Déclaration de M. Michel Giraud, ministre du travail de l'emploi et de la formation professionnelle, sur le bilan de l'action de l'ANACT (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail), ses compétences et son évolution depuis vingt ans, Paris le 10 décembre 1993.

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Intervenant(s) : 
  • Michel Giraud - Ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle

Circonstance : Commémoration du 20ème anniversaire de l'ANACT (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail) à Paris, Maison de la Chimie, le 10 décembre 1993

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs, représentant les confédérations d'employeurs et de salariés, les milieux du conseil, de la recherche, de la médecine du travail, les services déconcentrés de l'État, les collectivités territoriales,
Monsieur le Président du Conseil d'Administration de l'ANACT,
Mesdames, Messieurs, les membres du conseil d'administration, salariés et anciens salariés de l'ANACT.

On dit souvent que 20 ans, c'est le plus bel âge. C'est pour l'ANACT, une étape importante qui permet à la fois de faire un bilan et d'appréhender l'avenir enrichi des expériences vécues.

Le vingtième anniversaire de l'Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail m'offre l'opportunité de revenir sur vingt années de mutations économiques et sociales, de prendre appui sur l'acquis pour mieux définir certains des enjeux de cette fin de siècle.

Depuis la création de l'Agence, le pays a traversé trois périodes, chacune marquée par un contexte social, économique et culturel particulier.

À ces trois périodes, l'Agence s'est adaptée, faisant preuve, par là même, d'un esprit évolutif et imaginatif.

La première période est celle des années 70 : ouverture de l'économie française, croissance rapide, forte conflictualité sociale, critiques du taylorisme et des travaux pénibles, émergence de la négociation d'entreprise, changements technologiques avec les débuts de l'informatisation.

L'Agence suit les premières expériences d'enrichissement des tâches et d'équipes semi-autonomes.

Loin de préconiser un nouveau modèle universel, l'Agence élabore progressivement des méthodes de changement de l'organisation du travail, méthodes que l'on pourra ensuite adapter à de multiples situations.

En matière de sécurité et de nuisances au travail, elle complète l'action de définition des normes et de contrôle de l'INRS, des services de l'État et de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie.

Elle favorise la participation des utilisateurs à l'élaboration et à la mise en œuvre des projets d'investissement. Des appels d'offres sur l'architecture industrielle aux travaux de l'ergonomie des logiciels, l'ANACT incite architectes, sociétés d'ingénierie et informaticiens à mieux prendre en compte l'activité de travail en amont de la conception des installations.

Elle s'appuie pour cela, à partir de 1977, sur les moyens du Fonds pour l'Amélioration des Conditions de Travail afin de valoriser les opérations innovantes.

Elle engage les premières réflexions sur les « coûts cachés » des mauvaises conditions de travail, du turnover ou de la non-qualité, qui ont généré les premières études sur de « nouveaux critères de gestion ».

Si l'ANACT a fait, parmi d'autres, œuvre de pionnier, on sait que l'ensemble de ces sujets demeurent d'actualité.

La deuxième période s'ouvre, vers 1983, sur la prise de conscience collective du ralentissement durable de la croissance, entraînant restructurations industrielles et montée du chômage.

Parallèlement, face à la pression de la concurrence internationale, l'entreprise est peu à peu reconnue comme source des richesses et, donc, d'emplois. En même temps que l'image même et le rôle de l'entreprise sont mieux perçus, l'analyse des facteurs favorisant sa compétitivité évolue : on comprend alors que la compétitivité n'est pas seulement affaire d'économie d'échelle ou de productivité. Elle se mesure également en termes de qualité des produits, de fiabilité des installations, de délais de livraison…

De ce fait, il était logique que la qualité des conditions de travail, de son organisation, la mobilisation des compétences individuelles et collectives des salariés deviennent des facteurs essentiels de la performance.

À la suite du rapport d'Antoine Riboud « modernisation, mode d'emploi » de 1987, Jean-Pierre Soisson et Martine Aubry mettent l'accent sur l'enjeu de la « modernisation négociée » et du « changement du travail ». Dès lors, les services déconcentrés du Ministère voient leur rôle évoluer. À la fonction de contrôle, s'ajoute une fonction de conseil aux entreprises.

Dans ce contexte, la recherche d'une amélioration conjointe de la situation des salariés et de l'efficacité des organisations trouve une actualité renforcée.

L'ANACT accompagne alors les premières expériences d'aménagement et de réduction de la durée du travail, s'intéresse à la mise en place d'îlots de production, d'organisations en « juste à temps », ou aux démarches qualité.

Elle développe des méthodes de simulation de l'activité qui s'appuient sur les expertises existantes au sein de l'entreprise.

Elle contribue au développement de la gestion anticipée des compétences, en favorisant la prise en compte, dans les procédures de changements, d'un volet formation.

Dans cette optique, la pratique de l'ANACT a évolué par rapport à celle des années 70, en favorisant :

– le développement de l'intervention directe dans les entreprises, comme moyen d'expérimenter des méthodes de changements technologiques et d'organisation ;
– la mise en place de diagnostics courts pour aider le chef d'entreprise ou d'établissement à préciser un projet et à engager une évolution participative et concertée ; 
– la priorité au transfert de méthodes aux PME-PMI. Cette priorité s'est traduite, sur le terrain, par la mise en place progressive, à partir de 1983, d'un réseau d'Actions Régionales cofinancées avec les Conseils Régionaux : 10 à ce jour, dont un conseil régional d'Outre-Mer ; 13 ou 14 prochainement. À ce développement du réseau régional, s'est ajoutée, en 1993, la localisation de la majeure partie des forces de l'ANACT à Lyon.

Parallèlement, des partenariats avec les consultants, les chercheurs et l'ensemble des acteurs économiques et sociaux se sont développés.

La troisième période, c'est celle qui correspond à la phase de forte aggravation du chômage qui atteint aujourd'hui 12 % de la population active. Arrêter sa progression, pour en inverser ensuite la courbe, constitue la préoccupation obsessionnelle du Gouvernement.

Si le défi de l'emploi met en jeu les équilibres économiques, commerciaux et monétaires en Europe et dans le monde, il se relève aussi, sur le terrain, dans les entreprises. Il mobilise, quotidiennement, les services du Ministère du Travail.

La démarche doit être globale.

Il y a, en effet, un lien étroit entre la politique de l'emploi, l'organisation et la durée du travail, et le développement de la formation professionnelle. C'est pourquoi la loi quinquennale que le parlement vient de voter recouvre l'ensemble de ces secteurs.

Un de ses objectifs est d'introduire une véritable souplesse dans le fonctionnement et la gestion des entreprises tout en simplifiant procédures et contraintes administratives.

Tel est d'abord le but de l'allègement des cotisations d'allocations familiales sur les bas salaires qui soulagera progressivement les entreprises, du chèque-service dont la simplicité permettra le développement des emplois de service.

La souplesse, c'est également encourager la flexibilité interne par l'annualisation liée à la réduction du temps de travail, le développement du temps partiel, c'est aussi pouvoir répondre aux difficultés conjoncturelles prolongées, ce que permet l'instauration du temps réduit indemnisé de longue durée.

De manière globale, la loi fait appel au dialogue social, à la négociation et, en tant que de besoin, à l'expérimentation.

Celle-ci est d'autant plus nécessaire que les réalités des entreprises sont beaucoup plus diverses que ne le reconnaissent ceux qui s'accrochent aux solutions universelles.

J'attends désormais de l'ANACT qu'elle accroisse ses compétences et mobilise ses réseaux, en particulier pour faciliter l'expérimentation sur les questions relatives au travail non seulement dans les entreprises mais également dans certaines administrations qui s'engagent dans ce type d'initiative.

L'ANACT a vocation à être pôle et relais de compétences :

1. Pôle et relais de compétences pour la prévention des risques professionnels : l'innovation en matière d'organisation du travail doit s'accompagner d'une action volontariste sur les conditions de travail. Les effets sur la santé et la sécurité doivent être considérés comme une préoccupation primordiale, y compris dans le cadre de la recherche d'une plus grande flexibilité.

2. Pôle et relais de compétences pour la conduite des adaptations structurelles qui, tout en améliorant la qualité des produits et la capacité de réactions des entreprises, se traduisent par une amélioration de la situation des salariés.

3. Pôle et relais de compétences pour le développement de la flexibilité interne, notamment par l'aménagement et la réduction du temps de travail

4. Pôle et relais de compétences pour la prévention de l'exclusion, notamment de celle des salariés vieillissants.

L'Agence a, parallèlement, vocation à être carrefour d'expériences :

– par ses publications ;

– par les rencontres qu'elle anime, mais aussi par le lancement de deux actions nouvelles :
1. La mise au point par l'ANACT, en liaison avec l'ANDCP, d'un fichier et d'une base de données sur les réalisations des entreprises dans le domaine de l'organisation du travail. 
2. La mise en place d'un véritable tableau de bord de suivi et d'évaluation des réalisations. Il s'agit de faire en sorte, d'une part, que les réussites et les difficultés des uns aident les autres à entreprendre, d'autre part, que le Ministère du Travail puisse piloter son action à partir de l'évaluation des résultats enregistrés.

Pour atteindre ces objectifs, l'ANACT doit renforcer le conseil aux entreprises, en particulier aux PME-PMI qui représenteront de plus en plus la trame de notre tissu économique.

Elle doit le faire en liaison étroite avec les directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, avec les inspecteurs du travail qui sont en contact quotidien avec les acteurs économiques du terrain.

Avec la Direction des Relations du Travail, et les services déconcentrés qui gèrent le FACT, elle doit également continuer à aider les entreprises qui mènent des opérations exemplaires d'amélioration des conditions de travail ou d'approche ergonomique dans la conception des installations.

Sachez que j'ai l'intention de rassembler ces orientations et ces moyens dans un contrat d'objectifs pour les cinq prochaines années.

Ces 20 années ont permis à l'ANACT d'acquérir une autorité reconnue en matière de services aux acteurs de la transformation sociale.

Elles valident le choix initial du législateur et des partenaires sociaux en offrant un point d'appui précieux aux entreprises qui s'attachent à prendre un temps d'avance sur le temps.

L'Agence est aujourd'hui confrontée à un objectif ambitieux, celui de la modernisation économique et sociale par l'approche du travail et de ses conditions d'exercice qui fondent sa mission.

Le travail est en pleine mutation : il se développe essentiellement dans le secteur tertiaire ; sa durée relative diminue du fait de la prolongation de la scolarité en même temps que de l'espérance de vie ; la notion d'emploi à vie disparaît ; les salariés sont et seront de plus en plus mobiles ; ils alterneront de plus en plus périodes de travail et périodes de formation ; les frontières entre activités marchandes et non marchandes s'estompent…

Le travail n'en demeure pas moins facteur essentiel de l'insertion des personnes et de la cohésion sociale.

Transformer l'organisation du travail, créer et protéger les emplois sont les deux fronts d'une même bataille. Il nous faut la gagner ensemble.