Texte intégral
La secrétaire générale de la CFDT Nicole Notat : "La réduction du temps de travail, un bon test de l'ouverture du gouvernement"
Satisfaite, comme la plupart des syndicats, de la réunion à Matignon proposée par le Premier ministre, la CFDT est, contrairement à FO, plutôt favorable à la baisse des charges patronales mais à deux conditions que Nicole Notat précise dans une interview aux "Échos". La secrétaire générale de la CFDT ne renonce pas à la réduction du temps de travail pour développer l'emploi. Alors que le gouvernement s'interroge sur la manière de combler le déficit de la sécurité sociale, elle continue à préconiser le relèvement de la CSG de préférence au recours à la fiscalité, indirecte.
Les Échos : Vous redoutiez, à la lecture de la plate-forme de l'UPF, que le pacte pour l'emploi proposé aux entreprises écarte de fait les syndicats. Or, le Premier ministre vous propose, au contraire, une grande réunion à Matignon et vous semblez, craindre maintenant que les mesures d'urgence soient différées. Vous auriez préféré des mesures bouclées d'avance ?
Nicole Notat : Évidemment non. Nous apprécions, à la CFDT, que le Premier ministre ait affiché, une priorité, selon ses propres termes, "absolue" à l'action pour l'emploi. Et la relance de l'activité dans le bâtiment et les travaux publics correspond à des demandes que nous formulons depuis longtemps. Le Premier ministre entend donner à la concertation avec les organisations syndicales un rôle important, c'est pour nous un motif de satisfaction. Il reste à rendre cette confrontation productive pour qu'elle débouche sur des solutions à la hauteur des problèmes à traiter. À ce stade, il est bon que le contenu des mesures à prendre reste ouvert.
J'espère enfin que le Premier ministre n'entend pas tout régler par la loi où le décret. La réactivation de la politique contractuelle est une clé dans la réussite de l'action pour l'emploi. Je veux croire que cette dimension n'a pas échappé au patronat, qui ne tarit pas d'éloges à l'égard de la politique proposée par le Premier ministre.
Les Échos : Quelle sera, comme le Premier ministre vous y invite, la liste des problèmes sociaux que vous soumettrez au gouvernement fin avril ?
Nicole Notat : La liste sera sans surprise. L'emploi y sera présent dans ses différentes facettes : de l'insertion à la formation en passant par les nouveaux emplois et la réduction du temps de travail. L'avenir des régimes sociaux occupera aussi une bonne place, en particulier celui de l'assurance-chômage.
Les Échos : La CFDT continue à privilégier la réduction du temps de travail dont le Premier ministre n'a pas parlé. Mais que pensez-vous de la réduction des charges ciblée sur les salaires autour du Smic ? Il semble que la réduction des charges ne soit pas du goût des syndicats ?
Nicole Notat : Le Premier ministre a été bien silencieux sur la réduction du temps de travail. Cela ne m'étonne pas vraiment. La seule mention faite au temps partiel ne traduit pas une grande imagination dans ce domaine. Ce thème de la réduction du temps de travail que nous porterons lors des consultations à venir sera un bon test de l'ouverture que le gouvernement fera à nos propositions.
L'allégement des charges patronales sur les bas salaires reçoit notre accord à la condition que les moyens financiers ainsi dégagés soient réellement affectés au développement de l'emploi et que les régimes sociaux n'en soient pas pénalisés. Nous serons fermes sur ces garanties.
Les Échos : La création d'un fonds pour apurer, même partiellement, les comptes de la Sécurité sociale est-elle une bonne idée dans son principe et dans son mode de financement ? Si vous aviez à choisir, préféreriez-vous une augmentation de la TVA ou des droits d'accises ?
Nicole Notat : Dans son principe, l'idée d'un tel fonds, est intéressante si elle ne conduit pas à abandonner l'idée du fonds de solidarité nécessaire au financement des retraites. Quant à son alimentation financière, notre préférence va à la CSG, mais il nous importe surtout que les modalités retenues garantissent que l'effort demandé soit partagé de manière équitable entre les différentes catégories socio-professionnelles.
Les Échos : Comment appréciez-vous les grandes orientations annoncées par le Premier ministre sur la gestion des régimes sociaux ? La plus grande participation des partenaires sociaux va en tout cas dans le sens que vous souhaitez.
Nicole Notat : Les orientations énoncées vont dans le bon sens. Il faut évidemment qu'elles soient traduites dans des mesures concrètes. Nous sommes depuis longtemps favorables à de telles évolutions. Ce ne sont pas les promesses de réformes qui ont manqué dans ce domaine. La volonté affirmée ici se traduira-t-elle cette fois en actes ? Nous le souhaitons.
Les Échos : Le 2 avril, vous avez manifesté pour l'emploi aux côtés de FO et de la CFTC. Est-ce que cela préfigure, sinon un rapprochement, du moins plus de concertation entre les syndicats ?
Nicole Notat : Il faut l'espérer. C'est le souhait de la CFDT. En tout cas, l'étape franchie est de bon augure.
23 avril 1993
Libération
Concertation. Social : "Tester la capacité d'écoute de Balladur"
Organisations patronales et confédérations syndicales sont conviées aujourd'hui à Matignon pour dresser l'inventaire des problèmes sociaux à résoudre. Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, compte notamment soumettre au Premier ministre des propositions sur le partage du travail. Entretien.
Faut-il noter l'habilité balladurienne toujours est-il que la conférence sur les problèmes sociaux qui débute aujourd'hui à Matignon a vu son ordre du jour séparé en deux parties distinctes avec pour chacune d'elle d'eux perspectives différentes. L'emploi et la protection sociale, et, à chaque fois, la discussion sur des mesures d'urgence sur la loi quinquennale que le gouvernement veut proposer rapidement au Parlement. Autant dire que la journée est balisée et que les syndicats et le patronat auront du mal à se sortir de ce cadre fixé par le Premier ministre. Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, souhaite que Balladur dépasse "l'approche classique mais périmée du problème de l'emploi".
Libération : Dans quel état d'esprit vous rendez-vous à Matignon ?
Nicole Notat : La CFDT attend surtout de cette réunion serve à quelque chose. Dans notre esprit, il s'agit du coup d'envoi d'une série de réunions de travail qui conduiront, dans la foulée, à des négociations entre les partenaires sociaux. S'il s'agit seulement de donner notre sentiment aux pouvoirs publics sur les mesures législatives ou réglementaires qu'ils entendent prendre dans les prochains mois, l'intérêt en serait limité. S'il s'agit de créer une dynamique pour améliorer la situation de l'emploi, alors nous nous y rendons avec la volonté d'être constructifs. De notre côté, nous y allons sans a priori. Du côté du gouvernement, nous espérons qu'il n'y aura pas de sujets tabous.
Libération : Mais ne croyez-vous pas que le gouvernement, appuyé sur une majorité imposante et un relatif état de grâce dans l'opinion, dispose d'une marge de manœuvre suffisante pour se contenter d'écouter vos suggestions sans vous associer à l'élaboration de sa politique ?
Nicole Notat : Si tel était le cas, ce serait une lourde erreur. Sur des sujets comme l'emploi, les déficits financiers des régimes sociaux, la relance dans certains secteurs, il ne peut attendre. Il y a urgence. En ce sens, la concertation qui s'engage est importante, mais il va de soi qu'elle doit déboucher sur des décisions et connaître des prolongements. Des négociations entre les partenaires sociaux doivent, en particulier, trouver leur place dans ce dispositif. Pour nous, la négociation constitue la garantie que les mesures économiques et fiscales qui seront prises serviront effectivement à lutter contre le chômage.
Libération : Quels seraient les thèmes que vous voudriez voir retenus ?
Nicole Notat : Le gouvernement veut procéder à des allégements de charges sociales. Or, les allégements précédents ont, certes, profité aux entreprises, mais pas à l'emploi. Cela dure depuis des années. Le CNPF, qui continue à réclamer inlassablement l'abaissement du coût du travail, devrait se faire plus discret sur ce sujet. Au minimum, s'engager à ce que les allégements nouveaux bénéficient réellement à l'emploi. Si, par exemple, il s'agissait, comme nous le souhaitons, de modifier progressivement le mode de financement des allocations familiales (aujourd'hui à la charge des entreprises), nous exigerions des garanties pour que les sommes libérées soient affectées à des besoins sociaux favorables à l'emploi tels que la formation. Nous proposons que les contreparties pour l'emploi à l'abaissement des charges soient négociées dans chaque profession.
Libération : Alors que le sujet a fait florès pendant la campagne électorale, la réduction du temps de travail n'a jamais été évoquée par le Premier ministre. En êtes-vous déçue ?
Nicole Notat : C'est vrai, Édouard Balladur est silencieux sur le sujet. Or, si l'on veut réduire le chômage, il faudra bien en passer par là. Ce sera un test de la capacité d'écoute du Premier ministre aux propositions que la CFDT ne manquera pas de lui soumettre.
Libération : Avec une négociation à la clé ?
Nicole Notat : Oui. Dans un premier temps, le thème doit être retenu par le gouvernement. Ensuite, il faudra le traduire en objectifs précis, par exemple en affectant une partie du temps de travail à la formation en réduisant le temps de travail des salariés en fin de carrière au profit d'embauches des jeunes. Cela libérerait des emplois et présenterait, en outre, l'intérêt de faire évoluer – donc de fortifier – l'emploi de ceux qui en ont un. Tout cela est nouveau. Il faut en discuter.
Libération : Mais ces mesures touchent surtout des emplois qualifiés. Qu'allez-vous proposer en matière d'insertion des populations les plus démunies ?
Nicole Notat : Il y a des mesures à prendre pour l'insertion des jeunes, des chômeurs de longue durée… Trop de dispositifs se concurrencent. Il faudrait sans doute les simplifier pour les rendre plus efficaces, car ils sont nécessaire. Mais l'enjeu consiste surtout à garantir leur qualité. La gestion contractuelle et paritaire en est le meilleur moyen, ce qui n'interdit pas à l'État d'apporter son concours au développement de telle ou telle formule.
Libération : Croyez-vous que le Premier ministre partage cette approche ?
Nicole Notat : C'est très simple. Ou il est décidé à ouvrir de nouveau chantiers, ou il se complaît dans une approche "classique" mais périmée du problème de l'emploi, misant exclusivement sur la croissance pour réduire le chômage. C'est important, mais ça ne suffit pas. Les résultats attendus ne seront alors pas au rendez-vous et les désillusions viendront rapidement.
Libération : Au chapitre des désillusions et en tant que présidente de l'Unedic, n'êtes-vous pas trop déçue des résultats enregistrés depuis un an ? En juillet 1992, vous preniez des mesures pour sauver l'assurance-chômage. Vous l'avez ensuite rafistolée. Mais le déficit se creuse chaque mois…
Nicole Notat : Je ne regrette absolument pas ce que nous avons fait depuis un an. Si l'État compensait les frais financiers que l'Unedic paie aux banques, s'il versait au régime d'assurance-chômage la contribution de solidarité qu'il prélève aux fonctionnaires, si les collectivités locales cessaient de solliciter l'Unedic quand elles licencient du personnel (alors qu'elles ne versent pas de cotisations), cela irait déjà moins mal. Je vous rappelle que, au fil des années, l'État a diminué sa contribution à ce régime. Il faut rétablir un équilibre.
Cela dit, il ne faut pas s'interdire non plus des augmentations de cotisations. Les dirigeants patronaux qui plaident pour une baisse des cotisations rêvent et ils le savent bien. L'heure n'est pas au désengagement des entreprises dans l'effort de solidarité en direction des salariés qu'elles licencient. Pourquoi ne pas discuter de nouvelles modalités ? Par exemple, une cotisation basée sur la "valeur ajoutée" des entreprises ? Pourquoi-ne pas-organiser une réduction progressive de l'activité pour les 55-60 ans ? Pourquoi ne pas inventer de nouvelles coopérations entre l'Unedic, l'ANPE, l'AFPA ? La situation nécessite une volonté claire. Il faut que ces organismes travaillent en complémentarité et ne craignent pas d'innover.
25 avril 1993
Le Journal du Dimanche
Le social est de retour. Après la conférence de l'hôtel Matignon, Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, paraît séduite par la méthode Balladur.
C'était une journée nécessaire, une première prise de contact qui, j'espère, en annonce d'autres. Elle a permis en tout cas des échanges, une meilleure connaissance réciproque. Ça ne suffit pas encore pour dire qu'elle sera efficace. Attendons les mesures que le gouvernement va prendre en urgence. C'est au vu de ces mesures que nous pourrons vérifier si nous avons été entendus… Nous mesurerons aussi l'efficacité de cette journée à la manière dont le patronat saura répondre aux appels nombreux qui lui ont été lancés. Appel de notre part mais aussi du gouvernement pour que des négociations s'engagent dans les entreprises sur la question de l'emploi.
Le Journal du Dimanche : N'est-ce pas un peu tard ?
Nicole Notat : Mieux vaut tard que jamais. J'ai effectivement noté la manière dont M. Périgot, le président du CNPF, semblait vouloir mobiliser les entreprises, dynamiser la politique contractuelle, prendre ses responsabilités. En l'entendant je me disais : l'arrivée de ce gouvernement à au moins eu un résultat positif. Au patronat de démontrer maintenant dans les professions et les entreprises que ce n'était pas que propos de circonstance.
Le Journal du Dimanche : Est-il plus facile pour vous de dialoguer avec un gouvernement de droite qu'avec un gouvernement de gauche ?
Nicole Notat : Notre volonté et notre capacité de travailler avec un gouvernement ne sont pas liées à sa couleur politique. Nous ne sommes ni les alliés d'un gouvernement, ni les adversaires d'un autre. Notre indépendance est une réalité.
Le Journal du Dimanche : Le gouvernement Balladur va-t-il refaire l'unité syndicale ? Peut-on imaginer un défilé commun du 1er mai ?
Nicole Notat : Non, le 1er mai ne sera pas l'occasion d'une grande démonstration, ni d'unité, ni de force syndicale, Peut-être d'ailleurs parce que les salariés ont envie de profiter de cette fête autrement. Mais il est vrai qu'après la journée de vendredi à Matignon, il y a des bases d'entente. Nous attendons que le gouvernement prenne des mesures pour stimuler la croissance. Je ne désespère pas, dans les semaines ou les mois qui viennent, surtout si la concertation se développe, de travailler plus en convergence.
Le Journal du Dimanche : Les Français sont-ils prêts à faire des sacrifices ?
Nicole Notat : À se sacrifier, certainement pas. Je préfère parler d'actes de solidarité. Les Français sont prêts à faire des efforts. Mais à plusieurs conditions. Ils veulent connaître la destination de cet effort, pouvoir juger de sa pertinence. Et qu'il soit justifié. Nous ne nous déroberons pas à l'effort de solidarité qui sera demandé. Toute famille est aujourd'hui concernée par le chômage, même chose pour les retraites et l'assurance-maladie.
Le Journal du Dimanche : Quelles mesures préconisez-vous ?
Nicole Notat : Notre préférence va très clairement à l'augmentation de la CSG pour une raison simple, c'est qu'elle est assise sur tous les revenus… Dans l'arsenal des mesures que nous avons à notre disposition, c'est la plus juste. C'est vers celle-ci que nous souhaitons que le gouvernement se tourne. Autant l'effort peut être acceptable, comme aujourd'hui, en urgence, autant il ne faut pas re-solliciter les Français d'une manière chronique. Les ponctions successives provoquent un effet de saturation. Un jour, ils pourraient dire non.
Le Journal du Dimanche : Réduire le temps de travail c'est la solution ?
Nicole Notat : Il faut tirer les conséquences de ces dix dernières années. Aujourd'hui, la croissance ne suffit plus à garantir l'emploi. La redistribution du temps de travail est au centre d'une politique efficace. Le droit à la formation pendant toute sa vie active devient aussi un élément important. Une garantie de ne pas décrocher de la vie professionnelle. Nous avons soumis ces propositions au gouvernement. M. Balladur s'est bien gardé de nous dire le sort qu'il leur réservera.
Le Journal du Dimanche : Avec Édouard Balladur, le dialogue social reprend ?
Nicole Notat : À voir la réunion de vendredi, je serais tentée de dire oui. Mais nous ne pouvons pas juger une politique à l'aune d'une seule journée de travail. Le Premier ministre s'est engagé : la concertation, la négociation se trouvent au centre des politiques qu'il veut mener. Maintenant il une obligation de réussite. Nous jugerons aux résultats.
Le Journal du Dimanche : La réduction du salaire des ministres, est-elle une mesure populaire ?
Nicole Notat : C'est un symbole peut être démagogique. Mais c'est le genre de mesure qui peut plaire.
Le Journal du Dimanche : Selon vous, les acquis sociaux sont-ils menacés ?
Nicole Notat : Pour le moment, je pense: qu'il n'y a pas menace. Le Premier ministre a réaffirmé haut et fort qu'il souhaitait maintenir notre niveau de protection sociale, sauver les régimes sociaux. Il ne faut pas se faire peur inutilement.
Le Journal du Dimanche : Quel bilan faites-vous de douze années de socialisme ?
Nicole Notat : Les gouvernements successifs ont été tellement obnubilés par la modernisation de l'économie qu'ils ont mis hors-jeu les organisations syndicales. Il faut reconstruire la dynamique sociale. Il faut donc réhabiliter les syndicats dans la confrontation patronat-syndicats.
Le Journal du Dimanche : Qu'attendez-vous de ce gouvernement et quels sont vos objectifs ?
Nicole Notat : J'ai d'abord envie de dire aux chômeurs qu'ils ne s'effraient pas. Je n'imagine pas qu'au mois de juin, nous ne trouvions pas des solutions au chômage avec l'État ! Nous proposons de permettre immédiatement à tous les plus de cinquante-cinq ans de travailler à mi-temps, en leur garantissant 80 % de leur salaire. En échange, les entreprises embaucheraient des jeunes.
Le Journal du Dimanche : Tout va très bien madame la secrétaire générale après cette réunion à Matignon ?
Nicole Notat : Quand une formule apparaît nouvelle, elle suscite de l'intérêt. C'est aussi un pied de nez aux uns et aux autres. Que ce soit avec un gouvernement de droite que les acteurs sociaux retrouvent une écoute, une reconnaissance… Tout le monde sait que l'enjeu est important. L'échec serait grave.