Texte intégral
Je souhaite remercier M. Guyomard pour le rapport qu'il nous a communiqué, dans lequel je relève des remarques particulièrement pertinentes sur l'action humanitaire de l'État, et ses imbrications avec les opérations militaires d'une part et avec les Organisations non gouvernementales d'autre part. L'analyse faite par le rapporteur est très proche de celle du gouvernement.
Aujourd'hui, l'information s'est mondialisée : les événements qui se produisent clans un endroit de la planète peuvent être immédiatement répercutés à l'ensemble du monde. Il me semble que dans ces conditions, il serait grave de vouloir réserver aux seules ONCE l'action humanitaire en faveur des populations frappées par des catastrophes naturelles ou humaines. Au XIXème siècle aussi, certains voulaient exclure l'État de l'aide sociale, en prétendant la réduire aux seules sociétés de bienfaisance. Plus personne n'y songerait aujourd'hui. La même évolution se fait jour peu à peu à l'échelon de la société internationale. Les États disposent d'ailleurs de moyens colossaux : ils peuvent agir mieux, plus individuellement. À la différence de ces dernières, ils disposent, par le canal de leur réseau diplomatique, d'antennes irremplaçables sur le terrain, même si dans certaines régions difficiles d'accès, les ONG sont souvent seules présentes.
Dans un passé récent, on a vu les difficultés que pouvait poser une action humanitaire d'État trop autonome et déconnectée de la politique étrangère. La dualité au niveau gouvernemental faisait courir à notre action extérieure au sens large le risque d'être mal comprise à l'étranger. Désormais, l'action humanitaire, de même que la politique en matière de droits de l'homme, est rattachée à l'action diplomatique de la France. Elle doit donc suivre les mêmes priorités, ce qui ne signifie pas pour autant qu'elle soit entachée de partialité, comme je le montrerai plus loin.
M. Guyomard a souligné justement "l'ambiguïté des opérations militaro-humanitaires déconnectées de perspectives politiques claires". Nous partageons cette appréciation ; nous devrons nous montrer à l'avenir plus circonspects. Car aujourd'hui nous assistons dans l'ex-Yougoslavie à une surimpression de plusieurs mandats, confiés aux mêmes troupes, sans qu'elles aient les moyens de vraiment les remplir. Le souci d'éviter des représailles contre les Casques Bleus devenus des cibles potentielles a même dissuadé l'ONU d'utiliser la force aérienne pour désenclaver des villes assiégées.
Et pourtant, malgré les obstacles, l'action conduite au profit des populations civiles de cette zone a été, et demeure très importante. Bien sûr, on peut comptabiliser le nombre de morts, déplorer les souffrances quotidiennement endurées par les populations, les violations de leurs droits, condamner le détournement de tonnes de secours au profit des factions années mais on pourrait aussi comptabiliser les vies sauvées qui se chiffrent par centaines de milliers, les personnes secourues, les milliers de tonnes d'aliments qui parviennent aux populations assiégées, les personnes soignées grâce à l'aide de la communauté internationale. Lorsque la paix sera revenue, nous nous rendrons mieux compte à quel point cet effort aura été apprécié des bénéficiaires.
En Somalie, des excès commis à l'encontre des populations civiles, et même parfois des organisations humanitaires, ont pu être le fait de certains contingents de l'ONU. Pourtant, l'action humanitaire a probablement permis de sauver de la famine des millions de personnes ; c'est bien ce qu'a réalisé le contingent français en combinant aide humanitaire et maintien de l'ordre, il a permis le retour à une vie presque normale dans des provinces entières de ce pays ravagé par la guerre civile.
Ainsi, tout en partageant les interrogations du rapporteur, tout en constatant avec lui que nous devons tirer des enseignements de ces expériences si difficiles, je maintiens que l'action humanitaire de l'État est bien irremplaçable, sur presque tous les théâtres d'opérations.
Certains reprochent à cette action d'être forcément partiale ou de receler des arrière-pensées politiques. Je voudrais réfuter cette accusation par quelques exemples très simples tirés de mon action récente : mon ministère apporte aujourd'hui de l'aide à tous les peuples du Caucase dès lors qu'ils sont victimes d'un conflit : hier, nos cargaisons étaient destinées aux Arméniens, dont les populations civiles Souffrent du blocus ; aujourd'hui, elles approvisionnent les Azéris qui errent par dizaines de milliers à proximité de la frontière iranienne saris protection et sans nourriture. Je me rends la semaine prochaine en Géorgie pour apporter l'aide française à toutes les populations qui ont souffert de la guerre civile, à celles de Tbilissi comme à celles de la région d'Abkhazie.
Les vivres, les médicaments, les tentes que nous débarquons en ce moment au Rwanda et au Burundi sont destinés aux populations Hutus comme aux Tutsis.
Je suis allée au mois de septembre à Sarajevo pour omettre les matériels médicaux collectés en France : ils ont bénéficié aussi bien aux hôpitaux serbes qu'à la communauté musulmane.
Toutes ces interrogations sur l'action humanitaire font depuis longtemps l'objet de débats. Or, en arrivant à la tête de ce ministère délégué, je me suis rendue compte que les ONG de l'urgence ne disposaient d'aucune enceinte pour évoquer sereinement avec nous leurs problèmes. Comme vous le savez sans doute, j'ai immédiatement lancé une consultation très large sur les attentes du monde associatif à l'égard de l'État en matière humanitaire. Le rapport qui m'a été remis dans le courant du mois d'octobre sur cette question m'a permis de dégager des lignes d'action qui formeront la trame de mon programme pour les mois à venir.
Tout d'abord, le Premier ministre m'a donné son accord pour mettre sur pied une Conférence consultative de l'action humanitaire. Cette instance rassemblera les ONG du secteur de l'urgence et toutes les administrations concernées, qui sont nombreuses. Le rôle de cette instance consistera à :
- débattre des problèmes rencontrés par l'action humanitaire et échanger des informations sur les situations d'urgence ;
- proposer des améliorations dans les relations entre l'État et les ONG (rationalisation des procédures d'accès aux fonds publics, transparence financière…) ;
- commenter et discuter des priorités et des modes d'action, ce qui peut impliquer des commentaires sur l'utilisation des fonds consacrés à l'action humanitaire ;
- mettre sur pied une procédure d'évaluation des actions humanitaires ;
- et enfin à promouvoir le droit international humanitaire en formulant des propositions par exemple sur les moyens d'améliorer l'accès aux victimes.
Cette conférence restera une structure très légère. Son Président sera désigné par le Premier ministre, et s'efforcera d'en faire un instrument efficace au profit de l'action internationale d'urgence.
En effet, à l'heure où nos dotations budgétaires sont en diminution, puisque le Fonds d'urgence humanitaire sera de 120 MF en 1994 contre 150 ME cette année, il est plus que jamais nécessaire de mobiliser l'ensemble des ressources publiques et privées, nationales et internationales en faveur de cette forme moderne de solidarité.
En matière de droits de l'homme, vous savez que j'ai décidé d'accorder une attention prioritaire à la protection de l'enfant. Là aussi, j'ai entrepris une consultation très large, sous la forme d'un groupe de travail composé de juristes, d'avocats, de fonctionnaires, de policiers, de juges, de diplomates, de représentants du monde associatif et de collectifs d'ONG spécialisées dans la protection de l'enfance. Ils me remettront leurs conclusions au début du printemps.
Mais d'ores et déjà, j'ai commencé à œuvrer concrètement en faveur de l'enfance maltraitée Je suis décidée à lutter contre la prostitution enfantine dans le monde, contre l'esclavage par le travail dont sont victimes les enfants, contre la misère qui les pousse à la rue, contre leur utilisation dans les conflits armés. J'apporte une aide matérielle à de nombreux programmes qui travaillent à la réduction de ces fléaux.
Mais je voudrais aller au-delà et pousser la communauté internationale à œuvrer en faveur de l'application de la convention des Nations Unies pour les droits de l'enfant signée en 1990. J'avais, suggéré, au nom de la délégation française à la conférence mondiale de Vienne de juin dernier, qu'un comité d'éthique composé de personnalités incontestables soit chargé d'attirer l'attention des autorités internationales sur les violations les plus graves des droits de l'enfant.
Il faut aussi élaborer parallèlement le plus rapidement possible un vrai plan d'action pour-traduire dans les faits les engagements pris par les États dans cette Convention. Je compte me faire à nouveau l'avocate de ces propositions à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, en février prochain à Genève.
Je profiterai de l'occasion pour y rencontrer celles et ceux qui tentent de promouvoir l'évolution démocratique des États, particulièrement les plus pauvres et les plus touchés par la guerre civile. Je suis rentrée aujourd'hui même du Salvador, qui vit une période très importante de retour à une situation démocratique. J'ai pu me rendre compte que le message de la France est toujours entendu. Partout où cela est possible, nous devons encourager les processus électoraux, soutenir la démocratie et la libre expression de la volonté des individus et des peuples.
Monsieur le Président je vous remercie…