Texte intégral
C'est dans un contexte de vérité, que j'ai l'honneur de présenter devant vous le projet de budget de la coopération française.
Ce devoir de vérité, nous devons l'assumer plus que jamais auprès de nos partenaires africains, à qui nous avons depuis six mois réaffirmé notre soutien, « notre solidarité sans faille mais exigeante », ainsi que le déclarait ici même le 8 avril dernier M. le Premier ministre. C'est bien l'esprit de la démarche qui m'anime depuis mon arrivée au ministère de la Coopération dont le retour à un statut de plein exercice traduit bien l'importance que notre politique de coopération joue au sein de notre politique étrangère.
Dans un monde profondément transformé, l'Afrique a cessé d'être un enjeu de rivalité entre les grandes puissances. Le continent est maintenant face à lui-même, en position d'assurer son propre avenir, de maîtriser son histoire selon les choix qu'il aura lui-même définis. L'Afrique est parvenue à l'âge de la maturité.
La marche inéluctable vers l'état de droit entraîne plus profondément les nations et les peuples vers cette prise de conscience qui engage, autant qu'elle contraint, à l'action et à la responsabilité.
Cette situation rend possible toutes les destinées. L'Afrique, mobilisant ses propres forces, doit nous trouver à ses côtés. Telle est notre mission, commandée à la fois par un devoir moral et nos propres intérêts.
J'ai bien noté, Messieurs les rapporteurs, que ce constat, vous le partagiez :
– en relevant, M. le rapporteur de la Commission des Finances, qu'une nouvelle politique de coopération était souhaitable ;
– en demandant, M. le rapporteur de la Commission de la Défense, une rectification des bases d'une coopération plus franche et plus claire ;
– en soulignant, M. le rapporteur de la Commission des Affaires Étrangères, les nécessaires inflexions de notre politique.
C'est en me fondant désormais sur les principes de rigueur, de confiance et d'obligation de résultats que j'entends désormais conduire notre coopération.
La rigueur d'abord.
Confrontés à des difficultés financières sans précédent, nombre de nos partenaires sont en totale rupture avec les institutions de Bretton Woods. Les flux d'investissement nécessaires à la reprise leur sont fermés.
Il n'est plus possible de voir prolonger cette situation qui condamne nos concours financiers à ne plus jouer de rôle économique.
Dans un tel contexte, fallait-il continuer à alimenter les trésoreries sans être assurés de l'adoption de mesures restaurant les équilibres ?
Une clarification de nos interventions m'a donc conduit, en application de la position que le Premier ministre a tenu à expliquer lui-même aux Chefs de Gouvernement concernés, à décider que nos concours financiers ne seront désormais libérés qu'en faveur des États ayant conclu avec la communauté financière internationale des accords de programme.
Ceci ne remet pas en cause notre conception du fonctionnement de la Zone Franc, et notamment, M. le rapporteur de la Commission des Finances, notre position en faveur de la parité actuelle du franc CFA.
Nous sommes, devant les institutions de Bretton Woods, les avocats de nos partenaires africains, de ceux qui changent et qui adoptent cette rigueur que nous nous imposons à nous-mêmes.
Certains s'engagent maintenant dans cette voie et, adoptent des mesures courageuses.
La suspension du rachat des billets émis par la BCEAO et la BEAC et exportés hors du territoire des pays africains membre de la Zone Franc, a été une mesure audacieuse, indispensable en raison de la fuite des capitaux. En effet, depuis le début de l'année 93, le volume mensuel de sorties de billets était de 1 milliard de francs français.
Sans cette décision, 12 milliards de francs français auraient dû être rachetés par la Banque de France, en vertu de nos accords monétaires.
Elle a été décidée par les Africains eux-mêmes et témoigne de cette prise de conscience.
La confiance, ensuite, parce que c'est la constante de notre politique africaine. Il y a dans notre pays un extraordinaire capital d'amitié, de fidélité, d'intérêt pour l'Afrique.
Je n'oublie pas l'appui que dans les périodes difficiles, l'Afrique a apporté à la France, le prix du sang versé pour la défense d'une même patrie, les combats communs qui ont été gagnés.
Comment ne pas entretenir cette confiance, quand on sait qu'elle se fonde aussi sur une communauté d'intérêts, alors que 1 300 entreprises françaises travaillent en Afrique, et que le chiffre d'affaires qu'elles y réalisent est de cinq fois supérieur au montant de notre aide publique ? Alors que 150 000 de nos compatriotes sont établis en Afrique, contribuant ainsi à notre propre rayonnement ?
Je partage avec vous, Messieurs les rapporteurs, l'idée que le « champ » traduit les relations spécifiques que la France entretient avec certains États, et que notre engagement privilégié dans cette zone doit être indiscutable.
Je prends acte de votre souhait d'élargir à d'autres États africains cette aire de coopération.
Confiance aussi dans l'évolution des processus politiques en Afrique, où les échecs et les fragilités du moment ne doivent pas nous faire perdre de vue l'objectif de démocratisation.
Comme nous l'avons fait en Centrafrique, où aujourd'hui un président de la République issu d'élections libres est investi, comme nous le faisons au Togo, au Gabon, en Guinée, nous mettrons à la disposition de ceux qui souhaitent rejoindre le rang des nations démocratiques et construire un état de droit, une volonté et des moyens.
Une obligation de résultats.
Dans cette nouvelle « donne africaine », nos instruments doivent agir différemment, et certains sont totalement à repenser. J'ai évoqué plus haut nos concours financiers, mais que dire de notre approche des projets, de notre assistance technique, de la coordination de nos moyens ?
L'une des premières priorités est sans doute de privilégier une approche de terrain et de mettre fin à ces ambitieux projets « clés en mains » qui se révéleront vite inadaptés aux conditions locales d'emploi, faute de moyens de fonctionnement ou de formation.
Nous devons mettre fin à cela, car des projets utiles, il y en a, Dieu merci de nombreux exemples que nous devrons multiplier.
Grâce aux crédits directs d'intervention mis à la disposition de nos Missions, nous stimulons des initiatives locales assurant une amélioration immédiate des conditions de vie des plus déshérités : tel projet d'hydraulique rural à Haïti, où dans les Mornes, la construction de citernes villageoises épargne aux enfants la corvée d'eau et rend donc possible à la fois leur scolarisation et une meilleure productivité des cultures. L'hôpital de jour, à Brazzaville, où sont soignés de nombreux malades à coût de structure très faible et sans investissement dispendieux, par une équipe de coopérants.
Une approche judicieuse du terrain peut nous permettre de concevoir des projets ambitieux et exemplaires. Le Centre de transfusion sanguine d'Abidjan, cofinancé avec le FED, me paraît être de ceux-là, l'organisation de la campagne de prévention du Sida en Afrique de l'Ouest augure bien aussi de son succès.
Avec des moyens limités, mais à la condition de les mettre en place avec rigueur et pragmatisme, nous pouvons faire mieux et motiver d'ailleurs plus efficacement nos coopérants qui doivent être encadrés et valorisés.
Mon projet de budget s'efforce donc de refléter ces principes et je vous remercie, Messieurs les rapporteurs, de l'avoir ainsi accueilli.
Six grands thèmes le caractérisent :
– promouvoir l'investissement productif ;
– poursuivre le renouvellement de notre assistance technique ;
– appuyer les politiques d'ajustement ;
– assurer la stabilité des États ;
– diversifier nos actions de coopération ;
– se doter d'une gestion rigoureuse et rationalisée.
Le premier thème traduit la volonté de promouvoir l'investissement productif. Aujourd'hui, plus de la moitié de notre aide aux États est consacrée à payer des dépenses de fonctionnement ; il n'est pas raisonnable de poursuivre dans cette voie. Les crédits dont je disposerai au titre du Fonds d'Aide et de Coopération seront utilisés dans cette perspective. Avec les dons projets dans les PMA mis en œuvre sur mes crédits par la Caisse Française de Développement, ils représentent plus du 1/4 de ce budget.
En ce qui concerne le FAC, le montant des autorisations de programme est stabilisé à son niveau corrigé de 1993.
Je serais très attentif, avec votre concours, à mobiliser les crédits sur de bons projets : dans le développement rural par exemple, il faut relancer les productions vivrières autour des grands centres urbains, redonner du dynamisme aux professionnels des communautés villageoises.
Au Mali, au Cameroun, à Madagascar, des projets en ce sens ont été récemment soumis au FAC : ils vont de l'installation de maraîchers à la périphérie de Bamako à la création de Caisses de Crédit Agricole au Bénin, dans ce dernier pays, en relation avec les agriculteurs français.
Recherchons des projets concrets, directement utiles.
Le deuxième poste de dépenses du ministère représente également le quart du budget ; il s'agit des dépenses d'assistance technique.
Je l'évoquais tout à l'heure, il faut veiller à l'efficacité maximum de cet instrument qui doit être souple et mobile. Sur plus de 4 200 coopérants, les 2/3 sont enseignants. J'ai décidé de poursuivre la déflation des effectifs. Mais elle sera compensée par une meilleure identification des missions et un niveau élevé de technicité des personnels.
Je rends d'ailleurs hommage à la qualité de leur travail, et je mesure à la fois les contraintes, mais aussi la noblesse de leur mission. Je me félicite à cet égard de pouvoir enfin offrir à ceux qui ont regagné la France, les moyens effectifs de le faire, dans le cadre de la Commission interministérielle créée en 1993. Voilà ainsi une revendication vieille de dix ans qui aboutit.
J'ai évoqué largement tout à l'heure le rôle que nous assignons à nos concours financiers. La diminution qu'ils enregistrent dans le projet de budget, vous l'avez noté M. le rapporteur des Affaires étrangères, traduit bien cette orientation, vers moins d'aide à la trésorerie, plus d'aide aux projets.
Le principe de rigueur qui doit présider à l'attribution de ces concours permettra la meilleure utilisation de ce crédit de 1 155 MF, dont 560 MF sont consacrés à la bonification des prêts d'ajustement structurel.
Je veux faire maintenant une place particulière à notre coopération militaire, dont M. le rapporteur de la Commission de la Défense a bien analysé le rôle important dans la constitution de l'état de droit.
Malgré une conjoncture budgétaire difficile, ces crédits sont globalement reconduits à leur niveau corrigé de 1993. Il est vrai au demeurant que l'évolution des effectifs permanents est négative depuis 1988, l'assistance militaire « classique » a perdu en moyenne 38 postes par an.
Je remarque toutefois que des événements conjoncturels ont pu accélérer cette déflation, comme par exemple la fermeture des missions militaires au Togo et au Zaïre. Mais j'observe surtout que notre assistance militaire technique est réorientée vers de nouvelles formes d'appui. Les missions temporaires effectuées par les détachements d'assistants militaires d'instruction (DAMI) se révèlent extrêmement efficaces : ils passeront de 260 en 1993 à 300 en 1994.
En ce qui concerne la formation, dont l'évolution préoccupe également notre rapporteur de la Commission de la Défense, je note que la réorganisation des armées de nos partenaires nécessite un nombre moins élevé de stages. Notre effort de formation doit néanmoins être maintenu à 1 500 stages par an.
J'en viens enfin à nos autres moyens de coopération.
Le programme de bourses et de stages se transforme qualitativement : moins de bourses d'études, plus de bourses d'excellence pour des étudiants de haut niveau.
À l'égard de nos partenaires de la « société civile », notre volonté est d'adopter une attitude ouverte, partenaire et responsable. Ce sujet mériterait à lui seul de longs développements et sera d'ailleurs débattu prochainement avec les ONG que je réunirais à nouveau.
Les ONG vont constater en effet, en ce qui concerne du moins le chapitre budgétaire spécialisé qui les affecte, de sensibles diminutions.
Ces économies participent de l'effort général de maîtrise des dépenses, mais elles ne sauraient être interprétées comme la marque d'un désengagement.
J'ai souhaité en effet orienter davantage l'appui que nous leur apportons vers le Fac afin de favoriser la complémentarité de nos actions respectives.
Cette procédure garantira également une meilleure transparence dans l'octroi des financements, car ils passeront devant le Comité directeur du FAC au lieu d'être instruits par un bureau. Votre Assemblée pourra d'ailleurs en apprécier elle-même la pertinence puisqu'elle y est représentée.
Je relève que le FAC a en 1992 consacré 31 MF à des cofinancements de projets présentés par les ONG, et qu'en 1993, 55 MF sont programmes, ce mouvement sera confirmé en 1994.
Il appartiendra enfin aux services placés sous mon autorité de mettre en œuvre ces orientations avec le souci de la cohérence et de l'efficacité.
Ceci passe aussi par une coordination accrue des acteurs concernés. J'ai noté les préoccupations très claires de notre rapporteur de la Commission des Affaires étrangères.
Je ne vois pas forcément dans la création d'une agence la meilleure solution à cet égard.
Je m'emploie en tout cas à rechercher constamment les moyens de faire travailler ensemble tous les partenaires concernés, et j'ai demandé à mes services et à ceux de la Caisse Française de Développement de mettre en place un groupe de travail sur la rationalisation de nos réseaux à l'étranger ; ce groupe déposera ses conclusions à la fin de cette année.
Le succès de cette politique, Mesdames et Messieurs, ne sera pas seulement le succès de l'Afrique ; il participera à notre propre redressement.
Si le continent noir a évidemment besoin de rassembler ses ressources et ses talents, de s'attaquer aux fléaux qui l'affaiblissent, de construire, des solidarités prospères, la France a besoin aussi que se bâtisse au Sud une zone de paix et de développement.
C'est en ce sens que la politique de coopération est pleinement intégrée à l'ensemble de l'action gouvernementale, dans la maîtrise des flux migratoires, comme dans l'œuvre de redressement économique.
Il ne saurait y avoir de prospérité dans notre pays si au-dehors le marasme et la misère s'entendent.
Notre pays a été l'un des premiers, lors de la création de ce Ministère, à relever ce défi du développement.
Notre ambition est de continuer, dans le monde, à l'assumer.