Interview de Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement, à "LCI" le 11 février 2002 sur les candidatures de Jean-Pierre Chevènement et Lionel Jospin à l'éléction présidentielle 2002, sur la construction de logements sociaux et sur une proposition de supprimer la caution versée au propriétaire lors de l'entrée dans les lieux des locataires.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral


A. Hausser -
Vous faîtes partie des ministres qui sont allés à Porto Alegre. Mais je voudrais que l'on dise avant un mot de la campagne. De plus en plus de personnalités évoquent un possible deuxième tour Jospin - Chevènement. Cela vous paraît possible ?
- "J'y crois peu. Je pense personnellement que le discours de J.-P. Chevènement, sur l'idée qu'il faut dépasser la gauche et la droite, le bipolarisme, était une tentation un peu permanente, que l'on entend à chaque début de campagne. Mais les Français savent bien qu'on ne change pas la société sans un profond soutien populaire, politique."
Vous ne pouvez pas nier qu'il y a des personnalités de tous bords qui rallient J.-P. Chevènement ?
- "Oui, mais c'est aussi ce qui fait l'ambiguïté de son projet qui, in fine, risque d'interroger beaucoup de nos concitoyens qui ont envie de voir changer les choses, qui sont sensibles au discours républicain de J.-P. Chevènement, mais qui risquent de se dire que cette République-là manque de clarté et est plus une République d'ambiguïté défensive qu'une République offensive, capable de convaincre à la fois dans le monde et les jeunes générations. Nous sommes à une période de la campagne où il est celui qui s'exprime le plus. Il le fait avec talent et force, mais je ne crois pas au deuxième tour Chevènement - Jospin."
Et au deuxième tour, il reviendrait à gauche ?
- "Je l'espère, parce que je crois qu'il sait que le camp du progrès, le camp de celui qui est capable de faire bouger les choses avec plus de justice, d'égalité, c'est bien sûr la gauche. Cela a toujours été sa famille d'origine. Je veux voir dans ses discours récents plus une posture électorale qu'un changement de cap."
Posture électorale : L. Jospin ne rentrera pas en campagne avant la fin de la cession parlementaire, c'est-à-dire pas avant début mars. Quelle campagne voyez-vous pour lui ? Une campagne très axée à gauche ou une campagne plus recentrée ?
- "Forcément, je la vois plus axée à gauche. Pourquoi ? Pas du tout parce que de nature, je suis à gauche, mais parce qu'aujourd'hui, je pense justement que ce qui peut rassembler la France, c'est un projet qui soit à la fois un projet d'initiative et de dynamisme, de créativité et un projet qui soit un projet où tout le monde est dans le mouvement. La France a besoin de toutes ses énergies. On a donc besoin d'une France solidaire, d'une France qui refuse les ghettos, d'une France qui s'affirme contre la mondialisation libérale, parce que je crois qu'aujourd'hui, les peuples attendent un autre message que celui du libéralisme généralisé. Je crois que c'est la gauche qui l'incarne et, en tout cas, L. Jospin."
Je trouve cela un peu facile, parce qu'il y a des ministres qui sont allés à Porto Alegre, comme vous ou M.-G. Buffet, et d'autres qui sont allés à New York... Vous jouez donc sur deux tableaux...
- "De toute façon, on est dans une phase de transition. On ne va pas sortir de la mondialisation actuelle en se mettant en dehors du concert des nations et en disant qu'on ne va plus dans les instances internationales pour discuter. Personnellement, je pense que l'important se jouait à Porto Alegre. Je crois que le message qui est montant, de la planète et du pays, est une volonté de transformer cette mondialisation et en aucune façon, évidemment, de se replier sur la nation isolée du monde. Il n'était pas absurde que le Gouvernement aille entendre les grands de ce monde pour leur dire un certain nombre de vérités. Est-ce qu'on l'a dit avec autant de force que je l'aurais souhaité ? Je n'en sais rien. Mais le message important est celui de Porto Alegre. C'est celui-là qu'il faut que L. Jospin relaye dans la campagne. Il faut qu'il le relaye comme Président d'une des plus grandes puissances du monde, c'est-à-dire pas du tout dans une vision contestatrice, mais avec un certain nombre de propositions pour peser dans l'ordre des choses."
Avec un logiciel modernisé, comme dirait D. Strauss-Kahn ? Il disait que certains socialistes fonctionnent avec un vieux logiciel !
- "Je me méfie beaucoup de la modernité, parce que si la modernité est de privatiser, derrière le discours de cette modernité, il y a souvent le discours de l'acceptation de ce qu'était un peu la tendance dominante."
C'est bien le cas aujourd'hui : on accepte la tendance dominante ?
- "Non, parce que les 35 heures sont révélatrices du fait, qu'alors que la tendance dominante était d'essayer d'éviter de nouveaux progrès sociaux et de nous faire croire que le progrès possible était celui de la valorisation du capital, on ne l'a pas fait et on a même fait l'inverse. Quand on nous disait que la protection sociale était ancienne, on a fait la CMU et personne, il y a quelques années, ne pensait que cela était moderne. Je crois qu'il est profondément moderne d'avoir une protection sociale forte, pour que les gens puissent prendre beaucoup d'initiative et être créatifs."
Vous dites protection sociale forte : vous vous occupez du logement au Gouvernement. Il devient de plus en plus difficile de se loger. Tout le monde le sait...
- "Cela dépend où. C'est plutôt vrai dans les grandes villes, pour le locatif."
Mais c'est de cela qu'il s'agit, puisque vous avez proposé la suppression de la caution. Cela a évidemment fait hurler dans un premier temps.
- "Non."
Vous l'avez ensuite assortie de propositions...
- "J'ai proposé le remplacement de la caution. En fait, ce que j'observe, c'est que, premièrement, aujourd'hui, il y a une sorte de droit de péage pour entrer dans les logements qui est un blocage réel. Je ne souhaite plus que les locataires aient à débourser une caution pour entrer à un moment de la vie où ils s'installent et où cet argent serait bien nécessaire et pour l'économie et pour faire autre chose. En revanche, ce que je veux, c'est que les propriétaires soient mieux garantis qu'ils ne le sont aujourd'hui, avec le système de la caution. En cas d'impayés durable ou en cas de départ avec des travaux nécessaires pour remettre en état, le propriétaire ne se retrouve pas avec des difficultés pour toucher l'argent. Aujourd'hui, d'ailleurs, j'observe qu'il y en a d'énormes, puisque la plupart du temps, les gens partent, hélas, sans payer leurs deux derniers mois et les travaux restent en rade. Le système est un système de fonds qui garantit le propriétaire en cas d'impayés de loyers lourds pour des locataires de bonne foi et en cas de travaux qui sont nécessaires pour la remise en Etat. Il les fait, avance l'argent, en sachant qu'il se retournera vers le locataire défectueux pour pouvoir être en situation d'exiger qu'il fasse face à ses droits. Sauf dans le cas où il s'agit d'une aide sociale nécessaire, comme il y en a aujourd'hui. Là, on l'a mobilisera plus vite."
On détruit les barres, mais manifestement on ne construit pas assez de logements sociaux. D'autre part, les statistiques montrent qu'il y a de moins en moins de revenus modestes qui profitent des logements HLM.
- "On démolit des barres et on construit beaucoup plus de logements sociaux, puisque je rappelle que l'an dernier, on en faisait 42.000 et que cette année, nous en avons fait 56.000 et que nous continuons à le faire. Deuxièmement, la démolition des barres ne représentent que 10.000 logements. Or, on ne construira pas de logements sociaux en France si on n'a pas cassé l'image du logement social comme étant lié à un effet de risque de ghettos. L'un et l'autre s'enrichissent mutuellement. Une partie de ces logements sont vides. Oui, il faut construire plus de logements en France. Quand nous sommes arrivés, quand le Gouvernement Jospin est arrivé, on en construisait 250.0000. On en a construit plus de 300.000 pendant les 5 ans de ce Gouvernement. Il faut soutenir cet effort. Je rappelle que le social n'est pas simplement dans les HLM. Il doit être aussi une sorte d'exigence pour le parc privé. C'est pourquoi nous devons aider les bailleurs sociaux. Je parlais des propriétaires, afin de leur donner envie d'être propriétaires et de louer avec des garanties pour les plus faibles."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 février 2002