Texte intégral
Le sommet de l'Alliance vient à point nommé dans une situation de crises ouvertes et de tensions. Nous devons prendre en compte l'inquiétude croissante face au vide de sécurité laissé en Europe centrale. Il faut maintenir les conditions de notre sécurité et rassurer les pays d'Europe centrale en évitant la nouvelle bipolarisation qui résulterait d'un simple déplacement de la frontière de l'occident vers l'est. Pour y parvenir, je distingue quatre objectifs.
Le premier objectif du sommet, qui doit être clairement rappelé, est d'affirmer la vitalité et la nécessité du lien transatlantique entre deux partenaires solides, l'Amérique du Nord et l'Europe. Nous souhaitons le maintien de la présence de nos alliés américains. Les fonctions de défense collective de l'alliance, qui ont fait leur preuve, sont indispensables sur un continent qui reste instable et imprévisible.
Le second objectif est l'affirmation de l'identité européenne de défense et de sécurité. Le sommet interviendra deux mois après l'entrée en vigueur du traité de Maastricht. Il nous parait donc normal que l'un de ses premiers objectifs soit l'affirmation de l'identité européenne de sécurité et de défense. La session ministérielle de l'UEO vient de se prononcer sur le sujet, en apportant aux réflexions des seize une contribution conjointe concertée, conformément à la déclaration des neuf à Maastricht. Nous souhaitons que la formulation de la déclaration des neuf soit reprise dans les meilleures conditions comme contribution au communiqué du sommet, et que le conseil conjoint UEO/OTAN du 14 décembre soit un succès.
L'UEO a établi un principe : le droit qu'ont les Européens d'utiliser les moyens qu'ils mettent à la disposition de l'alliance, sans que cette utilisation soit soumise à des conditions qui donneraient à une éventuelle intervention européenne un caractère subsidiaire.
Cela exigera d'engager, après le sommet, la mise au point de procédures détaillées. La proposition américaine de "groupes de forces interarmées", les CJTF, peut y contribuer pour l'identité européenne comme pour le maintien de la paix. Nous relevons que ces "groupes de forces interarmées" pourront être mis à disposition de l'UEO. Le concept de "groupes de forces interarmées" mérite toute notre attention, va dans le bon sens et nous l'étudierons dans un esprit constructif.
Le troisième objectif, l'adaptation des structures de l'OTAN, est rendu nécessaire par les compétences nouvelles qu'elle s'est reconnues dans le domaine du maintien de la paix. De ce point de vue, diverses questions se posent faut-il une ou plusieurs cellules de planification pour le maintien de la paix ? Faut-il la rattacher à SHAPE ou au comité militaire ? Comment intégrer dans la planification des opérations les aspects politiques et militaires d'activité de maintien de la paix, et faire une juste part aux vues des nations contributrices ? Les missions nouvelles appellent des souplesses nouvelles, et les CJTF vont dans ce sens.
Nos réunions d'Oslo et de Bruxelles ont instauré une règle claire sur le contrôle politique de ces nouvelles missions de maintien de la paix de l'OTAN qui seront menées sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies, ou de la CSCE. Il n'est pas question d'établir une quelconque compétition entre la CSCE et l'OTAN dans les domaines de la prévention des conflits ou de la gestion des crises.
Le quatrième objectif est la politique d'ouverture à l'Est que l'alliance doit enfin poursuivre. Nous en parlerons plus longuement demain, avec nos partenaires, du COCONA. Je me bornerai donc à souligner tout l'intérêt que la France porte au développement des activités opérationnelles de ce forum dans le domaine du maintien de la paix, en pleine compatibilité avec les compétences de la CSCE.
La proposition de "partenariat pour la paix" me semble de ce point de vue très positive. Elle devra sans doute être clarifiée sur quelques points : modalités de la clause de consultation automatique et articulation avec les rôles respectifs du COCONA et de la CSCE ; degré d'implication de SHAPE, ou, plutôt, du comité militaire, etc. Mais l'approche générale qui en découle vis-à-vis de nos partenaires – ni discrimination, ni précipitation – me semble tout-à-fait pertinente.
Cette proposition suffira-t-elle à rassurer les pays d'Europe centrale et orientale ? Je ne le crois pas. D'autres initiatives sont nécessaires. L'initiative de l'Union européenne sur le Pacte de stabilité en Europe, ou le renforcement des liens entre l'UEO et ses partenaires vont dans le même sens et se complètent avec le partenariat pour la paix sans entrer en concurrence.
Je voudrais évoquer brièvement le sujet de la contre-prolifération. Nous comprenons et nous partageons l'intérêt de nos alliés pour ce thème. Nous souhaitons, lors du sommet, l'adoption d'un principe : une action en ce domaine doit être définie et conduite à seize dans sa dimension politique, comme dans certains de ses aspects de défense. Il me semble normal que, d'ici là, nous ne soyons pas placés face à des décisions qui seraient prises dans d'autres enceintes, auxquelles nous ne participons pas. Je suis persuadé que nos alliés comprendront nos préoccupations, et que des procédures adéquates pourront être suivies pour éviter cette situation.
Je voudrais, en dernier lieu, souligner l'importance du plan d'action européen sur l'ex-Yougoslavie. De nouvelle négociations ont été mises sur les rails à Genève lundi. Sans faire preuve d'un optimisme léger ou prématuré, je crois pouvoir déceler des progrès : dans l'acheminement de l'aide si les parties tiennent leurs engagements ; au plan politique également : notre démarche sur la situation en Krajina a été bien accueillie. Mais des progrès devront être obtenus sur les concessions territoriales aux Bosniaques et sur l'accès à la mer. Il faut joindre nos efforts et nos pressions sur les belligérants comme nous le faisons aujourd'hui.
Point de presse du ministre à l'issue de la session ministérielle du conseil de l'Atlantique nord (Bruxelles, le 2 décembre 1993)
Comme vous le savez, notre réunion d'aujourd'hui était consacrée, pour l'essentiel, à la préparation du sommet de l'Alliance qui aura lieu le 10 janvier prochain. J'ai donc saisi cette occasion pour indiquer, quels étaient, pour la France, les objectifs de ce sommet dans une situation du continent européen où, hélas, les questions de sécurité sont plus complexes et plus nombreuses que jamais. D'un côté, des crises ouvertes, parfois tragiques : la Yougoslavie, le Caucase, d'autres encore. Dans d'autres cas, des tensions de plus en plus fortes entre certains pays d'Europe centrale et orientale, plus généralement dans l'ancienne Union soviétique. Tensions qui se manifestent souvent à propos d'une question de minorité nationale. Et, enfin, une inquiétude exprimée avec de plus en plus d'impatience au cœur du continent devant le vide de sécurité qui s'est créé depuis la disparition du Pacte de Varsovie et la fin de la guerre froide.
Face à cette situation, nous avons une tâche qui ressemble un peu à la cadrature du cercle qui est d'abord de maintenir au sein de l'Alliance des conditions de sécurité conformes à la vocation originelle de l'OTAN. Ensuite, rassurer les pays d'Europe centrale et orientale sans recréer pour autant un système bipolaire, qui donnerait le prétexte à la reconstitution d'un bloc rebaptisé "Communauté des États indépendants".
À la lumière de cette analyse, nous avons donc quatre grands objectifs en ce qui nous concerne pour ce sommet. Tout d'abord, réaffirmer la nécessité et la vitalité du lien transatlantique l'Alliance reste nécessaire et la présence de nos alliés américains sur le continent européen également.
Deuxième grand objectif, et particulièrement actuel avec l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne, c'est d'affirmer l'identité européenne de sécurité. Et là les choses petit à petit prennent corps. La dernière session ministérielle de l'UEO a été satisfaisante de ce point de vue. J'ai enregistré d'ailleurs, de la part du secrétaire d'État américain, une assez large ouverture d'esprit face à cette volonté d'affirmation de l'identité européenne de sécurité. De ce point de vue, le concept de "forces séparables mais non séparées" ("Joint Combined Task Forces") mérite attention et nous allons l'examiner dans un esprit tout à fait positif et constructif.
Le troisième objectif, c'est d'adapter l'Alliance à ses nouvelles missions. J'ai parlé à ce propos de la sécurité de ses États membres et de sa mission originelle. Elle a, aujourd'hui, de nouvelles missions en matière de maintien de la paix. À missions nouvelles, mode d'organisation nouveau. Il faut donc introduire plus de flexibilité dans la manière dont l'Alliance peut gérer ces opérations de maintien de la paix. Là encore, d'ailleurs, on retrouve le concept des "Joint Combined Task Forces" qui peuvent également correspondre à ce besoin d'une plus grande souplesse puisqu'il a été entendu que ces forces pourraient être mises à la disposition de I'UEO, par exemple, y compris sous commandement UEO.
Enfin, quatrième objectif, c'est de répondre aux besoins de sécurité des pays d'Europe centrale et orientale, que j'évoquais tout à l'heure, sans pour autant isoler ou rejeter la Russie. De ce point de vue, l'idée du partenariat pour la paix est intéressante, et nous l'avons accueillie positivement même si elle reste encore à préciser dans ses modalités concrètes. J'ai simplement insisté sur le fait qu'elle ne suffirait pas à elle seule à apaiser les pays d'Europe centrale et orientale et qu'elle devait s'accompagner d'autres initiatives qui ne sont pas concurrentes ni contradictoires, mais complémentaires. J'en ai cité deux : le pacte de stabilité bien sûr qui a pour objet de faciliter les accords de bon voisinage entre les pays d'Europe centrale et orientale, et d'en instituer la CSCE comme dépositaire. Et puis, deuxième initiative, c'est le resserrement des liens de certains de ces pays avec l'Union de l'Europe occidentale. La dernière session ministérielle a décidé de mettre à l'étude un statut renforcé dans l'esprit de l'initiative que M. Kinkel, le ministre polonais et moi-même avions prise à Varsovie, il y a quelque temps. Voilà un peu les thèmes que j'ai développés. Il semble d'ailleurs qu'il y ait un certain consensus autour de la table pour préparer le sommet dans cet état d'esprit. Je crois qu'il pourra donc vraisemblablement être réussi.
Question : Sur l'adhésion future de certains pays ex-communistes à l'OTAN, il semble qu'il y ait des sensibilités différentes exprimées par les ministres. Par exemple M. Kinkel dit qu'il ne faut pas trop tarder, il y a des pays qui frappent à la porte. Pouvez-vous nous donner votre point de vue et peut-être le sentiment général exprimé ?
Le ministre : Le sentiment général correspond à mon point de vue. C'est peut-être une chance. Bien entendu, il faut laisser des perspectives, mais le mieux est l'ennemi du bien et une trop grande précipitation pourrait avoir de graves inconvénients. Dire à la Pologne, à la Hongrie, à quelques autres : voilà demain vous êtes membres de l'Alliance atlantique, ne me paraît pas aujourd'hui une e pertinente, pour deux raisons. D'abord parce qu'il n'est pas temps de diluer l'Alliance dans sa fonction traditionnelle de système de défense, de l'article V du traité de l'Atlantique Nord. En deuxième lieu, parce qu'un élargissement prématuré serait un prétexte tout trouvé donné à la Russie pour transformer la CEI en une organisation concurrente. On aurait ainsi déplacé la frontière des blocs dont on pensait qu'elle avait disparu il y a quatre ans. Donc tout ceci me fait dire que le moment n'est pas venu. Cela dit, le partenariat pour la paix est une étape. Il peut donner lieu à des coopérations tout à fait concrètes, à des manœuvres conjointes, des exercices de planification conjoints, etc. et, si cela marche, cela peut aboutir un jour à une adhésion à part entière simultanément pour des pays auxquels nous avons dit au sommet de Copenhague nous sommes prêts à vous recevoir dans la famille européenne, le moment venu. Pour ceux d'entre eux qui sont déjà associés à l'Union européenne, j'insiste à nouveau sur cette idée d'un statut renforcé au sein de l'UEO. Voilà je crois, le schéma général, avec peut-être quelques nuances quant au calendrier qui s'est dégagé aujourd'hui autour de la table, de façon consensuelle et unanime.
Question : (sur l'UEO ?)
Le ministre : Sur l'UEO, j'ai exposé ma thèse… Mais il y a, je l'ai dit tout à l'heure, sur un autre sujet, de la part des Américains, un discours beaucoup plus ouvert et qui se concrétise par des propositions comme celles que j'évoquais sur l'affirmation de l'Union en tant que telle et sur l'émergence de cette identité européenne de défense. Il y a là un discours nouveau, beaucoup plus ouvert que celui que nous avons pu entendre au cours des années passées. Ce n'est plus ressenti comme une sorte de sacrilège ou de défi.
Question : Comment avez-vous perçu le lien que M. Christopher établi avec l'aboutissement des négociations du GATT ?
Le ministre : Il nous a déjà expliqué que, s'il n'y avait pas d'accord au GATT, ce serait la catastrophe mondiale. On est en train maintenant de nous expliquer qu'il n'y aura pas de sécurité en Europe s'il n'y a pas d'accord au GATT. Il ne faut pas mélanger tout et son contraire. Je suis pour un accord au GATT, mais cela n'a pas grand-chose à voir avec la sécurité européenne ou la solution de la crise yougoslave. Cela est un effet de tribune, si je puis dire.
Question : Est-ce que vous avez eu un entretien bilatéral avec M. Christopher ?
Le ministre : Oui.
Question : Pouvez-vous nous dire… ?
Le ministre : Non ! Je peux vous dire que j'ai évoqué brièvement avec lui l'état actuel de la négociation au GATT pour lui dire que sur les bases de mon information actuelle, mais cela va peut-être changer tout à l'heure, à 18 heures, je ne voyais pas comment on pouvait obtenir un accord puisqu'aucun élément de réponse n'a été donné aux légitimes questions soulevées par l'Union européenne. Mais je le répète, peut-être tout à l'heure, si j'en crois la presse, car il y a déjà e des déclarations vers 13 heures, je serais peut-être agréablement surpris au cours du Conseil des ministres.
Et puis, j'ai évoqué également avec mon ami Warren Christopher ma récente tournée, il y a une dizaine de jours, au Proche-Orient, et j'ai insisté sur l'urgence de relancer le processus de paix. J'ai eu l'occasion de rencontrer brièvement, avant hier, à l'aéroport, à Rome, le ministre Rabin, à qui j'en avais dit un mot aussi.