Texte intégral
La "nouvelle étape" de la politique Balladur, le projet de loi quinquennale pour l'emploi, les enjeux de riposte et de rassemblement pour de tout autres options de politique économique, les événements monétaires de l'été, et le besoin d'un système profondément renouvelé de coopérations en Europe… Georges Marchais fait ici, pour les lecteurs d'Économie et Politique, le point sur ces questions-clés de la rentrée.
Économie et Politique : Édouard Balladur a lancé une "deuxième étape" de la politique gouvernementale, alors que la situation continue de se dégrader sensiblement pour les salariés et le pays. Comment apprécier cette orientation ?
Georges Marchais : Si vous le permettez, pour la clarté des choses, je voudrais revenir en quelques mots sur l'orientation générale de la politique du gouvernement de droite. Le pays, comme l'ensemble du monde capitaliste, connaît une situation extrêmement grave. Il y a une crise profonde, dont la crise monétaire est un aspect, mais qui se caractérise aussi par la liquidation d'un nombre de plus en plus grand d'entreprises l'ampleur inédite du chômage et de la pauvreté. Tout le monde parle désormais de récession. Au fond, une nouvelle étape de la crise est engagée. Tout le monde est donc confronté à la question des solutions à y apporter : ceux qui aspirent à une transformation sociale, mais également la classe dirigeante. Celle-ci doit chercher d'autres réponses que celles qui découleraient de la simple poursuite des recettes appliquées jusqu'à présent. La mise en œuvre de la politique capitaliste passe désormais par des mesures d'une autre dimension. C'est donc la baisse des salaires nets, impensable il y a quelques années, et tout un arsenal de dispositions pour diminuer, amputer, supprimer acquis sociaux, entreprises nationales, services publics, droits démocratiques, droits des salariés, code du travail, code de la nationalité… bref, l'essentiel des conquêtes sociales qui ont fait de la France un pays où la loi de la jungle n'a pas autant droit de cité que dans les autres pays capitalistes. Autrement dit, alors que la situation appelle – aux plans économique, social, politique – des solutions radicalement nouvelles centrées sur la relance et la démocratie, le Premier ministre impose au pays des options régressives. En témoignent toutes les attaques dont je viens de parler, et – ce qu'il a appelé lui-même "deuxième étape" – diverses mesures annoncées fin août, parmi lesquelles la suppression de fait de cette grande conquête sociale qu'est la retraite à 60 ans. Je voudrais insister particulièrement, de ce point de vue, sur le projet de loi quinquennale sur l'emploi. Celui-ci consiste à baisser le coût du travail, flexibiliser les salariés, diminuer leurs protections et leurs droits, multiplier les formules qui accroissent la précarité et le nombre de salariés payés en dessous du SMIC. Les exigences patronales sont satisfaites de fond en comble et sans la moindre contrepartie, puisqu'il n'y a aucun engagement à créer des emplois et à cesser de licencier. Ce projet est imprégné d'une conception de la compétitivité qui a pourtant fait faillite car elle fait de l'emploi un coût à réduire, au lieu d'en faire le point de départ de toutes les ressources : productions et débouchés. Sa mise en œuvre ferait redoubler l'acharnement à baisser les coûts salariaux, tandis que les autres coûts, matériels et financiers, déjà considérables, s'aggraveraient plus encore.
Économie et Politique : Le Premier ministre a également annoncé un "reprofilage" du barème de l'impôt sur le revenu qui s'accompagnerait d'un allégement, principalement pour les "couches moyennes" …
Georges Marchais : Oui. Selon lui, cette disposition, jointe à d'autres, par exemple l'incitation à débloquer les plans d'épargne populaire, devrait favoriser la consommation. Je remarque que, d'une certaine façon, on donne ainsi acte à l'idée que nous défendons depuis longtemps que l'augmentation du pouvoir d'achat et donc la relance des débouchés intérieurs sont nécessaires à la relance de l'activité. Il y aurait donc, dit-on généralement, 25 milliards de plus à dépenser. Cela dit, il faut bien voir que ces mesures interviennent après une véritable cascade de prélèvements sur la consommation des ménages : CSG, gel des retraites et des salaires dans la Fonction publique, hausses des prix et des tarifs, diminution des remboursements de la Sécurité sociale… Au total, le prélèvement demeure net sur les masses salariales. Autrement dit il ne s'agit pas d'une relance de la consommation. J'ajoute que cet allégement d'impôt sera pris dans le cadre du budget de 1994 qui s'inscrit dans les fameux "critères de convergence" du Traité de Maastricht limitant à 3 % du produit intérieur les déficits publics et sociaux. Et, bien entendu, il n'est nullement question, au nom de Maastricht, de revenir sur les gigantesques cadeaux fiscaux accordés depuis dix ans aux titulaires de capitaux. C'est dire que nous sommes très très loin de la grande réforme fiscale dont la France a besoin pour réduire les inégalités de plus en plus profondes et insupportables dont souffre notre société, pour inciter partout à une utilisation plus efficace de l'argent en faveur de l'emploi et de la croissance réelle, pour contribuer au redémarrage de la demande intérieure.
Économie et Politique : Mais alors, sur quelles options radicalement nouvelles de politique économique faudrait-il pouvoir avancer en s'opposant à ces projets ?
Georges Marchais : C'est une des grandes questions que les communistes vont se poser à leur 28e congrès, dont la préparation va commencer à dont la préparation va commencer à la fin du mois. Je ne veux donc pas anticiper sur cette réflexion, mais on peut tout de même avancer des éléments de réponse car, bien sûr, ce n'est pas d'aujourd'hui que nous nous interrogeons à ce propos. Notre idée maîtresse est qu'il faut mettre l'économie au service des hommes, alors qu'elle est à celui des puissances financières. Cela suppose donc une autre utilisation de l'argent. Une étude récente de l'INSEE (1) le confirme à sa manière : en 1992, les sociétés ont beaucoup moins investi et elles ont diminué leurs dépenses salariales d'où, note l'étude, "l'apparition d'une capacité de financement des sociétés (qui) a entraîné un gonflement très sensible de leurs placements", passés de 499 à 588 milliards de francs. La même étude révèle que si le crédit s'est raréfié pour la production réelle, il a coulé à flots pour ceux qui ont spéculé contre le franc. Voilà qui confirme, me semble-t-il, combien, à tous les niveaux, l'argent doit être arraché à l'emprise de la Bourse pour financer le développement de l'emploi et de l'activité. Naturellement, cela nécessite que les incitations fiscales, les aides de l'État et le crédit bancaire changent d'objectif : qu'au lieu de diminuer ce qu'on nomme le "coût du travail", on allège les charges financières des entreprises qui développent l'emploi et sa qualification : qu'on établisse au contraire de nouveaux prélèvements sur celles qui choisissent la croissance financière qu'on taxe les mouvements spéculatifs de capitaux ; que les banques cessent de débloquer les crédits destinés à la spéculation, aux placements, aux modernisations conçues contre l'emploi et les réservent aux investissements productifs créateurs d'emplois, en soutenant particulièrement les PME-PMI et le logement. J'ajoute qu'il faut appliquer pleinement les lois votées à l'initiative des députés communistes pour le contrôle des fonds publics destinés à l'emploi et contre les plans de licenciements. Nous pensons qu'une telle politique de relance du pouvoir d'achat, de la formation, des productions et des services, de défense des acquis sociaux, d'incitation des entreprises, en priorité publiques, à réorienter leurs choix – ce qui constitue, entre parenthèses, une raison supplémentaire de s'opposer à leur privatisation – permettrait de rompre avec la déflation salariale et l'inflation des marchés financiers et de créer des emplois. Nous affirmons également avec force qu'une telle politique est inséparable de l'octroi de possibilités beaucoup plus étendues d'intervention des salariés et des citoyens sur les choix qui les concernent, depuis la commune jusqu'à la tête du pays en passant par l'entreprise.
Économie et Politique : Mais la dernière crise monétaire européenne ne souligne-t-elle pas l'importance de la recherche simultanée de coopérations internationales nouvelles fortes, particulièrement en Europe ?
Georges Marchais : Cette très grave crise a attesté l'ampleur des antagonismes entre le dollar et les monnaies européennes, notamment le mark, et entre les monnaies européennes elles-mêmes. En fait, en ce domaine comme en d'autres, nous sommes loin d'une vraie coopération entre nations européennes souveraines et égales. Tout ce qui a motivé notre opposition au Marché unique européen et au Traité de Maastricht est ainsi confirmé. La libre circulation des capitaux a accentué la dictature des marchés financiers sur les peuples. Dans chaque pays, les gouvernements ont appliqué plus durement encore l'austérité contre les salariés, les chômeurs, les retraités, leurs droits et leurs acquis. Leurs choix ont nourri la spéculation et la guerre économique. Les dirigeants français ont expliqué qu'ils pourraient imposer à l'Allemagne, par des accords politiques au sommet, ce qu'ils ont appelé excusez le jargon une "communautarisation" de sa politique monétaire. Les événements de cet été et la récente rencontre entre Balladur et Kohl les ont démentis. En fait, pour satisfaire leurs ambitions de domination et leurs projets expansionnistes vers l'Est, l'État et le capital allemands entendent imposer aux pays européens une Union économique et monétaire dominée par le mark et une organisation des échanges internationaux dans le cadre du GATT, renforçant leur leadership mondial aux côtés des États-Unis et du Japon. Ces visées se sont renforcées depuis les accords du 2 août. L'échec de la politique monétaire européenne et de la politique du "franc fort" arrimé au mark prouve qu'il n'est pas possible de conduire durablement une baisse sensible des taux d'intérêt sans changer de politique économique. On ne pourra pas relancer la croissance et l'emploi en France et en Europe sans cela, en maintenant l'objectif de monnaie unique européenne, et – de plus en plus nombreux sont ceux qui désormais l'estiment nécessaire – sans contrôler et taxer les mouvements de capitaux, lutter efficacement contre la spéculation. Peut-on avancer dans ce sens ? Nous le pensons. Il n'est pas vrai que la seule alternative soit entre la "dévaluation compétitive" et la déflation. Il s'agit de reprendre une certaine autonomie monétaire pour défendre les intérêts de notre peuple, ce qui nécessite une nouvelle maîtrise de la France sur ses ressources nationales, de profondes transformations des pratiques et des règles de ses institutions financières et monétaires. Inséparablement, il s'agit de travailler à l'émergence d'un SME profondément rénové, fondé sur les coopérations entre nations souveraines se comportant en partenaires et qui assure une certaine souplesse du change. Ainsi, à l'opposé de l'objectif d'une monnaie unique prétendument destinée à faire face au dollar, on pourrait chercher à développer un instrument monétaire commun – certains parlent de "monnaie commune" – fondé sur les monnaies nationales et les richesses réelles produites par les pays de la Communauté européenne.
Économie et Politique : Des critiques de plus en plus fortes se font entendre contre la politique gouvernementale, notamment dans les rangs syndicaux. La rentrée est-elle plus propice pour avancer dans la voie d'un large rassemblement permettant de résister aux mauvais coups et de promouvoir des solutions neuves ?
Georges Marchais : À l'heure où nous parlons (2), la suppression du droit à la retraite complète à 60 ans, le projet de loi quinquennale sur l'emploi sont l'objet des plus vives critiques de la part des différentes organisations syndicales. Plus généralement, les mécontentements s'expriment de façon plus claire et plus large face à la politique gouvernementale. Où en serons-nous dans deux semaines ou dans trois…? Je ne le sais pas. Ce dont je suis convaincu, par contre, c'est que, face au caractère et au niveau particulièrement élevé de l'attaque contre notre peuple et notre pays, face aux défis et aux enjeux que cela représente, il faut que la riposte soit à la hauteur. Cela demande de passer outre les contentieux quand il en existe ? Oui ! Cela demande de s'unir. C'est le souci des communistes.
1. Insee Première n° 276 – août 1993.
2. Cet entretien a été réalisé le 30 août 1993.
9 septembre 1993
L'Humanité Dimanche
Le plan Balladur, les moyens d'y répondre, la Fête, le 28e Congrès du PCF… Absent de la Fête de l'Humanité, le secrétaire général du PCF répond dans l'"Huma Dimanche".
Comme il l'annonce ci-dessous, pour des raisons de santé, Georges Marchais sera absent de la Fête de l'Humanité. En attendant qu'il puisse reprendre son activité, l'"Humanité Dimanche" a fait le point avec lui sur les grandes questions de l'heure des conséquences des mesures annoncées par le gouvernement au débat lancé dans le Parti communiste par la préparation du 28e Congrès. Cet entretien a été réalisé le 6 septembre.
L'Humanité du dimanche : Vous allez être hospitalisé dans les tout prochains jours en vue de l'opération à la hanche qui a été annoncée Il y a un mois. On ne vous verra donc pas à la Fête de l'Humanité…
Georges Marchais : Non et, vous savez, ça ne me laisse pas indifférent. C'est la première Fête de l'Humanité que je vais manquer depuis que je suis communiste. Et ça ne date pas tout à fait d'hier…
L'Humanité du dimanche : Savez-vous comment les choses vont se passer et quand vous reprendrez votre activité ?
Georges Marchais : Il s'agit d'une intervention chirurgicale qui nécessite une hospitalisation d'une quinzaine de jours, puis une rééducation de quelques semaines. Nous verrons bien… Vous dire quel jour et à quelle heure je retournerai à mon bureau, je ne le peux pas, mais, de toute façon, même si je suis immobilisé un certain temps, ça ne m'empêchera pas de travailler. Et j'ai bien l'intention de contribuer à la préparation et à la tenue du prochain congrès de mon parti comme je le dois, c'est-à-dire en exerçant les responsabilités qui m'ont été confiées. Je n'aurais pas décidé de me faire opérer si on ne m'avait pas assuré qu'il pourrait en être ainsi.
L'Humanité du dimanche : Et après ce 28e Congrès ? Vous avez dit en juin que votre décision était prise…
Georges Marchais : Elle l'est. Et j'ai ajouté que je l'annoncerai en temps utile. Ce moment approche, c'est évident. Mais permettez-moi de revenir à ce que nous disions au début de cet entretien, quand nous avons évoqué la Fête de l'Humanité. Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir y aller, car celles et ceux qui vont contribuer à son succès vont vraiment faire œuvre utile. D'abord parce qu'il s'agit de la fête de journaux, l'Humanité et l'Humanité Dimanche, proprement indispensables à qui veut s'y retrouver dans la situation actuelle et agir dans le sens du progrès. J'avais appelé les adhérents et les organisations du Parti communiste à changer de comportement à l'égard de leur presse ; des améliorations réelles ont été accomplies de ce point de vue et je profite de l'occasion qui m'est donnée pour les engager à poursuivre cet effort. Seconde raison, à mon avis, de l'importance de cette Fête elle va être un immense rassemblement de protestation contre la politique du gouvernement et de recherche de solutions nouvelles. Je pense que beaucoup de gens ressentent qu'il y a vraiment besoin aujourd'hui de faire passer ce message-là. Et plus il s'exprimera fortement, mieux ce sera pour notre peuple !
L'Humanité du dimanche : Précisément, venons-en à l'action d'Édouard Balladur. Cela fait sept mois qu'il est Premier ministre. Vous aviez été très sévère à l'annonce de ses premières mesures, et on a l'impression qu'au fil des décisions qui sont prises vous l'êtes de plus en plus…
Georges Marchais : Et comment pourrait-il en être autrement ? Songez à ce qui s'est passé ces dernières semaines salaires diminués avec l'augmentation de la CSG en juillet et celle des cotisations UNEDIC en août ; suppression dans les faits du droit à la retraite complète à soixante ans; privatisation de la BNP et d'autres entreprises nationales ; attaques contre les services publics, la protection sociale, l'Éducation nationale ; licenciements massifs et nouvelles fermetures d'entreprise dans tout le pays ; publication du plan quinquennal prétendument "pour l'emploi" mais dirigé en fait contre l'emploi puisqu'il prévoit de généraliser la précarité, d'encourager la baisse des salaires et de supprimer des droits syndicaux essentiels ; tout cela prolongé par des modifications des institutions elles-mêmes : éclatement du Code du travail, réformes du Code de la nationalité, du Code de procédure pénale, et jusqu'à la Constitution…
L'Humanité du dimanche : Mais le Premier ministre explique que les sacrifices sont également répartis…
Georges Marchais : C'est totalement faux. Sa politique accable les salariés, les chômeurs, les retraités, mais épargne ceux qui détiennent les capitaux. Ou, plus précisément, elle leur offre de nouveaux cadeaux : 50 milliards en mai-juin, 35 en juillet, combien en août ? Comment voulez-vous relancer la France en s'en prenant à ses atouts sociaux et démocratiques qui en font un pays moderne, en appauvrissant et déstabilisant le monde du travail, tout en donnant les moyens aux grands possédants de gâcher davantage d'argent dans la finance et la spéculation, au détriment de l'emploi et de la création de richesses réelles ? La politique de la droite ne va pas résoudre les problèmes : elle va les aggraver considérablement.
L'Humanité du dimanche : Donc, pour vous, les décisions du pouvoir sont non seulement Injustes, mais foncièrement nocives…
Georges Marchais : Exactement.
L'Humanité du dimanche : Mais, dans ces conditions, la question qui se pose n'est-elle pas : comment y faire face ?
Georges Marchais : Bien sûr. Et je pense que, pour y répondre, il faut partir du raisonnement suivant : si, comme je viens de le montrer, cette politique est faite pour les uns et contre les autres, cela veut dire qu'elle n'est pas fatale, qu'elle résulte de décisions qui pourraient être annulées et remplacées par d'autres. Tout dépend, pour cela, de la force avec laquelle s'expriment la protestation contre cette politique et l'exigence d'autres choix. Balladur explique lui-même que son action ouvre une nouvelle étape ; eh bien, il faut aussi faire franchir une nouvelle étape à la riposte pour lui faire échec ! Je ne peux pas prévoir ce qui va se passer et si les différentes organisations syndicales, qui ont légitimement critiqué le projet de loi quinquennale et la suppression de la retraite à 60 ans, vont passer outre leurs contentieux et appeler ensemble les salariés à réagir. Je le souhaite. En tout cas sur le terrain politique qui est le leur, notre parti et ses militants font tout ce qui peut dépendre d'eux pour que les hommes et les femmes de progrès, de gauche et les formations en lesquelles ils se reconnaissent puissent se retrouver et agir ensemble.
L'Humanité du dimanche : En même temps qu'il mène cette action, le parti communiste a mis en chantier son 28e Congrès, qui aura lieu en janvier 1994. Dans le rapport personnel que vous avez présenté devant le Comité central, au mois de Juin, vous avez Insisté sur la nécessité de poursuivre le renouvellement amorcé antérieurement. Pourquoi ce besoin de renouveau ?
Georges Marchais : Vous avez raison de noter que le Parti communiste s'apprête à entamer la préparation de son congrès tout en poursuivant et en intensifiant son action. Et il va en être de même durant les mois qui vont suivre : les communistes n'ont pas du tout l'intention de se retirer du monde et de dire aux gens : "Continuez sans nous, on se retrouvera en janvier" ! Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent montre que l'heure est à l'effort pour que, dans le dialogue et dans l'action, se tissent des liens nouveaux entre toutes les victimes de la politique actuelle qui leur permettent de faire front efficacement, c'est-à-dire ensemble. C'est d'un tel effort que ces hommes, ces femmes, ces jeunes ont besoin, et c'est à quoi s'emploie et va s'employer le Parti communiste, puisqu'il n'a pas d'autre raison d'être que de servir au mieux leurs intérêts. Je pense que, quand je rappelle que telle est la raison d'être du Parti communiste, je n'apprends rien aux lecteurs de l'"Humanité Dimanche" : ils ont l'expérience qu'il en est bien ainsi. Mais j'aborde là ce qui va être au cœur de la discussion du 28e Congrès, après tout ce qui s'est passé ces dernières années en France et dans le monde, n'y a-t-il pas aussi beaucoup, beaucoup de gens qui ont, en quelque sorte, perdu leurs illusions, qui comprennent bien qu'il leur serait utile de se faire entendre sur le terrain politique, mais qui, pour l'instant, ne reconnaissent pas dans ce parti l'instrument qui puisse le leur permettre ? Je ne prétends ni que cet état de fait puisse se modifier du jour au lendemain ni que le Parti communiste en soit le seul responsable, mais je dis qu'il est de son devoir de faire ce qui peut dépendre de lui pour mieux répondre aux attentes et aux besoins de tous ces gens. Et que cela signifie, oui, de nouveaux progrès dans ses analyses, ses propositions, ses comportements, ses règles de vie.
L'Humanité du dimanche : C'est donc en tout domaine qu'à votre avis ces progrès doivent s'effectuer. Or, on a parfois l'Impression que ce congrès va surtout discuter de celle de vos propositions qui a fait le plus de "bruit" : l'abandon du centralisme démocratique…
Georges Marchais : Franchement, je ne crois pas qu'il va en être ainsi. Vous savez, les communistes ne sont pas différents de celles et ceux qui les entourent ; ils se demandent comme eux : "Où va le monde ?" ; "Pourquoi la France va-t-elle mal ?" ; "Quelles solutions avancer ?" ; "Comment et avec qui les promouvoir ?". Ils ont besoin d'avoir les idées claires à ce propos, et ce n'est pas par un débat à l'emporte-pièce qu'ils le pourront. Il va leur falloir beaucoup travailler, et ces quatre mois de réflexion et de discussion ne seront pas de trop. Évidemment, parmi les questions qui leur sont posées, il y a : "Quel type d'organisation pour le Parti communiste d'aujourd'hui ?" J'ai fait part de mon opinion je pense que le centralisme démocratique a, certes, préservé le Parti communiste de la pratique profondément antidémocratique des tendances organisées et des combats de chefs qui lui sont liés – pratique qu'il ne saurait être question d'adopter –, mais que ce principe correspond à une conception du combat politique que nous avons dépassée. J'ai la conviction que c'est dans la démocratie, c'est-à-dire dans la promotion des capacités d'initiative de ses adhérents, que le Parti communiste puise et puisera de plus en plus son dynamisme, son efficacité, sa cohérence. Cela dit, à propos de cette question comme de toutes les autres, les communistes vont s'informer, discuter, se faire leur propre opinion, et c'est à eux que reviendra le dernier mot. J'ai dit qu'ils vont avoir quatre mois pour cela vous voyez qu'il y a du pain sur la planche !