Texte intégral
La Tribune
L’emploi augmente, le chômage régresse. La France est-elle sortie de l’ornière ?
Louis Viannet
Je n’irai pas jusqu’à une telle affirmation. Il va de soi que nous souhaitons une forte amélioration de la situation de l’emploi. Le problème est que les statistiques masquent des problèmes importants. Nous constatons que, pour l’essentiel, l’amélioration des chiffres du chômage est le résultat d’une forte progression des emplois précaires, en particulier des emplois à temps partiel et d’intérim. La progression du chiffre d’affaires des sociétés d’intérim est tout à fait éloquente. Cela signifie que nous sommes toujours en présence d’une situation fragile qui peut à tout moment connaître un renversement rapide.
La Tribune
La politique économique du Gouvernement vous paraît-elle trop timide ?
Louis Viannet
– C’est plus un problème de choix qu’un problème timidité. Par exemple, on persiste à considérer que les allégements de charges sociales sont susceptibles d’améliorer la situation de l’emploi, alors que cela ne s’est pas vérifié jusqu’à présent. Il y a la politique du Gouvernement et la stratégie des entreprises. Même celles qui affichent un grand optimisme pour les mois à venir ne vont pas jusqu’à le concrétiser par des embauches durables. Ce serait pourtant là la clé d’une modification profonde de la situation, la condition pour permettre aux salariés de consommer plus.
La Tribune
Un regain d’optimisme des Français n’est-il pas cependant très perceptible ?
Louis Viannet
– On en mesurera les effets que si cela se traduit par une tendance durable. La plupart des emplois précaires sont très mal rémunérés. Cela peut soulager les statistiques du chômage, mais cela ne modifie pas la situation des intéressés. La situation de l’industrie est préoccupante à cet égard. Elle a perdu 37.000 emplois en 1997 et la construction, 34.000. Et parallèlement, l’industrie a employé 55 % des embauches de l’intérim.
La Tribune
La reprise ne promet-elle pas de solidifier la structure de l’emploi ?
Louis Viannet
– Ce serait souhaitable. Mais quand je vois les situations auxquelles on fait sans cesse référence, celle des États-Unis et de la Grande-Bretagne notamment, où les emplois précaires constituent l’essentiel des emplois créés, j’ai de quoi me poser de questions.
La Tribune
La reprise actuelle ne vous rend-elle pas plus optimiste ?
Louis Viannet
– Pour que cette reprise soit solide et durable, il faudrait des mesures de relance de la consommation plus vigoureuses. Par exemple une augmentation des salaires, en particulier des plus bas, une réforme fiscale qui soit beaucoup plus marquée par une volonté de redistribution. De ce point de vue, les mesures fiscales annoncées pour 1999 ne sont qu’un balbutiement au regard de ce qu’il faudrait faire. C’est à partir de toutes ces considérations que nous portons un jugement très critique sur le rapport Malinvaud.
La Tribune
Ce rapport propose, rappelons-le, de réduire les cotisations patronales sur les salaires jusqu’à deux fois le Smic, et d’alourdir les cotisations sur les salaires plus élevés. Cela ne va-t-il pas dans le sens de la redistribution que vous souhaitez ?
Louis Viannet
– C’est exactement l’inverse. La proposition d’Edmond Malinvaud est dangereuse à plus d’un titre. D’une part, elle va tirer tous les salaires vers le bas et encourager la non-reconnaissance des qualifications et des diplômes. Lorsqu’en 1995 la décision a été prise d’alléger les cotisations sociales jusqu’à 1,33 Smic, cela concernait un salarié sur trois. Or trois ans plus tard, c’est un salarié sur deux qui se trouve concerné. La proposition d’Edmond Malinvaud ne pourrait qu’amplifier ce phénomène. Enfin les retombées de celle-ci sur la protection sociale seraient particulièrement préoccupantes, puisque cette proposition revient à restreindre l’assiette des ressources, alors qu’il est indispensable de l’élargir. D’une façon générale, ce que je ressens du fil conducteur de ce rapport vise à dissuader de toute mesure touchant les entreprises et d’orienter vers une nouvelle ponction sur les salariés.
La Tribune
La CGT a-t-elle été consultée par Edmond Malinvaud ?
Louis Viannet
– Non, pas à ma connaissance. Cela me conduit à dire que la réponse à un problème aussi sérieux ne peut pas se solder par la seule prise en compte d’une approche unilatérale. Nous sommes demandeurs d’une véritable concertation.