Interviews de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à France 3, Europe 1 et France 2 le 22 octobre 1993, à RTL et dans "La Tribune Desfossés" le 27 et à France-Inter le 29, sur le conflit d'Air France.

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Média : France 3 - Europe 1 - France 2 - RTL - La Tribune Desfossés - France Inter

Texte intégral

France 3 : 22 octobre 1993

Q. : Est-ce que vous n'avez pas le sentiment qu'il n'y a que des sacrifices à se partager dans cette négociation ?

M. Blondel : Il faut bien resituer les choses. C'est un conflit qui dure depuis le 12 octobre. Je le sais puisque la journée du 12 octobre, nous l'avions lancée. C'est pas un conflit de quelques jours. À partir de ce moment-là, puisque le conflit dure, il fallait ouvrir les négociations. Je regrette qu'elles n'aient pas été ouvertes préalablement. Elles sont ouvertes maintenant ou elles vont essayer. On essaye de trouver le moyen pour que demain ou cette nuit, il y ait des négociations. À partir de ce moment-là, chacun va venir autour de la table avec ses revendications. Elles s'appuient sur quoi les revendications ? Les salariés les plus défavorisés, ceux qui gagnent autour de 7 000 francs par mois, ont 3 000 francs de prime généralement. Ce sont les horaires atypiques, le week-end, c'est un travail pénible, etc. Le plan prévu, annoncé par M. Attali remet en cause, 50 % de ces primes. C'est une affectation de plus de 15 % du salaire. C'est manifestement injuste. En fonction de quoi il y a une réaction ? On indique par ailleurs qu'un accord préalable a conduit à la revalorisation des salaires notamment des pilotes, de l'ordre de 6 %. Ça parait quelque chose d'exorbitant. Et je dirais l'injustice devient encore plus criante. Alors, nous allons s'il y a des négociations, essayer de faire valoir les choses en disant : c'est pas sérieux.

Q. : B. Attali dit que ce plan est destiné à sauver l'entreprise. Encore une fois, n'y a-t-il pas que des sacrifices à partager ?

M. Blondel : Non, parce que une compagnie ça évolue, ce n'est pas quelque chose de statique. Il faut savoir d'abord si nous voulons avoir une compagnie nationale, si l'État veut avoir une compagnie qui soit susceptible d'avoir l'importance que nous devons avoir nous Français, au niveau mondial. On ne va quand même pas faire desservir y compris les pays francophones par d'autres compagnies. Ça mérite des sacrifices. J'attends aussi de la part du gouvernement, un effort pour financer, passer le cap difficile. Il ne faut pas choisir comme objectif : faire des sacrifices, faire des sacrifices... Sinon c'est clair, on va supprimer des lignes, on va supprimer des agents, on va mal les payer. Il n'y aura plus de compagnie. En définitive, il y aura un éclatement.

Q. : Vous dites qu'il faut tenter de renouer la négociation, manifestement les grévistes ne sont pas de votre avis. N'êtes-vous pas coupé de la base ?

M. Blondel : Coupé de la base, c'est nouveau ! Je rappelle, c'est nous qui avons lancé la grève le 12 octobre. Et c'est cette grève qui continue. Qu'est-ce que c'est qu'un syndicat ? C'est une structure de délégation qui négocie pour les gens en fonction de quoi, ce sont les responsables syndicaux qui iront tout à l'heure dire aux gens, voilà ce qu'on nous propose, discussion dans tel cadre, vous acceptez ou pas. La négociation sera possible. Je n'ai jamais vu un conflit qui ne terminait pas par une négociation, ou alors c'est que c'est perdu. C'est ce qu'on appelle : faire pourrir une grève. Ce n'est peut-être pas non plus notre intérêt.

Q. : Comment expliquez-vous qu'on en soit arrivé à tant d'incompréhension entre la direction et le personnel ?

M. Blondel : Je n'ai pas la responsabilité du président Attali. Il y a d'abord un problème de fond, c'est vrai qu'en ce moment, c'est difficile pour les compagnies aériennes avec la déréglementation américaine. Ça prouve d'ailleurs, qu'il vaudrait mieux de la réglementation que de la flexibilité contrairement à ce qu'on dit. Deuxièmement, je crois effectivement que le fait d'avoir traîné et dit des choses variables. Rappelez-vous, quand on a annoncé les 4 000 licenciements, j'ai demandé le gel des licenciements. On a obtenu satisfaction : gel jusqu'au mois de mars. Mais les gens ont peur, ils ont raison. Et moi, j'avais dit ça va permettre justement la réaction d'ici le mois de mars. Elle est là la réaction. Il faut un rapport de force, il est là. Il faut le négocier maintenant, le mieux possible.

Q. : Ne craignez-vous pas un risque de dérapage, débordement ?

M. Blondel : La situation est très tendue, mais un aéroport est un lieu particulier, un lieu où il y a de la population, ce n'est pas une usine qui se ferme. Ça veut dire que l'autorité est dans l'obligation de maintenir certaines garanties et ça irrite les gens. J'ai fait de nombreuses grèves, quand on voit des CRS armés, ça irrite. Ça veut dire qu'il peut y avoir parfois des incidents. Maintenant, je ne le souhaite pas.


Europe 1 : vendredi 22 octobre 1993

C. Nay : À la veille des vacances de la Toussaint, le conflit d'Air France continue et les grévistes ont même averti : « Les gens vont pleurer ce week-end. » Est-ce que vous aviez vu venir ce conflit alors que depuis la mi-septembre il y avait des réunions direction-syndicats qui se passaient à peu près bien ?

M. Blondel : Il est clair quand même que la veille de la Toussaint c'est fortuit. Il y avait un gros problème : compte-tenu de la déréglementation, pour les questions de concurrence ou nous suivions le principe de la déréglementation et à un moment donné, Air France comme toutes les compagnies, était en difficulté et elle devrait prendre des décisions drastiques, en particulier une cure d'assainissement et en particulier des licenciements. On annonçait 4 000 licenciements. Manifestement toutes les discussions entre syndicats et direction ont d'une certaine façon fait traîner les choses, ce qui en soi était bon pour ceux qui avaient du travail. Je rappelle que quand l'annonce des 4 000 licenciements a été faite, j'ai demandé à E. Balladur qu'il gèle, et il a accepté de geler, les licenciements secs jusqu'en mars 94. Mais le problème de fond reste : à savoir est-ce qu'on veut une compagnie nationale, est-ce que la France a une compagnie nationale qui correspond à ses besoins, à sa tradition et à notre responsabilité ? Nous sommes un pays d'aéronautique il ne faut pas l'oublier.

C. Nay : Pensez-vous que ce plan de redressement est vital pour Air France ?

M. Blondel : Je pense que ce plan est nécessaire, vital est un grand mot. On fait beaucoup d'agitation autour de ça.

C. Nay : Air France pourrait mourir comme Panam...

M. Blondel : Oui, j'ai même entendu B. Bosson dire que « les salariés avaient la vie et la mort de la société entre les mains. » On ne dit pas ça au moment où c'est difficile ! Car quand c'était bien, on ne donnait pas la vie et la mort de l'entreprise entre les mains des salariés. Je ne revendique pas ici l'autogestion, il s'agit d'une société nationalisée.

C. Nay : Mais dans une période de déréglementation où le ciel est devenu un espace de concurrence économique ?

M. Blondel : Il eût fallu peut-être que la France se fasse entendre justement dans cette déréglementation.

C. Nay : Ce qu'elle fait, B. Bosson l'a dit hier matin ici même.

M. Blondel : Non, tardivement ! Qu'il le fasse sur cette antenne C'est maintenant trop tard. Il faut se faire entendre au niveau mondial, expliquer qu'on ne peut pas déréglementer. J'ai une petite expérience : quand je voyage je prends toujours Air France. Il y a quelques temps, pour des raisons diverses, j'ai pris un vol américain, j'allais à Washington. Comme mon vol était un vol New-York-Washington-Paris, parce-que l'avion n'était pas rempli de New-York à Washington, j'ai attendu sept heures. Puisqu'on a gelé les licenciements jusqu'en mars, il faut traiter les problèmes immédiats et le problème immédiat est clair : ce sont des gens qui gagnent environ 7 000 francs par mois. Ils ont des suggestions. Ils travaillent le samedi, le dimanche, à 5 heures du matin quand il gèle sur les pistes. C'est une partie des gens qui ont un travail physique par rapport aux autres dans la compagnie. Ils ont environ 3 000 francs de prime. Ce sont ces 3 000 francs de prime que l'on remet en cause et on les redescend à 1 500 francs. Ce sont des gens de 35-40 ans, qui essayent de s'acheter un appartement pour vivre tranquilles ou une petite maison. Tout ça est remis en cause. On ne peut pas dire que ce sont des nantis.

C. Nay : Non, mais ce n'est pas le chômage non plus !

M. Blondel : Alors à ce rythme-là il y a menace du chômage pour tout le monde ! On n'a plus qu'à se taire, attendre et puis accepter d'être complètement dépouillé et cela n'est pas possible. Il n'y a pas que ces gens-là à Air France, il y a beaucoup d'autres catégories. Ne peut-on pas regarder les conditions dans lesquelles, justement, les catégories, secteur par secteur, ont été traitées. On verra qu'il y a là quelque chose qui peut apparaître un peu provocateur pour certains, même si c'est la suite logique d'accords. Et puis enfin, s'est bien une compagnie nationalisée. La France veut-elle encore exister à ce niveau-là ? Il y va du prestige et de l'autorité de la France.

C. Nay : Même au prix de pertes terribles ?

M. Blondel : Pourquoi donne-t-on 9 milliards à Bull ?

C. Nay : Ce n'est pas un modèle. Pour vous oui ?

M. Blondel : Mais on vient bien en subsistance quand même. Est-ce qu'au niveau du transport aérien, un pays comme la France qui est l'un des pays les plus riches au monde, peut se permettre de disparaître, de réduire ses lignes ? N'est-on pas en train, peut-être, d'oublier que c'est une façon pour la France de tenir un certain rang, qu'on essaie de tenir déjà dans différents endroits avec des méthodes tout à fait différentes. Il faut savoir de temps en temps, c'est le rôle du gouvernement, intervenir là où il faut.

C. Nay : Vous voyez une sortie du tunnel ?

M. Blondel : Non seulement j'en vois une, mais je la souhaite, je la demande. J'ai noté que la déclaration d'E. Balladur n'était pas une déclaration de fermeture. Maintenant, j'en appelle à la présidence de B. Attali en lui disant : il faut discuter avec les organisations syndicales le plus rapidement possible, il faut faire avec elles, car justement il y a le plan de licenciement derrière. À la limite, il faudrait que les organisations syndicales et la présidence d'Air France soient alliées pour essayer d'obtenir, vis-à-vis du gouvernement, l'aide dont on a besoin, notamment pour les FNE car il y aura des départs.

C. Nay : Mais le plan de redressement il faut l'abandonner ?

M. Blondel : Je dis qu'il faut le recibler, le modifier et il faut essayer de ne pas sacrifier ceux qui ont les salaires les plus modestes.


France 2 : 22 octobre 1993

H. Sannier : Est-ce que les sacrifices sont répartis équitablement ?

M. Blondel : Pourquoi parler de sacrifices ? Est-ce que la France veut avoir une compagnie nationale d'aviation qui corresponde à l'ambition de la France ? Je dis bien compagnie nationale. Je rappelle que nous avons une réputation dans l'aéronautique. Et que d'une certaine façon, c'est l'ambassadeur de la France.

H. Sannier : Mais pour subsister, il faut faire des sacrifices ?

M. Blondel : Pour subsister, parce qu'il y a un déficit. Ce déficit est dû à quelque chose. Il est dû à la déréglementation. Je n'ai pas entendu beaucoup le gouvernement français se fâcher contre la déréglementation. Ceux que nous avons vus, ceux qui travaillent sur le sol, gagnent environ 7 000 francs. Au-delà, ce sont des primes. Samedi, dimanche, venir travailler à 5 h du matin… On leur met 50 % de leur prime en l'air. Certains même travaillent en plus en heures supplémentaires, cela fera au-delà de 50 %. Quand on gagne en-dessous de 10 000 francs, si on met 1 500 francs voire 1 800 en moins, le pouvoir d'achat est très largement affecté. Ceux qui se font des illusions sur le partage du travail et le partage des revenus, c'est confirmé que ce sont des illusions. Il se trouve de surcroît que notamment les commandants de bord ont vu leur salaire augmenter de 6 % ces derniers temps. C'est une véritable provocation. Quand on demande à tout le monde de faire un sacrifice, si sacrifice il doit y avoir, il faut peut-être l'équilibrer. Cela fait effectivement un bel écart.

H. Sannier : Le plan de redressement prévoit 4 000 suppressions d'emplois. E. Balladur dit qu'il n'y aura pas de licenciements. On comprend mal.

M. Blondel : Lorsqu'on a annoncé 13 000 ou 15 000 licenciements, le même jour, j'ai demandé le gel des licenciements. M. Balladur a répondu que pour les sociétés nationalisées, et notamment Air France, cela serait gelé jusqu'au mois de mars 1994 en attendant la fameuse loi. Cela étant, le gel ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de licenciements. Cela veut dire qu'il n'y aura pas de licenciements secs. Mais on va essayer de faire partir des gens en leur donnant des primes… Là aussi, il faut savoir combien l'État est prêt à mettre pour permettre et pour faciliter les départs. Cela fait, en quelques années, plus de 10 000 licenciements pour la compagnie Air France.

H. Sannier : Quand le Premier ministre en appelle au patriotisme des Français, il a une chance d'être entendu par les employés d'Air France ?

M. Blondel : J'ai autre chose à lui adresser. Je demande au gouvernement de prendre une initiative et pas demain, tout de suite ! Rapidement ! Cet après-midi ! Une initiative pour que les négociations s'engagent parce que le conflit est en train de se transformer. Bientôt, d'autres organisations vont soutenir par solidarité. Quand on voit frapper les gens, il y a un phénomène de solidarité naturelle. Je ne trouve pas cela normal d'ailleurs. C'est très clair.

Que ce soient à la fois des destructions et la réaction et les gaz lacrymogènes, je ne trouve pas cela normal. Mais ces gens-là sont exaspérés. Il faut tout de suite négocier.

H. Sannier : La nomination d'un médiateur, cela pourrait faire avancer les choses ?

M. Blondel : Arrêtons les affaires de médiation. Je les connais trop pour les avoir sollicités à différentes reprises. C'est clair, il s'agit d'un plan orchestré par la présidence. C'est M. Attali le responsable, il le fait sous la tutelle du ministre. Le ministre n'a qu'à prendre l'initiative de provoquer la négociation et M. Attali négociera. Il faut qu'il le fasse et le plus vite possible.

H. Sannier : Vous avez attiré l'attention de Matignon à plusieurs reprises, hier et ce matin.

M. Blondel : Je les massacre à coups de téléphone. Je rappelle que la grève dure depuis le 12 octobre. C'est la grève que j'ai lancée. C'est là que mes amis d'Air France sont allés en grève. Il eut fallu intervenir avant et provoquer la discussion.


RTL : 27 octobre 1993

P. Caloni : Il faut savoir terminer une grève ?

M. Blondel : Cette grève est partie le 12 octobre, à l'appelle de FO, c'est le relais de différentes organisations : la CGT et parfois, dans certains départements, la CFDT. Nous avons lancé la grève, qui tient jusqu'à maintenant, sur le plan social contre les 4 000 licenciements. Nous obtenons satisfaction sur une part des revendications d'une manière très précise, pour le personnel au sol, et pour les plus bas salaires. Lorsque que nous avons obtenu satisfaction, les négociations étant engagées, le ministre dit « on retire le plan ». Je rappelle qu'un ministre ne doit pas mentir, en particulier dans son expression publique.

P. Caloni : Vous laisser supposer que le ministre a pu mentir ?

M. Blondel : Je me souviens qu'il y a une vingtaine d'années, un ministre avait menti, c'était à l'époque de « suivez le bœuf ». Il y a eu un procès très sérieux. C'est là que j'ai appris qu'un ministre ne doit pas mentir dans son expression publique. Il peut mentir à sa famille mais ce n'est pas très moral, surtout lorsqu'on appartient à une organisation politique qui se veut très morale. B. Bosson a dit qu'on retire le plan. On a donc obtenu satisfaction.

P. Caloni : C'était la tête d'Attali qu'on voulait ?

M. Blondel : Je ne crois pas, en tous les cas pas FO, B. Attali, président d'une société nationalisée, fait ce que le gouvernement demande. Je ne crois pas que B. Attali ait présenté un plan social de son plein gré. On lui a suggéré de le faire pour retrouver l'équilibre. C'est la véritable question. Pourquoi va-t-on retrouver l'équilibre ? Dans quel contexte ? Qu'est-ce qu'on veut faire d'Air France ?

Q. P. Caloni : Est-ce qu'Air France a pour vocation de perdre de l'argent ?

M. Blondel : Si c'est une compagnie nationale pourquoi voulez-vous qu'elle ne perde pas d'argent ? Je ne dis pas que c'est la vocation des compagnies nationales de perdre de l'argent, mais une compagnie nationale, on lui crée des charges. Il y a un cahier des charges précis, qui coûte cher. Il faut savoir si on veut oui ou non une compagnie nationale. Moi, je pense qu'il est souhaitable qu'on veuille une compagnie nationale. Air France c'est plus qu'une compagnie aérienne, c'est aussi un pavillon. Lorsqu'on va dans les pays en voie de développement, notamment les pays francophones, l'arrivée de l'avion d'Air France est autre chose qu'un avion de commerce. Si on veut maintenir cela, c'est de l'argent.

P. Caloni : C. Blanc vous inspire quelles réflexions ?

M. Blondel : C'est un homme que je connais bien. Il a été le président de la RATP, il avait été Haut-commissaire en Nouvelle Calédonie, où il avait mené à bien les négociations. J'ai un autre souvenir de C. Blanc comme président de la RATP. Il souhaitait obtenir du Premier ministre de l'époque la possibilité d'avoir un service minimum, c'est-à-dire de remettre en cause le droit de grève spontanée. Il ne l'avait pas obtenu et en avait tiré les conclusions. Il était parti. Je ne voudrais pas qu'il arrive avec le même état d'esprit. Il arrive avec la grève, il ne faudrait pas qu'il arrive avec l'état d'esprit de ne plus pouvoir exercer le droit de grève.

P. Caloni : Le conflit Air France risque-t-il d'inspirer d'autres secteurs du service public ?

M. Blondel : Ce conflit est dur, responsable, efficace, assez bien accepté par les gens, et pourtant il s'agissait de transports. C'est une victoire de l'organisation syndicale. Il y a bien longtemps que nous n'avions pas réussi aussi bien. Le plan est retiré, c'est la victoire la plus large que nous puissions escompter. Cela nous donne quelques idées pour les entreprises nationales dans lesquelles des plans sont en gestation, le rappel les 15 000 licenciements annoncés par toute la presse et qui m'avaient valu de demander le gel des licenciements. La réponse d'E. Balladur indiquait qu'il ne pouvait plus y avoir de plans sociaux avant l'application de la loi – mauvaise, que nous ne souhaitions pas – sur l'emploi, c'est-à-dire avant mars 1994.

Q. P. Caloni : C'est demain ?

M. Blondel : Nous allons regarder maintenant dans les autres sociétés, cela va de Thomson à la SNECMA, en passant par Bull, pour voir comment nous allons pouvoir faire pour limiter au maximum les plans sociaux, voire le cas échéant obtenir qu'on les remette en cause.

P. Caloni : Vous avez le sentiment d'assister à une sorte de renaissance de l'efficacité syndicale ?

M. Blondel : Non seulement j'en ai le sentiment, mais comme je pense en avoir été l'un des artisans, j'en suis fort satisfait. Le 12 octobre avait été fait pour cela. Au total plus de 150 000 personnes dans la rue à cette date.

P. Caloni : Avec un certain nombre de gens qui craignent les privatisations ?

M. Blondel : Avec un phénomène clair. Il y a eu un mouvement de grève bien suivi, plus de 80 %, c'est celui des Télécommunications. Ses salariés ne veulent pas de la privatisation, d'autant plus que G. Longuet a appelé cela « société anonyme », l'emblème même du capital. C'est le chiffon rouge. Il y a, à mon avis, la défense du secteur public comme premier enjeu et cela sera repris dans toutes les actions syndicales qui vont venir. Comme nous avons obtenu satisfaction, il y a non seulement un éveil, mais aussi un crédit. Et je pense que les salariés ont compris qu'il fallait un contrepoids dans ce pays.


La Tribune Desfossés : 27 octobre 1993

La Tribune : Quand pensez-vous que le conflit à Air France va cesser ?

Marc Blondel : Selon moi, ce mardi devrait être le dernier jour du mouvement, son point d'orgue et sa fin.

La Tribune : Un ultime défoulement, en somme…

M. Blondel : Le mot de me choque pas. Les grévistes sont contents d'avoir gagné le match, même s'ils n'ont pas gagné le tournoi. Ce mardi est une sorte de troisième mi-temps, sachant que, dans deux ou trois mois, il faudra peut-être y retourner.

La Tribune : Comment avez-vous interprété la volte-face du gouvernement ?

M. Blondel : Je ne l'ai pas comprise. L'idée de négocier est venue de FO. Le conflit durait depuis le 12 octobre. Or un conflit où il n'y a pas de discussion et un conflit ou l'on perd. J'ai donc pesé pour qu'on discute. Le problème était la méthode. Bernard Attali, qui devait conduire la négociation, n'y mettait aucune bonne volonté, car le plan qu'il devait défendre était celui de Matignon on lui faisait faire le mauvais boulot.

Mais il s'agissait de discuter ce plan. Le gouvernement avait d'ailleurs annoncé qu'il entendait le maintenir. S'il l'a finalement retiré, c'est probablement qu'il a eu peur que, ce mardi, le conflit déborde les transports aériens et s'étende dans le service public.

La Tribune : Cette crainte n'était-elle pas justifiée. Ne pouvait-on pas redouter une jonction avec les mouvements du métro par exemple ?

M. Blondel : Non. Pas dans l'immédiat en tout cas, à moins d'un retour très sérieux du mécontentement à Air France. Pour moi, le conflit était circonscrit au transport aérien et l'appel à la grève à Air Inter ne relevait que de la solidarité.

La Tribune : Et maintenant ?

M. Blondel : Bernard Bosson a eu la sagesse de renvoyer son plan pour Air France à trois mois. Nous allons donc discuter. On ne peut pas faire la grève sans objectif. Il nous faut essayer de construire pour que le nouveau plan soit plus intéressant.

La Tribune : Sur quoi vont porter les négociations ?

M. Blondel : J'ai une inquiétude. Je ne sais pas quel mandat a reçu Christian Blanc. Il est courageux d'accepter Air France, où il arrive sur une grève. Mais à la RATP, qu'il avait quitté sur une autre grève : il avait laissé un petit goût d'amertume. Il était parti parce qu'il n'avait pas obtenu les dispositions législatives réglementant le droit de grève dans les transports. S'il cherche cela à Air France, je lui souhaite bien du plaisir.

Quant au nouveau plan, je m'interroge. Le gouvernement cherchera-t-il cette fois à faire des sacrifices sur le personnel ? À mon avis, le gouvernement va remettre de l'argent, tenter une restructuration avec financements publics, sous réserve des règlements communautaires. Je me demande si le gouvernement ne va pas tenter d'assainir Air France le plus vite possible afin de privatiser.


France Inter : 29 octobre 1993

J.-L. Hees : Qu'est-ce qui se passe entre les syndicats et Air France ? Qu'est-ce que vous pensez de C. Blanc ?

M. Blondel : Nous avons suspendu la grève depuis quelques jours mais nous l'avons suspendue parce que nous avions obtenu satisfaction. Le fait que M. Blanc dise : on abandonne le plan PR2, le plan Attali, ce n'est que la confirmation de ce que M. Bosson avait dit à l'Assemblée, en public, devant vos micros. Un ministre, cela n'a pas le droit de mentir dans l'exercice de ses fonctions. Cela nous suffisait. Nous nous battions contre cela. Je suis quelque peu ennuyé de ces queues de grève par ce que cela remet en cause l'impact du mouvement qui avait été apprécié, y compris par l'opinion publique, et pourtant il s'agissait de transport. Il ne faut surtout pas essayer de le faire durer pour un rien. Que va faire M. Blanc ? Réunir les organisations syndicales. J'aurais aimé qu'il réserve la primeur de ses déclarations aux organisations syndicales mandatées à cet effet.

J.-L. Hees : Pourquoi cela ?

M. Blondel : Parce que c'est là que cela se négocie. Il parle du mouvement ouvrier, on connaît bien cela. Généralement, les conditions de reprise du travail se négocient entre les organisations syndicales et la direction et quand on ne paye pas les jours de grève, on anticipe sur des phénomènes d'heures supplémentaires, de compensations, etc. Cela se négocie.

J.-L. Hees : Mais justement, il a une méthode particulière ?

M. Blondel : Oui, il va, comme il dit, à la base. J'aimerais qu'il y aille souvent. Il y est allé un peu vite. Il faudra voir si dans trois mois il y retournera. C'est un homme de qualité, c'est un bon gestionnaire, un homme courageux. Il faut l'être pour accepter la présidence d'Air France. Les mauvaises langues disent qu'il y a eu 30 sollicitations et que c'est lui qui a accepté. Mais je sais aussi que M. Blanc a quitté la RATP parce qu'il voulait réglementer le droit de grève et le gouvernement ne l'a pas soutenu à l'époque et puis j'y étais pour quelque chose, nous étions contre, et j'ai eu un petit peu peur qu'il arrive avec cette idée. Ce qui compte, c'est remettre la compagnie nationale dans une gestion efficace et il faut essayer de se battre contre la déréglementation. Les organisations syndicales accepteront de participer au PRE3 en essayant de faire que cela n'ait pas de conséquences sur les salariés.

J.-L. Hees : Qu'est-ce qui se passe entre les syndicats et Air France ?

M. Blondel : Il se passe beaucoup de choses, comme toujours à la fin d'une grève. Nous sommes en positions majoritaire et la grève est partie du 12 octobre, l'initiative de FO. On a gagné. C'est quand même la première fois depuis 10 ans qu'un gouvernement recule. Il abandonne le plan social. Il y a toute une série d'entreprises nationalisées dans lesquelles il y a des plans sociaux. Voilà un exemple qu'il faut que nous utilisions. Toutes les organisations syndicales ne sont pas obligatoirement satisfaites de ce résultat. J'ai le sentiment que certaines voudraient toujours garder une espèce de foyer, je ne parle pas des extrémistes. C'est vrai aussi du côté d'Air France. On m'a appris qu'hier M. Blanc est allé à Roissy pour la première fois. Pendant qu'il était à Roissy, bien qu'on ait déclaré que le PR2 était abandonné, on a fait distribuer le projet de filialisation de la maintenance. C'est-à-dire qu'en gros, on aurait voulu relancer la grève qu'on n'aurait pas fait mieux. Cela ne peut pas être les syndicats qui ont fait cela. C'est obligatoirement la direction. Si j'avais une suggestion à faire à M. Blanc, c'est qu'il vérifie bien la fiabilité de son encadrement. Il est possible qu'on lui mette aussi des petits pétards.

J.-L. Hees : Quel est votre avis sur la séparation entre les nantis et la base ?

M. Blondel : Vous voulez dire entre les pilotes et les rampants. Je ne suis pas d'accord avec ces appréciations à l'emporte-pièce. Les pilotes font un métier difficile, ce ne sont pas des nantis. Mais il y a plus de pilotes qu'il n'en faudrait. Deuxièmement, il est possible que le métier de pilote ait beaucoup évolué. Ce qui veut dire qu'il y a peut-être des avantages techniques qui sont plus ou moins obsolètes. Cela se discute. Je sais que le PR2 n'était pas juste. Les gens qui étaient sur la piste, on leur coupait la moitié des primes, pendant que les pilotes on leur augmentait les salaires.

B. Jeanperrin : Quelle va être votre stratégie ? Cela devra quand même être un plan social qu'il va falloir que vous négociez ?

M. Blondel : Je ne souhaite pas que les organisations syndicales gèrent le plan social. Je souhaite la transparence, qu'elles expliquent là où il y a des frottements, là où la productivité pourra être améliorée, etc. J'ai la garantie que jusqu'au mois de mars, il n'y aura pas de licenciements. Je commence à faire pression sur le gouvernement à la fois pour une aide financière importante, il faut recapitaliser, et deuxièmement pour les FNE pour permettre aux gens de partir plus tôt.

J.-L. Hees : Quelles sont les conséquences de la grève pour le gouvernement ?

M. Blondel : Certains pensent que c'est le syndrome de mai 68 pour M. Balladur. Moi je dirais plutôt que M. Bosson a découvert l'importance du plan Attali. Dans les contacts que j'ai pu avoir avec M. Bosson, toutes les fois où il a regardé, il a été sidéré par les conséquences. Je crois que c'est lui qui a pesé. Je ne crois pas encore au syndrome de mai 68.

Q. J.-L. Hees : Une question dans la salle : est-ce que cette défaite sociale pour le Premier ministre n'est pas une victoire politique pour préserver sa popularité ?

M. Blondel : Je dis partout que c'est le premier communiquant de ce pays. Le Premier ministre est un grand communiquant. Ce que vous venez d'expliquer, c'est la façon dont il va traiter le sujet. Je ne suis pas sûr qu'au départ, ce soit cela. Mais je suis sûr qu'il saura valoriser le fait qu'il a reculé. Il dira qu'il est attaché au service publie… Voilà que M. Longuet aussi recule et remet en cause la privatisation de France Telecom. La sagesse commence à l'emporter. M. Balladur a accepté que M. Bosson revienne sur son plan, tant mieux. Je suis bien obligé de commenter cela comme un recul, mais je ne parle ni de victoire, ni de défaite.