Texte intégral
Les contraintes ne manquent pas à l’entreprise d’aujourd’hui si elle veut rester compétitive. Il lui faut notamment être souple, adaptable, sans perdre de vue que sa réussite, dans un contexte aussi hostile, passe par la motivation de son personnel. L’entreprise n’est pas seulement un capital matériel, financier, c’est aussi et surtout un capital humain : si elle veut vivre et réussir son projet, elle doit instaurer un climat de confiance, faire participer les salariés aux décisions importantes et mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et du temps de travail, sans jamais oublier les aspirations personnelles et collectives, de plus en plus fortes, de ses salariés.
La société « idéale » des trente glorieuses, conciliant performance économique et progrès social, est très loin derrière nous. Le contexte est plus hostile aujourd’hui et les entreprises qui doivent faire face à la mondialisation de l’économie, l’arrivée de nouvelles technologies, l’intensification de la concurrence, se trouvent placées devant une alternative brutale : s’adapter ou bien disparaître. Or, il apparaît de plus en plus évident que cette adaptation de l’entreprise, qui conditionne sa réussite, dépend pour l’essentiel de son capital compétences, donc de son capital humain.
L’homme reste donc plus que jamais le « pivot » de ce nouveau monde du travail, qui se dessine à l’aube du troisième millénaire. Il change et devient beaucoup plus exigeant. Étant de moins en moins sollicité pour de simples travaux d’exécution, il se découvre des besoins nouveaux, des envies nouvelles. Son niveau de vie, son genre de vie, sa culture, ses mœurs, ses valeurs et ses attentes évoluent. L’entreprise devra prendre en compte toutes ces évolutions pour réussir son projet.
La CFE-CGC, qui réunit les acteurs censés mettre en œuvre ces changements de l’entreprise, réfléchit depuis de nombreuses années à la mutation de la société en général et du monde du travail en particulier, au travers, notamment, des préoccupations du personnel d’encadrement. « Changer le travail », « travailler autrement », « instaurer une véritable démocratie dans l’entreprise », sont autant de thèmes qu’elle a développés et analysés. La Confédération a d’ailleurs consacré un ouvrage à la question de la mutation de la société et de l’entreprise induite par les nouvelles technologies de l’information (« La société de l’information »). Cette réflexion s’est accélérée depuis que les entreprises se sont engagées dans le double mouvement de la modernisation et de la restructuration pour reconquérir leur compétitivité, car, de nécessaire, elle est devenue impérative, condition de survie dans un nouvel environnement.
Elle en arrive à la conclusion que c’est en redonnant sa place à l’homme dans l’entreprise, en lui permettant de participer aux décisions importantes, en lui donnant aussi la possibilité de se former et en lui laissant du temps pour vivre tout simplement que l’entreprise pourra de nouveau faire du profit et perdurer dans un univers toujours plus hostile.
I. – Les aspirations de l’homme au travail et les nouveaux besoins de l’entreprise
A. – Les aspirations nouvelles de l’homme au travail
L’homme du nouveau monde (du travail) a tendance à beaucoup réfléchir sur son propre avenir dans l’entreprise et il a, de ce point de vue, nombre d’exigences nouvelles. Or, si ses aspirations individuelles sont très fortes, ses aspirations collectives qui passent notamment par son engagement syndical, ne demandent qu’à être restaurées.
Des aspirations individuelles très fortes
L’homme au travail change avec le monde dans lequel il évolue en tentant de s’adapter au monde moderne. Dans une société où tous ses anciens repères s’envolent et où les mentalités évoluent à grande vitesse, son besoin primordial est de trouver un sens à sa vie personnelle, familiale mais aussi professionnelle ; Le travail n’a plus la même valeur pour lui. Alors qu’il était auparavant son gagne-pain, il devient le seul moyen de se « socialiser », et plus seulement par les revenus qu’il procure mais surtout par la place et le rang qu’il lui donne dans la société.
En outre, de plus en plus, et quel que soit son niveau de responsabilité, il veut avoir la maîtrise sur ses propres actes, sur sa condition au travail, et sur sa destinée en général.
Autonomie, créativité, responsabilité, temps pour vivre, il s’agit bien là de tous les facteurs de l’épanouissement personnel. Le salarié, et notamment le cadre de l’entreprise, ne prendra sa pleine et entière dimension, nécessaire à l’entreprise, qu’au travers de cet épanouissement.
Des aspirations collectives qui ne demandent qu’à être restaurées
L’évolution de l’économie et de la société en général, et ses incidences sur les relations de travail, ont affecté le mouvement syndical. En fait, beaucoup de facteurs expliquent ce phénomène du « repli sur soi » et de l’individualisation des relations de travail : le salarié ne se sent plus attaché à vie à son entreprise, il craint de plus en plus d’attirer l’attention sur lui par son action syndicale (il vit toujours dans l’idée, souvent vérifiée, que l’employeur est hostile aux syndicats), les statuts des personnels d’une même société sont très diversifiés (CDD, intérim, temps partiel…), les salariés sont plus mobiles, la collectivité du travail est donc « éclatée » et le ralliement autour des idées d’un syndicat est assez difficile à obtenir.
Mais il appartient aux organisations syndicales responsables, solidaires parce qu’elles contribuent à la cohésion sociale, d’accompagner la « mutation » aux côtés des salariés et des cadres de l’entreprise. Et cela, même si la crise et ses effets pèsent lourdement sur le syndicalisme dont les responsables sont conscients néanmoins de la nécessité dans laquelle il se trouve d’intégrer les réalités et les exigences d’aujourd’hui et de porter un regard différent sur les hommes et sur les choses.
Il ne peut y avoir évolution de la société, si chacun, l’État, l’entreprise, le citoyen, mais aussi le syndicat, n’accepte pas de prendre ses responsabilités et de s’adapter, sans renoncer pour autant aux valeurs de la prédominance de l’homme sur l’économie.
B. – Le besoin essentiel d’adaptabilité de l’entreprise
Aujourd’hui, une entreprise non compétitive est une entreprise moribonde. Face à toutes les contraintes qu’elle subit, l’entreprise doit s’affirmer et créer elle-même les conditions de sa croissance. Elle a donc un fort besoin de souplesse au niveau de ses structures et de sa production.
On ne peut nier qu’un peu plus de souplesse au niveau de la main-d’œuvre qu’elle emploie lui est aussi nécessaire. Mais c’est avant tout l’homme, à travers sa motivation et ses compétences, qui constituera l’essentiel de sa richesse.
La souplesse des structures et la qualité des produits
Pour continuer à faire du profit dans un environnement toujours plus hostile, l’entreprise doit miser sur la très bonne qualité de ses produits et notamment de ses services, qui doivent être parfaitement adaptés aux besoins du marché et renouvelés fréquemment en fonction de son évolution. Le but pour l’entreprise est de ne jamais se laisser dépasser, dans aucun de ses domaines de compétence, surtout par l’évolution rapide de la technologie, de l’informatique et des nouveaux moyens de communication en général.
Elle choisit le plus souvent, dans ce but, d’assouplir ses règles de fonctionnement et de réviser ses structures. Le pôle de décision stratégique est séparé du pôle de production, qui lui-même acquiert une autonomie de décision.
Flexibilité, adaptabilité et qualité sont les maîtres mots d’une entreprise qui doit faire face à l’imprévisibilité du marché.
La compétence de la main-d’œuvre
Puisque le capital humain est le capital essentiel de l’entreprise, cette dernière a particulièrement besoin d’une « main-d’œuvre » qualifiée, compétente et performante. Elle veut faire travailler des salariés dynamiques toujours à la pointe de la technologique, « adaptables » à toutes les situations et capables d’initiatives.
Elle s’oriente, pour cela, vers une gestion de l’emploi et du temps de travail souple qui lui permet « d’exploiter », jour et nuit, les compétences et les structures.
Mais, il est primordial que l’entreprise ne perde jamais de vue que, si elle doit faire face à des contraintes certaines, elle doit aussi prendre en compte les aspirations de l’homme au travail. C’est ce qui lui permettra de réussir son projet et de perdurer.
Restaurer et développer son capital humain reste encore le meilleur moyen de réussir.
II. – La conciliation de ces besoins et aspirations assure profit et pérennité à l’entreprise
En période de pleine croissance, l’entreprise a eu un fort besoin de main-d’œuvre simplement exécutante. Dans le contexte actuel, où la production industrielle n’est plus la principale activité de l’entreprise, celle-ci doit faire face à des exigences auxquelles les machines seules, aussi performantes soient-elles, ne peuvent répondre. Sans la motivation et l’implication pleine et entière de son personnel, l’entreprise n’a donc aucune chacune de succès.
Or, cette implication ne peut exister qu’au travail d’un vrai partenariat avec les dirigeants de l’entreprise, c’est-à-dire la participation active du personnel à leurs actes de gestion et surtout à leurs choix d’orientation. En outre, sans une bonne gestion prévisionnelle non seulement des emplois, des qualifications, des compétences, mais aussi du temps de travail des salariés, toujours en prenant en compte les aspirations de ces derniers, l’entreprise risque de se laisser surprendre rapidement par le progrès.
A. – La participation active des salariés aux prises de décision de l’entreprise
Améliorer le climat social par le dialogue et la participation des salariés aux prises de décision contribue fortement à motiver le personnel qui se sent ainsi associé aux choix de la direction et à la réussite de l’entreprise.
L’homme au travail, et plus particulièrement le cadre responsable, refuse aujourd’hui de subir des décisions venues « d’en haut » sans en comprendre les tenants et les aboutissants. Il aspire réellement aujourd’hui à participer à « tout ce qui se trame » à un échelon supérieur et qui le concerne.
En outre, du côté de l’entreprise, son besoin d’adaptation n’autorise plus qu’elle se contente de disposer d’une main-d’œuvre simplement passive. Au contraire, l’organisation nouvelle qu’il faut mettre en place nécessite que les salariés soient des acteurs, participant aux choix, réagissant vite et efficacement aux aléas, et prenant des initiatives pour l’adaptation aux évolutions rencontrées.
Cette participation active des salariés à la vie de leur entreprise passe par l’amélioration du dialogue social en général et par la participation des représentants des salariés aux organes décisionnels.
L’amélioration du dialogue social
La promotion de l’homme et ainsi sa motivation, ne peuvent s’obtenir que par le biais de la reconsidération de son véritable rôle dans la réussite de l’entreprise. L’entreprise doit donc créer les conditions d’un partenariat réactif favorisant l’émancipation créatrice des individus. Elle doit relever le défi : une communication de tous les instants, une information transparente sur l’état de l’entreprise et sur les orientations qu’elle va prendre, et surtout un vrai droit d’expression pour les salariés.
Dans l’intérêt de l’entreprise, mais aussi des salariés, il est primordial d’instaurer un dialogue constant entre les partenaires sociaux présents dans l’entreprise, les représentants du personnel et la direction. L’entreprise est un bien commun aux salariés, au chef d’entreprise et aux détenteurs du capital, qui doit donc évoluer avec l’aide de toutes les personnes intéressées à sa réussite.
Le syndicat, entre autres, est là pour veiller à ce que les salariés ne soient pas lésés par les décisions de l’entreprise. Il faut donc lui restituer la place qu’il mérite au sein de l’entreprise. La CFE-CGC a pu en effet constater dans les entreprises, qu’une méfiance injustifiée à son égard, et à l’égard des syndicats en général, empêchait la mise en place d’une véritable base de discussions. C’est pourtant en instaurant ou en restaurant le climat de confiance dans l’entreprise que les salariés s’investiront, davantage et sans arrières pensées, pour sa réussite.
La participation aux organes de décision de l’entreprise.
Le chef d’entreprise a le pouvoir de gestion dans l’entreprise. Cela ne doit pas empêcher les salariés de participer à la prise de décision sur les orientations. Au-delà de la nécessaire prise en compte des intérêts des détenteurs de capitaux par la création de valeurs de l’introduction des règles de « Corporate governance », l’entreprise est aussi une communauté d’hommes et de femmes qui doivent pouvoir se faire entendre.
Concrètement, cette possibilité est déjà envisagée dans notre droit. En effet, une ordonnance du 21 octobre 1986 prévoit la possibilité de nommer des « administrateurs salariés » qui participent, avec voix délibérative, au conseil d’administration ou de surveillance. Mais ce n’est malheureusement pour l’instant qu’une option pour l’entreprise qui peut très bien choisir de ne pas tenir compte de cette incitation. Si cette mesure devenait enfin effective, c’est-à-dire obligatoire, les administrateurs salariés, présents dans les conseils, avec le même statut que les autres administrateurs, participeraient activement aux changements importants qui interviendraient dans l’orientation de l’entreprise. Cela contribuerait sans doute à responsabiliser et à motiver le personnel.
B. – L’organisation prévisionnelle des emplois et du temps de travail
L’organisation prévisionnelle des emplois
Il existe un lien évident entre le niveau de performance d’une entreprise et le niveau de compétence des hommes qui la constituent. L’entreprise est, pour l’essentiel, un capital humain qui puise donc sa puissance dans l’homme et plus précisément, dans l’esprit de l’homme. L’organisation intelligente repose sur la complémentarité des compétences.
Une entreprise doit savoir définir quantitativement et qualitativement, les compétences dont elle aura besoin à moyen et à long terme, en fonction de ses orientations stratégiques, pour avoir plus de chance d’avoir toujours une main-d’œuvre adaptée et ainsi de réussir son projet. La CFE-CGC a toujours pensé qu’un plan de formation qui anticipe ainsi les changements, l’évolution des technologies et des besoins, est un réel investissement et un atout essentiel pour l’entreprise.
Le personnel doit pouvoir s’adapter, aussi rapidement que les structures et les machines elles-mêmes, aux évolutions de la société. Il lui faut maîtriser parfaitement son outil de travail. Or, cette maîtrise parfaite s’obtient déjà s’il intervient dans la mise en place des équipements et ensuite par la formation continue, soit au sein même de l’entreprise, par le transfert du savoir (des plus expérimentés vers les moins expérimentés), soit par des organismes externes. En effet, la formation est essentielle non seulement pour l’entreprise mais aussi pour l’homme au travail. Elle est à la fois une « maintenance permanente » de ce nouveau capital immatériel que sont les savoirs humains et un facteur d’épanouissement personnel, de responsabilité et d’autonomie pour le salarié.
La gestion du temps de travail
La durée de présence au travail s’inscrit dans une tendance historiquement décroissante. Cette aspiration doit se combiner avec le besoin de souplesse de l’entreprise dans une réduction du temps de travail négociée et adaptée à l’organisation de la production. L’homme au travail veut aussi du temps pour lui, qu’il pourra consacrer à sa famille ou à d’autres activités.
La CFE-CGC reconnaît depuis longtemps l’intérêt de la réduction-aménagement du temps de travail. Ses formes doivent être diverses et variées pour tenir compte de la situation de l’entreprise et de celle des hommes et des femmes qui la composent. Notamment, pour l’encadrement, la réduction hebdomadaire n’a pas de sens. En revanche, pour cette catégorie de personnel, l’aménagement réduction peut prendre la forme de l’annualisation du temps de travail, de la compensation des contraintes de temps, de la semaine de quatre jours, voire d’autres formes encore.
À l’heure où les études, analyses sociologiques, réflexions, sondages, exposent et alimentent la perte de confiance des salariés et la crise de confiance de l’encadrement, il est bon de rappeler que l’entreprise ne saurait réussir sans prendre en compte et s’appuyer sur leurs aspirations et leur motivation.
Peut-on perpétuellement et sans fin consacrer « l’ordre cannibale » qui organise le succès de l’économie et des entreprises sur le sacrifice des hommes et des femmes qui y travaillent ? Ne perdons donc jamais de vue que, si les critères de l’économie sont importants, l’organisation sociale doit être le bien de l’homme, ce dernier se situant au centre de toute réflexion. Le philosophe anglais Herbert Spencer ne disait rien d’autre lorsqu’il affirmait « la société existe pour le bénéfice de l’homme et non les hommes pour le bénéfice de la société ». On peut transcrire cette pensée à l’entreprise, reflet de la société en général.
L’homme à qui l’on permet de s’exprimer, de participer, de s’épanouir personnellement et professionnellement est bien clé de la réussite de l’entreprise.