Texte intégral
Monsieur le Président de la Douma d’État
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les membres de la Douma d’État et de l’Assemblée nationale, Chers collègues et amis,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux que nous nous retrouvions aujourd’hui à Saint-Pétersbourg pour cette quatrième session de notre grande commission. Au nom de l’ensemble de la délégation française, je tiens à remercier nos hôtes russes, la Douma et l’Assemblée parlementaire de la Communauté des États indépendants, de leur accueil et de leur hospitalité, et à leur dire combien nous avons plaisir à retrouver des interlocuteurs que nous connaissons bien maintenant.
La régularité de nos rencontres, comme d’ailleurs celle des contacts entre nos gouvernements, M. le Premier Ministre russe était la semaine dernière à Paris pour une visite très réussie, et les échanges de toutes nature et à tous niveaux, témoignent de l’intensité des liens entre nos deux pays et de l’approfondissement de notre coopération. Pour ce qui concerne directement nos deux assemblées, je voudrais rendre hommage à l’activité déployée en ce sens par nos deux groupes d’amitié, sous l’impulsion de MM. Semago et Bianco.
Il est utile que nous nous voyons fréquemment, car les choses évoluent vite, dans chacun de nos pays, dans leurs relations, dans leur environnement européen et international. C’est donc une bonne chose de pouvoir faire le point ensemble à intervalles rapprochés.
Ainsi je crois que nous pouvons nous réjouir de nombreux progrès depuis notre rencontre de décembre dernier à Paris.
D’abord, la Douma a témoigné de l’attachement que porte la Russie aux valeurs communes qui sont désormais celles de l’ensemble de l’Europe : elle a ratifié en février dernier, à la quasi-unanimité de ses membres, la convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que la convention européenne pour la prévention de la torture. Elle a ainsi contribué à honorer les engagements pris par la Russie au moment de son entrée au Conseil de l’Europe, en février 1996. Les citoyens russes auront la possibilité de bénéficier du système de protection de leurs droits individuels prévu par la convention, y compris le recours à la Commission et à la Cour européenne des droits de l’homme. Nous voyons là un signe tangible de la volonté des responsables russes d’établir et de garantir l’état de droit.
La mise ne œuvre concrète des principes, l’établissement d’institutions capables de faire respecter efficacement les normes de référence, exigent, nous le savons, beaucoup d’application et une vigilance sans relâche. Nous ne doutons pas que la Douma saura s’y attacher. Dans la mesure où elle le souhaiterait, l’Assemblée nationale est bien entendu prête à tout échange d’information et d’expérience sur ces sujets majeurs.
Nous pouvons aussi relever avec satisfaction les progrès accomplis dans les relations entre la Russie et l’Union européenne. L’accord de partenariat est entré en vigueur le 1er décembre 1997 et les instances de coopération créées dans ce cadre ont commencé à fonctionner. Un sommet Union européenne – Russie s’est tenu en marge du G8 de Birmingham le 15 mai.
Des pas notables ont été faits en ce qui concerne le régime des échanges commerciaux. L’Union a retiré la Russie de la liste des pays à économie dirigée au regard de sa réglementation anti-dumping, par décision du Conseil du 27 avril, et les questions touchant le commerce des produits textiles ont été réglées le 8 mai. Nous savons bien que ces avancées, incontestables, ne satisfont pas complètement les attentes russes, mais nous pensons, avec no partenaires de l’Union, que, dans un monde de plus en plus multilatéralisé, l’entrée, que nous souhaitons rapide, de la Russie dans l’OMC devrait permettre de régler beaucoup de problèmes. Le thème de l’adaptation de la législation russe aux normes économiques internationales qui figure à l’ordre du jour de nos travaux s’inscrit parfaitement dans cette optique. Là encore, l’Assemblée nationale est ouverte à toute collaboration que la Douma estimerait utile.
S’il est naturel que nous cherchions, entre l’Union et la Russie, à créer les conditions d’une libéralisation et d’une extension de nos échanges, cette entreprise doit s’insérer dans une perspective politique générale, une action concertée en vue de garantir durablement la paix et la coopération sur l’ensemble de notre continent.
Depuis notre dernière rencontre, l’Union européenne a, ce printemps, procédé au lancement concret de deux initiatives majeures, le passage à la monnaie unique pour onze de ses membres, que les autres devraient rejoindre par la suite, et son élargissement vers l’est, ainsi que l’engagement de négociations d’adhésion avec cinq des candidats.
Ces processus vont transformer les équilibres de l’Union et les actuels États membres eux-mêmes savent qu’ils vont devoir faire des choix et résoudre bien des problèmes pour les mener à bien. S’ils les ont engagés, en dépit des incertitudes, c’est parce qu’ils sont convaincus qu’ils vont aboutir à consolider l’Union européenne, à relancer son identité et son autonomie, à lui donner dans le monde une place conforme à sa vocation.
Ce mouvement est suivi, je crois, avec attention et intérêt du côté russe. Je pense qu’en contribuant à affermir la stabilité et la solidarité de l’Europe dans les limites plus larges, en s’inscrivant – dans la logique d’un monde multipolaire, il est en harmonie avec les préoccupations et les aspirations de a Russie. S’il doit bénéficier à terme à tous les pays de notre continent, il peut impliquer des ajustements transitoires, notamment en ce qui concerne les flux commerciaux : nous n’ignorons pas les soucis légitimes de la Russie à cet égard. Il est normal que l’Union informe la Russie de l’avancement de ces processus et dialogue avec elle à leur sujet. Les progrès de l’Union doivent s’accompagner de progrès parallèles dans ses rapports avec la Russie, dans le respect des rythmes propres à l’un et à l’autre, et conformément à l’esprit du partenariat qui les associe.
Nos assemblées ont vocation à participer à ce dialogue. C’est à bon escient que le thème de leur rôle dans les processus d’intégration européenne a été inscrit à l’ordre du jour de nos travaux. Ces processus revêtent aujourd’hui une telle importance que bien des domaines qui rentrent dans les compétences législatives de nos Parlements d’orientations ou de décisions arrêtées à l’échelon européen. Ce phénomène est particulièrement marqué au sein de l’Union européenne et une des préoccupations premières de l’Assemblée nationale est d’avoir son mot à dire sur les évolutions décidées à ce niveau. Ce sujet revêt pour nous une actualité particulière, puisque nous nous interrogeons sur les conditions dans lesquelles nous aurons à nous prononcer sur la ratification du traité d’Amsterdam.
Le contexte est différent du côté russe, mais certaines similitudes peuvent apparaître. Les députés français auront beaucoup d’intérêt par exemple, à apprendre comment la Douma traite des affaires relevant de la CEI, quels sont les rapports entre la Douma et l’Assemblée parlementaire de la CEI dont nous sommes ici les invités. Au-delà des préoccupations spécifiques a chacune de nos assemblées, nous pouvons aussi avoir avantage à intensifier nos contacts sur ce sujet, non seulement pour comparer nos procédures, ce qui est toujours utile, mais pour voir comment travailler en la matière de façon à faire du développement des liens entre la Russie et ses partenaires occidentaux un élément de construction européenne.
C’est la même souci de dialogue qui doit présider aux relations entre l’OTAN et la Russie. Elles ne sont plus animées par un esprit de confrontation mais tournées vers l’affermissement de la paix et de la sécurité. Les enceintes de concertation instaurées par l’acte fondateur signé il y a un an à Paris, à commencer par le conseil permanent conjoint, se sont mises en place. Plusieurs groupes de travail ont été établis sur des sujets de grande portée. La France n’a pas d’objection à ce que les discussions conduites dans ce cadre soient étendues à de nouveaux projets, par exemple la limitation des forces conventionnelles en Europe, qui ne relèvent pas stricto sensu de cette enceinte, mais ne sont pas sans lien avec les thèmes qui entrent plus directement dans son champ.
La Russie en se rapprochant de l’Europe occidentale et en nouant avec elle ce dialogue multiforme que j’évoquais tout à l’heure, en favorise la stabilité. Ce dialogue est d’autant plus utile qu’aux frontières de l’Europe, au contact de la Russie, l’Asie, qui regroupe la majeure partie de la population mondiale, est le continent dont la stabilité paraît la moins assurée, comme l’ont montré en quelques mois la crise financière puis la relance de la course aux armements atomiques. Il est donc très utile que l’Europe au sens le plus large, c’est-à-dire avec la Russie, s’affirme par contraste comme un pôle de stabilité, en renforçant sa propre cohésion.
Nos deux pays ont en la matière une responsabilité particulière, qu’ils exercent avec leurs grands partenaires, en particulier l’Allemagne, et le sommet tripartie de Bor a bien montré leur engagement commun dans cette direction. Je ne pourrais pas citer tous les cas de concertation et de coopération politique entre la Russie et la France, aux Nations Unies comme au sein de l’OSCE. Nous attachons l’un comme l’autre la plus grande importance à cette dernière organisation et souhaitons qu’aboutisse l’élaboration en son sein d’une charte de sécurité. Le dialogue franco-russe peut promouvoir la solution des problèmes internationaux, et je tiens à mentionner spécialement, parmi tous ceux d’aujourd’hui, la situation au Kosovo, qui constitue pour l’Assemblée nationale un grave sujet d’inquiétude.
Le dialogue politique entre nos deux pays s’accompagne d’un approfondissement de leurs relations bilatérales. C’est d’abord le cas de notre partenariat économique. Nous pouvons nous réjouir de la forte progression de nos échanges commerciaux, et de la multiplication des associations entre entreprises russes et françaises dans des domaines très diversifiés, du pétrole à l’automobile, et dans beaucoup de secteurs de haute technologie, je pense en particulier à l’aéronautique et aux satellites. Notre coopération scientifique est de grande ampleur et de haut niveau.
Je voudrais remercier la Douma d’avoir permis, quelques jours avant notre réunion, un progrès vers la solution du problème des archives françaises qui se trouvent en Russie depuis la seconde guerre mondiale. Nous avons été particulièrement sensibles à ce geste qui faisait suite à nos conversations de décembre dernier. Les ayants droit français y sont attachés et je pense pouvoir me faire leur interprète en transmettant aux députés russes l’expression de leur reconnaissance. Il reste au gouvernement russe, comme je le disais la semaine dernière à M. Kirienko et comme M. Semago y a fait allusion devant lui, à concrétiser la solution.
Les conditions de notre coopération évoluent en fonction des transformations que connaissent nos deux pays, et qui sont particulièrement accentuées et rapides en Russie. La Russie, en un sens, achevé une période de transition dans la mesure où elle a opéré une mutation en profondeur de son économie, en s’orientant vers l’économie de marché. Elle termine cette période, pour aller vers la consolidation et la régulation, puisque la mise en place du nouveau système est par nature progressive.
La Douma exerce en la matière une responsabilité éminente, puisqu’il vous revient, en édictant la loi, de définir le cadre juridique de l’économie de marché. Votre activité est considérable puisqu’en deux ans et demi de législature, vous avez adopté 300 lois, dont certaines fort importantes pour les systèmes politiques et judiciaire. D’autres sont en discussion devant elle, code foncier, code fiscal, code des investissements. L’expérience historique montre que le marché, s’il est indispensable pour créer une économie efficace, ne se suffit pas à lui-même. Non seulement l’Etat est un complément, parfois un contrepoids nécessaire du marché, surtout pour la protection des plus faibles, mais encore la bonne organisation de l’Etat, la qualité de son action, sont des conditions du bon fonctionnement de l’économie de marché. Il est donc indispensable, pour les opérateurs économiques, russes et étrangers, de pouvoir compter sur un environnement législatif complet, cohérent, stable et sûr.
Nous sommes conscients de la complexité du processus de transformation, à l’aune de ce grand pays qu’est la Russie. Nous savons que du temps est nécessaire. Nous savons aussi, et c’est le dernier thème que je veux aborder, que dans ce processus, la jeunesse peut et doit jouer un rôle essentiel.
Nos sociétés doivent en effet faire à la jeunesse toute sa place, car c’est ainsi qu’elles peuvent envisager l’avenir, assurer leur renouvellement, garantir leur dynamisme. La situation à cet égard se présente d’ailleurs de manière assez différente, me semble-t-il, en Europe occidentale et en Russie.
Dans les pays comme la France, le problème est celui de la permanence de systèmes économiques et sociaux qui favorisent plutôt les adultes installés et les plus âgés. On l’a bien vu dans la période de crise économique des années 1980 et du début des années 1990. Les structures ont fonctionné de manière à préserver les emplois de ceux qui en avaient déjà, encore cela n’a pas toujours été possible, et les jeunes se sont heurtés à des difficultés pour trouver leur place dans la vie active ; de même avec les systèmes de protection sociale.
En Russie, il me semble les données ne sont pas les mêmes de ce point de vue, en raison du changement des modes d’organisation de la société. Ce sont plutôt les plus âgés qui pâtissent de la remise en cause des systèmes antérieurs, alors que les jeunes, au moins une partie d’entre eux, semblent assez bien armés pour s’intégrer dans le système nouveau.
Cette description est, je le reconnais, très schématique, mais ce pourrait être un sujet intéressant de nos travaux que d’approfondir cette comparaison. Je me réjouis que nous ayons choisi de consacrer une partie de notre emploi du temps à la question de l’emploi des jeunes. Vous savez qu’il s’agit d’une priorité du gouvernement français qui a consacré une de ses premières initiatives à l’instauration d’un système d’emplois pour les jeunes. Les dispositions prises ont donné lieu, comme il est normal, à un débat au sein de notre Assemblée. Les différents partis peuvent diverger sur la nature des solutions à apporter, mais je crois pouvoir affirmer que tous nous sommes convaincus que l’accès des jeunes à l’emploi est une question essentielle. Il n’est pas question de nous résoudre à voir une génération sacrifiée.
La jeunesse doit aussi être un point privilégié de la coopération franco-Russe. C’est le cas à travers les programmes de formation de cadres qui ont permis déjà de nombreux échanges et qui doivent être poursuivie et renforcés, comme le souhaitent les responsables de nos deux pays. Il sera bon, à cet égard, de faire le point.
Monsieur le Président, mes chers collègues,
L’actualité comporte des aléas qui nous affectent les uns et les autres. Ces aléas ont récemment touché la Russie, en particulier sur le plan financier. L’intérêt de tous est que la Russie surmonte ces difficultés, en pouvant compter sur la solidarité de la communauté internationale. Je puis vous assurer de la solidarité de mon pays, la France.
Ces difficultés que nous espérons transitoires ne peuvent pas nous détourner de la préparation de l’avenir, car la Russie et la France y ont beaucoup à faire ensemble. C’est donc ce message de solidarité et de confiance que je veux vous transmettre.
Je nous souhaite des travaux fructueux.
Merci Beaucoup.