Interviews de MM. Lionel Jospin, député PS, et Dominique Baudis, président exécutif du CDS, dans "L'Express" le 25 mars 1993, sur le mode de scrutin, majoritaire, proportionnel, ou mixte.

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Média : L'Express

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Lionel Jospin. – "Le scrutin majoritaire est injuste"

Lionel Jospin : Notre mode de scrutin uninominal et majoritaire à deux tours est un scrutin, certes, démocratique. D'ailleurs, des modes de scrutin à caractère plus fortement majoritaire encore peuvent exister, tel le scrutin uninominal à un seul tour en Grande-Bretagne. Or personne ne dira que la Grande-Bretagne n'est pas un pays démocratique.

L'Express : Pourtant, certains, en France, tiennent ce type de système électoral pour injuste…

Lionel Jospin : Oui, il l'est. Notre mode de scrutin actuel n'est pas juste, puisque des mouvements politiques obtenant plus de 10 %, voire 15 %, des voix peuvent ne pas avoir de représentants élus à l'Assemblée nationale, comme on pourra, selon toute vraisemblance, le vérifier le 28 mars au soir. Nous avions d'ailleurs, en 1985, restauré la proportionnelle, conformément à la position traditionnelle du Parti socialiste. Mais le reproche nous en avait été fait, car, les écologistes n'existant pratiquement pas à l'époque, c'était le Front national qui avait été alors le seul bénéficiaire de ce système : le FN et ses alliés avaient même pu constituer un groupe parlementaire.

La droite, on le sait, a rétabli le scrutin majoritaire en 1987, et les écologistes, tout comme le Front national, s'estiment depuis, lésés. Il faut savoir, en effet, qu'un mode de scrutin qui permettrait la représentation des écologistes ouvrirait aussi la voie du Palais-Bourbon au Front national.

Je suis favorable, pour ma part, soit au rétablissement d'un scrutin proportionnel intégral (à la manière de 1986), soit à l'introduction d'une dose importante de proportionnelle, ce que l'on appelle un "scrutin mixte". Ce serait pure justice.


Dominique Baudis. – "Il n'existe pas de système idéal"

Dominique Baudis : La France a connu tous les modes de scrutin depuis la Révolution, et cela n'a fait qu'accroitre l'instabilité constitutionnelle dans laquelle se complaisent certains hommes politiques. Ce qui est donc souhaitable, ce sont quelques principes simples. Le premier consiste à ne pas vouloir établir à tout prix le système idéal : il n'existe pas. Je n'ai donc pas de religion préétablie. Encore faut-il placer le débat en dehors du terrain politicien. La manière dont le PS, en 1985, a essayé d'empêcher l'alternance en instaurant la proportionnelle et celle dont il a laissé planer le doute sur ses intentions réelles entre 1988 et 1993 sont indignes d'une démocratie adulte. Il faut que toutes les familles politiques parviennent à un consensus. Afin que la "règle du jeu" cesse d'être un enjeu électoral.

L'Express : Quel système souhaitez-vous ?

Dominique Baudis : Je lui fixe trois objectifs : d'abord, il doit dégager une majorité claire, condition d'efficacité pour le gouvernement et, surtout, moyen de faire apparaître les responsabilités : ensuite, une majorité ne devrait pas être le résultat d'un processus amplificateur excessif ; enfin, le mode de scrutin idéal devrait permettre une représentation raisonnable des différentes forces politiques ayant franchi un certain seuil (10 % des voix, par exemple). Il n'est pas sain, dans une démocratie, qu'un citoyen sur trois ou sur quatre ait le sentiment de ne pas être représenté. Alors, faut-il un système mixte de type allemand dans lequel les électeurs disposent de deux bulletins, un pour le candidat et l'autre pour le parti, le tout sur fond de proportionnelle ? Vaudrait-il mieux essayer d'adapter le système municipal, qui, de l'avis général, donne toute satisfaction, mais n'est pas directement transposable ? Que penser des propositions de la première commission Vedel, qui suggère de garder le mode de scrutin actuel en "instillant" une dose de proportionnelle avec l'élection de 60 députés supplémentaires à la représentation proportionnelle ? Il est urgent de trouver la bonne réponse. Car une telle réforme ne peut intervenir qu'en début de législature, loin des échéances électorales.