Texte intégral
Liaisons Sociales : Quels sont vos objectifs à la tête de la CFE-CGC ?
Marc Vilbenoît : Mon objectif est triple : je voudrais que l'encadrement de ce pays puisse s'identifier à nos analyses et dire, en définitive, « la CFE-CGC connaît les problèmes de l'encadrement, les analyses bien et a un discours à la fois de raison et de volonté qui permet de contribuer à la résolution de nos problèmes ». Mais ce renforcement de l'identification suppose une très bonne connaissance des questions concrètes et syndicales. Deuxième objectif : accentuer une présence visible sur le terrain partout où l'encadrement a des problèmes immédiats. Troisième point : recueillir les fruits de ces orientations en aidant les militants « à faire des adhérents ». Il faut réaffecter les moyens en faveur de l'assistance du terrain. Nous avons de bonnes idées mais nous ne les avons pas assez martelés.
Liaisons Sociales : Pourquoi avez-vous déclaré au congrès que « la logique de l'entreprise est à tentation totalitaire » ?
Marc Vilbenoît : Entre l'entreprise et les cadres ce n'est plus du désamour, c'est de la désillusion. Le personnel d'encadrement qui a été impliqué dans tous les projets et les plans stratégiques a de moins en moins la possibilité de s'écarter de la ligne officielle ou de donner des avis différents. Ce scepticisme est inacceptable. Nous constatons que les directions de la communication et les DRH ont été renforcées, que le projet d'entreprise fait désormais partie de la formation des salariés... Or, l'homme pragmatique que je suis sait qu'il faut toujours des équilibres dans le pouvoir. Un pouvoir sans contre-pouvoir ou sans contrôle a, naturellement, a tentation de ne pas se limiter. Il faut des capacités d'expression d'avis différents. Or, plus les projets d'entreprise sont prégnants, plus l'encadrement qui s'éloigne de la ligne devient suspect, ce qui conduit à la perte de confiance. Notre rôle fondamental, dans une démocratie, c'est d'exprimer collectivement ce que le cadre, le technicien ou l'agent de maîtrise ne peut exprimer individuellement. Nous avons là un rôle à remplir, un virage à ne pas rater.
Liaisons Sociales : Avez-vous l'impression que la liberté de parole des cadres a diminué ?
Marc Vilbenoît : Incontestablement. Ils ont de moins en moins droit à l'analyse critique.
Liaisons Sociales : Souhaitez-vous également revoir la notion de perte de confiance ?
Marc Vilbenoît : Les directions en abusent. Je souhaiterais que les juristes et les experts la cadrent davantage. C'est devenu un motif banal de licenciement, ce qui n'était pas prévu au départ. Il y a donc un travail de fond à mener, suivi de quelques actions exemplaires.
Liaisons Sociales : Vous avez également dit que vous ambitionnez de signer un accord qui n'apporte des droits qu'aux seuls membres de votre organisation. Qu'est-ce que cela signifie ?
Marc Vilbenoît : J'ai, en effet, cet objectif. J'ai quelques idées pour y parvenir. Mais il est prématuré d'en parler, cela risquerait de faire échouer la manœuvre. L'objectif est de dire : l'action syndicale qui a tant apporté à ce pays repose sur les 10 % de salariés qui cotisent et ceux, encore moins nombreux, qui militent. On sait que l'adhésion obligatoire n'est pas une voie. En revanche dans certains pays européens, certains avantages sont liés à l'appartenance au syndicat. Sans revenir au closed-shop, si nous pouvons obtenir une différence pour les adhérents, je ferais tout pour cela.
Liaisons Sociales : Quelle doit-être en France la place de la négociation collective ?
Marc Vilbenoît : Je suis pour la négociation sociale généralisée préalable à l'attribution des aides aux entreprises. Notre organisation a soutenu des politiques telles que la désinflation compétitive qui demandaient pourtant plus d'efforts aux salariés qu'aux entreprises. Mais nous sommes parvenus à la limite de ce système. Le Premier ministre nous exhorte à la négociation sociale. Ce qui nous paraît intéressant. Mais, on ne peut pas négocier sans moyens. Il faut donc utiliser toutes les aides qui peuvent être données après une négociation sociale générale, tant dans les branches que dans les groupes, les sites ou les bassins d'emploi, selon les cas de figure. Je pense que le gouvernement y viendra même si c'est une atteinte à l'orthodoxie libérale. En matière de négociation, la CFECGC n'a aucun tabou si cela peut être favorable à l'emploi. Actuellement, les solutions ne sont pas à la hauteur des enjeux. Il faut une volonté politique et sociale.
Liaisons Sociales : Quelle est votre opinion sur la réduction du temps de travail ?
Marc Vilbenoît : La réduction brutale et généraliste, nous n'y croyons pas. Soyons sincères : qui dit partage du travail dit partage des revenus. Or, partager les revenus clans un ensemble sans cesse décroissant est une solution économiquement nulle qui ne peut qu'entraîner une baisse supplémentaire de la consommation. Il y a dans ce type de mesure un côté généreux mais idéaliste. II n'y aura pas de transfert d'emplois automatique. La réalité est autrement complexe. D'autres pays ne sont-ils pas en train d'allonger cette durée du travail ? En revanche, nous ne sommes pas du tout hostiles, dans le cadre d'un accord de branche ou d'entreprise, à organiser différemment le temps de travail en multipliant les formules de temps partiel.