Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, lors du débat au Sénat sur une proposition de loi relative à la création d'une journée pour l'abolition universelle de la peine de mort, Paris le 12 février 2002.

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Texte intégral

Monsieur le Président
Madame la rapporteur
Mesdames et Messieurs les sénateurs
Je salue l'initiative des membres de votre assemblée qui vous proposent de créer une journée pour l'abolition universelle de la peine de mort, alors que vient de se terminer l'année du 20ème anniversaire de la loi du 9 octobre 1981 portant abolition de ce châtiment barbare.
Nous étions alors le 35ème Etat à abolir cette peine. Aujourd'hui, un Etat ne peut adhérer à l'Union européenne s'il pratique encore la peine de mort dont l'abolition est inscrite dans la Charte européenne des droits de l'homme et sur 189 membres des Nations Unies, 108 Etats ont banni ce châtiment de leur arsenal répressif.
C'est dire que l'idée abolitionniste progresse. C'est dire que la France était dans le vrai.
La justice ne peut pas tuer. Elle ne peut pas commettre l'irréparable. La société doit être bâtie sur des valeurs différentes de celles qu'elle condamne et la première de ces valeurs est le respect de la personne humaine, de la vie et de son intégrité.
C'est l'honneur de la France d'avoir mis en vigueur ces principes il y a maintenant plus de 20 ans grâce bien sûr à l'action déterminante de Robert Badinter, dont le nom, avec celui de François Mitterrand, restera attaché à cette cause., C'est dans cet exemple que l'on peut trouver la force de légiférer à contre-courant.
J'ai déjà eu l'occasion de dire à l'Assemblée nationale, lors de la commémoration de l'adoption de la loi du 9 octobre 1981, à quel point tous ceux qui ont entendu Robert Badinter gardent le souvenir de sa démonstration passionnée, s'adressant au cur et à la raison, démonstration non seulement du caractère barbare mais aussi de l'absurdité de la peine capitale à laquelle de nombreux Etats avaient déjà renoncé.
Il faut maintenant faire avancer les esprits, et dans l'opinion internationale, l'idée de l'abolition universelle.
Car, si nous avons fait notre chemin, si après nous, d'autres nations ont elles aussi refusé la peine capitale, s'il est manifeste qu'un mouvement mondial se mobilise sans relâche autour de la défense des droits de l'homme, pourtant la peine de mort continue à être pratiquée dans un trop grand nombre de pays comme l'a rappelé votre commission des lois.
Sur 86 pays qui ont maintenu la peine de mort, 64 ont effectivement pratiqué des exécutions, dont les Etats-Unis, le Japon et la Chine.
Cependant, même aux Etats-Unis, des certitudes vacillent devant la démonstration de l'innocence de personnes condamnées qui se sont retrouvées dans le couloir de la mort.
Combien d'innocents ont-ils été ou sont-ils exécutés avant que des tests fondés sur l'ADN ne révèlent brutalement l'erreur commise irrémédiablement ?
Mais l'erreur judiciaire n'est que l'argument ultime des abolitionnistes. Il ne s'agit pas seulement de l'insupportable injustice faite à l'innocent mais aussi du sort inacceptable réservé au coupable.
La peine de mort, quel que soit le mode d'exécution, constitue une forme certaine de torture.
L'emprisonnement des condamnés à mort pendant de longues années avec la constante perspective de leur exécution est une forme de "traitement inhumain et dégradant" au sens de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Il faut donc rester vigilant pour obtenir que la justice se place sur un terrain dépassionné, neutre et serein.
C'est pourquoi je trouve particulièrement salutaire qu'une initiative comme la votre soit prise pour éclairer les consciences.
Déjà le Congrès mondial contre la peine de mort organisé à Strasbourg en juin 2001 dans les locaux du Parlement européen avait relancé ce débat.
C'est, de manière plus forte encore, le sens de la proposition de loi soumise aujourd'hui à votre examen.
Comme le relève votre commission des lois, un texte législatif n'était pas indispensable. La journée pour l'abolition universelle de la peine de mort aurait certes pu être instaurée par un texte de nature réglementaire. Mais la loi présente ici un caractère emblématique.
Je dirai qu'elle a une vertu à la fois mobilisatrice et pédagogique.
Mobilisatrice car l'abolition est un combat.
Pédagogique, car lorsqu'il s'agit de la mort présentée comme un événement normal alors même que son caractère judiciaire lui donne un caractère scandaleux, il faut expliquer et toujours expliquer où réside le scandale.
Pédagogique aussi, parce que cette journée commémorative sera porteuse d'un message dont on devra rappeler la conformité aux principes républicains : c'est un véritable Etat de droit que l'on célèbrera, avec la volonté de le consolider.
Cette explication me paraît d'autant plus salutaire que l'on connaît le caractère versatile de l'opinion publique à cet égard.
Ainsi, en France même, un sondage est venu nous rappeler récemment que 44 % de nos concitoyens sont favorables au rétablissement de la peine de mort.
C'est pourquoi je vous fais part de mon accord avec cette proposition de loi dont je salue les auteurs.
Je salue aussi le travail accompli par votre commission des lois qui a apporté les quelques précisions qui permettront au texte d'atteindre plus efficacement son but.
Je vous remercie.


(Source http://www.justice.gouv.fr, le 18 février 2002)