Interview de M. Noël Mamère, député des Verts et candidat à l'élection présidentielle, à LCI le 28 janvier 2002, sur les candidatures, la campagne et les projets des formations de la gauche, sur les amendements à la loi sur la présomption d'innocence et sur l'extension des formes de la délinquance.

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Texte intégral

P.-L. Séguillon Vous êtes candidat des Verts à la présidentielle, depuis la mi-octobre maintenant. Vous publiez d'ailleurs un ouvrage intitulé "Mes vertes années", chez Fayard, dans lequel vous retracez tout le parcours qui vous a conduit jusqu'à cette candidature. Vous êtes un candidat déclaré, un candidat en campagne. Quand vous entendez les candidats non-candidats, candidats probables, candidats disponibles comme L. Jospin ou encore J. Chirac hier, qu'est-ce que vous pensez ?
- "Si j'étais un peu familier, je dirais que j'ai envie de me battre les flancs tellement je trouve cela ridicule et d'une certaine manière, méprisant pour les autres candidats et pas très gratifiant pour l'ensemble des Français. On a le sentiment que Jospin comme Chirac sont quand même de grands metteurs en scène, de grands comédiens."
Vous les mettez dans le même bain ?
- "Oui, parce que l'un et l'autre font comme s'ils n'étaient pas encore candidats, comme s'ils ne pouvaient pas l'être à cause de l'importance de leur fonction. Mais ils sont quand même candidats : une fois, il est "probable" ; une autre fois il est "disponible" ; après, il sera avéré ; après, il sera à la disposition des Français ? Chirac reçoit derrière ses grilles un certain nombre de gens, en prenant bien soin que les caméras soient installées. Je trouve que tout cela, c'est de la pantomime et que cela ne correspond pas à ce qu'attendent les Français."
Vous attendez qu'ils se déclarent et vous les pressez de se déclarer rapidement, en tout cas L. Jospin, que vous connaissez peut-être mieux que J. Chirac ?
- "Oui, je connais mieux Jospin que Chirac et je le soutiens, alors que je combats Chirac. Mais le problème est de savoir ce que les hommes politiques aujourd'hui, dans ce pays, veulent pour la société française. Est-ce qu'ils veulent un vrai débat ou est-ce qu'au contraire, ils veulent l'escamoter à coups de caméras et de mise en scène ?"
Mais hier, il y a eu exposition d'un projet, celui qui a été rédigé par M. Aubry...
- "Vous l'avez vu, vous, sur les médias ? Vous avez entendu le projet sur les médias ? Qu'est-ce qu'ils ont retenu, les médias ?"
Vous avez pu le lire...
- "Le problème n'est pas de savoir si je lis, le problème..."
Vous critiquez les médias ?
- "Non, je ne critique pas les médias. Je dis simplement que les médias vont là où il y a de la lumière. Et la lumière hier, elle était dans la ronde des personnalités qui allaient à l'Elysée et dans les petites phrases décochées par L. Jospin pour savoir s'il devenait un candidat disponible. Sur le projet, on n'a rien appris, on ne nous a rien expliqué. Donc, le temps d'explication d'un projet pour les grands candidats comme pour nous, comme pour les Verts ou tous les autres candidats, est venu et ce temps là, il ne peut pas être réduit à la portion congrue."
Puisque vous dites que le temps du débat est venu sur les projets, quand on regarde par-delà les phares des médias ce qui se passe au sein du Parti socialiste, on a le sentiment qu'il y a un projet plus classique, plus fédérateur, celui qui est exposé par M. Aubry, qui a été proposé à la ratification des militants hier, des secrétaires de fédérations et puis, il y a les idées qui sont développées, plus modernistes par D. Strauss-Kahn ou L. Fabius.
- "Question modernisme, je ne suis pas très convaincu qu'elles soient modernistes."
Des idées qui sont un peu différentes. Vous vous sentez plus proche de quel côté ?
- "Je crois que ce sont les idées d'une gauche recentrée. Celles que propose D. Strauss-Kahn lorsque, par exemple, ouvrent la porte aux stock-options. Je ne suis pas du tout sur cette ligne et je pense que si on doit faire quelque chose - les Verts le proposeront -, c'est taxer les plus-values sur les stock-options. On a vu ce qui s'est passé avec M. Jaffré, l'ancien patron d'Elf. Et je vais vous dire, je ne suis pas venu ici pour commenter le programme des socialistes ! Je suis le candidat des Verts à l'élection présidentielle et ce qui m'intéresse d'abord, c'est le programme des Verts et le projet des Verts pour déplacer le centre de gravité de la gauche."
Mais vous savez le reproche qui vous est fait, par exemple, par le candidat trotskiste, qui dit qu'ils sont très bien, R. Hue et N. Mamère, mais en fait, ils sont solidaires de la politique du Gouvernement. Alors, où est la différence ?
- "Oui, mais le candidat de la LCR, comme le candidat de Lutte ouvrière, ils sont formidables et très bien, mais ils restent toujours dans l'incantation : ils nous annoncent depuis près de 70 ans le Grand Soir, nous ne l'avons toujours pas vu venir. Mais il faut qu'on soit très clair, entre ce qui est la participation à la gestion et à l'exercice du pouvoir pour transformer la société, et ceux qui se contentent de regarder la société avec une certaine stérilité politique."
Très concrètement, un certain nombre de questions se posent aujourd'hui dans vos rapports avec la gauche socialiste. D'abord, au niveau de la politique gouvernementale, vous allez refuser de voter les amendements qui modifient la loi sur la présomption d'innocence ?
- "Oui, bien sûr, parce que nous considérons que c'est du rafistolage, du bidouillage et que la gauche ne s'honore pas..."
C'est quoi ? C'est une trahison de la part de L. Jospin ?
- "Je ne sais pas si on peut appeler cela une trahison. En tout cas, je pense que c'est un renoncement, c'est un renoncement à des valeurs, un renoncement à un progrès des libertés. Même si la loi sur la présomption d'innocence a été votée pour des motifs plutôt douteux, puisqu'il s'agissait de protéger des hommes politiques, elle a fait gagner des pas à la liberté et elle nous a fait rejoindre les autres pays de l'Union européenne. Et il faut dire aux Français, à ceux qui nous écoutent, que 6 % des affaires judiciaires seulement sont suivies par des juges d'instruction et que, pendant ce temps, il y a des cohortes de pauvres dont on criminalise la pauvreté devant des juges en comparution immédiate, pratiquement sans aide d'avocats, et qui n'ont le droit de rien dire, qui ne rencontreront jamais un juge d'instruction et qui n'auront jamais le luxe de la présomption d'innocence."
Mais les Français entendent aussi les statistiques qui viennent d'être publiées sur la croissance de la délinquance...
- "Mais la loi sur la présomption d'innocence ne concerne pas directement toute cette délinquance, que l'on voit non pas augmenter, mais dont la forme est en train d'augmenter."
C'est ce que disent les policiers, en tout cas.
- "Oui, mais les policiers, ils sont bien gentils. Je souhaite une police républicaine et je ne veux pas, par exemple, de police municipale dans ma commune. Je suis confronté à des formes de délinquance. Il y a encore deux jours, une voiture bélier a défoncé la maison de quartier d'une de mes cités et l'a incendiée. Mais quand on regarde les chiffres de la délinquance, ce n'est pas tellement une augmentation de la délinquance qui a eu lieu, ce sont les formes de la délinquance. Et je voudrais quand même donner un chiffre : la France est le pays dans lequel il y a le plus de policiers. Il fait partie des premiers trois pays européens. Et quand il y a 100 policiers, vous savez combien il y a d'éducateurs dans ce pays ? 10. 10 éducateurs pour 100 policiers."
Vous estimez que L. Jospin et le Gouvernement ont cédé à la pression ?
- "Oui, ils ont cédé à la mode ambiante qui consiste à surfer sur le sécuritaire, à faire peur aux Français et à leur dire : "Attention, vous êtes dans un pays où on relâche tous les criminels, où vous ne pouvez plus sortir sans être agressé". C'est vrai qu'il y a des problèmes. Il faut renforcer la politique vis-à-vis des victimes qui ont le sentiment de l'impunité, car il y a trop peu d'affaires qui sont élucidées et de petites affaires, parce que les policiers ne sont pas formés pour cela et que la formation judiciaire est devenue aujourd'hui quelque chose d'absolument désertifiée. Mais je ne pense pas qu'on puisse résoudre les problèmes de la sécurité ou de l'insécurité par plus de répression et plus de sécurité."
Hier, les socialistes ont annoncé qu'ils gelaient les fameuses 42 circonscriptions qu'ils réservent aux Verts pour les prochaines législatives. Et il n'y a toujours pas d'accord entre vous et les socialistes. Vous pensez qu'il n'y aura pas d'accord avant les présidentielles ? Vous souhaitez qu'il y en ait un ?
- "Je pense qu'il n'y aura pas d'accord avant les présidentielles, parce que je pense que les socialistes ne veulent pas d'accord avant l'échéance présidentielle."
Vous n'en voulez pas non plus.
- "Nous voulons un accord, parce que nous nous situons dans une perspective de construction d'une future majorité, dans laquelle les Verts ne soient pas simplement une force d'appoint, mais un partenaire incontournable. Mais on ne peut pas le faire si on n'a pas un certain nombre d'engagements précis sur le programme. Et le programme détermine l'accord électoral."
Vous partez à Porto Alegre ?
- "Je pars ce soir à Porto Alegre."
C'est très tendance aujourd'hui d'aller à Porto Alegre....
- "Oui, mais pour les Verts, franchement, ce n'est pas tendance, parce que cela fait très longtemps qu'on se bat. Vous savez que nous avons été les premiers, les écologistes, bien avant qu'ils s'appellent les Verts, à inventer ce slogan "penser globalement et agir localement". S'il y a une formation politique et des représentants de formation politique qui ont leur place pour défendre une autre mondialisation - et pas se battre contre la mondialisation -, pour défendre une mondialisation solidaire qui creuse moins le fossé entre les riches et les pauvres à l'intérieur des pays riches, et entre les pays riches et les pays pauvres, qui ne laisse pas la place uniquement aux grandes transnationales qui veulent nous faire subir leurs choix alors que nous, nous voulons déterminer notre destin et le choisir ensemble, eh bien je pense que nous avons notre place à Porto Alegre."
Je rappelle le titre de votre ouvrage, "Mes vertes années", chez Fayard, qui se termine par le mariage de raison avec D. Voynet.
- "Avec les Verts, avec D. Voynet. C'est simplement pour expliquer que je ne suis pas né dans une télévision, que j'ai eu une vie avant et que j'aurai une vie après."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 28 janvier 2002)