Texte intégral
J.-M. Lefèvre : Votre sentiment général après ce discours d'É. Balladur ?
C. Millon : L'accord du GATT est pour nous un accord qui est globalement positif. Mais c'est un point de départ et non un point d'arrivée. C'est la raison pour laquelle à partir d'aujourd'hui nous continuerons à soutenir le gouvernement pour qu'il mette en œuvre les références nécessaires à la mise en œuvre du GATT. Le GATT, c'est le refus du protectionnisme. C'est le choix de l'Europe. C'est la défense d'un certain nombre d'intérêts fondamentaux de la France. Pour tout cela il faudra demain mettre en œuvre des réformes. C'est ce à quoi nous allons nous atteler.
J.-M. Lefèvre : Vous voudriez que l'on aille plus vite, que les réformes soient plus efficaces et plus coup de poing que la loi quinquennale sur l'emploi ?
C. Millon : C'est bien évident. Je crois que l'angoisse des Français aujourd'hui ce n'est pas le GATT, c'est le chômage, c'est la formation des jeunes, c'est l'avenir professionnel de tel ou tel. Il est absolument indispensable que ce soit dans le domaine de la création d'entreprise, que ce soit dans le domaine de l'allègement des charges sociales qu'il y ait des initiatives qui soient prises. Et là nous serons vigilants, exigeants.
J.-M. Lefèvre : Le "oui mais", ça résume bien la position de l'UDF ?
C. Millon : Je préfère, à titre personnel, l'expression de "oui vigilant, exigeant". Ça a été la position de l'UDF depuis les élections législatives. Nous continuerons à avoir cette position. Nous sommes dans la majorité. Nous soutenons le gouvernement mais nous souhaitons que des réformes qui permettent d'accompagner la transformation de la société, de lutter contre le chômage soient engagées car aujourd'hui la France est une société qui est quelque peu bloquée. Il y a des peurs un peu partout et ceci exige des réponses d'urgence.
J.-M. Lefèvre : L'adhésion volontaire, la cohésion partagée disait le Premier ministre. Donc, oui sous certaines conditions.
C. Millon : Bien sûr que nous sommes dans la majorité mais vous savez il n'y a pas d'éloges flatteurs sans liberté de blâmer.
J.-M. Lefèvre : Ça me rappelle quelque chose.
C. Millon : Ça rappelle Beaumarchais. Simplement, si nous avons été très vigilants en matière de vote du budget 94, si nous avons été exigeants pour la loi quinquennale sur l'emploi, ceci ne nous empêche pas aujourd'hui de reconnaître qu'on a un accord qui est globalement positif. Nous sommes à l'UDF globalement satisfait car nous avions tous au cours de cette négociation dit que nous souhaitions un accord dans l'intérêt de la France et qui respectait les intérêts de la France. Or, aujourd'hui on constate que, que ce soit sur les moyens commerciaux, que ce soit en matière agricole, un certain nombre de nos propositions ont été retenues. Simplement, nous pensons que maintenant il va falloir passer à une deuxième étape qui est une étape européenne. Car tout le monde le sait, le GATT peut être demain réduit à zéro s'il y a des fluctuations monétaires. Et c'est là où l'on voit réapparaître le débat sur l'Europe et la nécessité d'une monnaie unique et des institutions européennes renforcé.
30 décembre 1993
Paris-Match
Charles Millon : "N'attendons pas la présidentielle pour mettre en route notre programme"
Charles Millon, 48 ans, Président du conseil général Rhône-Alpes, souhaite que la France se réforme de fond en comble, les priorités ; l'agriculture, la protection sociale, le système hospitalier et l'éducation.
Fort de son succès au GATT, Édouard Balladur doit maintenant convaincre les députés de l'UDF de sa volonté de lancer de réformes. Charles Millon, président du groupe UDF à l'Assemblé nationale, lui accorde son soutien, mais il exige du gouvernement, comme s'il n'y croyait pas, de s'engager rapidement dans la voie de la réforme. Une sorte de "Oui, mais" qui rappelle celui adressé par Giscard à De Gaulle en 1967.
Paris-Match : Balladur a fait un véritable triomphe à l'Assemblée après son intervention sur les accords du GATT. Êtes-vous à 100 % derrière lui ?
C. Millon : Oui, parce que c'est un accord globalement positif. Mais "il n'est pas d'éloge flatteur sans liberté de blâmer". Le GATT ne doit pas seulement être un point d'arrivée, il doit être un point de départ. La France est dans une situation très difficile, semblable à celle de 1957-58. Le général De Gaulle avait alors refusé une attitude frileuse : il avait lancé un plan de réformes exceptionnelles dans tout le pays.
Justement, dans son discours, Édouard Balladur a, en dix points, développé un programme des réformes qu'il veut faire.
Dès aujourd'hui, la France doit se réformer si elle veut gagner la bataille du GATT. Il n'y a pas une minute à perdre. Elle doit se réformer de fond en comble. Ses gouvernants ne doivent en aucun cas se laisser freiner par les corporatismes, par des lobbies ou par des poussées électoralistes.
Paris-Match : Des exemples ?
C. Millon : D'abord, établir une grande loi d'orientation agricole, ce qui signifie réformer le financement agricole, revoir le système de charges sociales, passe d'une agriculture quantitative et productive à une agriculture compétitive et qualitative, développer les filières agro-alimentaires, etc., si on veut bâtir une agriculture moderne. Ensuite, deuxième réforme : celle de la protection sociale, avec le transfert des charges sociales des salaires à l'impôt. On ne peut pas continuer à creuser le déficit, qui est aujourd'hui de 57 milliards de francs. Il faut responsabiliser tous les acteurs, et d'abord s'attaquer à la réforme du système hospitalier.
Paris-Match : Et encore ?
C. Millon : Réformer d'urgence le système éducatif et la formation, réformer les relations entre l'État et le monde économique, arrêter les subventions pour rechercher des formules de partenariat, mener une vraie politique d'aménagement du territoire.
Paris-Match : Et vous croyez que "Superman Balladur" peut faire tout ça, en période de crise, et un an avant la présidentielle ?
C. Millon : La France est un pays bloqué par des corporatismes, des féodalités, des lobbies et des situations acquises. Plus la situation ira mal, plus les corporatismes se renforceront. Demain sera pire qu'aujourd'hui, le gouvernement doit imposer sa vision, sa volonté de réforme, en ayant à l'esprit la référence des années 1958-1965.
Paris-Match : En plus de la crise, la France peut-elle supporter toutes ces réformes ?
C. Millon : On ne fait jamais de réformes en période d'opulence. Dans ces moment-là, on peut se payer le luxe d'avoir des structures inutiles. C'est dans les périodes de crise que l'on doit d'urgence mener des réformes. Cela exige de la pédagogie et un effort d'explication aux Français.
L'élection présidentielle de 1995 fait qu'on ne peut pas tout changer en un an !
On ne peut pas attendre la présidentielle pour mettre en œuvre les réformes indispensables à la lutte contre le chômage. Les Français impatients de sortir de la précarité et de l'inquiétude du chômage. Ils seront reconnaissants aux hommes politiques qui auront le courage et la volonté d'envisager des réformes.
Vœux pieux…
L'obsession de la présidentielle risque, c'est vrai, de paralyser les réformes. Le mieux serait de ne pas parler de la présidentielle que dans les six derniers mois avant l'élection. D'ici là, la France a mieux à faire…
Paris-Match : Mais elle a aussi des élections européennes … Le succès de Balladur au GATT ne favorise-t-il pas une seule liste de la majorité ?
C. Millon : Tout dépend du message. Si l'UDF met au poing son message – ce qu'elle fait en ce moment – et si le RPR, avec qui elle est prête à en discuter ; est d'accord sur le message, alors, oui, la logique voudrait qu'il y ait une seule liste. Mais nous n'en sommes pas là. Pour l'instant, l'UDF prépare son programme et est disposée à rencontre ses partenaires du RPR.
Paris-Match : Une liste unique Juppé-Bayrou, ou plutôt Juppé-Millon, ça serait bien, non ?
C. Millon : Pourquoi pas ?