Discours de M. Jacques Chirac, président du RPR, sur sa confiance en la jeunesse et les valeurs essentielles de la société, Strasbourg le 5 septembre 1993.

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Circonstance : 11e université d'été des jeunes du RPR, à Strasbourg les 4 et 5 septembre 1993

Texte intégral

Mes Chers Compagnons,

Il est temps, maintenant, de conclure notre dialogue et nos journées de Strasbourg.

Pendant ces deux jours, nous avons évoqué les problèmes actuels de la France et des Français. Nous l'avons fait avec conviction et je remercie tous ceux qui ont dirigé les travaux et ceux qui sont intervenus, maintenant avec vous, je souhaite regarder au-delà, je souhaite voir plus loin.

Mais je voudrais d'abord vous livrer un sentiment.

Depuis longtemps, j'observe et j'écoute. Je l'ai fait tout particulièrement lors de la dernière campagne électorale dans laquelle, vous le savez, je me suis engagé corps et âme et que j'ai conduite avec foi, avec pour seul objectif celui de donner à la France la majorité la plus large, la plus unie et la plus déterminée possible, condition première de son redressement.

J'ai aussi beaucoup réfléchi pour comprendre les fondements de l'inquiétude des Français et le manque d'assurance de la France quant à son destin.

Dans ce climat où chacun semble douter des réponses à apporter, je voudrais souligner le réconfort extraordinaire que procure la jeunesse française d'aujourd'hui.

Je pense à vous bien sûr, dont le cœur regorge d'espoir et d'idéal et dont l'engagement a été décisif pour la victoire de mars dernier. Je l'ai vu sur le terrain et je veux vous en remercier.

Mais je pense aussi à tous ces jeunes avec qui j'ai dialogué dans nos écoles, dans nos universités, dans nos centres d'apprentissage. Ils évoquent les problèmes avec sérieux et souvent de façon nouvelle. Ils méritent qu'on les entende et que l'on réponde clairement aux questions qu'ils se posent.

Je pense enfin à ces jeunes militants d'associations que j'ai vu travailler dans bien des quartiers ou des banlieues défavorisés. Ils mettent tout leur cœur pour aider les plus désorientés, ceux qui, faute de rêve, d'identité, de travail ou d'idéal se jettent dans tout ce qui leur permet de fuir le présent et notamment dans la drogue ou la violence.

De tout cela nous pouvons tous être fiers.

Ce sentiment de fierté, je l'éprouve aussi devant ce qua représente l'avant-garde de la grande famille gaulliste, que vous incarnez. Une famille forte de son histoire, de ses convictions et de ses talents. Jamais notre Mouvement n'a été aussi riche de personnalités. Jamais la perspective de servir n'a été pour lui aussi enthousiasmante.

Gaullistes, nous sommes patriotes. Si nous sommes parfois frondeurs, nous avons l'orgueil de la France. Passionnés de liberté, nous avons le sens des responsabilités, nous connaissons les vertus de l'engagement et des combats personnels. Humanistes, nous croyons en l'homme, en ce combat pour l'homme qui est au cœur de notre démarche. C'est notre identité. C'est notre idéal. C'est ce qui fait notre force.

Les temps sont difficiles, je le sais.

Nous avons longtemps vécu au rythme d'une croissance continue, avec l'idée que chacun pouvait trouver, dans le travail, l'épanouissement et la sécurité. Le plein emploi n'était pas un objectif illusoire.

Aujourd'hui, nous vivons la stagnation voire la récession. La montée du chômage provoque des ravages trop souvent irréparables. Chute des revenus. Glissement dans la pauvreté. Rupture familiale. Marginalité. Le cycle infernal de l'exclusion se développe. L'exclusion ! Un péril majeur dont la France n'a pas encore pris la mesure, mais qui représente déjà le plus grand défi que notre société ait à relever.

Avec le chômage et l'exclusion, c'est l'ensemble du corps social qui est laminé. Ce sont les solidarités qui se distendent, l'insécurité qui s'aggrave, le racisme et l'intolérance qui menacent.

Le chômage et l'exclusion ne laissent rien intact. Ni les hommes qu'ils privent de leur dignité, ni la société dont ils brisent la cohérence. Ne sous-estimons pas le risque de voir peu à peu une culture du chômage se substituer à la culture du travail.

Vos débats ont bien montré qu'à travers ce drame économique et social, c'est tout notre modèle de développement qui vacille.

Nous devons comprendre aujourd'hui que la course à la productivité à tout prix n'est plus la condition de l'excellence et de la compétitivité. Pour avoir perverti les notions de qualité et de service, cette course a rendu notre société plus âpre, plus froide, moins humaine.

Le progrès scientifique, qui a tant apporté à l'homme et qui sans cesse permet de repousser les bornes de la connaissance, présente lui aussi des risques nouveaux. Faute d'être accompagné d'une véritable réflexion morale, il fait peser de lourdes menaces sur nos équilibres de vie.

Camus, Saint-Exupéry, Malraux, ces grands humanistes qui témoignèrent eux aussi des difficultés de leur temps, n'ont pas été remplacés, et notre monde manque cruellement de repères.

Les institutions qui, pendant de longs siècles, constituèrent les meilleurs refuges contre les aléas de l'existence, sont également en crise : la famille, fragilisée par la dispersion des générations et l'instabilité des couples modernes : mais aussi l'État, trop omniprésent pour être efficace dans l'une de ses missions essentielles qui est de construire une société où chacun ait sa place, à commencer par les plus faibles et les plus démunis d'entre nous.

Perte de références. Fin des certitudes. C'est aussi notre vision du monde que la dernière décennie a bouleversée. À la simplicité, certes dramatique, mais au total sécurisante et confortable de la bipolarisation Est-Ouest, qui avait orchestré les relations internationales pendant près d'un demi-siècle, s'est substituée une réalité complexe jusqu'à devenir insaisissable.

Effondrement du communisme. Échec du socialisme. Réveil des nationalismes jusqu'aux portes de l'Europe occidentale. Multiplication des risques de prolifération nucléaire. Rupture entre les économies à forte croissance des nouveaux pays industrialisés et les pays du sud, à faibles ressources, que leur démographie explosive condamnent à une misère inacceptable. Toutes ces mutations marquent la fin d'un certain ordre mondial et l'ouverture d'une période de transition, naturellement plus instable et plus dangereuse.

L'époque des sociétés tranquilles, assurées de leur lendemain, est révolue. Alors que s'ouvrent les portes du troisième millénaire, une nouvelle page de l'histoire s'écrit sous nos yeux. Une page faite de révisions, de doutes, de déchirures.

Faut-il craindre ces changements ? Non, car nous savions depuis longtemps que certaines évolutions qui contestaient à l'homme sa place au centre des choses et sa vocation à être sujet et décideur de sa propre histoire, portaient en germe le principe même de leur échec.

Faut-il anticiper ces changements ? Oui, assurément, et c'est ainsi qu'on retrouvera l'espoir qui a déserté tant de cœurs.

La crise qui cause tant d'angoisses, provoque tant de souffrances, fait tant d'exclus a, si j'ose dire, une vertu : elle force les esprits à évoluer.

Elle exige l'ouverture de perspectives et de voies nouvelles. Elle impose de repenser l'avenir.

Sans oublier un instant les leçons que nous donne l'expérience, nous devons donc porter un regard neuf sur les hommes et sur les choses.

Pour cela, j'ai confiance en notre jeunesse. Cartes elle n'a jamais été confrontée à autant de défis. Jamais elle n'a, à ce point, manqué de garanties sur son avenir. Et pourtant, rarement dans notre histoire, elle est apparue aussi combative, aussi enthousiaste à s'impliquer pour des causes généreuses et essentielles. L'action humanitaire, la lutte contre le sous-développement et la faim dans le monde, la défense des Droits de l'Homme, le combat contre le racisme, la moralisation de la vie publique, la protection de l'environnement. En marge des vieilles idéologies, vous administrez la preuve qu'avec passion et ferveur, il est possible de faire vivre l'espoir. L'espoir d'une société plus humaine, où l'homme qui a la charge de la cité assume celle de la fraternité sociale.

J'ai confiance en vous, jeunes militants du Rassemblement parce que vous incarnez ce que le gaullisme a de meilleur.

Le Général de Gaulle nous a montré la voie : celle d'une perpétuelle remise en cause des conservatismes et des idées reçues quand il s'agit d'adapter la France à l'évolution du monde.

Plus que jamais, ce message reste d'actualité. Un message qui entend concilier liberté individuelle et autorité de l'État, liberté économique et dignité sociale pour tous, unité de la nation et initiative locale. Un message qui met la politique au service de la grandeur du pays et de l'intérêt général. Un message qui permet d'entraîner notre peuple derrière la seule ambition qui vaille : une nation toujours plus rassemblée et plus solidaire.

J'ai confiance en vous, mes chers Compagnons, parce que vous savez que la France peut et doit redevenir un pays exemplaire.

J'ai toujours pense que la France avait des responsabilités particulières à honorer. Principale puissance riveraine d'une mer qui fut le berceau de notre civilisation, elle incarne les valeurs les plus universelles : le respect du droit, l'égalité des chances, la passion de la liberté. Plus que d'autres, notre pays doit désormais montrer l'exemple.

Au terme de ces journées de réflexion qui ont bien marque notre refus de la résignation et de la fatalité, je voudrais vous parler des valeurs qui inspirent mon engagement au service de la société qu'ensemble je vous propose de bâtir.

Je veux d'abord une société où la citoyenneté retrouvera tout son sens.

Chacun de nous ici sait bien eue la France ne sera grande, que nos concitoyens ne seront à la fois heureux et fiers d'être Français, que s'ils s'engagent, que s'ils acceptent d'être les acteurs de leur propre destin. Je veux une France de citoyens adultes et responsables, prenant des initiatives, associés dans toute la mesure des possibilités à la prise des décisions. Vous avez personnellement choisi l'engagement politique et vous avez raison. D'autres, très nombreux, se sont engagés dans la vie associative et l'action bénévole. Leurs efforts doivent être beaucoup plus soutenus par la collectivité qu'ils ne le sont aujourd'hui. L'État, c'est une évidence, ne peut pas tout faire. Il doit faciliter la participation de tous, notamment lorsqu'il s'agit de créer de nouvelles solidarités entre les citoyens.

Cette société, en effet, je la veux aussi plus accueillante et plus solidaire.

La crise est là. On peut disserter à l'Infini sur ses origines. Mais on ne changera rien à la dure réalité : notre économie moderne exclut plus vite qu'elle n'intègre.

À nous d'inventer de nouvelles formes de solidarités, plus concrètes, plus spontanées, peur être plus efficaces. À nous de renouer avec les traditions les plus solides de la famille gaulliste en redonnant au mot justice toute sa signification. À nous de repenser l'organisation du travail pour associer, sur des bases nouvelles, salariés et chefs d'entreprises à la reconquête de l'emploi.

Le progrès social qui est, avec la sécurité de la nation, le but ultime de toute politique au service ces hommes, reste notre objectif essentiel. Ce progrès est toujours possible, même en temps de crise, si l'esprit de solidarité est encouragé et inspire chacun de nos comportements. Le Général de Gaulle a conçu, et nous a donné, un modèle de justice et de protection sociale. Les fins restent les mêmes. Les modalités quant à elles, doivent être adaptées à un temps où le danger majeur est devenu, je le répète, le développement de l'exclusion.

Cette société, je la veux aussi plus proche des préoccupations concrètes de nos compatriotes.

Cela implique, sans aucun doute, que l'on poursuive dans la voie de la décentralisation. Je pense en particulier à l'éducation et à la formation, qu'elle soit générale ou professionnelle. Je pense aussi au monde culturel où tant de talents ne demandent qu'à s'exprimer. Mais décentraliser ne servirait à rien si parallèlement, l'État n'acceptait pas de voir ses représentants exercer localement davantage de compétences. Beaucoup reste à faire dans ce domaine que les experts appellent la déconcentration. C'est ainsi, et seulement ainsi, que l'on construira un véritable État de proximité, au plus près des citoyens et de leurs attentes.

Cette société, je souhaite qu'elle sorte également plus équilibrée.

À l'aube du XXIe siècle, nous revient la responsabilité historique de redessiner le visage de la France. Alors que les déséquilibres se multiplient, alors que l'urbanisation dépasse le seuil de l'acceptable et que nos campagnes se vident de leur substance, un sursaut s'impose. Meilleur partage des ressources entre zones pauvres et zones riches. Maintien de la vie économique et des services publics dans les régions rurales. Réintégration des banlieues déshéritées dans la collectivité nationale. Relance des programmes d'équipement et de développement local. Tels sont quelques-uns des efforts auxquels nous convie une France en quête de plus d'harmonie et de stabilité.

Cette société, je la veux également plus tolérante.

La nation Française est multiple. Elle fait coexister des cultures et des traditions très diverses. Cette diversité, vous le savez est une richesse qui renforce notre génie national et enracine l'esprit de tolérance. Elle ne saurait en rien nuire à l'unité de la nation. Tout simplement parce que notre volonté de vivre ensemble l'emporte sur les forces qui peuvent nous diviser.

Sur le plan politique également, et quelle que soit la force de nos convictions, sachons accepter la diversité. Respectons nos adversaires. Donnons la priorité au débat. Soyons attentifs aux propositions d'où qu'elles viennent. Cherchons toujours à convaincre plutôt qu'à contraindre. Mieux vaut l'adhésion librement consentie que la règlementation. En un mot, sachons pratiquer les vertus du rassemblement, c'est-à-dire la tolérance et le respect mutuel. C'est l'ensemble du peuple français, dans la pluralité de ses opinions, que nous devons servir.

Je veux enfin que la France se remette à parler au monde. Cessant de se rétrécir à l'abri de ses frontières, j'entends qu'elle renoue avec les grandes traditions qui ont fait la gloire de son passé.

Nous ne ferons jamais assez quand il s'agit de favoriser le respect du droit et de la morale internationale, d'aider les peuples pauvres, de soutenir un effort mondial de désarmement, de lutter contre la prolifération nucléaire et le terrorisme, de combattre tout ce qui dégrade notre environnement.

J'entends également que la France continue d'inspirer la construction européenne, même si la tâche est chaque jour plus difficile. La Communauté Européenne, elle aussi, a perdu ses repères et ses certitudes. La construction de l'Europe, qu'elle soit monétaire, commerciale ou politique ne va pas de soi. Elle exige du temps et de la détermination. Elle demande toujours plus de réalisme.

L'Europe, pour progresser, ne doit jamais renoncer à l'essentiel. C'est-à-dire à ses intérêts vitaux. Je pense en particulier à ses intérêts économiques, trop souvent sacrifiés dans le cadre d'une concurrence internationale déloyale. Le libre-échange absolu n'est qu'une vision de l'esprit. À nous d'en tirer les conséquences sans pour autant céder à la tentation du protectionnisme qui, en toute hypothèse, ne peut que nuire à nos intérêts.

Où mieux qu'à Strasbourg, pourrais-je évoquer la nécessité de dépasser le modèle actuel de la construction européenne ? Un modèle devenu étroit où la technocratie l'a emporté sur la démocratie, où le principe de la préférence communautaire a été vidé de son contenu, où l'ouverture à l'Est fait peur plutôt qu'elle ne motive.

À nous de proposer une autre vision de l'Europe, une Europe tirant les conséquences de la disparition du rideau de fer. La Communauté Européenne doit être plus démocratique, plus solidaire dans la défense de ses intérêts économiques et politiques. Elle doit s'élargir dès que possible à l'ensemble de notre continent. Ainsi elle répondra à sa vocation et sera respectée dans le monde. La grandeur de la France, c'est de s'affirmer dans la construction européenne, et non de s'y dissoudre. Tel est notre engagement européen.

Depuis 5 mois, la France est à nouveau gouvernée. Elle est bien gouvernée. Le redressement est engagé.

Le Premier ministre Édouard Balladur et son Gouvernement se sont mis au travail avec détermination et mesure pour réparer les erreurs des socialistes et engager les changements nécessaires.

C'est en confiance et en amitié qu'avec l'ensemble de la majorité, je leur apporte mon appui. Dans les choix difficiles qu'ils ont à faire, ils savent qu'ils peuvent compter sur notre soutien.

Je sais que dans un contexte aussi contraignant que le contexte actuel, les solutions miracles n'existent pas. Il faudra beaucoup de courage, d'efforts, d'imagination et de temps pour guider la France sur la voie du renouveau. Et je veux vous dire aujourd'hui que je mettrai toute mon expérience, toute mon énergie, toute ma foi au service de cette grande ambition.

Mais pour donner ce nouvel élan à la France, j'ai besoin de vous tous. J'ai besoin de votre ardeur. J'ai besoin de votre enthousiasme. J'ai besoin des valeurs que vous incarnez :

La ferveur. Celle qui doit présider à tout engagement. La ferveur contre l'éternel scepticisme, l'éternel égoïsme, l'éternelle indifférence de ceux qui veulent rester d'éternels spectateurs.

La vérité. Nous avons la volonté de rétablir un idéal de vérité, contre les illusions, les faux-semblants, le superficiel qui a dominé les années 80. Ce qui importe, c'est le travail de fond, honnête et rigoureux au service des Français.

Le respect. Respect de vous-même. Respect des autres et de leur différence. La France est une nation indivisible et solidaire. Mais c'est aussi une communauté riche de sa diversité. Je vous le redis : soyez respectueux de cette diversité autant que vous êtes fiers d'être Français.

La fierté. Je voudrais que vous soyez fiers de votre pays, de son passé et de ses atouts. Ne sous-estimons pas la France. Nous avons une histoire dont nous pouvons être fiers. Nous avons des ressources qui font de nous une grande nation. Notre avenir nous appartient.

Mes chers Compagnons, soyez juste, généreux et ambitieux. Et emportez ce soir dans votre cœur ce symbole étonnant de la flèche de la cathédrale de Strasbourg qui, dans son mystère, semble nous montrer l'étoile sur laquelle nous devons fixer notre regard si nous voulons que notre sillon soit droit. Ce sillon que vous et moi sommes déterminés à creuser dans la terre de France, n'est rien d'autre que ce qui doit être pour vous le grand rêve Français.