Interview conjointe de MM. Michel Giraud, ministre du travail de l'emploi et de la formation professionnelle, et Alain Carignon, ministre de la communication, dans "Le Parisien" le 28 mars 1994, sur le lancement de la chaîne Télé emploi qui émettra sur le cinquième canal pour trois semaines à partir du 28 mars.

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Média : Le Parisien

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À partir de ce matin et jusqu'au 17 avril, Télé emploi va émettre sur le canal d'Arte de 7 heures à 19 heures. Les ministres du travail et de la communication, Michel Giraud et Alain Carignon, attendent de cette première mondiale un déclic capable de redonner confiance à tous ceux qui sont à la recherche d'un emploi et de mobiliser toutes les énergies afin de mieux lutter contre le chômage.

Le Parisien : Télé emploi démarre aujourd'hui. Croyez-vous vraiment que cette nouvelle chaîne va aider à lutter contre le chômage ?

Michel Giraud : Parallèlement à la démarche politique qui consiste à s'attaquer aux racines du mal, notamment avec la mise en place de la loi quinquennale pour l'emploi, nous faisons cette fois une démarche de sensibilisation. Par ce biais, nous voulons susciter une véritable prise de conscience. C'est la première fois que, pendant trois semaines sans interruption, le plus grand des médias rencontre le plus grand des problèmes.

Le Parisien : Pourquoi limiter cette expérience à trois semaines ?

Alain Carignon : Il s'agit d'une expérience complètement nouvelle, quelque chose que l'on n'a jamais fait. Il faut attendre pour voir ce que cela donne. Mais, de toute façon, je suis persuadé qu'une télévision éphémère ne signifie pas du tout une télé inutile.

Le Parisien : Ce choix n'est donc pas seulement lié à une question budgétaire ?

Alain Carignon : Bien sûr que non. C'est un choix délibéré. Certes, la télé coûte cher. Mais notre budget ne dépasse pas 65 millions ; en matière de télévision, c'est six téléfilms d'une heure trente ou deux tiers du coût d'une production comme "Charlemagne". C'est aussi l'équivalent de trois campagnes publicitaires de trois compagnes publicitaires grand public ou 5 % de la rallonge budgétaire que demande Jean-Pierre Elkabbach pour France 2 et France 3.

Le Parisien : Pourquoi ne pas imaginer par la suite une Télé emploi sur le câble ou le satellite ?

Alain Carignon : Ce genre de télévision n'est pas fait pour durer mais plutôt pour insuffler une dynamique, pour sensibiliser les demandeurs d'emploi et les chefs d'entreprise. Mais je suis convaincu que les émissions qui fonctionneront bien seront reprises par les chaînes généralistes, à commencer par celles du service public. Jean-Pierre Elkabbach s'y est ailleurs déjà engagé.

Le Parisien : Comment mesurez-vous le succès des émissions ? Ce sera une question d'audience ?

Alain Carignon : Surtout pas ! L'audience ne doit pas être un critère pour ce genre d'émissions. C'est pourquoi nous sommes convenus de retenir une autre notion, celle du "qualimat".

Le Parisien : Vous pensez vraiment que cette télé va permettre à des demandeurs d'emploi de trouver un travail ?

Michel Giraud : Elle va surtout inciter chacun à se prendre en main, car cette télé va mettre en évidence les relais de formation, d'insertion, les réseaux d'accueil… À partir du moment où on verra des jeunes s'inscrire dans des séminaires de formation, et profiter de tout ce qui est à leur disposition, c'est que l'expérience aura réussi.

Le Parisien : Finalement, vous en attendez quoi de cette télé ?

Michel Giraud : Elle doit satisfaire trois de nos préoccupations : aider à mieux comprendre l'environnement économique et social, présenter des initiatives qui marchent, afin de susciter un effet multiplicateur, et inciter chacun à se prendre en charge. Il est très important que cette télé développe la motivation de tous ceux qui cherchent un emploi.

Alain Carignon : Je crois que cette télévision peut être un vrai facteur de cohésion sociale. Je pense qu'elle est là pour redonner à certains la possibilité de repartir, pour redonner l'espoir et l'envie de s'en sortir.

Le Parisien : Les programmes vous semblent-ils adaptés à la demande des téléspectateurs ?

Michel Giraud : Nous avons tenu à ce que ce soit des experts, comme Jean Boissonnat, qui se chargent de l'élaboration des programmes, en parfaite indépendance. La seule chose que je peux vous dire, c'est que plus les programmes seront décapants, dérangeants, et à la limite, impertinents, mieux ce sera. C'est comme cela qu'on sensibilisera le plus les téléspectateurs.

Le Parisien : Contrairement au souhait de beaucoup de chômeurs, il n'y aura aucune offre d'emploi, aucune petite annonce. N'est-ce pas dommage ?

Alain Carignon : Je crois qu'il ne faut pas tout mélanger. Télé emploi n'est pas là pour remplacer l'ANPE.

Michel Giraud : Absolument… Ce n'est pas l'ANPE ! D'autant que Télé Emploi n'est pas seulement la télé des chômeurs. C'est une chaîne qui s'adresse aussi à ceux qui souhaitent changer de travail, aux chefs d'entreprise qui embauchent, aux salariés, aux jeunes diplômés. Ce n'est pas une télé qui crée des emplois. C'est une télévision qui favorise les rencontres, les passerelles, les relais. Télé emploi doit être une télé déclic. C'est comme un tigre dans le moteur ! C'est un formidable outil d'accompagnement. Mais il est bien évident qu'on ne réussira pas à résoudre tous les problèmes. Ce serait trop beau. En plus, comment imaginer un écran qui passe des offres d'emploi du matin au soir ? On ne pourrait pas appeler cela de la télé.

Le Parisien : Si vous étiez présentateur, qu'auriez-vous envie de dire aux téléspectateurs de Télé emploi ?

Michel Giraud : Je leur dirais : avec nos équipes, nous allons faire une télé confiance…

Alain Carignon : … Nous voulons vous aider. Regardez-nous et reprenez espoir.

Propos recueillis par Bruno Courtois et Thierry Borsa