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René Bernasconi, président de la CGPME, aujourd’hui à Digne, nous a confié ses perspectives d’avenir.
PME : une expansion à taille humaine
Le président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, René Bernasconi, viendra tout spécialement à Digne, ce lundi 19 mars, à l’invitation de l’Union patronale des Alpes du Sud, événement très attendu dans les départements alpins que la conjoncture économique n’épargne pas. Nous avons rencontré René Bernasconi à Paris qui a bien voulu, en exclusivité, pour le Méridional, situer le contexte de l’action de la CGPME et ses perspectives d’avenir.
Q. - Les PME apparaissent de plus en plus comme une force économique avec laquelle il faut compter. Le pouvoir politique reconnaît qu’il existe une vérité économique. Dans ce contexte, la CGPME pense-t-elle pouvoir jouer un rôle plus important que par le passé ? Est-elle optimiste ou pessimiste ?
R. Bernasconi. - Les petites et moyennes entreprises ont toujours constitué une force économique considérable. Si l’on ajoute aux capacités des PMI, qui représentent plus de 40 % de la production et de l’emploi, l’activité des commerçants indépendants, qui assurent environ 60 % de la distribution, et les services dont les prestataires, à quelques exceptions près, sont tous des PME, force est de constater que nous représentons le groupe socio-professionnel le plus important par le nombre et par l’emploi. Seulement - et c’est par certains côtés une qualité - nos ressortissants ont un grand souci d’indépendance : comme beaucoup de Français, ce sont des individualistes et si la CGPME a toujours été là pour coordonner et fédérer les énergies chaque fois que nos catégories étaient menacées, elle n’a pas toujours trouvé chez nous la constante d’un appui indispensable pour assurer aux PME l’audience qui doit leur revenir. Tout cela est en train de changer. Nos amis ont compris que dans les années 80 on ne se sauvera pas tout seul et qu’il faut s’unir pour assurer la survie de la libre entreprise. L’environnement lui aussi évolue. Les grandes entreprises qui apparaissaient au lendemain de la guerre comme les moyens de la puissance ont révélé depuis leurs insuffisances aussi bien sur le plan de la souplesse d’adaptation économique que sur celui des relations humaines.
L’opinion elle-même a bougé. Les hommes cherchent à s’enraciner sur leur terre natale et à travailler au sein de petites unités conviviales.
La technique dès aujourd’hui - et plus encore demain avec l’électronique - permet de revenir à des centres de production plus dispersés.
L’an 2000 a toute chance d’être l’âge des services dans un monde de plus en plus technique. C’est au niveau de la distribution que l’horizon reste un peu plus flou. Les grandes surfaces constituent pour les détaillants une concurrence redoutable dans un monde motorisé. Il reste une place pour le commerce de proximité, mais il faut développer le conseil à la clientèle et le service après-vente ainsi que la réparation et même la récupération. La CGPME aura donc à jouer un rôle encore plus important que par le passé, l’avenir étant chaque fois que cela sera techniquement possible aux petites et moyennes entreprises. A long terme, je suis donc optimiste mais il est certain que pour parvenir à un nouvel équilibre après les mutations que nous traversons, il faudra beaucoup de vigilance et de courage.
Q. - Le fait que la grande industrie soit en proie à des difficultés permet aussi de se rendre compte du fait que l’espoir vient des PME. Celles-ci ne risquent-elles pas souvent d’être entraînées dans les difficultés de la grande industrie ?
R.B. - Les difficultés que connaissent nombre de grandes entreprises qui étaient l’armature économique de leur région ne peut qu’inquiéter les PME de leur voisinage et alarme tous leurs sous-traitants.
Lors du récent conflit Talbot à Poissy, nous avons regardé avec soin le problème et sommes arrivés à la conclusion que la fermeture totale de cette unité de production mettrait en péril quelque cinquante mille emplois.
D’où la nécessité pour nos industriels, nos commerçants, nos prestataires de pratiquer, chaque fois qu’ils le peuvent, une politique de diversification, aussi bien de la clientèle que des produits afin d’étaler dans la mesure du possible les risques encourus.
L’accélération des innovations technologiques met le chef d’entreprise dans l’obligation de renouveler constamment sa production et les procédés de fabrication. Ceci est vrai pour les industriels, mais aussi pour les commerçants dont les méthodes de vente évoluent aussi très rapidement. Pour clore cette question, je voudrais dénoncer la « réintégration », c’est-à-dire le retour dans les ateliers des grands donneurs d’ordre de fabrication précédemment confiée à des sous-traitants à raison de leur compétence.
Pour ne pas procéder dans la grosse unité à des licenciements, sous la pression des syndicats ouvriers, on investit sans raison obtenant souvent un produit plus cher et parfois moins fiable et l’on abandonne les salariés des sous-traitants au chômage et leurs patrons à la faillite politique à courte vue dont les effets terriblement nocifs apparaîtront lorsque viendra la reprise. Dans l’aviation par exemple, la mort des sous-traitants handicapera fortement le redémarrage attendu.
Q. - La CGPME prend-t-elle conscience du fait que la dimension des PME avec lesquelles il faut compter n’est pas seulement celle de la région parisienne (100/200) mais aussi de la province aux dimensions plus réduites (8/10) ?
R.B. - Je trouve dans votre question un écho de la fausse querelle Paris-province, mais vous remercie de me permettre de mettre les choses au point.
La CGPME n’a jamais été une structure « parisienne ». Elle a toujours pris très largement son appui sur les régions. La première, elle a remodelé ses structures territoriales dans la perspective de la régionalisation. Certes, pour jouer son rôle de représentant et de défenseur des PME auprès des pouvoirs publics comme devant les médias, elle est bien obligée de tenir compte de ce qui se passe dans les ministères, de ce qui s’écrit dans la presse, se dit à la radio ou à la télévision.
Mais elle compte largement sur tous ses adhérents de province en cette période de décentralisation pour faire connaître et promouvoir ses idées et ses positions. A cet effet, elle a créé voici quelques mois dans chaque région, dans chaque département, un monsieur « Action » dont la tâche auprès des dirigeants syndicaux est de développer l’influence des PME sur le terrain.
Nous savons qu’un pays vivant, c’est celui dont tout le territoire est irrigué par une activité économique prospère et adaptée aux spécificités du terroir.
Je pense qu’une région comme la vôtre - pour toutes les raisons que j’ai analysées ici - devrait connaître une expansion à taille humaine où les entreprises de 5 à 10 personnes dans l’industrie - moins encore dans le commerce et les services - constitueront un maillage efficace sans sacrifier la beauté de vos sites et le mode de vie des habitants.
Q. - N’est-ce pas au sein des PME que pourraient se faire jour de nouveaux rapports entre patron et salariés différents des rapports classiques entre patronat et syndicats ?
R.B. - Tout s’enchaîne. Certes le XIXe siècle, qui a été une période rude, a eu son utilité pour l’essor économique de la France et aussi pour le progrès social.
Mais après les conquêtes quantitatives, nos concitoyens se tournent aussi vers le qualitatif. Face à Paris et aux grandes villes, les « pays » retrouvent leur charme, et face aux trusts, les petites et moyennes entreprises, leur attrait.
On a voulu, avec les lois Auroux, venir trouver les bonnes relations qui, le plus souvent dans nos PME, existent entre le patron et « ses » salariés. Il n’est pas question de faire du paternalisme. Il est nécessaire de préserver une unité de production qui pratique le dialogue pour assurer l’œuvre commune.
La situation économique actuelle rend peut-être les avancées plus difficiles mais le sentiment d’une communauté de destin permettra dans nos entreprises de trouver les chemins du respect des hommes pour la plus grande efficacité.
Et qui sait. Cela donnera peut-être demain des idées aux autres.
Propos recueillis par J.A. Borel