Texte intégral
RMC : 7 avril 1993
P. Lapousterle : Quels sont les signes du gouvernement qui vous paraîtront importants ?
N. Nota : Le degré de priorité que le gouvernement accordera au chômage, s'il accepte de lever tous les tabous sur les conditions propres à trouver des solutions nouvelles, imaginatives et audacieuses pour l'emploi. Je pense au temps de travail, Cet objectif n'est pas très présent dans le programme des forces qui gouvernent actuellement. L'autre élément de jugement sera la méthode avec laquelle le gouvernement cherchera à résoudre le problème de l'emploi. Si un gouvernement pouvait résoudre le chômage par décret, cela se saurait. Manifestement, il y a besoin de la mobilisation des chefs d'entreprise, des acteurs sociaux. Il est souhaitable que Le Premier ministre réunisse les partenaires sociaux, les implique dans la recherche de solutions, les mette à contribution pour dégager des solutions nouvelles et s'impliquer dans cet effort national.
P. Lapousterle : Les allégements fiscaux vous paraissent-ils une bonne méthode pour réduire le chômage ?
N. Nota : S'il s'agit de procéder à des allégements fiscaux d'une manière globale, nous disons non. La démonstration est désormais faite – l'impôt sur les sociétés étant passé de 50 à 34 % – que l'allégement des charges sociales généralisé n'a pas de conséquence directe sur le problème de l'emploi. Il ne faut pas aller dans cette direction de manière globale car le rapport entre le coût de la mesure et son efficacité est décalé. Par contre, s'il s'agit de regarder de manière ciblée la pression fiscale ou sociale des entreprises, comme l'embauche du premier salarié, les charges sur les emplois non-qualifiés, il faut le faire sans toucher au pouvoir d'achat du Smic.
P. Lapousterle : Les syndicats ne sont pas d'accord entre eux sur le chômage.
N. Nota : Au départ, les positions ne sont pas spontanément convergentes. Il faut mettre les partenaires sociaux autour d'une table. Dans une négociation avec le patronat, les syndicats ne sont pas toujours d'accord entre eux. Au fil de la discussion, les points de vue se rapprochent et nous pouvons parvenir à certains accords. Voilà comment il faut procéder avec le gouvernement.
P. Lapousterle : Le déficit de l'UNEDIC s'est creusé. Faut-il encore augmenter les cotisations ou bien faut-il modifier la façon dont on récolte les cotisations ?
N. Nota : Plus l'effort demandé aux salariés s'accroît, plus nous avons le devoir et la responsabilité de réfléchir à un système qui soit le plus efficient possible. Deux questions de fond se posent : la discussion devra porter sur le degré de responsabilité des syndicats et du gouvernement dans le financement de l'UNEDIC. Quand nous atteignons un niveau de 3 millions de chômeurs, nous donnons des allocations à 2 millions au titre de l'UNEDIC. Il est normal d'interroger l'État, et de se demander si son effort ne doit pas augmenter. Nous sommes d'autant plus fondés à le faire qu'en dix ans, l'effort de l'État s'est restreint : il est passé de 33 % de la charge globale à 23 % aujourd'hui. L'autre question est de savoir comment les entreprises contribuent à cet effort de solidarité. Il faudrait réfléchir à ce que les entreprises cotisent sur la base de la valeur ajoutée, et plus seulement sur la masse salariale. Les entreprises qui commencent à devenir performantes sont celles qui réduisent leurs effectifs et qui contribuent beaucoup moins à l'effort de solidarité. C'est un paradoxe qu'il faut lever. C'est pourquoi nous proposons cette idée de ponction.
P. Lapousterle : Que pensez-vous du ministre du Travail ?
N. Nota : Je ne connais pas M. Giraud. Mais l'activité, les positions qu'il a prises, au Conseil régional d'Ile-de-France, en ce qui concerne le développement de la formation, me semblent bien augurer de ses fonctions. Nous avons demandé à E. Balladur de nous rencontrer rapidement. Nous avons eu un écho à cette demande sans que nous sachions encore le moment où le Premier ministre nous recevra.
P. Lapousterle : Un sans-faute pour Balladur ?
N. Nota : Ce gouvernement n'a pas encore fait d'erreur. La question est de savoir ce que le Premier ministre va annoncer dans sa déclaration de politique générale. C'est là que nous pourrons voir s'il fait du chômage sa priorité essentielle, si l'Europe continue à être l'horizon du pays, si le cap est maintenu sur la protection sociale collective.
P. Lapousterle : Ce qui s'est passé au PS a-t-il des conséquences sur votre organisation ?
N. Nota : Non, je ne le ressens pas ainsi. La vie politique semble troublée à gauche, mais ce qui concerne tout le monde, c'est que les forces politiques parviennent à réanimer le débat d'idées. Si les problèmes politiques devaient se résumer à des luttes intestines, à des rivalités de personnes, rapidement nous serions dans une situation qui ne servirait personne. Je souhaite que ce qui domine soit le renouvellement des projets et des choix de société.
Europe 1 : 13 avril 1993
P. Lapousterle : Quelles décisions attendez-vous contre le chômage ?
N. Nota : Ce serait d'abord de faire l'inventaire de toutes les mesures qui doivent concourir à l'action pour l'emploi. Il y aura là un test sur l'ouverture de ce gouvernement à nous entendre. Ce sera la question du temps de travail.
P. Lapousterle : La priorité n'est-elle pas de favoriser la croissance ?
N. Nota : Oui, nous sommes aussi favorables aux politiques qui visent à réduire les taux d'intérêt. La croissance ne suffit plus à garantir l'emploi, il faut des politiques spécifiques qui passent par des mesures offensives et audacieuses sur le temps de travail.
P. Lapousterle : Savez-vous comment freiner ou réduire les licenciements ?
N. Nota : Je voudrais que les grands groupes accordent autant d'importance à leur action pour leur compétitivité qu'à leur responsabilité sociale. C'est de rechercher une compétitivité qui évite les licenciements.
P. Lapousterle : Quels sacrifices sont acceptables par les salariés ?
N. Nota : Je n'aime pas trop le terme. Effort oui, à condition que les salariés sachent la destination des efforts qu'ils vont consentir. Nous acceptons surtout s'il s'agit de réduire les déficits des régimes sociaux. Il ne faut pas de mesures aveugles sans garantie de contrepartie sur l'emploi.
P. Lapousterle : Jusqu'où iriez-vous dans ces efforts ?
N. Nota : Nous avons une préférence pour la CSG. C'est une mesure qui équilibre, qui est juste dans l'effort qu'elle demande aux différentes catégories de salariés. Le gouvernement réfléchit à d'autres mesures. Nous les jugerons en fonction de ce qu'elles auront comme effet sur les différentes catégories sociales. Nous voulons un effort partagé, un effort équilibré, nous ne voulons pas que ce soient les petits salaires qui supportent au principal l'effort demandé."
P. Lapousterle : Est-on en train d'assister à la renaissance de la politique contractuelle ?
N. Nota : Je veux l'espérer, mais il est encore un peu tôt pour le savoir. Pour le moment, ce gouvernement manifeste de bonnes intentions à l'égard de la concertation, de la négociation avec les syndicats. Bien évidemment, il faudra voir sur quoi ça débouchera. L'enjeu, c'est bien sûr d'écouter mais c'est surtout de faire quelque chose. De ce point de vue, nous ne viendrons pas les mains vides, nous aurons des propositions à faire au gouvernement et nous verrons à ce moment-là si effectivement, c'est une vraie méthode de gouvernement que Balladur a proposée.
P. Lapousterle : Le Premier ministre veut recevoir tous les syndicats ensemble. N'allez-vous pas étaler vos divergences ?
N. Nota : C'est un risque. Il y en a un autre : c'est que le Premier ministre, devant une telle somme de divisions, trouve un prétexte à ne pas poursuivre et ne pas engager avec les syndicats la concertation qu'il a engagée. Pour ce qui nous concerne, nous souhaitons le plus possible aller voir le gouvernement en parlant d'une seule voix, avec des propositions parallèles, convergentes. Je pense à un dossier urgent sur lequel il serait quand même normal que les organisations syndicales fassent converger leurs efforts, c'est l'emploi.
P. Lapousterle : Qu'est-ce que la CFDT propose, ce matin, aux autres syndicats avant d'aller à Matignon ?
N. Nota : Nous leur proposerons, sans forcément faire dans le spectaculaire, de nous rencontrer en préalable et dégager si possible des points communs dans l'intervention que nous aurons à faire.
P. Lapousterle : Est-ce que les vraies décisions peuvent durer ?
N. Nota : Oui, on a le sentiment que le Premier ministre a l'intention de prendre son temps. Il faut un peu de temps pour faire le tour des problèmes. Le Premier ministre sait ce qu'il doit faire sur un certain nombre de mesures, mais il est moins sûr en ce qui concerne les mesures sur les salariés et les chômeurs.
P. Lapousterle : La CFDT est prête à cohabiter avec le gouvernement Balladur ?
N. Nota : Un syndicat n'a pas pour rôle d'être adversaire ou allié d'un gouvernement. Il a à être autonome, d'exercer ses fonctions. Nous le ferons avec M. Balladur comme nous n'avons fait avec les autres.
P. Lapousterle : Pourquoi les syndicats ne s'engagent-ils pas davantage pour aider à résoudre la crise des banlieues ?
N. Nota : Nous n'en parlons pas assez. Ceci étant, le syndicalisme a une responsabilité essentielle. Quand un syndicat ne sait plus proposer des solutions qui visent à ramener vers le noyau dur des salariés organisés ces gens qui sont aujourd'hui marginalisés, il y a effectivement menace et danger. Mais ce n'est pas non plus le signe que nous ne faisons rien. Nous avons justement, dans quelques banlieues parisiennes, fait quelques expérimentations avec les salariés.
P. Lapousterle : Vous parlez des entreprises et des gens qui sont salariés, mais il y a tous les jeunes qui n'ont pas de travail.
N. Nota : C'est à partir des entreprises que nous saurons construire des solutions.
P. Lapousterle : Ça devient un terrain d'action pour les syndicats ?
N. Nota : Oui, nous avons l'intention de le développer davantage pendant les mois qui viennent !