Interviews de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UDC à l'Assemblée nationale, à Europe 1 et France 2 le 11 mars 1993, sur le vol des déclarations de patrimoine, les nominations de fonctionnaires dans le secteur privé, et la perspective de la victoire de l'UPF aux élections législatives 1993.

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Média : Europe 1 - France 2

Texte intégral

Europe 1 : jeudi 3 mars 1993

J.-P. Elkabbach : Milosevic à Paris, est-ce bon pour la paix ?

J. Barrot : C'est un pari risqué. Au point où nous en sommes, un pari doit être tenté. Mais il doit l'être avec beaucoup de prudence et de fermeté. Il faut que les positions de la France soient claires. Nous ne pouvons pas entériner je ne sais quelle ségrégation ethnique. Si nous nous enlisons complètement, il faut que les Européens soient prêts dans le cadre de l'OTAN ou de l'ONU à aller plus loin dans les mises en garde militaires. Il faut que la fermeté soit au rendez-vous. Il y a deux hypothèses : ou bien c'est l'ultime mise en garde, ou bien c'est le début du renoncement, et ce serait grave.

J.-P. Elkabbach : Croyez-vous qu'on va renoncer ?

J. Barrot : Non, je ne peux, ni ne veut le croire.

J.-P. Elkabbach : Pourquoi un durcissement de ton de la part de P. Bérégovoy ?

J. Barrot : J'aimerais bien aussi que P. Bérégovoy  s'interroge sur toute une série de pratiques. Il monte sur ses grands chevaux à propos d'un cambriolage un peu extravagant. Ce n'est le mystère de la chambre jaune, c'est celui de la chambre rose. Le problème, c'est l'accumulation.

J.-P. Elkabbach : Comment se fait-il qu'on puisse voler de tels documents à l'Assemblée ? Qui a intérêt à les faire disparaître ?

J. Barrot : Je ne suis pas juge d'instruction. Je ne me prends pas pour un enquêteur. Ce fait intervient avec toute une série d'autres faits dont l'accumulation crée dans le pays un doute. Ce sont des pratiques douteuses, il y a des nominations au dernier moment que les citoyens ne comprennent pas. Tout se passe comme si l'administration devenait l'ANPE des cabinets ministériels. Ce sont ces faits que nous ne voulons plus voir. Il faudra bien que la démocratie se dote de règles plus précises: est-il bon qu'il y ait des allers-retours entre la fonction publique et la politique sans certains délais ?

J.-P. Elkabbach : Les socialistes innovent-ils en la matière ?

J. Barrot : À la différence des Italiens, nous avons l'alternance. Elle va avoir un visage moral. Deux mots d'ordre pour demain : l'indépendance de la justice assurée par des attitudes nouvelles de la part des politiques.

J.-P. Elkabbach : Les juges doivent-ils continuer de se comporter comme ils se comportent actuellement ?

J. Barrot : On doit leur donner l'indépendance. Ils ont été pendant longtemps tenus comme les auxiliaires du pouvoir politique. Il y a un sentiment de révolte chez certains d'entre eux. Il faudra qu'ils surmontent cette tendance. Il faut aussi de la transparence et de la clarté. S'il y a besoin de changement de fonctionnaires, il faut dire pourquoi et ne pas donner le sentiment qu'il y a dans l'obscurité des cabinets ministériels des choses qui ne se font pas.

J.-P. Elkabbach : Des gens nommés aujourd'hui pourront-ils être dénommés ?

J. Barrot : Bien entendu, mais il ne s'agit pas non plus d'introduire dans ce pays un système de dépouilles qui n'a rien à voir avec l'esprit français d'une administration impartiale. Nous voulons un État impartial. C'est à cela que la nouvelle majorité doit accorder une grande priorité.

J.-P. Elkabbach : Vous imaginez-vous en poste place Vendôme ?

J. Barrot : Il ne s'agit pas de s'imaginer, mais de réfléchir aux chantiers de la France de demain. La construction d'une démocratie plus transparente est un très grand chantier. Il tente tous les hommes politiques qui veulent rehausser la politique.

J.-P. Elkabbach : Entre l'UDF et le RPR, c'est ric-rac.

J. Barrot : C'est le sprint. Il y a une émulation. La nouvelle majorité sera équilibrée entre les sensibilités différentes ce qui créera la dynamique de la nouvelle alternance.

J.-P. Elkabbach : Sentez-vous l'énervement entre vous et le RPR ?

J. Barrot : Je le sens moins à la base. Il faut que les états-majors retrouvent leur calme.

J.-P. Elkabbach : Est-il indifférent pour vous que le Premier ministre soit RPR ou UDF ?

J. Barrot : Il y a toujours une préférence pour un Premier ministre de sa famille. Ce qui compte, c'est le projet.

J.-P. Elkabbach : Chirac devra-t-il recevoir toutes les semaines le Premier ministre ?

J. Barrot : Cela laisserait penser que le Premier ministre ne serait pas le premier responsable d'une nouvelle majorité. Il faut que le Premier ministre soit le Premier ministre, surtout en cohabitation. Il y a déjà des dysfonctionnements entre l'Élysée et Matignon, si en plus il y a une troisième source de pouvoir, où allons-nous ?

J.-P. Elkabbach : Conseillez-vous à la prochaine Assemblée de réformer la Constitution ?

J. Barrot : Oui, pour tout ce qui concerne la justice. Pas de tergiversations. Il faut avancer dans les réformes, conseil constitutionnel, Cour de justice, conseil de la magistrature. Ce sont des chantiers prioritaires. Quant au reste, c'est non ! Je considère que l'équilibre des pouvoirs, le mandat présidentiel sont des problèmes de fond. On nous propose une espèce de contrôle technique. Ce qui compte, ce sont les chantiers urgents. Il faut que l'alternance ait un visage moral. Je me battrai pour que la démocratie présente un visage plus exemplaire.


France 2  : jeudi 11 mars 1993

G. Leclerc : Les sondages montrent que, pour la première fois l'UDF, passe devant le RPR. Est-ce que cela changerait les données du problème ?

J. Barrot : Ces sondages montrent que c'est du coude à coude, mais c'est bien, c'est l'émulation.

G. Leclerc : Si l'UDF est devant le RPR en nombre de députés, le Premier ministre doit-il être UDF ?

J. Barrot : Il n'y a pas d'automaticité, il y a un préjugé favorable. Je suis de ceux qui ne veulent pas antagoniser les choses. Soyons les meilleurs les uns et les autres pour le bénéfice de l'ensemble.

G. Leclerc : 444 députés pour l'UPF selon BVA, cela ne vous fait pas peur ?

J. Barrot : Cela veut dire que nous devrons être très responsables. Quand on a une confiance, car c'est un oui à une nouvelle majorité, cela veut dire du sang-froid et du courage. Il faudra que nous ne décevions pas.

G. Leclerc : La campagne est assez prudente et terne, qu'en pensez-vous ?

J. Barrot : Sur le terrain, et parce que le socialisme est en très grande difficulté, il y a aussi plus de réflexions et de débats. On débouche sur des problèmes très concrets qui devraient nous mettre sur le bon chemin, celui d'une nouvelle méthode en politique.

G. Leclerc : Parmi ces débats, il y a celui sur la protection sociale. Qu'allez-vous faire ?

J. Barrot : Je fais partie de la commission des comptes de la sécurité sociale et honnêtement, on aurait pu la réunir depuis le mois de juillet. On ne sait pas le montant exact des déficits, on sait simplement qu'ils sont très importants. Il faudra tout mettre sur la table et, s'il le faut, faire appel à un effort, mais qui devra être exceptionnel et assorti de mesures d'adaptation et de réformes de notre système.

G. Leclerc : Cet effort c'est la CSG ?

J. Barrot : Éventuellement, mais une contribution revue et corrigée. On voit mal une contribution qui en plus est imposable au revenu.

G. Leclerc : L'adaptation cela veut-il dire que l'on revoit la retraite à 60 ans ?

J. Barrot : Non. Il faut sortir de ce faux débat. Tout le monde est d'accord pour que chacun puisse partir à 60 ans s'il le veut. En revanche, il faut ouvrir le débat : avec quelle retraite ? Il faut aussi parler des inégalités des retraites. Je suis frappé de voir combien ce débat lancé sur les acquis sociaux a caché l'essentiel des inégalités et des détresses sociales nouvelles. Les personnes âgées et la dépendance, les familles et les petits enfants dans la vie urbaine d'aujourd'hui. Il y en a des choses à faire !

G. Leclerc : Croyez-vous au partage du travail ?

J. Barrot : Je pense que le partage du travail a sa place, mais il faut d'abord essayer d'accroître ce travail, et il ne faut pas faire un partage imposé d'en haut, autoritaire. Il faut que, dans les entreprises, on puisse poser les vraies questions. L'idée n'est pas absurde à condition que dans l'entreprise aussi, il y ait une large consultation des salariés, qu'ils puissent faire des choix ensemble. Je suis même parfois pour des consultations directes des salariés.

G. Leclerc : Et la réforme de la Constitution ?

J. Barrot : Tout ce qui est renforcement de la justice de notre pays, je considère que c'est la priorité des priorités. Rien ne doit nous dissuader de faire ces réformes. Quant au reste, il s'agit d'un contrôle technique. On ne résout aucun problème à commencer par celui de la cohabitation. La prétendue réforme que l'on nous propose ne résout rien dans ce domaine.

G. Leclerc : P. Bérégovoy parle de machination à propos du vol des déclarations de patrimoine ?

J. Barrot : C'est un incident un peu rocambolesque. Ce qui est gênant, c'est qu'il s'insère dans un contexte qui n'est pas clair. Toute une série de pratiques ont introduit le doute, et l'un des grands devoirs de la majorité nouvelle de demain sera de mettre de la clarté en toute chose et de laisser la justice faire son travail.