Interview de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, à RTL le 12 juin 1998, sur la politique familiale et les mesures de plafonnement touchant les prestations familiales et le quotient familial.

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Circonstance : Réunion de la Conférence nationale de la famille à Matignon le 12 juin 1998

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

« Bonne nouvelle » vont déclarer certains : la gauche découvre les vertus de la famille ?

— « Je crois que personne n'a à découvrir les vertus de la famille tant la famille est quelque chose de naturel. On a tous une famille et chacun sait que c'est le lieu où se construit d'abord effectivement l'enfant, le lieu où il trouve ses premiers repères, où il apprend en même temps ce qu'est la discipline, le respect des autres mais aussi la liberté. La famille n'appartient à personne, c'est simplement un lieu naturel et je crois qu'il est bon de revaloriser, aujourd'hui, le rôle de père et de mère de famille. »

Mais les syndicats, en sortant tout à l'heure de cette conférence, ont noté un progrès dans la conception que le Gouvernement a de la politique familiale.

— « Je crois que nous avons présenté là, après une année de concertation, une politique familiale large puisqu'il ne s'agit pas seulement des prestations familiales qui vont être versées aux familles mais aussi du point de savoir comment nous pouvons valoriser le rôle du père et de la mère de famille. Aussi bien en prenant en compte l'évolution de la famille aujourd'hui, qui est parfois monoparentale, éclatée, recomposée, mais aussi en faisant en sorte que la famille soit reconnue par toutes les institutions qui s'occupent des enfants et en particulier par l'école. Et enfin, que dans la vie quotidienne, à la fois pour mieux articuler la vie professionnelle et familiale, pour les problèmes de logement, de garde d'enfants nous soyons capables effectivement d'avancer pour aider les familles et nous avons annoncé déjà un certain nombre de mesures, ce matin. »

Quelles sont les raisons qui ont poussé le Gouvernement à revenir sur la mise sous conditions des allocations familiales ? C'est l'ampleur des manifestations d'opposition ?

— « Comme vous le savez, il n'y a pas eu de manifestations. »

Non, mais en cris ou en pétitions ?

— « Non, je crois que c'est tout simplement parce que nous avons travaillé avec un certain nombre d'associations et d'organisations. Quel était le terrain en arrivant l'année dernière ? La branche famille était en déficit de 12 milliards et le problème pour nous, était de quadrupler l'allocation de rentrée scolaire pour les familles modestes, de continuer à payer les allocations familiales pour ceux qui avaient des difficultés, d'augmenter l'APL – allocation logement – qui n'avait pas été augmentée depuis plusieurs années. Bref d'aider ceux qui en avaient besoin. Pour cela et pour tenir compte de ce déficit, il fallait prendre des mesures de solidarité. Eh bien nous avons pris une mesure qui était ce plafond qui supprimait les allocations familiales au-dessus d'un certain montant – 25 000 francs plus certains montants si le couple travaillait, etc…Et puis il y a eu des réactions par rapport à cette décision qui, encore une fois, était une mesure de solidarité, et d'ailleurs une bonne mesure de solidarité que nous avons étendues car certains nous ont dit : « nous croyons à l'universalité des allocations familiales, nous pensons que toutes les familles doivent les percevoir et il y a d'autres méthodes pour poursuivre le même objectif ». Moi je crois que ce qui a été intéressant cette année, c'est que nous avons travaillé, évalué et nous avons fait aussi – et H. Brin, président de l'UNAF l'a très bien dit – nous avons fait réfléchir en face puisque, aujourd'hui, la quasi-totalité des participants à la table ronde ont dit : « il faut de la solidarité dans la politique familiale ». Alors s'il y a une meilleure méthode que celle que nous avions choisie – à savoir le quotient familial – qui est plus souple et qui touche moins les familles à revenus moyens-hauts, eh bien, il faut la prendre et c'est ce que nous avons fait. »

C'était la réconciliation aujourd'hui ?

— « Il n'y a jamais eu véritablement de rupture. Nous avons toujours continué à discuter avec les organisations syndicales et les associations familiales. Simplement, il est vrai qu'aujourd'hui ; 230 000 familles vont gagner à cette méthode changée, d'autres vont payer un petit peu plus. Quand on a un enfant, c'est à partir de 38 000 francs nets par mois ; quand on en a deux à partir de 56 000 francs, quand on en a trois à partir de 63 000 francs nets. On voit bien qu'on est là dans des mesures de justice ».

Tout à l'heure, je disais : « bonne nouvelle, mais certains vont dire aussi mauvaise nouvelle puisque comme vous venez de l'indiquer, pour certaines familles, avec l'abaissement du plafond du quotient familial, le Gouvernement augmente la pression fiscale ?

— « Oui, enfin une pression fiscale ! Je voudrais d'ailleurs le dire : les prélèvements obligatoires vont monter avec cette mesure de 0, 037 %. Je crois qu'on touche aux familles, je l'ai dit, favorisées. Je prends un exemple : l'année dernière, une faille avec deux enfants qui gagnait 25 000 francs par mois, pouvait perdre 650 francs par mois. Aujourd'hui, aucune famille avec deux enfants ne perdra quoi que ce soit jusqu'à 38 000 francs nets par mois. C'est-à-dire qu'elle récupérera ces allocations familiales et elle ne sera pas touchée par le quotient familial. C'est une mesure qui accentue encore la justice que nous avions souhaitée l'année prochaine et je dois le dire aussi nous avons annoncé un certain nombre de mesures dont le coût total est de 3 milliards et qui vont aider à un certain nombre de familles. »

Est-ce que, comme L. Jospin, vous direz que la France est un pays passionnant et pas forcément facile à gouverner ?

— « Bien sûr. Je ne sais pas s'il y a des pays faciles à gouverner. Je pense que le tempérament français est un tempérament réactif. Moi, je préfère plutôt cela. On a vu cette année que la concertation, la citoyenneté permettait à un gouvernement d'avancer et peut-être aussi à des associations d'avancer en acceptant la solidarité. Je pense que l'on fait de bons pas sur la famille comme on l'a fait par ailleurs sur la solidarité en matière d'emplois ; et j'espère qu'on le fera très concrètement sur la durée du travail dans les entreprises. Je crois que le Premier ministre l'a dit clairement : il faut un Etat qui sait où il va – cela redonne du sens à notre société – mais il faut aussi des citoyens qui se prennent en mains et je crois que, ce matin, nos partenaires autour de la table l'ont bien montré. »

Que la politique familiale aussi soit en phase avec la mutation de la société ?

— « Tout à fait, il faut prendre en compte les évolutions de la famille mais il faut quand même se rappeler que la famille se construit autour de l'enfant. C'est l'attente de l'enfant, c'est la présence de l'enfant qui faut la famille. Je crois qu'il le faut le dire clairement mais cette famille aujourd'hui peut-être monoparentale, peut être éclatée, elle peut être recomposée. E. Guigou va y travailler dans les jours qui viennent car je crois qu'il faut que chaque enfant sache que son père et sa mère naturels remplissent une fonction qui est irremplaçable. Et nous devons aider ces parents à les remplir. Tous les adultes qui sont autour de lui, soit dans une famille recomposée, soit à l'école, peuvent l'aider dans une fonction d'éducation. Mais ce n'est pas la même fonction que la fonction naturelle. Je crois que c'est cette valorisation de la fonction parentale, une aide et un accompagnement pour les familles qui ont des difficultés à la remplir, des lieus de rencontre entre parents et enfants lorsqu'il y a des difficultés qui doivent nous permettre d'avancer. Je crois que c'est une façon d'aider les enfants à se construire. »