Texte intégral
J.-F. Rabilloud : Comment voyez-vous cette rentrée ? Ce qui s'est dit cet après-midi vous semble-t-il encourageant ?
M. Blondel : En ce qui concerne le chômage et l'emploi, que le gouvernement se mobilise, je ne peux que m'en féliciter. Ce que je regrette un peu, c'est qu'on parle de consultations qui ont duré trois mois pour les ministères et pour les organisations syndicales, on nous dit simplement qu'on nous verra. Je suppose que ce sera collectivement avec les employeurs. J'aurais aimé qu'il y ait des consultations bilatérales de manière à ce que nous regardions non pas simplement l'objectif mais les moyens pour parvenir à un meilleur emploi.
J.-F. Rabilloud : Vous avez l'impression de ne plus être traité en partenaire privilégié ?
M. Blondel : Il ne s'agit pas d'être traité en partenaire privilégié, je veux que nous soyons traités en interlocuteur. Ce qui va se passer ensuite, c'est que c'est le débat au Parlement qui va peut-être modifier la législation sociale. Ça mérite quand même des consultations sérieuses auprès des organisations syndicales
J.-F. Rabilloud : Quand M. Giraud dit que tout cela se fera dans le strict respect des acquis sociaux, ça doit vous satisfaire ?
M. Blondel : Il y a quelques jours, j'ai entendu que l'on protégeait les acquis concernant la protection sociale collective, on n'a pas fait état qu'on avait remis la retraite à 60 ans. Si c'est une façon de protéger les acquis sociaux, ça me donne des sueurs froides. Je ne vous cacherais pas que nous avons demandé à recevoir le texte et d'être reçu auprès de M. Giraud.
J.-F. Rabilloud : Vous pensez qu'on parlera de l'assouplissement du travail le dimanche ?
M. Blondel : Je suis persuadé que la notion de flexibilité sera grande dans le raisonnement. Je crains qu'elle laisse aller jusqu'à l'ouverture des magasins le dimanche, bien que l'on sache que ça ne crée pas d'emplois.
J.-F. Rabilloud : Est-ce qu'il faut demander des contreparties aux entreprises, dont l'État va prendre en charge une partie des allocations familiales ?
M. Blondel : On ne peut pas lever les charges des entreprises sans qu'il y ait de contreparties. L'enjeu est tel qu'il faut une relance. Ça passe notamment par l'amélioration du pouvoir d'achat. Depuis quelques mois, le gouvernement oriente tout vers l'allégement des charges des entreprises. Mais les employeurs n'embauchent que s'ils en ont besoin. Il faut qu'il y ait des commandes à faire.
J.-F. Rabilloud : Vous vous attendez à une rentrée plutôt calme ou plutôt tendue ?
M. Blondel : J'ai annoncé la couleur et même au Premier ministre. J'ai dit qu'en matière de salaires, il faudrait des compensations. Et je mobiliserai en fonction des compensations pour les salariés mais aussi les chômeurs et les retraités.
J.-F. Rabilloud : Ça peut aller jusqu'à des grèves ?
M. Blondel : J'ai un mandat de mes organisations très large pour prendre des initiatives avec des consultations directes ou indirectes avec les autres organisations. Ça peut être en septembre ou en octobre. Nous avons déjà fait un certain travail, il faut l'amplifier.
30 août 1993
RMC
RMC : Le retraité d'après l'an 2000 craint de toucher beaucoup moins que les calculs qu'il aurait pu déjà faire avant cette réforme. Une démonstration ?
M. Blondel : La démonstration est relativement simple à faire. En 2008, c'est de 8 à 10 % en moins sur les niveaux des retraites, lorsque l'on prend les vingt-cinq ans à la place des dix meilleures années, bien entendu sauf pour les gens qui cotiseront au-delà du plafond de la sécurité sociale, c'est-à-dire les cadres.
RMC : Travailler plus longtemps, quand on voit que l'Europe est en panne de travail, c'est une drôle d'équation.
M. Blondel : Le moins qu'on puisse dire, c'est un paradoxe. Tout le monde déclare vouloir lutter contre le chômage. Tout le monde s'efforce même de dégager de la situation d'actifs des gens qui ont atteint cinquante-deux, cinquante-quatre, cinquante-cinq, voire cinquante-six ans. En même temps, effectivement, maintenant, pour avoir une retraite complète, on va passer de trente-sept ans et demi à quarante ans. Il y a là une contradiction au moins apparente en arithmétique.
RMC : Les retraites, le premier très gros dossier qui a permis à FO de faire l'approche de la méthode Balladur. Vos conclusions ?
M. Blondel : La méthode Balladur, je suis en train de m'interroger. Est-ce que M. Balladur est un illusionniste ou est-ce que c'est un matador de taureaux ? Je dis matador de taureaux, parce qu'il applique assez volontiers la technique du leurre. Regardez les choses : il avait avancé cette histoire de réforme de la retraite et puis, il semblait l'avoir temporisée, et il vient de lancer une histoire concernant la loi quinquennale sur l'emploi et il termine sur la loi sur la retraite, malgré les observations. Je pourrais, moi, indiquer par exemple que le niveau de revalorisation annuelle, nous avions demandé qu'il y ait, tous les ans, une négociation. Consultation des organisations syndicales, consultation des organisations patronales, décision par le gouvernement. Il a laissé tomber cette idée, il ne nous a pas donné de réponse d'ailleurs, et il a publié son décret un samedi, à la fin des vacances. Ça devient traditionnel. Nous connaissions ça depuis une trentaine d'années. Maintenant, il a passé son histoire de plan quinquennal sur l'emploi. Il en a lancé l'idée dès le 19 août, tout cela pour nous éviter d'aborder les problèmes directs qui restent le problème du pouvoir d'achat et qui sous-entendaient effectivement notamment le problème des retraites et de la sécurité sociale. C'est pour ça que je dis qu'il nous leurre. Il nous amène sur un terrain qui n'est pas le nôtre.
RMC : Mais alors, vous êtes en train de foncer dans la muleta de Balladur, puisque la loi quinquennale, vous acceptez d'en discuter ?
M. Blondel : Je vais rencontrer le ministre du travail comme toutes les autres organisations syndicales. Mais expliquez-moi ce qu'un syndicat peut faire s'il accepte ou n'accepte pas de discuter ? Le rôle du syndicat, c'est toujours de discuter. Je vais aller défendre mon point de vue. Il n'est d'ailleurs pas terriblement difficile à définir. L'essentiel des dispositions qui sont proposées dans la loi quinquennale, c'est de modifier ce que nous appelions les contrats à durée indéterminée, la pratique générale devenant le contrat à durée déterminée. Le reste, c'est de l'exonération de cotisations notamment. Ça veut dire, remettre en cause pratiquement le code du travail et ce, de manière quasi définitive, avec pour objectif supposé de créer des emplois. Eh bien, ça n'aura pas cet effet. Là, je ne dirais plus le torero, je dirais l'illusionniste. Ça n'aura pas cet effet, parce que c'est ce qu'on pratique depuis quinze ans, et ça n'a rien modifié. Au contraire, il y a trois millions et demi de chômeurs.
RMC : Vous aviez lancé, au mois de juin, l'idée de faire un mouvement syndical. On a entendu L. Viannet il y a quelques jours dire finalement, est-ce qu'il ne pourrait pas y avoir une unité d'action avec tous les syndicats ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
M. Blondel : Je n'ai pas lancé au mois de juin l'idée de faire une organisation syndicale. J'ai expliqué à l'époque qu'il était nécessaire effectivement que les organisations syndicales aient des contacts, devant l'avalanche de difficultés, et en particulier le pouvoir d'achat, le seul élément qui peut peser sur l'emploi et le seul élément qui peut financer les régimes sociaux, donc éviter les mauvaises nouvelles de ce genre.
RMC : Au total, une rentrée que vous prévoyez chaude, unitaire ? L'état d'esprit de vos troupes ?
M. Blondel : L'état d'esprit, c'est le mécontentement, c'est très clair. Est-ce au niveau très élevé ? Je le verrai dans les jours qui viennent. Par contre, ce que je vois, c'est que différents secteurs d'activités prévoient d'ores et déjà des mouvements pour leurs problèmes propres. Il appartient à l'organisation syndicale interprofessionnelle de coordonner les choses. Je vais m'y employer cette semaine, en ayant, ce n'est pas un secret, des contacts directs ou indirects avec certaines organisations syndicales.
1er septembre 1993
France Inter
A. Ardisson : Que direz-vous à M. Giraud pour être positif sur la loi quinquennale ?
M. Blondel : C'est le rôle de l'organisation syndicale d'essayer d'être positive, de présenter les choses d'une manière favorable. Ce qui nous est présenté est archaïque et dangereux. Ce sont de vieilles formules déjà utilisées : la notion de flexibilité et une certaine volonté de baisse du coût du travail. Le plan est articulé sur le contrat et les exonérations. Cela signifie qu'on va dire une nouvelle fois aux entreprises qu'on exonère les cotisations sociales pour les salariés de tel âge… Artificiellement, on va inciter les entreprises à embaucher. Les entreprises embauchent quand elles ont du travail, pas pour faire plaisir : elles le démontrent tous les jours. Les contrats : ils deviendront individuels et à durée déterminée. Cela se généralisera. On sait tout le mal que cela apporte.
A. Ardisson : Peut-on l'empêcher ?
M. Blondel : C'est une thèse économique qui s'est développée aux États-Unis. Cela a d'abord été la thèse de Chicago, puis celle de Harvard. C'est une notion de la flexibilité qui remet en cause tout ce qui est réglementation. Prenons l'exemple de l'accident de Courtenay : le camion fou tue des personnes et on se rend compte que le conducteur dort au volant. Si on appliquait la réglementation en ce domaine, il faudrait embaucher 50 000 chauffeurs, si on n'appliquait la flexibilité. C'est constaté par le conseil supérieur des transports.
A. Ardisson : Les entreprises tiendraient-elles le coup ?
M. Blondel : C'est l'usager qui paierait. Il y aurait un rééquilibrage entre le trafic routier et le trafic SNCF. Les actes économiques ont des conséquences. Rien que pour ces 50 000 emplois, cela mériterait qu'on applique la réglementation. J'essaierai d'expliquer à M. Giraud qu'il faudrait qu'il applique le code du travail sans qu'il le détruise. En ce qui concerne l'orientation générale, je ne crois pas qu'on puisse modifier sensiblement le problème du chômage s'il n'y a pas une relance industrielle et d'activité économique, et s'il n'y a pas une relance par le soutien de la demande, par le salaire. Tout le monde en est conscient.
A. Ardisson : N'est-ce pas cette fameuse autre politique ?
M. Blondel : En 1982, je n'étais pas d'accord pour augmenter de 10 % d'un coup le SMIC. Je suis un keynésien raisonnable. Les frontières sont beaucoup plus souples, on ne peut plus raisonner comme précédemment. Il faut soutenir la demande. Par avance, quand j'entends le Premier ministre dire qu'il faut consommer plus, je veux bien, mais qu'il donne les moyens ! Depuis avril, il a tout figé.
A. Ardisson : Il y a quand même l'allocation rentrée ?
M. Blondel : Elle est passée dans l'indifférence générale. Il a voulu nous faire un petit tour. C'est un maître tacticien : il a voulu répondre à ma revendication d'augmentation de pouvoir d'achat ou de sa compensation, et il a lancé cette revalorisation de 1 500 francs. On rejette effectivement 5 milliards dans l'économie. Mais cela a été fait de telle manière, sans converser avec nous, il aurait mieux fait d'ouvrir les vannes.
A. Ardisson : Vous revenez des États-Unis, vous avez vu la reprise ?
M. Blondel : Non, j'ai plutôt vu les États-Unis désabusés. Certains de mes interlocuteurs m'ont dit, on attend la relance de l'Europe. J'ai répondu : nous on attend la relance des États-Unis. Ce qui fait que nous avons chacun notre arlésienne.
A. Ardisson : Des actions communes avec la CGT sont-elles envisageables ?
M. Blondel : C'est moi qui ai lancé un appel du pied dès juin. J'ai expliqué que dès la rentrée sur les salaires je prendrais contact avec toutes les organisations syndicales, directement ou indirectement. Cela étant, tout le monde relance. Je suis d'accord pour cela, à condition que l'on soit d'accord sur le programme. Je ne ferai pas de journées fourre-tout qui ne donneront pas de résultats et qui démobiliseront par la suite ceux qui auront eu l'espoir de faire changer les choses.
A. Ardisson : Que pensez-vous de l'opportunité d'une révision constitutionnelle ?
M. Blondel : Je m'interroge sur l'opportunité d'un débat de cette nature avec autant d'amplification, tandis que je reste avec mes 3,5 millions de chômeurs, avec 0,8 % de plus en juillet… Je me demande si les jeux politiciens ne l'emportent pas sur la réalité concrète. Un jour ou l'autre, on le reprochera au gouvernement actuel.