Interview de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UDC à l'Assemblée nationale, dans "Perspectives sanitaires et sociales" de janvier-février 1993, sur le projet de loi instituant une allocation autonomie dépendance.

Prononcé le 1er janvier 1993

Intervenant(s) : 
  • Jacques Barrot - UDC, Assemblée nationale, président du groupe parlementaire

Média : Perspectives sanitaires et sociales

Texte intégral

Depuis plusieurs années déjà les problèmes posés par la dépendance des personnes âgées interpellent notre société. Pour y répondre le Gouvernement vient de déposer un projet de loi, instituant une allocation autonomie dépendance. Nous avons demandé à M. Jacques Barrot, député et ancien ministre de la santé de nous faire part de ses réflexions sur ce projet de loi, auquel il reproche comme on le verra plus loin, de ne pas instaurer une véritable solidarité nationale.

Perspectives : Le principe du projet de loi déposé par le gouvernement sur l'amélioration de la prise en charge de la dépendance vous paraît-il être une bonne et une nécessaire initiative ?

Jacques Barrot : La prise en charge de la dépendance est devenue une urgence. Le dépôt d'un projet de loi instituant une allocation autonomie dépendance est donc absolument nécessaire. On comprend mal, dès lors, que le gouvernement ait attendu la fin de la session parlementaire pour présenter son texte, le Parlement ne pouvant matériellement pas l'adopter définitivement. Cette initiative n'a, en outre, pas été suffisamment réfléchie : faute de concertation et de négociation, avec les départements en particulier, ce texte n'instaurait pas une véritable solidarité nationale ; faute de perspective d'ensemble, il n'articulait pas de façon intéressante les aides à la personne et celles aux établissements et à la médicalisation. L'amélioration de la prise en charge de la dépendance exige une vraie réforme que ce projet préparé avec précipitation et improvisation n'esquisse pas.

Perspectives : Les conditions d'attribution, le montant de l'allocation dépendance vous paraissent-ils satisfaisants ? Ne s'agit-il pas finalement d'une reconstruction améliorée de l'allocation compensatrice ? Dans le cas contraire quelles seraient les propositions que vous auriez à formuler ?

Jacques Barrot : Le texte proposé n'est qu'un toilettage de l'allocation compensatrice : la prestation, plafonnée à 4 000 F ne serait attribuée qu'à 150 000 bénéficiaires. Ce n'est certes pas inutile puisque la loi de 1975 n'était pas censée concerner les personnes âgées dépendantes et que plus de 15 ans après cette aide n'était plus aussi efficace. Mais nous sommes loin des 450 000 bénéficiaires et du montant maximum de 5 000 F. que préconise la mission parlementaire dans le but d'harmoniser les régimes de prise en charge des personnes handicapées âgées et des personnes âgées dépendantes. Tels sont d'ailleurs le nombre de bénéficiaires et le montant de l'allocation susceptibles de rendre solvables les personnes âgées dépendantes, faute de quoi, la juste prise en charge de leurs frais d'hébergement et leurs dépenses maladies n'est pas effective.

Perspectives : Que pensez-vous des dispositions touchant à la modulation de l'allocation en fonction du degré de dépendance et à la composition de la Commission départementale d'évaluation ?

Jacques Barrot : La dépendance est une réalité très diverse entre la personne, dont la perte d'autonomie est légère et celle dont la dépendance est totale, la dépense engagée pour y faire face sera très variable : la première aura besoin de recourir aux services d'une aide-ménagère tandis que la seconde sera dans l'obligation d'être accueillie dans un établissement d'hébergement. Le montant de l'allocation doit impérativement prendre en compte cette diversité de situation. C'est pourquoi, la mission parlementaire avait prévu six niveaux possibles d'allocation. L'examen du projet de loi ne nous a pas permis de savoir précisément quelle serait la composition de la Commission départementale d'évaluation puisque celle-ci devait être fixée par décret. Mieux vaudrait, en tout état de cause, en confier la présidence au Président du conseil général, dans la mesure où l'allocation versée relève de la compétence du département. Il conviendrait, en outre, qu'elle reflète la participation de tous les partenaires concernés – État, Caisse d'assurance vieillesse et départements.

Le coût de la dépendance : 19 millions

Perspectives : Le financement de cette prestation est porté à la charge des départements. Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu que ce financement soit plutôt à la charge de la solidarité nationale ?

Jacques Barrot : Bien entendu ! Nul n'ignore que les ressources des départements varient beaucoup. Nul ne conteste en outre que la proportion de personnes âgées dépendantes est sensiblement différente selon les départements. La péréquation seule ne suffit donc pas à éviter les distorsions intolérables qui apparaitront très vite dans la prise en charge de la dépendance. En outre, selon le rapport de la mission parlementaire, le coût d'une véritable prise en charge de la dépendance est de 19 milliards, un coût très supérieur aux possibilités des départements. Le financement de la dépendance ne peut donc relever que de la solidarité nationale.

Perspectives : Estimez-vous que le projet risque d'avoir des conséquences bénéfiques pour les établissements et par voie de conséquence pour les personnes âgées qui y résident ?

Jacques Barrot : La mise en place de services polyvalents de maintien à domicile, la poursuite des efforts en faveur de ce même maintien, la mise en œuvre du plan triennal de médicalisation des lits peuvent contribuer à alléger les établissements d'hébergement, à décloisonner les équipements et les services. Ces dispositions prévues par le projet de loi semblent donc bénéfiques aux établissements d'hébergement : de la qualité de l'accueil dans les établissements dépend en grande partie, le bien-être des personnes âgées.

Perspectives : Les modifications apportées à l'obligation alimentaire vous paraissent-elles suffisantes ?

Jacques Barrot : Personnellement, j'aurais, comme l'avait préconisé le groupe de travail, volontiers supprimé l'obligation alimentaire dont la mise en œuvre pose des problèmes au sein des familles. Les mesures retenues par le projet de loi vont dans le bon sens : en réservant l'obligation alimentaire aux ascendants et descendants au premier degré, elles éliminent des occasions de conflits très pénibles.

La solidarité familiale doit demeurer

Perspectives : Que pensez-vous notamment de la mesure qui prévoit une reprise sur succession au-delà de 250 000 F, qui n'existe d'ailleurs pas en matière d'allocation compensatrice ? En d'autres termes n'aurait-il pas fallu être plus libéral, surtout si l'on tient compte de la condition financière précaire de certains descendants directs, souvent à la retraite ?

Jacques Barrot : La solidarité familiale doit demeurer : si on renonçait au recouvrement sur succession on verrait hélas des familles venir recueillir l'héritage, après s'être désintéressés de leurs aînés. La franchise de 250 000 F respecte la possibilité pour les familles les moins favorisées de transmettre un petit patrimoine : elle peut être un peu plus généreuse, et les règles de recouvrement peuvent être assouplies.

Perspectives : Les mesures prise en faveur des associations d'aide à domicile vous paraissent-elles suffisantes ? Ne doit-on pas regretter l'absence de dispositions touchant à la formation ou à la qualification des personnels ?

Jacques Barrot : Les personnes âgées de plus de 70 ans, lorsqu'elles sont employeurs directs ou lorsque les associations intermédiaires mettent du personnel à leur disposition sont exonérées des charges patronales. Les associations d'aide à domicile ne bénéficient pas de cette disposition. Cette distorsion pénalise le réseau associatif et entrave une politique de prévention de la dépendance. Il faudra mettre fin à ces distorsions et organiser une formation de toutes les personnes qui dispensent de soins de vie. Le projet du gouvernement ne prévoyait pas de régler ce contentieux pas plus qu'il n'instituait des dispositions en faveur de la formation ou de la qualification des personnels.

Perspectives : Estimez-vous que la mise en œuvre de ce projet de loi ou d'un projet de loi amélioré devrait être une des grandes préoccupations de la nouvelle législature ? 

Jacques Barrot : Prendre en charge les dépenses de dépendance des personnes âgées devra être une des priorités de la majorité issue des élections de mars prochain. Si l'allongement de l'espérance-vie est un progrès notoire, trop souvent, le sort des anciens, rime avec pauvreté et solitude. L'instauration d'une allocation autonomie et dépendance dont le montant est fonction du degré de dépendance, d'un plafond de ressources et sous réserve de récupération de succession permettra d'offrir aux personnes âgées dépendantes les prises en charge souhaitables auxquelles leurs ressources propres ne permettraient pas de faire face. Seule une solidarité effective à l'échelon national peut apporter la solution à ce problème : c'est un devoir impérieux, c'est aussi une urgence.