent par rapport à ceux qui ne travaillent pas pour inciter à la reprise du travail.
- Permettre que se créent en France les centaines de milliers d'emplois que seul notre système empêche de créer.
Il s'agit de " dégeler " les emplois " gelés " par l'organisation actuelle du travail en France. Il s'agit de proposer une stratégie concrète pour mieux payer le travail. Et il s'agit de sortir les Rmistes de l'inactivité.
Je proposerai donc trois grandes actions concrètes, simples, en faveur de l'emploi, en faveur du travail. Je répondrai ensuite à deux questions.
I- L'urgence est de dégeler le "continent des emplois gelés". Création des "emplois francs".
Il faut un électro-choc.
Pour les raisons que j'ai indiquées plus haut, j'ai la conviction que l'on peut chiffrer à plusieurs centaines de milliers, plus d'un million peut-être, le nombre des emplois qui ne sont pas créés en raison des charges sociales excessives.
Je le rappelle, par comparaison, aux Etats-Unis, avec le même salaire minimum reçu par le salarié, ce sont 30 % des emplois existants qui sont au-dessous de la barre du Smic + charges français.
Qu'on imagine la situation de l'emploi si nous avions 30 % d'emplois en plus !
Beaucoup de mécanismes ont été imaginés en ce sens, mais ils sont si compliqués qu'ils n'ont pas l'effet incitatif recherché.
Il faut un mécanisme simple, universel, évident à comprendre à la première lecture, ne demandant aucune paperasserie, s'adressant à ceux qui voudraient créer ces emplois et ne le peuvent pas et puissamment incitateur.
Il faut que ce mécanisme soit compréhensible en une phrase !
Je propose de créer les " emplois francs " !
Qu'est ce que les " emplois francs " ? Ce sont des emplois nouveaux, dont les cotisations patronales seront limitées à 10 % du salaire brut pour une durée de cinq ans.
Les emplois francs seront limités à un, pour un employeur individuel, et à deux pour une entreprise artisanale, commerciale, pour une profession libérale ou une petite entreprise industrielle ou de service, dans la limite d'une cinquantaine de salariés.
Quels types d'emplois ? Quels types de public ? Tous types d'emplois, tous types de publics, jeunes, plus âgés, diplômés ou sans diplômes, chômeurs ou pas.
Un mois d'essai, un CDD de six mois, ensuite un CDI.
Je le répète, il s'agit d'emplois nouveaux et supplémentaires.
J'ai la conviction que les " emplois francs " rencontreront par leur simplicité et leur attractivité un succès sans précédent. À eux seuls, ils peuvent diminuer le chômage de plusieurs centaines de milliers, je dirais : huit cent mille créations d'emplois en deux ans, dont la grande majorité n'aurait jamais été créée dans les circonstances actuelles !
Emplois familiaux, emplois créés avec l'aide la prestation autonomie ! Par exemple, trois jeunes couples qui s'associent pour garde d'enfants.
II- Récompenser le travail : l'augmentation du salaire réel, le SMIC à 1000 sans que cela coûte plus cher à l'entreprise.
Nous sommes dans une contradiction insupportable. Nous proclamons que l'emploi est notre priorité. En réalité, nous arbitrons constamment contre l'emploi, en faisant peser sur les salaires et sur le coût du travail l'essentiel du financement de la solidarité.
Il en est ainsi des cotisations d'assurance maladie, des allocations familiales, de la taxe sur les salaires sur les activités bancaires, assurances, associations et santé, système hospitalier en particulier.
Bien entendu, ces actions sont au cur de la cohésion sociale. Sur le long terme, ces actions devraient être financées par d'autres ressources que les cotisations versées par les employeurs. S'agissant de prestations sociales universelles, elles nécessitent, à mes yeux, une prise en charge universelle. C'est en ce sens que la CSG est une bonne mesure.
Mais nous aurons besoin d'un long effort soutenu pour y parvenir. Utilisation des ressources nées de la croissance, maîtrise de la dépense publique, tout cela peut dégager des marges de manuvres. Mais il faudra du temps pour parvenir à un nouvel équilibre, huit à dix ans, sans doute.
Or nous ne pouvons pas attendre ! Il nous faut des actions immédiates.
La première action doit être dirigée vers le salaire réel, la feuille de paye avec son chiffre encadré de ce que touche réellement le salarié, et en particulier le salarié du bas de l'échelle.
Il faut récompenser le travail.
Il faut le faire pour tous. Mais il faut commencer par les salariés du bas de l'échelle.
Le salaire net des salariés modestes : obtenir une augmentation du salaire réel par une diminution sur deux ans des cotisations sociales salariées.
Après la première étape (2003-2004) dirigée vers les salariés modestes, entre le Smic actuel et 1350 (9 000 F), une deuxième étape (2005-2006) dirigée vers les salaires moyens, puis généralisation de la mesure.
Chacune de ces étapes prenant deux ans, on peut estimer le coût à 4,5 milliards (30 milliards de F) en 2003. Comment le financer ? La moitié en substituant ce nouveau dispositif à la prime pour l'emploi, la moitié par redéploiement des aides existantes, en particulier par un assouplissement du mécanisme des 35 heures.
Ainsi, en deux ans, le Smic atteindra 1000 nets, sans coûter plus cher à l'entreprise. Et les salaires jusqu'à 1350 (9 000 F) seront revalorisés.
III- Une transformation du RMI, devenant RMA, revenu minimum d'activité.
Le RMI, tel que nous le vivons depuis des années est une trappe à exclusion, une trappe à malheur.
Il faut avoir le courage de regarder les choses en face.
Il y a des personnes qui sont inaptes au travail et à l'insertion. On leur doit un revenu minimum de solidarité pour qu'elles ne plongent pas dans la misère et dans le désespoir.
Mais il y en a beaucoup qui sont parfaitement capables de travailler, et qu'en réalité on abandonne à l'inactivité. Car c'est cela, souvent que signifie le " i " de RMI, inactivité au lieu d'insertion. Dans ces cas-là, la désocialisation va très vite. Six mois, huit mois, un an. Au bout de ce temps, l'effort pour retrouver le monde du travail, des engagements quotidiens, horaires, l'échange avec les autres, devient un effort insurmontable.
Notre générosité qui amène à faire un chèque et pas grand-chose de plus, c'est en réalité de la non-assistance à personne en danger.
À mes yeux, on n'est pas quitte avec quelqu'un parce qu'on lui a fait un chèque !
Il faut changer radicalement le système, à l'égard de tous ceux qui ont une chance de réinsertion !
Je propose donc qu'au bout de six mois de Rmi au plus tard, tout Rmiste, se voie proposer, en même temps qu'un revenu minimum, une activité minimum d'utilité publique à mi-temps, proposée par une collectivité locale ou une association, et accompagnée par une validation.
La collectivité ou l'association serait libre de moduler la durée de cette activité, une formation qui irait avec elle, et éventuellement un salaire complémentaire en fonction de l'activité.
Il faut sortir les Rmistes de l'inactivité. Bien entendu, ces compléments de salaires, encadrés, seraient libres de charge.
Dans les deux ans, sur les 1 100 000 Rmistes, plus de la moitié d'entre eux retrouveraient le chemin du travail. RMA + emplois francs, c'est plus d'un million de français qui quitteraient la malédiction du chômage.
Il y aurait là, en même temps, une puissante action de socialisation et une puissante incitation à revenir dans la vie normale du travail.
C'est un changement en profondeur. Certains diront que ce changement est rigoureux. En réalité, je le crois généreux !
IV - Deux questions : que faire des 35 heures, que faire des emplois-jeunes ?
Les 35 heures : il faut sortir du dogmatisme et aller vers la souplesse.
Rendre aux partenaires sociaux, dans des négociations de branche, la faculté d'adapter les règles du temps de travail. S'il n'y a pas d'accord, la loi continue à s'appliquer.
Il faut rendre au salarié, s'il le souhaite, la liberté de travailler plus. Cela impose de faciliter le recours aux heures supplémentaires, dans des limites fixées par accord de branche avec les partenaires sociaux. Ces heures supplémentaires peuvent être neutralisées, dans une limite fixée par accord entre les partenaires sociaux (par exemple entre 35 et 39 heures), par un dégrèvement dégressif de charges sociales, compensant, au moins pour les premières, la prime de 10 % versée au salarié.
- les emplois-jeunes. Les emplois-jeunes ne sont pas sans mérite. Mais les plus fragiles, les moins diplômés, n'y ont pas eu accès. Les emplois-jeunes rénovés, conçus comme complémentaires des emplois francs, s'adresseront par priorité à ce public. Les engagements pris par l'État (contrats de cinq ans) seront respectés. Et l'accompagnement des jeunes à leur sortie du dispositif sera assuré. Il faut se fixer une règle : ne laisser personne sur le bord de la route, mais inciter à entrer dans une carrière professionnelle.
Conclusion
En matière d'emploi, problème angoissant pour les Français, j'ai voulu mettre sur la table trois propositions concrètes, simples et efficaces, cohérentes avec le nouveau modèle français que je propose. Ce sont des réponses efficaces et aux effets rapides. Je m'engage à les mettre en place avant le 1er janvier 2003.
(source http://www.bayrou.net, le 13 février 2002)