Texte intégral
Monsieur le Premier ministre,
Le ministre du budget vient de faire connaître l'intention du gouvernement de réduire, en 1994, la dotation publique en faveur des partis politiques, de 10 % pour les formations représentées au Parlement et de 5 % pour celles qui ne le sont pas. Une telle réduction exigerait à la fois un amendement au projet de la loi de finances pour 1994 et une modification de la loi n° 90.55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques.
Cette mesure peut flatter l'opinion, en laissant croire que les partis politiques vivent dans le luxe ou dans l'excès, voire qu'ils sont inutiles ou superflus. En fait, elle constituerait à mes yeux une grave atteinte à la démocratie. La loi du 15 janvier 1990, améliorant la législation antérieure, a introduit, dans le droit et dans la pratique, des principes essentiels pour le financement des partis politiques : plafonnement des dépenses électorales, transparence et contrôle des comptes des partis, faculté donnée aux personnes physiques et morales de financer ceux-ci, dont le fonctionnement est désormais strictement codifié. Ces principes ont permis, même si nos concitoyens n'en sont pas encore suffisamment convaincus, une clarification considérable de l'activité politique. Le financement public des partis politiques est la clé de voute de ce dispositif : il témoigne du-prix que la collectivité attache à la démocratie, et les libère d'une dépendance excessive à l'égard de l'argent privé. C'est pourquoi j'ai toujours milité pour que la dotation publique aux partis, calculée en fonction du nombre de voix et de sièges obtenus aux élections législatives, leur permette de disposer de ressources nécessaires à leur fonctionnement.
Réduire cette dotation serait ignorer la reconnaissance que la constitution, en son article 4, accorde aux partis politiques : « les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ». Compromettre leur activité, si difficile pour certains d'entre eux, reviendrait à limiter leurs capacités d'expression et porterait donc un coup à la démocratie.
Choquante sur le principe, cette mesure serait d'autant plus attentatoire aux libertés qu'elle toucherait d'abord les minorités et l'opposition. Ainsi en va-t-il du parti socialiste. Le verdict des urnes se traduira en 1994 par une diminution – avant toute réduction en loi de finances – de sa dotation publique de plus de 45 % par rapport à 1993. Nous nous sommes adaptés à cette nouvelle donne, en adoptant un budget 1994 en forte baisse, dans le même temps où le RPR et l'UDF verront leur financement public croître, du fait de leurs succès électoraux, dans des proportions très substantielles. Dès lors, la baisse annoncée en loi de finances n'est pas neutre, elle ne représente pas un effort pour tous, mais elle est bien inéquitable : elle limiterait, certes, les gains des formations majoritaires, mais sans les annuler, loin s'en faut ; elle pénaliserait davantage encore l'opposition, et empêcherait les partis démocratiques absents du Parlement de bénéficier des concours publics auxquels leurs résultats aux élections législatives de mars 1993 ouvraient droit.
Comme vous, je suis sensible à la nécessité de consentir, dans la situation économique si difficile où se trouve la France, un effort d'ensemble en matière de finances publiques. Puisque le budget de l'État croîtra de 1,1 % en 1994, il me semble qu'une stabilité en francs courants de la dotation publique aux partis politiques répondrait à cette exigence.
Une démocratie vivante a besoin d'un véritable débat public et de réels contrepoids : le financement public des partis en est une des conditions. J'ai trop confiance en votre attachement à la démocratie pour douter que vous écarterez la solution de facilité qui consisterait à réduire ce financement public.
Je vous prie de croire, monsieur le Premier ministre, à ma considération.