Texte intégral
Q – Le ministère des Affaires étrangères est devenu, aux côtés du ministère de l'Education nationale et de la Recherche, l'un des principaux acteurs dans la promotion de l'offre française de formation supérieure. Cela s'inscrit-il dans le droit fil de la coopération traditionnelle, ou est-ce la marque d'une nouvelle politique ?
R – Hubert Védrine – Les deux à la fois.
La coopération éducative est, depuis longtemps, un des points forts de la présence française à l'étranger. Le ministère des Affaires étrangères a toujours veillé au rayonnement culturel et scientifique de la France à l'extérieur. Notre pays a invité en 1997 près de 20 000 étrangers et a pris en charge les bourses correspondantes. Si l'on ajoute les bourses au titre de la coopération, ce total s'élèvera à près de 25 000. Cette politique, massive depuis 1945, est, ne l'oublions pas, vieille de plus d'un siècle, prenant à l'origine la forme d'aide à des organismes extérieurs : établissements d'enseignement, associations, congrégations…
Ce qui est nouveau dans notre politique, c'est la prise en considération du fait que la formation est, sur le plan mondial, devenue un “marché” très concurrentiel et un enjeu d'influence. Sur ce marché, nos concurrents anglo-saxons sont d'actifs promoteurs de leur filières de formation et en récoltent les fruits. La France est clairement en retard.
R – Claude Allègre – C'est pourquoi nos deux ministères ont décidé de se concerter désormais de façon plus systématique pour définir ensemble de véritables stratégies, et permettre à nos établissements d'enseignement et à nos organismes de recherche, associés à des programmes de coopération, de se faire connaître sur ce marché, de faire la promotion de leurs compétences à l'étranger. Nous serons présents cette année dans quarante salons étrangers de l'éducation : nous ne l'étions que dans quatre il y a deux ans.
Dans ce but, nous allons créer ensemble une “Agence” dont la tâche principale sera de prospecter les marchés et de promouvoir l'offre française de formation. Nous avons besoin pour cela d'une structure légère et efficace, capable d'adopter une démarche plus commerciale. Elle devra s'appuyer sur l'action de notre réseau culturel et scientifique, que nous avons l'intention d'améliorer et de professionnaliser dans ce sens.
Q – Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur la manière dont cet organisme devra fonctionner, sur le périmètre de ses missions ?
R – Hubert Védrine – Quatre groupes de travail, rassemblant des responsables de nos deux ministères ainsi que des représentants des universités et des grandes écoles, se sont réunis pour réfléchir aux missions de la future Agence. Ils nous ont rendu récemment leurs conclusions, qui font ressortir la nécessité d'une meilleure coordination de notre coopération scientifique à l'étranger, d'une concentration plus visible et plus rationnelle de nos moyens sur les cibles choisies, d'une meilleure organisation de la réponse française aux appels d'offres des organisations internationales (Banque mondiale, Union européenne…). La réforme en cours des services chargés des différentes sortes de coopération au sein de nos ministères y contribuera.
R – Claude Allègre – L'Agence devrait voir le jour avant l'été prochain. Elle se présentera pour démarrer sous la forme d'un groupement d'intérêt public associant le ministère de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie, le ministère des Affaires étrangères, la Conférence des présidents d'universités, la Conférence des directeurs d'écoles et formations d'ingénieurs, et la Conférence des grandes écoles.
Q – Quelles sont les chances de succès de la France face aux Anglo-Saxons, compte tenu de leur poids linguistique et économique ? La culture française du service public en matière d'éducation n'est-elle pas un handicap ? Ce système peut-il constituer un atout supplémentaire aux yeux des étrangers généralement confrontés à des systèmes commerciaux privés ?
R – Huber Védrine – Les universités anglo-saxonnes ont l'habitude “d'aller chercher” l'étudiant ; elles le font déjà pour leurs nationaux, elles savent être attractives et se trouvent donc, incontestablement, avantagées sur le marché international, face à des établissements français, qui, de tradition, s'en tiennent à une logique de service public. Nous devons clairement surmonter des handicaps sur le plan économique et linguistique, mais nous avons des atouts…
R – Claude Allègre – Le modèle français du service public par exemple est un atout aux yeux des étrangers. Notre système éducatif est en effet reconnu en tant que tel à l'extérieur, notamment dans les secteurs de l'enseignement général et technique du secondaire et dans les enseignements technologiques supérieurs.
C'est précisément sur ce point que porte le pari de la création d'une Agence : il s'agit de valoriser, en utilisant les méthodes adaptées au marché (analyse de la demande, promotion de l'offre, réponses sur mesure, suivi et satisfaction du client, coût intégré…), des opérations garanties par le service public. Il nous faudra donc réussir l'articulation entre la qualité offerte par le service public et les méthodes de prestations de type privé.
R – Hubert Védrine – Nous voulons articuler nos actions à la fois avec les entreprises privées implantées à l'étranger – pour qui la formation peut être un levier économique considérable -, avec les sociétés d'ingénierie éducative qui connaissent bien les lois du marché, avec tous ceux, ministères et partenaires, qui assurent une représentation permanente et disposent de relais dans les pays avec lesquels nous coopérons. L'important est d'agir en complémentarité et en synergie afin d'optimiser, chacun dans son domaine de compétence, les investissements importants que déploie globalement notre pays en matière d'échanges scientifiques, techniques et éducatifs.
R – Claude Allègre – Il faut ajouter à cet effort global la mise en place d'un dispositif d'accueil et de suivi des étudiants étrangers au sein de nos universités qui soient à la hauteur de notre offre de formation. Nos opérateurs privés de formation le savent bien, et accueillent d'ailleurs très positivement l'idée que les ministères se préoccupent d'appuyer leur développement international par la mise en place d'un système qui allie la qualité de l'offre, les conditions d'accueil, le suivi pédagogique et l'efficacité d'une démarche commerciale.
C'est un défi de dimension nationale. Nous comptons beaucoup sur nos entreprises pour nous aider à y répondre.
Q – Serait-il souhaitable de diversifier l'origine des étrangers venant étudier en France, et, si oui, quelles populations seraient prioritairement visées ?
R – Hubert Védrine – La France est une destination naturelle et importante pour les étudiants de nombreux pays qui nous sont proches par la culture et l'histoire. Toutefois, une étude de la carte de nos coopérations révèle que nous sommes trop absents des régions du monde qui affichent le plus fort potentiel de croissance, comme l'Asie et l'Amérique du Sud. La France n'y occupe pas la place que mériteraient ses compétences en matière de formation. Quant aux pays forts économiquement et scientifiquement développés, il est clair que nous avons tout intérêt à multiplier avec eux les échanges, dans les deux sens, de nos étudiants, de nos professeurs et de nos chercheurs.
Q – Recevoir des étudiants étrangers est essentiel. Mais n'y a-t-il pas un effort à faire également du côté de l'accueil des enseignants dans nos écoles et universités ?
R – Hubert Védrine – Bien entendu, il est essentiel d'accueillir des professeurs et de scientifiques dans nos universités et dans nos laboratoires de recherche. D'importantes modifications, notamment sur l'octroi des visas, sont en cours d'adoption. Par exemple, la mention “scientifique” qui sera portée, de son entrée sur le territoire français, sur le visa du professeur étranger, devrait considérablement faciliter ses démarches en France.
R – Claude Allègre – Les possibilités d'accueil des enseignants dans nos établissements sont nombreuses : postes de professeurs invités, chaires réservées à des enseignants étrangers (c'est le cas notamment en Ile-de-France) procédure PAST (professeurs associés à temps partiel ou à temps plein), qui permet à une université d'inviter des professeurs étrangers sur un nombre de mois adapté à ses besoins, missions ponctuelles aux frais des laboratoires, des universités ou de programmes multilatéraux comme, par exemple, le programme “mobilité des chercheurs” du quatrième PCRD (programme-cadre de l'Union européenne).
Q – Sciences économiques, gestion et sciences exactes ont pris la tête de l'offre de formation française. N'y a-t-il pas un risque de délaisser les points traditionnellement forts de la France : arts, littérature, luxe, artisanat d'art ?
R – Claude Allègre – Nous ne délaissons pas ces domaines : mais leur capacité d'attraction ne nécessite pas, aujourd'hui, d'intervention spécifique plus marquée des pouvoirs publics. La littérature, l'histoire et d'une matière générale les sciences humaines et sociales restent très demandées et intéressent encore plus de la moitié des étudiants accueillis en France. En revanche les secteurs des sciences économiques et de gestion, des sciences administratives et de l'ingénieur appellent des efforts supplémentaires. Le ministère des Affaires étrangères s'y emploie fortement, et le ministère de l'Education nationale, avec la création d'une direction de la technologie, met en place un dispositif visant à instiller l'esprit de recherche et d'innovation dans nos formations afin de les rendre plus compétitives sur le marché du travail, et donc plus performantes aussi à l'étranger.
Q – Comment le ministère de l'Education nationale compte-t-il obtenir une harmonisation des formations supérieures en Europe, tant pour la durée des études que pour l'équivalence des diplômes, dont vous avez formulé le souhait à de nombreuses reprises cette année ?
R – Claude Allègre – Il est clair que si nous voulons promouvoir les formations et la recherche française, il faut en même temps nous soucier de la lisibilité et de la simplification de notre système universitaire. Lorsqu'un étudiant ou un jeune chercheur étranger nous fait l'honneur de venir étudier dans notre pays, la moindre des choses est de lui délivrer à la sortie du diplôme ou un niveau d'études qui soit reconnu dans le sien, et qui lui permette, à son retour, soit de trouver un emploi, soit de poursuivre des études chez lui. Notre ministère s'emploie actuellement à soutenir et à encourager un vaste débat initié par les universitaires européens eux-mêmes, qui, tout en tenant à préserver leur diversité et leurs spécificités, s'interrogent sur la manière dont ils pourront, ensemble, s'inscrire dans la compétition mondiale. Or, comme je le répète souvent, cette compétition sera avant tout celle de la matière grise. C'est pourquoi, à l'heure où nous construisons l'Europe économique et monétaire, il nous fait aussi préparer notre cohésion culturelle et intellectuelle.
J'ai, récemment, demandé à la commission Attali d'étudier comment, dans ce contexte d'édification d'un nouvel espace culturel solidaire, condition nécessaire à l'émergence d'une citoyenneté européenne, il serait possible à la France, tout en conservant ses structures propres, d'adapter le dispositif complexe de ses universités et de ses grandes écoles aux exigences du monde de demain.
Conscient d'un enjeu majeur pour l'université européenne du XXIème siècle, j'ai voulu, dès mon arrivée, donner une nouvelle impulsion à cette réflexion.
Le huit centième anniversaire de l'Université de Paris vient de nous offrir l'occasion de déclarer la volonté commune des universitaires et des politiques d'encourager et d'accélérer ce processus d'harmonisation des cursus, qui s'est mis en place très naturellement, depuis quelques années, à l'échelle de l'Europe.