Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "La Tribune" du 18 mars 1998, sur les propositions du CNPF entrainant une remise en cause du SMIC et la nécessité de la négociation sociale sur la réglementation du temps partiel.

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La Tribune : Que pensez-vous de la proposition du président du CNPF de créer des emplois rémunérés « au prix du marché », avec un éventuel complément financier de l’État ?

Marc Blondel : « Je fais beaucoup de réserves sur cette proposition. Un tel système déstructurerait la notion de salariat en mettant les salariés en concurrence puisqu’il y aurait des salariés subventionnés. Cette expérience a été tentée dans le cadre de l’Unedic avec les conventions de coopération et nous y étions opposés. Cette proposition est dangereuse. M. Seillière m’a expliqué personnellement son projet en me citant, à titre d’exemple, le cas de personnes qui livreraient des tailleurs aux couturiers, exemple déjà symbolique… Imaginons-nous l’étendions aux salariés du bâtiment. On se retrouverait avec des salariés qui coûteraient moins cher à l’employeur, ce qui conduirait à fausser les conditions de concurrence entre les entreprises. Autre danger : cette voie risque d’entraîner une remise en cause du Smic. »

La Tribune : Vous décelez donc, derrière cette proposition, la volonté de remettre le Smic en question ?

- « Je ne pense pas que le président Seillière lui-même soit hostile au Smic et souhaite le battre en brèche. En revanche, dans son entourage, au sein du conseil exécutif, un certain nombre de dirigeants patronaux sont favorables à la suppression pure et simple du Smic et voient dans le projet Seillière un premier pas vers sa mise en cause. Ces fanatiques du libéralisme souhaitent, eux, que les relations sociales soient établies par le seul jeu de l’offre et de la demande, sans réglementation. Les chômeurs sont le plus souvent prêts à travailler à n’importe quel prix. Le Smic est une garantie qu’on ne les exploitera pas à moins de 6 400 francs par mois. »

La Tribune : Le ministre de l’Emploi, Martine Aubry, souhaite que le projet de « double Smic » soit discuté par les partenaires sociaux au sein de la commission nationale de la négociation collective. Qu’en pensez-vous ?

- « Le Smic, c’est comme la monnaie. S’il y a deux Smic, il est sûr que le plus bas l’emportera sur l’autre. De plus, un double Smic va geler toutes les négociations. Nous ne sommes pas d’accord et nous nous battrons. »

La Tribune : Martine Aubry souhaite aussi que l’Unedic revoie l’indemnisation des travailleurs précaires. Êtes-vous d’accord ?

- « Je n’apprécie pas ces façons. Mme Aubry considère l’Unedic comme un élément auxiliaire de son budget. Je souhaite que l’on redéfinisse clairement les responsabilités de chacun, entre l’État et le régime d’assurance chômage, et que l’Unedic garde sa notion d’assurance. Il faut à tout prix éviter que l’on nous refasse le coup de la Sécurité sociale et que le Gouvernement récupère l’Unedic et l’emploi en général pour le mettre sous le contrôle de l’État.

Mme Aubry constate une déstructuration et une fragilité de l’emploi. Mais que fait-elle contre la précarité ? Le Gouvernement doit travailler pour freiner cette précarité et n’a pas à demander à l’Unedic d’être la Rustine d’un système qui se dégrade. Je suis demandeur d’une législation qui réduise les effets de la précarité, notamment ceux induits par le temps partiel. Une bonne partie des emplois dégagés par la loi sur les 35 heures seront des emplois à temps partiel. Il faut redéfinir le temps partiel, redonner des garanties. Je propose une négociation interprofessionnelle sur le temps partiel, dont les résultats seraient repris dans une loi. »

La Tribune : Redoutez-vous que, comme l’annonce M. Seillière, la loi sur les 35 heures suscite une vague de dénonciations des conventions collectives ?

- « Contrairement au pronostic du président du CNPF, je constate avec intérêt que des initiatives sont prises dans le secteur de l’eau et des télécommunications. Cegetel et France Télécom viennent de mettre, en place une nouvelle union patronale qui voudrait discuter d’une convention collective avec Bouygues, la Lyonnaise des Eaux, la CGE, etc. Ils estiment que les rapports sociaux dans les professions modernes s’établissent à travers les conventions collectives. Cette initiative contredit le pronostic de M. Seillière et cela me plaît… »