Texte intégral
LE PARISIEN - 21 juillet 1998
Q - En citant le calendrier comme une des causes du dopage, vous semblez dire que le sport lui-même produit le dopage…
Marie-George Buffet : « Ce n'est pas le sport qui produit le dopage, mais un système. Un système qui - à des fins essentiellement commerciales - pousse à un calendrier de plus en plus démentiel et aux résultats à tous prix. Il n'engendre pas systématiquement le dopage mais constitue une incitation à sa pratique. Quand j'apprends que certains veulent créer une épreuve européenne de plus en football, je me dis - et je ne suis pas la seule - qu'il y a des limites à la résistance humaine. La pression de l'argent ne doit pas conduire aux extrêmes. »
Q - Pourtant, les sportifs de haut niveau ne sont pas des petits garçons. Ils savent à quoi ils s'exposent.
- « Certains d'entre eux sont pris dans un système. La période d'activité d'un sportif est courte et elle fonde toute la suite de son existence. Cela dit, ne tombons pas dans la caricature, une large majorité de sportifs de haut niveau obtiennent des résultats sans être dopés. »
Q - Votre projet de loi insiste beaucoup sur la prévention. Les sportifs sont-ils sous-informés ?
- « Il faut aider les sportifs et leur encadrement à faire face. Certains jeunes ne mesurent pas vers quoi on les entraîne. Ensuite, il faut renforcer le suivi médical des sportifs. On ne pas tout demander à un homme ou à une femme. Il faut savoir précisément où il en est de son état physique. »
Q - La lutte contre le dopage sera dotée de 25 millions de francs en 1999. Est-ce suffisant ? D'autres sources de financement sont-elles possibles ?
- « Cette somme englobe la prévention, le développement du suivi médical dans les fédérations, la recherche et le fonctionnement de la structure indépendante de prévention et de lutte contre le dopage. De plus, la MILD (Mission interministérielle de la lutte contre la toxicomanie) est prête à travailler avec nous. Jusqu'ici, on a beaucoup développé la prévention contre l'alcoolisme, la toxicomanie ou le tabagisme. Il est temps de prévenir aussi le problème de dopage. Mais, si des partenaires privés veulent nous aider… Je suis tout à fait disposée à travailler avec eux. »
Q - Le problème du dopage n'est pas né en juillet 1998 autour de l'affaire Festina. Qu'est-ce qui vous fait espérer réussir là où d'autres ministres avant vous ont échoué ?
- « Ce serait très présomptueux de ma part de dire : je vais réussir. Mais si on se donne un arsenal législatif et des moyens financiers, si on fait preuve de détermination, si on travaille étroitement avec le mouvement sportif lui-même très mobilisé et, enfin, si on résiste bien aux pressions on doit pouvoir faire reculer le dopage. On se donne tous les atouts. Il ne faut pas baisser la garde par lassitude. »
Q - L'enthousiasme provoqué par la Coupe du monde peut-il être un atout dans la lutte contre le dopage ?
- « La Coupe du monde a révélé le sport comme lieu d'échange et d'épanouissement personnel. Ce sport-là, il faut le défendre. Un sport qui n'est pas uniquement un spectacle où l'argent régnerait en maître. Beaucoup de gens sont prêts à se mobiliser. Je le sens à travers le mouvement sportif. Une immense majorité de pratiquants et de dirigeants sont derrière nous. Certains m'écrivent. « Ne lâchez pas, on est avec vous », me disent-ils. Enfin, les jeunes ont envie d'un sport qui ne les déçoive pas.
Q - Le Tour de France se remettra-t-il de cette épreuve ? »
Le Tour est complètement enraciné dans la mémoire collective. On s'échange des souvenirs à travers les générations. Le lien entre la population et cette épreuve doit lui permettre de trouver les ressources pour repartir sur de bonnes bases. Le Tour de France est un peu à nous tous. Je lui souhaite de redevenir ce qu'il a été. »
LIBÉRATION - 25 juillet 1998
Q - Les affaires de dopage transforment le Tour en pantalonnade. Faut-il l'arrêter ?
- « Le Tour de France est géré par une société privée. La décision n'appartient qu'à elle. Cela dit, le Tour est gravement malade. Il ne faut pas le tuer. Pour le soigner et le sauver, il faut éliminer le dopage du cyclisme et du sport en général. Il ne faut pas se tromper d'ennemi. L'ennemi, c'est le dopage, pas le Tour. »
Q - Une exclusion de l'équipe TVM suffirait-elle à assainir le climat ?
- « Sauf à penser que tous les cyclistes sont dopés. C'est le dopage qu'il faut éradiquer. »
Q - Le Tour est une société privée. Est-ce à dire que les pouvoirs publics s'en lavent les mains ?
- « Absolument pas. Depuis plusieurs mois, on a multiplié les actions, depuis la loi sur le dopage, déjà votée par le Sénat, à la demande de poursuites judiciaires sur les affaires de dopage que j'ai faite auprès du garde des Sceaux. On a en outre triplé le budget de lutte contre le dopage. »
Q - La future loi sur le dopage n'est pourtant pas bien sévère pour les sportifs usagers.
- « Elle insiste pourtant sur la prévention auprès des sportifs. En outre, le futur conseil de prévention et de lutte contre le dopage aura pour la première fois un pouvoir d'appel immédiat à l'encontre du sportif, non opposable. La lutte contre le dopage ne sera jamais efficace si les sportifs eux-mêmes ne prennent pas leur sort en main. J'ai entendu Laurent Jalabert protester ce matin en disant « on nous prend pour du bétail ». J'aimerais croire qu'il veut dire que les sportifs sont des individus à part entière, qu'ils ont droit à la parole sur l'organisation des compétitions auxquelles ils participent, mais aussi qu'ils refusent de se laisser entraîner dans la course au dopage. Si les sportifs eux-mêmes ne se mêlent pas de ce combat, il ne sera jamais gagné. »
TF1 – 29 juillet 1998
Q - En poussant la justice à intervenir dans ces dopages, ne vous sentez-vous pas un peu responsable du drame que vit le Tour de France ?
- « C'est vrai que le Tour de France vit un drame. C'est une journée, je dirais, de très grande tristesse qu'on a vécue aujourd'hui. Mais le drame, ce n'est pas le Tour de France qui en est responsable en soi, ce ne sont pas les coureurs, c'est le dopage. Pour soigner le Tour de France, il faut éradiquer le dopage. Alors la justice, je ne m'en sens pas responsable. Il y a eu flagrant délit, saisie de produits interdits. La justice fait son travail. »
Q - Oui, mais enfin, l'affaire Festina, c'était déjà avant le Tour, on le savait. Pourquoi ne pas avoir mené l'enquête beaucoup plus tôt ?
- « Les policiers ont mené leur enquête dans les temps dont ils ont eu besoin. Ensuite, il y a eu la justice. Je crois qu'on n'a pas porté de jugement sur le travail de la justice. »
Q - Quelle est votre opinion sur les méthodes d'investigation des policiers venant interroger les coureurs après une longue journée de fatigue ?
- « Vous savez, je l'ai dit à plusieurs reprises : les coureurs - mais je ne vais pas employer ce terme, parce que quand on dit les coureurs, on le fixe sur le Tour de France et je sais bien, tout le monde sait bien que le dopage, ce n'est pas que le Tour de France, et je le répète depuis plusieurs jours. Les coureurs, ils sont avant tout, je dirais, les victimes, les instruments d'un système. Ils sont au bout de la chaîne. »
Q - Alors qui est les responsables ?
- « Les responsables, c'est justement ceux que la justice va devoir révéler, ceux qui produisent ces produits dopants, ceux qui les commandent, ceux qui les transportent, ceux qui les amènent, je dirais, à proximité du sportif. Alors, les coureurs, les sportifs, ils ont les mêmes devoirs que tout citoyen, mais aussi les mêmes droits devant la justice. »
Q - Alors, est-ce que vous allez aller vite, maintenant ? Allez-vous entamer cette table ronde sur le dopage ? Est-ce que ce sera dès lundi, au lendemain du Tour ?
- « Je n'ai pas attendu le Tour de France pour entamer le travail sur le dopage. La nouvelle loi a déjà été votée à l'unanimité au Sénat le 28 mai. Elle passera à l'Assemblée nationale le 18 novembre. Nous avons triplé le budget pour la prévention, pour la recherche, pour le suivi médical, pour vraiment agir pour prévenir, au lieu d'en rester simplement à la répression. Donc, je n'ai pas attendu. Les événements du Tour de France, je crois, ont permis que les choses apparaissent encore plus clairement. On peut parler de trafic, on peut parler de filière. Donc, il est nécessaire qu'il y ait vraiment une prise de conscience générale. Moi, je suis prête à participer à toutes les initiatives en plus de celles que je vais prendre pour qu'ensemble, avec les sportifs - parce qu'on ne fera rien sans eux - nous luttions contre ce fléau ; ce fléau qui touche beaucoup de très jeunes sportifs, et qui souvent mets des vies en danger. »