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Le Figaro : Quelle a été votre réaction à l'annonce du massacre de sept enfants des rues au Brésil, la semaine dernière ?
Lucette Michaux-Chevry : Celle de tout être humain. Il s'agit d'un acte d'une sauvagerie inimaginable. La situation se dégrade considérablement au Brésil : en cinq mois, 500 gosses ont été victimes de meurtres. Ces enfants, privés du plus petit geste de tendresse, souffrent énormément. Lors d'un voyage au Brésil, J'ai rencontré des bambins de deux ans livrés à eux-mêmes dans la rue, affamés, condamnés à fouiller dans les poubelles pour se nourrir, à se battre pour un morceau de chiffon. Ils dorment souvent près des églises où ils se sentaient protégés. Mais le massacre de Rio prouve qu'ils ne sont même plus à l'abri aux environs des lieux de culte.
Le Figaro : Le président brésilien, Itamar Franco, a manifesté son irritation face aux critiques des pays européens à la suite de la tuerie. Pourquoi, selon vous ?
Lucette Michaux-Chevry : Il faut se garder de voir les événements avec nos seuls yeux d'Occidentaux. La tuerie de Rio nous semble, à nous Français, un acte de barbarie effroyable parce que la France pratique une politique de protection de l'enfance et de la famille très avancée. Ailleurs, la mort est banalisée, l'enfant n'est qu'une bouche à nourrir. L'action humanitaire internationale a précisément pour mission d'obliger les gouvernements à prendre conscience de la gravité de tels actes. Et cela donne des résultats : le président brésilien a annoncé son intention d'ouvrir des centres d'accueil pour les enfants sans domicile fixe de Rio et de réinsertion pour les jeunes délinquants.
Le Figaro : Des enfants sont maltraités partout dans le monde. Quelles sont les exactions les plus fréquentes ?
Lucette Michaux-Chevry : Le massacre de Rio n'est que la surface d'un océan de détresse. Les enfants sont avant tout utilisés dans les guerres. Ils servent de remparts humains dans de nombreux conflits. En Somalie, on connaît les petits "Rambo" du général Aïdid, armés de frondes. Au Cambodge, on ne compte plus les enfants appareillés pour avoir été utilisés dans les opérations de déminage. Ce sont des paravents humains fanatisés, généreux, prêts à donner leur vie pour ce qu'ils considèrent comme une bonne cause. Des adolescents de 18 ans préparent à la guerre des gamins de 12 ans.
Le Figaro : Et la prostitution?
Lucette Michaux-Chevry : C'est le deuxième fléau, particulièrement répandu en Asie. La France vient de s'associer à une campagne contre l'exploitation sexuelle des enfants. Une brochure sera bientôt remise à tout voyageur se rendant dans des pays où se pratique la prostitution enfantine. Enfin, le troisième grand danger est le travail forcé, dans les champs, dans les mines. L'exploitation des enfants qui constituent une main-d'œuvre bon marché est souvent synonyme de désorganisation ou de manque de développement; on exploite les plus faibles.
Le Figaro : Quelles actions la France conduit-elle pour tenter d'enrayer ces atteintes à l'intégrité physique et morale ?
Lucette Michaux-Chevry : Sur le long terme, nous avons constitué un groupe de travail composé de magistrats, d'universitaires, d'organisations non gouvernementales (ONG). Présidé par Claude Fonrojet, adjoint au directeur de l'action humanitaire au ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, il a pour mission de dresser un état des lieux et de faire des propositions concrètes que la France pourrait présenter sur la scène internationale. Cette commission commencera ses travaux au début du mois de septembre et me remettra son rapport avant la fin de l'année.
Le Figaro : Et à plus court terme ?
Lucette Michaux-Chevry : Nous sommes engagés, avec les ONG, dans un programme d'éducation pour les enfants réfugiés bosniaques et croates, un projet sur le Guatemala, une aide médicale aux enfants de Haïti et du Cambodge, une action de soutien aux gamins des rues de Philippines, une campagne de vaccination des enfants de 9 mois à 14 ans en Haïti, la réhabilitation de jardins d'enfants en Croatie, une initiative pour chauffer les écoles en Arménie…
Enfin, nous venons d'adresser au Comité de l'enfant, chargé de surveiller l'application de la Convention des droits de l'enfant, notre premier rapport chaque pays signataire de la Convention s'est engagé à faire de même la situation en France en 1992. L'Europe ne peut pas fermer les yeux devant ces enfants nourris par la violence et la haine qui transposeront, devenus adultes, leur vécu dans la société.
Plusieurs ministères
Le Figaro : Face à l'ampleur de la tâche à accomplir, le budget de votre ministère est-il suffisant ?
Lucette Michaux-Chevry : Bien sûr, nous avons besoin d'argent pour développer ces opérations ponctuelles, mais ce n'est pas le plus important. Les gouvernements n'ont pas les moyens de répondre à toute la détresse internationale, seule une chaîne humaine en est capable. L'essentiel, c'est de favoriser la prise de conscience de chaque individu. En incitant les enfants des sociétés modernes à entretenir des relations avec leurs camarades abandonnés. En multipliant aussi les actions de parrainage.
Je parraine depuis longtemps trois enfants brésiliens que j'ai d'ailleurs rencontrés, cela demande un investissement financier modique. Les centres d'accueil ne suffisent pas ; les enfants sans famille ont besoin de livres, de stylos, de cahiers pour entamer un début de réinsertion. Tout le monde doit s'y mettre. Je mets sur pied une action humanitaire de grande ampleur touchant plusieurs ministères : la Défense avec la création d'un service militaire humanitaire, l'Enseignement supérieur avec la mise en place d'un diplôme universitaire humanitaire, etc. J'ai à plaider le plus beau dossier de ma carrière d'avocate. À la clef, il n'y a pas de verdict mais le sourire d'un enfant.