Interview de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, dans "Le Figaro" du 28 août 1998, sur les priorités de son action pour l'année scolaire 1998 - 1999 notamment la relance des ZEP, le développement du partenariat avec les parents d'élèves, et la lutte contre la violence dans le milieu scolaire.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

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Le Figaro : Vous avez ouvert plusieurs chantiers en 1997-1998 : relance des ZEP, renforcement du partenariat avec les parents, développement de l’éducation à la citoyenneté, lutte contre la violence. Vos objectifs ont-ils été atteints ?

Ségolène Royal : Cette action s’inscrit dans la continuité, car constance et permanence sont indispensables pour changer efficacement le système. Les objectifs ont été atteints dans la mesure où les méthodes de travail, les objectifs pédagogiques ont été définis, où la mobilisation des acteurs locaux s’est faite, et où je suis maintenant « au clair » sur les instructions données pour suivre l’application des décisions sur le terrain et surtout pour en faire l’évaluation.
Par exemple, sur la relance des zones d’éducation prioritaire (ZEP), j’ai envoyé cet été à l’ensemble des recteurs d’académie une instruction leur indiquant ce que j’attendais des contrats de réussite que les établissements scolaires doivent maintenant mettre en chantier, en précisant les dix principales actions que je souhaitais voir concrétiser. Il s’agit notamment du recentrage des projets pédagogiques sur l’acquisition du langage, de projets concrets d’éducation civique, de développement des relations avec les parents. Ce plan de travail clair est le fruit des efforts conduits pendant toute l’année scolaire précédente et de la mobilisation qui s’est faite dans chaque forum académique et aux assises nationales. Nous sommes maintenant passés à la phase opérationnelle dans les ZEP : je veux que les résultats scolaires s’y améliorent, j’en ai pris les moyens en termes de définition des objectifs, de suivi et de contrôle.

Le Figaro : Et qu’en est-il du partenariat avec les parents ?

Ségolène Royal : J’ai procédé de la même façon et intégré le rôle des parents dans chaque chantier ouvert. La « semaine nationale des parents », qui a été préfigurée l’an dernier, est maintenant institutionnalisée. Elle aura lieu du 13 au 17 octobre prochain, la même semaine que les élections des représentants des parents d’élèves. Une campagne d’information nationale va avoir lieu avec des spots radio, des affiches, une enquête auprès des parents… Je demande aux établissements scolaires d’entreprendre des actions concrètes en direction des parents d’élèves. Après ce temps fort, il y aura un suivi tout au long de l’année.

Le Figaro : Quel est l’objectif précis de cette « semaine des parents » ?

Ségolène Royal : L’idée est de leur dire : « Vous avez besoin de l’école pour vos enfants, et l’école a besoin de vous. Chacun doit assumer ses responsabilités. » L’école est prête à s’ouvrir, ce n’est pas un lieu mystérieux. Les parents doivent se sentir à l’aise au sein des locaux scolaires. Nous avons la responsabilité de leur faire comprendre ce que l’école attend des enfants. Elle n’est pas une « boîte noire », il ne peut pas y avoir des parents qui connaissent la règle du jeu et d’autres qui ne sauraient pas ce que leurs enfants y font, ni comment les aider. Expliquer tout cela n’est pas très facile, car il y a une tradition de méfiance réciproque entre les parents et l’école. Souvent, les parents qui rouspètent le plus ne sont pas ceux qui sont les plus constructifs. Quant aux parents qu’on voit le moins, ce sont ceux qui auraient le plus besoin de participer à l’institution scolaire, dans l’intérêt même de leurs enfants. Tout élève a besoin, pour réussir, de paroles d’encouragement de ses parents. Tous les parents ont droit à la transparence du système scolaire, mais il n’y a pas de droits sans devoirs, et, en contrepartie, j’attends d’eux qu’ils assument leurs responsabilités.

Le Figaro : Qu’entendez-vous par là ?

Ségolène Royal : Les parents doivent être le relais de l’effort que nous allons faire en matière d’éducation civique : si l’école réapprend à nos enfants la politesse, le respect de soi et des autres, la nécessité des règles, il faut qu’à la maison ces messages-là soient relayés. Si, par exemple, dans la voiture des parents, on fait des excès de vitesse ou on grille les feux rouges, alors que l’école insiste sur la sécurité routière, le rôle du code de la route, c’est destructeur. Il y a aussi l’apprentissage du nécessaire respect des enseignants : la critique à la maison est particulièrement nocive. Tous les adultes doivent avoir le même langage lorsqu’il s’agit de partir à la reconquête d’un certain nombre de points de repère et de valeurs.
Par ailleurs, toujours en matière de formation des citoyens, ce qui manque le plus aux élèves, c’est le dialogue avec les adultes. Il y a des jeunes de quinze ou seize ans qui n’ont pas eu une heure, un quart d’heure, voire un instant de dialogue avec un adulte qui pose sur eux un regard positif, attentif, et qui prenne leur pensée en considération pour parler de choses qui les préoccupent.

Ségolène Royal : Quand la rupture est faite avec les parents, c’est souvent à l’école que l’enfant peut trouver l’image valorisée d’adultes qui lui donne envie de grandir. Si l’école peut réussir à offrir à chaque adolescent un dialogue personnalisé de qualité avec un adulte, je pense qu’elle aura rempli un rôle fondamental.

Le Figaro : Est-elle vraiment armée pour cela ?

Ségolène Royal : Aujourd’hui, c’est très difficile d’élever un adolescent. On est dans une société de modèles, de contre-modèles, de confusion des valeurs ; tous les enfants sont projetés très tôt dans le monde adulte sans qu’ils en aient la maturité. Ils ont beaucoup grandi, changé de taille, de corpulence, de pointure ; ils ont des comportements et un langage que l’on trouve agressifs. Pas eux.
Face à ces difficultés, il faut faire bloc : tous les adultes, enseignants, personnels non enseignants, conseillers principaux d’éducation (dont je vais revaloriser le rôle), infirmières scolaires, professeurs principaux, chefs d’établissement et parents d’élèves, doivent se serrer les coudes pour aider les adolescents à s’épanouir, à se réaliser, mais aussi à se responsabiliser. Les enseignants ne sont pas forcément préparés, beaucoup ne comprennent pas le langage et le comportement des adolescents, il est urgent de répondre à leur demande de formation dans ce domaine. Les parents aussi sont désemparés. Or, apprendre aux adolescents à maîtriser les pulsions est un enjeu de société majeur, car il s’agit de préparer les adultes de demain. Il relève de l’école, mais pas seulement, de la famille aussi.

Le Figaro : Les problèmes de violence sont malheureusement beaucoup plus vastes…

Ségolène Royal : C’est pourquoi le plan antiviolence de Claude Allègre, avec les zones antiviolences, va être accentué. De plus, je vais continuer mon action dans des domaines où j’ai déjà obtenu des modifications de fond, qu’il faut transformer en changements durables. La lutte contre la pédophilie, tout d’abord : je viens de recevoir un rapport de l’inspection générale qui montre qu’une révolution s’est passée dans les mentalités. La prise de parole a été libérée, l’administration se rende compte que ce n’est pas en étouffant les problèmes qu’on se protège le mieux. Mais il reste encore beaucoup de problèmes à régler avant qu’on en finisse une fois pour toutes avec la loi du silence.

Le Figaro : Et le bizutage ?

Ségolène Royal : La loi a été votée, non sans mal, et des résultats ont été obtenus. Exemple significatif : l’association des anciens élèves de l’École nationale supérieure des arts et métiers a demandé l’abandon de la pratique de l’« usinage », une tradition plus que centenaire. Mais il faut avoir l’œil, car les plus mauvaises habitudes sont celles qui, parfois, reviennent le plus vite. Une nouvelle campagne de sensibilisation est sur le point de démarrer. Je vais surveiller plus particulièrement, cette année, les sections sports-études, les sections professionnelles et d’apprentissage, les classes préparatoires aux écoles vétérinaires, les écoles de commerce.
Je vais également lancer une campagne contre le racket : l’idée, là aussi, est de briser la loi du silence. Nous avons observé que, lorsque les élèves parlent de racket, les chefs d’établissement peuvent généralement régler les problèmes. Il faut mettre en avant la solidarité de groupe, convaincre les jeunes qu’il n’est pas question de faire de la délation, mais de protéger leurs copains. Nous progressons aussi en matière de lutte contre la drogue : une sorte de guide pratique et juridique très précis, élaboré conjointement par nos services et par un groupe de chefs d’établissement, va indiquer la façon de procéder aux principaux et aux proviseurs confrontés à des problèmes de drogue. Je prépare aussi une campagne d’information.

Le Figaro : Vous faites de la lecture une des grandes priorités de l’année scolaire 1998-1999...

Ségolène Royal : Dans le système scolaire français, les élèves lisent très peu. Un quart seulement des collégiens lisent un livre entier dans l’année. Or j’ai constaté que les établissements qui ont des projets centrés sur la lecture obtiennent de bons résultats en lecture et en écriture. Ces apprentissages conditionnent la réussite scolaire et constituent une mission fondamentale de l’école primaire. Il faut arriver à ce que chaque élève, à l’école ou au collège, lise en moyenne un livre par semaine. Cette lecture doit être pour lui un plaisir, pas une corvée ; il doit donc pouvoir choisir l’ouvrage qui lui plaît. L’objectif est simple et peut être atteint : les établissements scolaires sont aujourd’hui bien équipés en livres ; les élèves ont le temps nécessaire, puisqu’ils ne font pas de devoirs écrits à la maison en primaire. Tout parent peut aider son enfant, ne serait-ce qu’en lui demandant de lire un passage, en l’interrogeant sur l’histoire. Le système scolaire français doit rattraper son retard dans le domaine de la relation au livre et à l’expression orale. J’ai pris des contacts avec les éditeurs de livres de jeunesse, et je vais entreprendre un tour de France de la lecture, aller dans les académies, visiter les meilleurs projets, pour relance, la lecture, remède de base dans la prévention de l’illettrisme. Chaque élève doit arriver en sixième en maîtrisant bien la lecture et le langage.

Pédophilie : « Une révolution s’est passée dans les mentalités »

Le Figaro : Dans quel esprit voulez-vous relancer l’enseignement en zone rurale ?

Ségolène Royal : L’équilibre du territoire doit s’appuyer sur le maintien des écoles rurales, mais de façon dynamique, avec une mise en réseau des écoles, des échanges d’enseignants, des rythmes adaptés et un développement des activités périscolaires. Le milieu rural a droit à l’égalité des chances. De plus, il n’est pas constructif de jouer les villes contre les campagnes : accentuer la désertification rurale aurait pour effet d’aggraver les problèmes des banlieues par le jeu des transferts de populations.

Le Figaro : Au contraire, vous voulez envoyer des citadins étudier à la campagne !

Ségolène Royal : Une quarantaine de petits Franciliens vont partir dès cette année comme pensionnaires en classe de cinquième dans un département rural. Il s’agit à la fois de mettre un terme à l’étiolement des petits collèges ruraux (300 ont moins de 200 élèves) et de fournir de bonnes conditions de travail et un environnement paisible à des élèves motivés issus des milieux urbains les plus modestes. Une quinzaine de départements ont répondu à mon appel à projets. Certains sont même prêts à construire des internats. Je vais accompagner cette action par un développement des bourses d’internat et par le soutien aux projets d’établissement attractifs.

Le Figaro : Comment entendez-vous améliorer la vie dans les collèges ?

Ségolène Royal : Nous allons insister sur le rôle crucial de l’équipe de direction : le rôle des principaux et des conseillers principaux d’éducation est fondamental pour le bon fonctionnement des établissements. Les études surveillées seront généralisées d’abord pour ceux qui en ont le plus besoin. Il faut également limiter la taille des collèges pour qu’ils gardent une dimension humaine. Et un horaire précis sera fixé pour le dialogue individualisé « élève-adulte » dont je vous ai parlé.

Le Figaro : Les conditions d’une bonne rentrée sont-elles réunies cette année ?

Ségolène Royal : Elles sont plus que réunies puisque nous avons pris une décision très importante cet été : l’intégration des instituteurs dans le corps des professeurs d’école. C’était une mesure de reconnaissance très attendue. L’éducation nationale aura aussi un bon budget. Enfin, de nouveaux aides-éducateurs vont arriver. Mais une rentrée, c’est chaque lois un défi à relever, avec 12,3 millions d’élèves à accueillir le mieux possible dans les 71 200 établissements scolaires.