Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à Europe 1 le 28 août 1998, sur la réduction du temps de travail, notamment l'attitude des partenaires sociaux, la réforme de la sécurité sociale, l'immigration clandestine et le climat politique de la rentrée.

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Média : Europe 1

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Europe 1 : Alors, vous avez fait, vous aussi, votre rentrée. Les dirigeants syndicaux la font généralement avant les hommes politiques, c'était hier dans une interview au « Monde ». On essaye d'avoir à chaque fois la tonalité de cette rentrée, il y a notamment une petite phrase, dans cette interview, vous dites qu'il ne faudrait pas que le gouvernement agisse comme s'il était dans un bocal ! Est-ce qu'il y aurait, derrière cela, l'idée qu'entre Lionel Jospin et vous, le courant passe moins bien qu'entre vous et son prédécesseur ?

Nicole Notat : Non, ne faisons pas de la petite politique à travers des choses qui sont sérieuses. Je souhaite simplement attirer l'attention du gouvernement sur le fait qu'un certain nombre de dossiers, qui sont des dossiers importants pour la société française, qui sont au coeur des problèmes pour lesquels il convient de trouver des bonnes solutions, nécessitent une concertation approfondie, régulière, organisée, avec les forces qui représentent les salariés, les chômeurs, les retraités et puis les forces économiques.

Europe 1 : Une concertation qui n'existe pas encore ?

Nicole Notat : Je ne dis pas qu'elle n'existe pas. Je souhaite qu'elle soit intensifiée et peut-être mieux organisée, mieux ciblée sur des objectifs plus repérables et qui, du coup, deviendront plus lisibles et qui permettront aux uns et aux autres de mieux saisir les points de vue en présence, de mieux comprendre les problèmes que nous avons à traiter. Voilà ! Donc, c'est un enjeu d'efficacité, c'est un enjeu de réussite et de meilleure compréhension des décisions qui devront être prises.

Europe 1 : Pourtant, si on prend les 35 heures, enfin, la réduction du temps de travail, là, vous êtes l'alliée naturelle du gouvernement. C'est la grande affaire de la CFDT. Est-ce qu'il y a urgence particulière ? Et combien de temps, éventuellement, vous pensez qu'on dispose avant de démontrer que cela peut créer vraiment des emplois, de manière significative ?

Nicole Notat : Oui, l'urgence, elle est effectivement sur la question du chômage. Alors, est-ce que la réduction de la durée du travail marche ? Eh bien, cela marche, à condition que l'on s'en serve. Et cela marche à condition que l'on s'en serve bien. Et à ce moment-là, il n'y a plus à faire cette démonstration. Partout où on s'en sert, et partout où on s'en sert bien, démonstration est faite qu'effectivement cela a une action sur l'emploi.

Europe 1 : Pourtant, d'après les chiffres que donne le ministère du travail – il parle de 150 accords, ce qui n'est pas rien – 750 emplois créés ! Ce n'est pas énorme !

Nicole Notat : Vous savez, nous sommes engagés sur un chantier dans lequel il est urgent d'avancer à un rythme soutenu, mais dont il ne faut pas imaginer que toutes les entreprises vont entrer au même rythme, produire des résultats au même rythme. Et je crois que ce qui compte aujourd'hui, c'est que tous ceux qui sont décidés à utiliser toutes les ressources susceptibles d'améliorer la vie de l'entreprise, d'améliorer la vie des salariés au travail et hors travail, de rénover les relations sociales, et tout cela avec la finalité de mettre l'emploi au coeur des négociations. Eh bien voilà, c'est que tous ceux qui sont partants dans cette dynamique, se mettent autour d'une table et engagent les négociations.

Europe 1 : Le problème, justement, c'est qu'il y en a beaucoup, aussi bien dans le monde syndical, enfin dans le monde des salariés, des représentants des salariés que chez les patrons, qui veulent peut-être contourner !

Nicole Notat : Voilà, non seulement ils veulent contourner. Je pense qu'ils veulent, y compris pour certains, faire obstacle à ce développement de la négociation, et à cette vision de l'utilisation de la réduction de la durée du travail. Je ne suis pas étonnée du tout de cette réalité. Nous savons qu'il existe des opposants au principe même de la réduction de la durée du travail. Ils vont donc se manifester d'autant plus fort qu'ils sentent que le mouvement est en train de partir !

Europe 1 : L'attitude du CNPF, de FO – pour ne pas la citer – dans l'accord de la métallurgie, cela veut dire qu'il y a une guérilla souterraine qui continue contre le principe des 35 heures ?

Nicole Notat : Je pense que cela signifie que les uns et les autres n'ont pas la même vision de l'intérêt que représente la réduction de la durée du travail, et que donc, d'aucuns sont tentés de l'utiliser pour augmenter les heures supplémentaires – ce qui est quand même un comble ! – de l'utiliser pour que, en même temps, rien ne change dans ce qu'il est nécessaire de changer aujourd'hui, c'est-à-dire des salariés qui travaillent avec des pointes d'activité, où c'est le chef d'entreprise seul qui décide des conditions dans lesquelles on va faire face à ces situations-là. Donc, mettre de la relation sociale, mettre de la négociation, faire en sorte que les décisions qui concernent les horaires de travail, qui concernent la nature des contrats de travail ne soient plus imposées par le chef d'entreprise, mais contrôlées dans le cadre d'une négociation. L'enjeu n'est pas mince ! On comprend que certains s'y opposent !

Europe 1 : Et même là-dessus, où vous êtes, je disais l'alliée naturelle de Martine Aubry, elle pense qu'elle peut se passer de vous, de vos conseils, de la CFDT ?

Nicole Notat : Moi, là-dessus, je ne suis pas l'alliée… Je dirais, nous avons un objectif, c'est réussir dans tous les domaines qui permettent de faire reculer le chômage. La réduction de la durée du travail est un des chantiers qui peuvent conduire à cela, de même que nous avons commencé dans ce chantier avec la loi de Robien. Pour nous, il y a continuité dans l'action et le fait que le gouvernement, heureusement, ait continué dans cette voie est effectivement un atout supplémentaire.

Europe 1 : Autre dossier très important de la rentrée, c'est celui de la Sécurité sociale. Là, on a l'impression que, s'il ne restait qu'une seule supportrice acharnée du plan Juppé, ce serait vous ?

Nicole Notat : Je pense que non, je suis même sûre que non, puisque finalement je n'ai vu personne, y compris ce gouvernement encore, dire que les bases, les principes qui ont été décidés au moment de cette réforme n'étaient pas les principes qui étaient nécessaires pour rénover, refonder la Sécurité sociale pour les prochaines années qui viennent.

Europe 1 : Mais quand l'accord avec les médecins a été dénoncé, Martine Aubry s'est frotté les mains, on l'a constaté quand même ? Elle a dit : on va pouvoir remettre en place un autre système ?

Nicole Notat : Oui, justement la question est maintenant que, à nouveau, nous allons rentrer dans une période, compte tenu de ces réalités que vous décrivez, où les surenchères vont revenir au galop, où la radicalisation politique risque de s'exprimer, où les opposants – et je ne mets pas le gouvernement actuel dans les opposants à la réforme – à la réforme, qui ont le droit d'être opposés, vont bien évidemment avoir envie de se refaire entendre. Donc nous revenons un peu dans une situation qui avait été dépassée et dans les mois qui viennent, il ne va pas falloir lever le pied, il ne va pas falloir faire preuve d'hésitation. C'est la raison pour laquelle, depuis 1995, nous suivons la réforme de la Sécurité sociale comme le lait sur le feu et que nous allons continuer à le faire.

Europe 1 : Un autre dossier qui a été un dossier de l'été, c'est celui des sans-papiers. On a entendu des choses très dures de la part du gouvernement, de Jean-Pierre Chevènement sur ceux qui, comme la CFDT, d'ailleurs, se sont illustrés aux côtés des sans-papiers. Vous n'avez pas répondu à ce qu'a dit Jean-Pierre Chevènement, qui accusait tout ce mouvement de faire le jeu de l'extrême droite ?

Nicole Notat : Justement, je pense que prendre ce dossier uniquement par le bout de ses répercussions possibles sur l'extrême droite n'est pas la bonne manière de le faire. Je pense que les Français aujourd'hui… On l'a vu au mondial, franchement quelle belle leçon ! Qui était Français et qui ne l'était pas, à ce moment de grande joie collective ? Eh bien, la France est capable d'intégrer et les Français sont prêts à le savoir à partir du moment où il s'agit d'intégrer, bien sûr, des gens qui font la démonstration qu'ils ont une grande envie d'exister, d'intégrer la société française en respectant les règles de la société française. Donc moi, je pense qu'il faut quand même considérer que le gouvernement a ouvert ce dossier, et que cela nécessitait d'être fait et qu'il faut le saluer. Maintenant, il faut aller au bout, je crois, de la logique qui a été ouverte, de manière à ce que ceux qui ne sont pas massivement régularisés n'aient pas un sentiment d'arbitraire par rapport à ceux qui le sont.

Europe 1 : En tout cas, l'accusation, vous la rejetez, celle d'éventuellement faire la courte échelle à la xénophobie ambiante ?

Nicole Notat : Bien sûr, il faut aborder ces questions-là, je dirais d'une manière ouverte, avec des convictions, avec un langage de vérité que les gens sont tout à fait prêts à entendre.

Europe 1 : Il y a un autre sujet, qui n'est pas directement syndical, mais qui vous concerne comme citoyenne, comme représentante d'une grande organisation syndicale, c'est ce climat politique, marqué par les affaires, la corruption encore et au fond la question qui est derrière, c'est : est-ce que, au total, cette grande lessive, c'est bon ou c'est mauvais pour la démocratie ?

Nicole Notat : C'est la vraie question, mais c'est une grande question. Il me semble qu'une justice qui est indépendante, qui fait son travail, c'est incontestablement bon pour la démocratie. Mais en même temps, des partis politiques qui doivent exister, qui doivent avoir des moyens de fonctionner, c'est aussi bon et nécessaire pour la démocratie. Donc aujourd'hui, la question est de savoir si tout ce « développement d'affaires » donne un sentiment général aux Français que nous avançons vers la recherche de plus de règles – transparence commune, collective – de plus d'éthique dans la responsabilité politique, ou si cela leur donne le sentiment, ou disons le risque d'amalgame, qu'ils pourraient être tentés de faire sur le fait que tous les politiques sont finalement des gens qui ne sont pas des gens « fréquentables », voilà, qui s'enrichissent personnellement. Ce qui reste excessivement rare aujourd'hui, dans ce qui se révèle, comme ces affaires, heureusement. Et à chaque fois qu'il y a ce type d'enrichissement personnel, là c'est clair que c'est répréhensible et qu'il faut être sans pitié. Il y a ce risque. Donc, je crois qu'à la fois, il y a des éléments qui montrent que la démocratie est en train de s'approfondir en France, mais il y a des risques, peut-être, que les gens comprennent mal ce qui se passe vraiment.

Europe 1 : Et s'il y a des victimes dans le monde politique, tant pis ?

Nicole Notat : Attendez, des victimes… Ou bien il y a des faits répréhensibles et les juges doivent juger, ou bien il n'y a pas de faits répréhensibles et il n'y a pas de victime.