Texte intégral
Jean Domange : "Nous aurons à l'avenir un engagement plus sélectif envers le paritarisme"
Les Échos : Pourquoi cette négociation a-t-elle été aussi difficile ?
J. Domange : L'ambiance était, en effet, extrêmement tendue. Dans la situation actuelle de récession, face à un chômage aussi important, tout le monde avait conscience de l'importance des enjeux ne pas réduire la compétitivité des entreprises, ne pas déstabiliser le pouvoir d'achat et, enfin, ne pas aggraver l'inquiétude des chômeurs ou des salariés en condition fragile d'emploi. Nous sommes à un moment clé où, la politique du gouvernement n'ayant pas encore produit ses effets, les tendances lourdes ne sont pas corrigées. De plus, il y a un an, nous avions cru résoudre la question sur la base d'analyses économiques qui se sont révélées fausses. Le scepticisme était donc très grand quant à la validité des nouvelles prévisions et à notre capacité à réformer le régime en profondeur.
Les Échos : Précisément, avez-vous bâti une réforme qui tiendra la route ?
J. Domange : Il était inimaginable d'envisager un règlement financier sans mener à bien parallèlement une réforme des structures et du contrôle, sans rechercher une meilleure coordination. J'estime que nous avons fait, à cet égard, une évolution indispensable en renforçant considérablement le rôle de l'Unedic qui, désormais, nommera les directeurs d'Assedic et sera responsable de l'unité et de la gestion de l'ensemble de l'institution de l'assurance- chômage. Par ailleurs, nous avons trouvé les moyens d'avoir une concertation permanente à travers une structure de coordination entre l'Unedic, l'ANPE et les services de l'emploi.
Les Échos : Mais est-ce suffisant ?
J. Domange : Le protocole a prévu une clause de sauvegarde. Même si nous avions les experts les plus fiables, nous prendrions leurs chiffres avec la plus grande prudence. Il ne serait pas admissible que nous revenions dans un an devant nos mandants en disant que nous avions mal apprécié l'évolution du chômage, et que nous demandions alors un nouvel effort. Le protocole établit des règles, au moins pour trois ans : s'il y avait un problème, il serait réglé en liaison avec les partenaires sociaux, mais grâce à la solidarité nationale. D'abord avec l'entrée à l'Unedic de certaines catégories de salariés qui n'y sont pas. Ensuite avec la mise en œuvre de la solidarité. En effet, si le chômage devait être plus important que nos prévisions, ce serait un problème d'une telle ampleur que seule la solidarité nationale pourrait répondre.
Les Échos : Avez-vous été tenté de préférer une intervention du gouvernement par décret à un accord ?
J. Domange : Jamais. Un décret représentait un risque majeur pour les entreprises, pour le paritarisme et probablement pour le gouvernement lui-même. Il aurait constitué un échec grave pour la politique contractuelle et l'exercice des responsabilités sociales de l'organisation professionnelle. J'étais tout à fait déterminé à aboutir.
Les Échos : Est-ce à dire que, malgré les pressions d'une partie de votre base, vous ne remettrez pas en cause le paritarisme ?
J. Domange : Nous aurons, à l'avenir, un engagement plus sélectif. Nous devons être là où le droit s'élabore, là où nous pouvons accompagner la politique sociale des entreprises, là où intervient un financement par les entreprises et les salariés.
Les Échos : Est-ce le cas de l'assurance-maladie ?
J. Domange : Tant qu'il y aura un centime mis par les entreprises et les salariés, nous y serons. Nous quitterons peut-être l'assurance-maladie un jour, mais pas avant d'avoir imaginé un système qui préserve l'avenir.
Les Échos : Il reste que vous devez faire face à une remise en cause du paritarisme de la part de beaucoup de patrons. Vous ramez à contre-courant ! Oui. Mais cela tient en partie au manque de considération dont fait souvent preuve le pouvoir politique à l'égard des corps intermédiaires. Certaines erreurs ont été commises, par exemple, lorsque le gouvernement a reçu des coordinations. Les patrons s'honoreraient et conforteraient leurs positions en plaidant le paritarisme plutôt qu'en le démolissant, car il représente un gage de sérieux et d'imagination. Il constitue une barrière contre les empiétements permanents de l'administration.
20 août 1993
Les Échos
Jean Domange : "Une volonté de s'attaquer aux obstacles spécifiquement français"
Les Échos : Quel jugement portez-vous sur le projet du gouvernement et quelles sont les mesures qui vous semblent les plus positives ?
J. Domange : C'est un projet qui marque la volonté du gouvernement de s'attaquer aux obstacles spécifiquement français qui freinent l'emploi. Il devrait faciliter la création d'emplois dès lors que l'on retrouvera un niveau d'activité économique suffisant. Les mesures les plus positives portent sur les assouplissements de gestion des entreprises et d'organisation du travail. En ce qui concerne les mesures prévues pour la formation, il nous semble nécessaire d'avoir une réflexion approfondie face à un problème qui nécessite une vision globale.
Les Échos : Les entreprises vont bénéficier d'un allègement des allocations familiales. Si le gouvernement ne demande pas de contrepartie, il est probable que les syndicats, eux, le feront. Sur quels points pouvez-vous négocier ?
J. Domange : L'allégement des charges sociales des entreprises est une nécessité absolue, surtout dans un contexte de plus en plus difficile. La poursuite des exonérations de cotisations d'allocations familiales ne concerne que les bas salaires, ce qui correspond pas à nos attentes. Nous considérons que, s'il est souhaitable de poursuivre une action en faveur des bas salaires, il est nécessaire d'en mener une parallèlement sur l'ensemble des charges de toutes les catégories de salariés. Rappelons que, lorsque nous avons consenti un effort supplémentaire pour l'assurance-chômage, la charge n'a pas été différenciée.
Les Échos : Selon vous, le projet gouvernemental est-il susceptible de relancer la politique contractuelle ? Si tel est le cas, êtes-vous prêts à jouer le jeu ?
J. Domange : Nous avons toujours été favorables à la politique contractuelle et nous l'avons prouvé à maintes reprises, notamment cette année avec la négociation sur le régime de retraite complémentaire ARRCO, et dernièrement avec l'assurance-chômage. Nous avons toujours joué le jeu avec les branches professionnelles ainsi que les entreprises. Cela étant, concernant l'aménagement du temps de travail, nous avons toujours estimé que le lieu adéquat de la négociation était l'entreprise. Cette négociation décentralisée est en effet préférable dans ce cas, car l'entreprise est la plus apte à juger des contraintes de la concurrence, des attentes du marché et de ses possibilités d'adaptation.
Les Échos : Les mesures en faveur de l'aménagement du temps de travail sont-elles, d'après vous, suffisamment incitatives et vont-elles favoriser un véritable développement de l'emploi ?
J. Domange : Le véritable développement de l'emploi passe par la reprise de l'activité économique. Dans l'état actuel des choses et suivant nos analyses, il ne faut rien négliger. Cela nous amènera à être très actifs dans la concertation et à inciter les entreprises ainsi que les branches à utiliser autant que possible toutes les nouvelles règles favorisant le développement de l'emploi.
Les Échos : Certains indices laissent à penser que l'activité se stabilise. Estimez-vous que la rentrée sera plus facile sur le plan économique, en particulier en raison du remboursement du décalage d'un mois de TVA, ou bien qu'il faudra aider davantage les sociétés confrontées à un trou de trésorerie ?
J. Domange : La grande préoccupation des entreprises est leur activité et leur carnet de commandes, dont le bas niveau reste très inquiétant. Tous les aménagements réduisant les difficultés de trésorerie sont les bienvenus au moment où les entreprises tentent de survivre et de se battre pour trouver des contrats, gagner des parts de marché. En cela, elles mènent leur propre combat pour l'emploi.