Texte intégral
L’argumentaire du gouvernement s’est décliné en trois temps :
— tout d’abord il a prétendu agir au nom de l’emploi. Face aux doutes grandissants de l’opinion publique sur ce point, il a marqué un repli ;
— il a alors argué que les 35 heures allaient améliorer la vie des salariés. Là encore il a dû se replier devant les inquiétudes quant à l’évolution du pouvoir d’achat ;
— dans un troisième temps, il a cherché à convaincre que les 35 heures étaient une opportunité pour les entreprises de réformer et de moderniser l’organisation du travail et d’enrichir le dialogue social. Comme si les entreprises confrontées à la concurrence mondiale, et en adaptation permanente, avaient besoin d’une loi pour cela.
Déception. Nous sommes partis en campagne contre le projet de loi avec une vivacité qui reflétait le sentiment général des entrepreneurs. Nous avons expliqué que cette loi allait entraîner une hausse du coût du travail donc une désorganisation des entreprises, une démotivation des entrepreneurs, une déception des salariés qui allaient voir baisser leur pouvoir d’achat et une dégradation des rapports sociaux.
En outre, nous avons souligné que la générosité considérable des incitations financières qui accompagnent la loi ne sont pas compatibles avec les équilibres financiers de notre pays.
Un communiqué commun du CLIDE (CNPF, CGPME, UNAPL, UPA, FNSEA) a manifesté l’unité de tous les entrepreneurs, quels que soient leur secteur d’activité et la forme juridique sous laquelle ils l’exercent. C’est donc en harmonie avec les souhaits de la base que le CNPF et ses partenaires ont manifesté leur opposition à cette décision autoritaire du gouvernement qui va pénaliser notre pays à l’heure de l’entrée dans l’euro.
Démarche. D’aucuns on pu regretter que nous n’ayons pas organisé de manifestation de masse. Cela aurait contribué à donner un caractère politique à notre action ce que nous ne souhaitions pas. Nous aurions ainsi fait le jeu du gouvernement. Sa démarche, qui ne prend pas en compte les réalités économiques, est exclusivement politique. Répondre sur le même terrain aurait été une façon de la conforter.
Comme prévu, la loi a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale. En dépit des 1 500 amendements déposés par l’opposition, le texte adopté est même plus dur que le texte initial. Contrairement à des interprétations erronées, il ne prévoit aucune annualisation du temps de travail. Il prévoit simplement la possibilité d’opérer la réduction du temps de travail, sous forme de jours de repos pris par les salariés d’autres pouvant alimenter un compte d’épargne-temps.
Incertitude. Par ailleurs, les débats parlementaires n’ont pas résolu les incertitudes pesant sur trois points essentiels :
— le Smic. Comment va fonctionner le dispositif annoncé qui fait cohabiter un Smic horaire et une rémunération mensuelle garantie ? C’est une usine à gaz que dénoncent à la fois patronat et syndicats ;
— les heures supplémentaires. On sait simplement que les majorations pour les heures supplémentaires comprises entre 35 et 39 heures seront au maximum de 25 %. Il n’y a rien dans le texte sur le volume des heures supplémentaires ni sur leur régime, tout cela est renvoyé à la deuxième loi ;
— l’horaire des cadres. Bien que l’article 3 permette de prévoir des conditions particulières, l’essentiel concernant les cadres est là aussi renvoyé à la seconde loi alors que c’est un sujet dont l’urgence se fait sentir un peu plus chaque jour.
Il y a fort à parier que la loi qui sera votée par l’Assemblée nationale dans quelques semaines sera, à quelques nuances, identique au projet qui vient d’être adopté en première lecture. Bien entendu, nous restons toujours fermement opposés au principe des 35 heures pour tous. Nous sommes donc au début d’un long parcours. Nous avons jusqu’au premier janvier 2000 et au vote d’une texte définitif pour infléchir la tendance. Nous devons désormais nous battre dans cette perspective.
En attendant, dès la clôture du débat parlementaire, il appartiendra aux entreprises de prendre en toute liberté leur décision. Cela ne signifie pas qu’elles doivent être laissées seules. Le CNPF, les Fédérations, les Unions patronales les aideront les conseilleront, les soutiendront. Nous allons être confrontés à une très grande diversité de situations, avec beaucoup d’hésitations sur la conduite à tenir. Pour nos organisations, il y a là matière à se rapprocher du terrain, à reprendre un contact militant avec les entrepreneurs, quels que soient leur secteur et leur taille. Ce travail de fond devra être poursuivi jusqu’au 1er janvier 2000, voire jusqu’au 1er janvier 2002.
Décentralisation. Nous sommes convaincus que le centralisme tue l’efficacité de notre pays sur le plan économique et social. Cette remarque vaut aussi pour l’organisation patronale. Attention donc de ne pas avoir le réflexe de dire « c’est au CNPF de réagir pour nous ». Le risque est grand de voir le climat social se dégrader, en raison notamment de la pression qui va s’exercer sur le pouvoir d’achat de salariés qui, pour la plupart, ne sont pas demandeurs d’une réduction du temps de travail. Le CNPF est également conscient de la difficulté pour les PME de calculer précisément les effets de la loi sur leurs coûts. La discussion sur les 35 heures doit véritablement être une démarche décentralisée. Les négociations doivent prendre place au niveau des entreprises et des branches. En revanche, il revient au CNPF de gérer les difficultés communes à tous au niveau national. S’il nous revient par exemple des informations montrant qu’il existe un problème général sur les horaires des cadres, c’est au CNPF qu’il appartiendra de porter le message auprès du gouvernement.
Le débat autour des conventions collectives participe de la même approche. Le CNPF ne donne aucun mot d’ordre, il n’est engagé dans aucun combat doctrinaire, il fait simplement un constat. Certains métiers, pour gérer les 35 heures, ont besoin de modifier leur convention collective. En cas de désaccord entre les partenaires sociaux, cela peut entraîner l’éventualité d’une dénonciation.
Il est possible que le gouvernement ait ouvert avec la loi sur les 35 heures une véritable boîte de Pandore, qui, coïncidant avec la mise en place de l’euro, conduise à une profonde évolution de l’organisation des relations sociales en France. La communauté des entrepreneurs, les Fédérations, les Unions patronales et le CNPF auront un rôle majeur à jouer.