Texte intégral
Le cinquantième anniversaire du système commercial multilatéral nous invite à un bilan, et à une réflexion sur les priorités pour aborder le prochain siècle.
Ce qui a été fait depuis 1947 est remarquable. Mais la nouvelle Organisation créée il y a trois ans consolide encore le système multilatéral.
L'OMC a trouvé sa place parmi les institutions internationales à vocation économique et financière. De nouvelles négociations sont programmées, qui permettront de poursuivre sur la lancée des derniers succès. Le mécanisme de règlement des différends fonctionne bien.
Faut-il s'en tenir à ce constat, et imaginer que notre réunion ne serait que de routine ?
Je ne le crois pas. La crise financière en Asie a fait craindre l'émergence de comportements protectionnistes. Ce risque n'est pas écarté. La crise a, et aura des conséquences multiples sur les échanges.
Dans le même temps, les opinions publiques s'inquiètent des conséquences du mouvement de globalisation. Les entreprises restent confrontées, sur l'ensemble des marchés, à des difficultés pour commercer ou investir.
Dans ce contexte, nous devons, me semble-t-il, fixer trois priorités à l'OMC.
1. Il nous revient, tout d'abord, de tout mettre en oeuvre pour préserver un système multilatéral des échanges ouvert et cohérent.
L'OMC constitue, comme le précise l'Accord de Marrakech, « le cadre institutionnel commun pour la conduite des relations commerciales entre ses Membres ». La pérennité de l'Organisation, tout comme l'efficacité et la crédibilité de son mécanisme de règlement des différends, renforcent utilement le système multilatéral des échanges, à un moment où sa cohérence peut se trouver fragilisée.
La dynamique d'intégration régionale suscite depuis longtemps d'innombrables débats. La contribution positive de maints accords régionaux à l'objectif de libéralisation est incontestable. Mais le respect des principes posés par les accords multilatéraux reste essentiel, pour garantir la compatibilité et la complémentarité des initiatives prises aux plans régional ou multilatéral. Tel est le sens de la primauté reconnue au système commercial multilatéral, à laquelle l'Union européenne réaffirme son attachement.
L'élargissement et la complexité croissante du programme de travail de l'OMC invitent également à un renforcement de l'Organisation. La gamme des sujets sur lesquels nous travaillons est de plus en plus large. Leur complexité technique et juridique s'accroît. Les liens entre commerce et réforme réglementaire doivent être analysés. Les panels mêlent de plus en plus fréquemment plusieurs accords, et leur nombre augmente.
L'OMC doit être en mesure de faire face à ces développements. Il lui faut se préparer aux prochaines accessions, celles de la Chine et de la Russie notamment, qui lui donneront le caractère universel auquel elle doit prétendre. Le travail de revue des accords et de leur fonctionnement devra être conduit dans cette perspective.
La France attache enfin la plus grande importance à la mise en oeuvre des engagements contractés à Marrakech et à Singapour dans le respect des calendriers agréés. Il en va en effet de la crédibilité de l'Organisation. Rien ne servirait d'engager de nouveaux exercices de libéralisation si les accords conclus n'étaient pas ou n'étaient que partiellement appliqués.
De ce point de vue, les travaux conduits par notre conférence ont montré l'ampleur du chemin parcouru. Nous pouvons nous en féliciter, et devons aller de l'avant.
2. Le second objectif doit être de faire progresser le programme de travail de l'OMC, pour favoriser la poursuite de la libéralisation des échanges et de l'investissement.
Je ne reviens pas sur les accords conclus depuis la Conférence de Singapour. Je me contenterai de rappeler le succès enregistré en décembre dernier sur les services financiers, qui montre que les difficultés économiques très sérieuses du moment n'ont pas empêché de prendre de nouveaux engagements de libéralisation. L'OMC a joué pleinement son rôle à cette occasion, en adressant le bon signal.
Permettez-moi de me tourner vers l'avenir. Notre programme de travail est très chargé. Le commerce international ne se résume plus, depuis longtemps, aux droits de douane perçus à la frontière.
Les questions réglementaires, sanitaires et phytosanitaires, les pratiques anticoncurrentielles des entreprises, les questions de santé publique et de protection du consommateur, les préoccupations sociales et environnementales sont à prendre en compte. Elles correspondent aux attentes des opérateurs économiques et aux préoccupations des opinions publiques. J'y reviendrai dans un instant.
Le besoin de transparence dans les marchés publics est un sujet également important sur lequel je souhaite que nous progressions. Nos opinions publiques sont de plus en plus impatientes à cet égard.
L'investissement est, de plus en plus, au coeur de la dynamique des échanges mondiaux. Emploi et croissance en dépendent. Les entreprises attendent de l'OMC qu'elle intègre mieux cette donnée majeure.
La France estime qu'il est souhaitable de définir ensemble un cadre juridique commun, offrant, aux opérateurs lisibilité, stabilité et sécurité. A défaut, nous laisserions s'instaurer un système multilatéral à plusieurs vitesses, dans lequel certains se trouveraient progressivement marginalisés.
La règle du consensus et le principe de la nation la plus favorisée garantissent la progression concertée de tous. Je suis convaincu que nous avons intérêt à privilégier cette approche multilatérale, en particulier sur les nouveaux sujets.
Parmi ces derniers, figurent à mes yeux en bonne place les technologies et la société de l'information.
Il est essentiel que l'OMC se saisisse de tous les aspects commerciaux du commerce électronique. Je me félicite des décisions prises sur ce point. La France appuie le programme de travail, et y participera, avec l'Union européenne, activement. Nous souhaitons également que débouchent les travaux d'élargissement de l'Accord sur les technologies de l'information.
3. La prise en compte des attentes et préoccupations des opinions publiques est un troisième impératif pour l'OMC, et pour chacun de nos pays.
Les raisons de l'inquiétude manifestée à l'égard de la mondialisation sont connues. Il nous faut rappeler sans relâche que le développement des échanges et de l'investissement est vital pour stimuler la croissance, l'emploi et le progrès technologique, dans l'ensemble de nos pays.
Nous ne pouvons laisser croire que la libéralisation des échanges pourrait être une fin en soi. Elle doit, pour servir les objectifs que je viens de rappeler, être maîtrisée, et intégrer d'autres dimensions auxquelles les opinions publiques sont de plus en plus sensibles. C'est à cette condition que nous pourrons poursuivre sur la voie de l'ouverture des marchés, de la libéralisation et des réformes réglementaires.
J'ai évoqué la sensibilité des opinions publiques. Permettez-moi de revenir sur la question des normes sociales de base, qui a été longuement débattue à Singapour. Elle est toujours d'actualité. Elle fait l'objet de travaux à l'OIT, Organisation dont chacun reconnaît le rôle fondamental en ce domaine. Dans le même temps, l'OMC ne peut ignorer le débat portant sur le travail forcé ou le travail des enfants, dont la réalité n'est niée par personne.
Là encore, l'enjeu est clair. Nous pouvons engager ensemble une réflexion sur ces questions, dans un cadre multilatéral qui offre à chacun l'occasion de faire connaître et de défendre ses vues. Nous risquons, sinon, de voir demain telle partie de l'opinion publique peser sur son gouvernement et son parlement pour apporter des réponses de caractère unilatéral ou extraterritorial.
C'est la raison pour laquelle la France soutiendra les initiatives prises pour faire progresser, à l'OIT et à l'OMC, la réflexion et le travail communs dans ce domaine.
Les préoccupations liées à l'environnement ne sont pas moins fortes. Les travaux de l'OMC doivent être intensifiés, pour ne pas en rester à la phase d'analyse. La France souhaite que l'OMC, dans le cadre de son mandat, apporte une contribution substantielle dans ce domaine.
Mesdames et Messieurs, notre Conférence ouvre la voie à une relance des travaux de l'OMC, dans la perspective des négociations qui reprendront en l'an 2000. Les principes qui devront nous guider sont l'ambition, le réalisme et la fidélité aux engagements pris et aux objectifs assignés à l'OMC.
La France restera, en ces temps de globalisation, attentive à la place des pays en développement dans le système commercial mondial.
La question du rythme et des modalités de la libéralisation ne peut être éludée, pas plus que celle de la répartition des bénéfices et des coûts de la mondialisation. C'est d'ailleurs pourquoi l'Union européenne s'est engagée aussi résolument en soutien au plan d'action en faveur des pays les moins avancés.
Le processus de préparation de la Conférence ministérielle de 1999 sera l'occasion pour l'ensemble des Membres de l'OMC de faire valoir leurs priorités et leurs attentes.
L'approche large préconisée par l'Union européenne doit permettre à chacun de trouver, dans le programme des négociations à venir, des sujets correspondant à ses priorités afin d'équilibrer le résultat final au mieux de ses intérêts.
Tel reste le principal avantage, éprouvé à maintes occasions, de la démarche multilatérale.