Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, candidat du Mouvement des citoyens à l'élection présidentielle, dans la revue hospitalière "Horizon" de novembre 2001, sur la défense d'une politique de santé permettant un accès aux soins égal pour tous et sur un rapprochant des secteurs hospitaliers privé et public.

Prononcé le 1er novembre 2001

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Média : Horizon

Texte intégral

A quelles conditions les acteurs du système de santé français peuvent-ils continuer à être épargnés par la mondialisation libérale dont vous dénoncez les conséquences dans d'autres secteurs d'activité ?
La majorité des pays européens a su jusqu'à présent résister à la pression de la globalisation financière en matière de santé, dont la logique voudrait que chacun ne se soigne qu'en proportion de ses moyens. En France même, l'égalité des droits dans l'accès aux soins quelque soit le niveau social fait partie intégrante des valeurs de la République. On voit donc bien qu'aucune logique financière ne peut imposer ses vues lorsqu'il existe une volonté collective forte d'établir d'autres règles que celles du tout-marché.
Cependant, notre système de santé, reconnu par l'OMS comme globalement bon, souffre de défauts importants qui le fragilise. Les inégalités face à la maladie, que ce soit d'une catégorie sociale à l'autre, où d'une région à l'autre sont fortes. Notre politique de santé a beaucoup de mal à établir une relation suffisamment claire entre le niveau de dépenses, qui repose sur l'effort de solidarité des entreprises et des ménages, et la qualité de soins fournis, des résultats obtenus, et même, osons le mot, la productivité globale du système de soins.
La puissance publique peine de façon chronique à établir des modalités de fonctionnement efficaces pour y parvenir et ses efforts sont, à tort où a raison perçus par un grand nombre de professionnels comme une coercition abstraite, qui méconnaît les réalités, et décourage les efforts. Il y a aujourd'hui un divorce entre les professionnels de santé et la puissance publique qui est pour moi une préoccupation majeure. Il faut rétablir la confiance entre tous les acteurs pour défendre et enrichir ce bien commun qu'est notre système de santé.
En France, le Plan Juppé n'a que très imparfaitement réussi à combiner restructuration de l'offre et l'objectif de qualité des soins. L'Etat en tant que gestionnaire en chef du système de soins est-il, selon vous, encore crédible ? Déconcentrer au niveau régional la seule gestion des enveloppes budgétaires est-ce efficace ? Faut-il, comme pour les lycées, confier aux collectivités locales (régions) de nouvelles compétences en termes d'équipements et d'objectifs de santé ?
C'est une question décisive, mais délicate. D'un côté, le domaine de la santé est complexe, multiforme, et les décisons doivent être prises au plus près du terrain. Beaucoup de procédures de décision budgétaire, d'attributions d'équipements, d'investissements, sont trop lourdes, trop éloignées du terrain, trop centralisées à un niveau de décision qui perd contact avec la réalité. Mais d'un autre côté, il est essentiel que la puissance publique non seulement sauvegarde mais renforce le principe d'égalité dans l'accès aux soins et à la santé, et l'unité nationale de notre système doit être préservée. C'est pourquoi je préfère effectivement dans ce domaine parler de déconcentration de la gestion que de régionalisation, même si le niveau régional semble le bon niveau pertinent à notre époque. Le projet d'Agences régionales de Santé, au niveau desquelles seraient effectivement gérées les différentes enveloppes budgétaires, me semble donc aller dans le bon sens. Les élus des collectivités locales pourraient y jouer un rôle important, mais sans pour autant que l'Etat, expression de l'intérêt général de la nation, ne perde son pouvoir de régulation et d'arbitrage. Ce qui me paraît tout aussi essentiel, c'est qu'une telle déconcentration implique au maximum les professionnels et les usagers.
Comment redonner aux hôpitaux les capacités d'investissements (équipements médicaux lourds, investissements immobiliers) qui leur manquent ? Les directeurs redoutent que l'effort consenti pour l'emploi par l'assurance maladie au nom des 35 heures ne contribue à masquer plus longtemps les carences en ce domaine.
Je partage cette préoccupation. Dans le domaine des équipements lourds, on voit bien que la planification actuelle débouche sur un retard aberrant par rapport à nos voisins européens. Le manque de responsabilisation et d'autonomie des établissements dans leurs investissements conduit à une rigidité et à une lenteur des procédures. Mais elle s'explique aussi par la crainte de l'administration de la santé d'un effet d'empilement de lignes budgétaires qui, une fois décidées, ne sont jamais sérieusement réévaluées. Dès lors, les autorisations sont distribuées avec parcimonie.
Dès lors que les établissements auraient davantage de liberté dans leurs choix d'investissements, il faudrait aussi qu'ils aient plus de responsabilité dans les coûts induits, dans les conséquences de leur choix sur la structure de leur budget. Dans notre République, il ne peut y avoir de droits sans devoirs et sans responsabilité. S'équiper davantage pour un hôpital doit impliquer une réflexion sur sa capacité à améliorer sa productivité et sa qualité globale.
En fait, il faut que dans l'ensemble de notre système de santé, l'effort soit récompensé et ceci signifie qu'il doit y avoir un lien plus direct entre les niveaux d'activité des établissements publics et leur dotations budgétaires. Au sein même des établissements, il doit y avoir là aussi une déconcentration de la gestion qui réunisse soignants et cadres administratifs dans une nouvelle dynamique.
Vous avez eu en charge l'aménagement du territoire. L'association des maires des petites villes demande que l'accessibilité géographique devienne une priorité systématique de l'organisation sanitaire de notre pays. Concilier proximité et qualité des soins, est-ce un enjeu pour la vitalité économique du pays ou un thème de préau d'école ?
La proximité est un facteur de la qualité des soins, mais pas dans tous les domaines. Il est évident que plus une maladie est rare où réclame une grande spécialisation, et plus il sera difficile d'offrir des soins combinant qualité et proximité à toutes les communes de France. Pour les maternités, quand on sait que chaque femme française accouche en moyenne deux à trois fois dans sa vie, il n'est pas scandaleux d'avoir une maternité située à vingts ou trente kilomètres si les conditions du territoire la rendent facilement et rapidement accessible. En revanche, je comprends les populations et leurs élus qui ne veulent pas voir disparaître des consultations de proximité, de soins d'urgence de première ligne, et qui veulent que des soins pour des maladies lourdes et chroniques soient rapprochés des lieux d'habitation. Comme vous le voyez , il faut regarder tout cela dans le détail, région par région, en tenant compte des facteurs sanitaires et des réalités de l'aménagement du territoire. Ce doit être un objectif majeur de la déconcentration du système d'être au plus près de ces réalités.
On observe une forte disparité entre régions dans la répartition des spécialistes médicaux libéraux et hospitaliers qui font les beaux jours de l'intérim médical. Entre une politique d'incitation qui peut être coûteuse (primes à l'installation, mécanisme de pré-retraite...) et une politique plus interventionniste (limitation à la liberté d'installation...) où vont vos préférences ?
D'une manière générale, je penche vers l'incitation qui est plus motivante que la coercition. Il n'est pas normal que des régions de notre pays voit leur démographie médicale s'effondrer. Des mesures incitatives doivent être prises, en particulier pour favoriser l'exercice de ville en groupes qui rompt l'isolement des soignants. Il faut sans doute aussi imaginer que la rémunération des soignants de ville comporte une part forfaitaire qui engloberait les actions de prévention, d'éducation pour la santé, de dépistage, qui ne peuvent pas être facilement rémunérées à l'acte. C'est cette part forfaitaire que l'on pourrait moduler pour soutenir l'exercice dans des régions réputées moins attractives.
Vous êtes certainement attaché à l'existence d'un secteur privé conventionné d'hospitalisation comme la majorité des Français. Beaucoup de cliniques connaissent des difficultés majeures. Face à la menace de dépôts de bilan et/ou le rachat par des groupes tels la Générale de santé -cotée en Bourse depuis le mois de juin-, l'Etat doit-il intervenir pour soutenir les cliniques ou laisser jouer le marché ?
Dans notre pays, les cliniques privées jouent un rôle de maillage sanitaire très important. Elles sont souvent encore des structures héritées d'un patrimoine médical familial et sont gérées par une communauté de médecins. Or , à notre époque d'explosion des technologies et de besoin grandissant de sécurité, le volume des investissements devient insupportable pour ces structures. Cependant, les médecins et les soignants y sont à juste titre attachés, parce qu'elles sont pour eux une garantie d'indépendance professionnelle. Pour continuer à investir, je crois que leur intégration où leur adossement à des groupes financiers qui n'ont comme logique que celle de la Bourse détruira cette indépendance professionnelle. C'est donc à la puissance publique de leur offrir un soutien, ce qui n'exclut pas de les inciter à mieux s'organiser. La politique des réseaux qui lie des établissements publics et privés peut en être le vecteur.
Je crois qu'il est temps de ne plus opposer le secteur d'hospitalisation privé et public, la médecine d'hospitalisation et la médecine de cabinet de ville, les soignants salariés et les soignants libéraux. Tous une place dont la spécificité doit être conservée , mais ils doivent se rapprocher pour ensemble donner à notre système de santé tout son avenir.
(Source http://www.chevenement2002.net, le 28 janvier 2002)