Texte intégral
LE FIGARO. – Les radicaux de gauche renâclent. Ils bougonnent. Mais ils sont toujours dans la majorité plurielle.
Jean-Michel BAYLET : « Toujours ! »
LE FIGARO. – Pourquoi ?
- « Parce les radicaux de gauche sont de gauche. »
LE FIGARO. – Comme les Verts, vous ne cachez pourtant plus vos désaccords.
- « Cela ne concerne ni le talent ni l'efficacité de Lionel Jospin… »
LE FIGARO. – Mais, sur la plupart des récents projets de réforme économique, judiciaire ou institutionnelle, vous vous êtes opposés au Parti socialiste et au Gouvernement.
- « Au début, c'est vrai, nous avons été les enfants sages de la classe. Contrairement à ceux qui ont une culture contestataire, nous sommes un parti responsable. Les bons résultats du Premier ministre, fortement aidés par la croissance retrouvée, ont ramené les socialistes à une tendance hégémonique, cultuelle chez eux. Dès lors, dans cette majorité, nous avons de plus en plus de mal à faire connaître et reconnaître notre diversité. Le Parti socialiste et le Gouvernement n'ont aucune retenue quand il s'agit de « piquer » les idées des autres, mais deviennent étonnamment sourds quand il s'agit de les inscrire dans la réalité politique. Alors oui, il se trouve que nous ne sommes pas satisfaits. »
LE FIGARO. – Quels sujets suscitent votre « insatisfaction » ?
- « Il y a eu bien des basculements hasardeux… »
LE FIGARO. – La réforme du Conseil supérieur de la magistrature ?
- « Ah ! l'indépendance du parquet. C'est le type même du faux débat. La question est réglées depuis toujours ! Mais, si on entend par indépendance le fait de rompre le fil hiérarchique entre les procureurs et leur supérieur, le ministre de la Justice, c'est une autre histoire. Imagine-t-on un client rendant son avocat indépendant de celui qu'il doit défendre ? Les « parquetiers » sont historiquement les « avocats du Roy ».
La justice aujourd'hui, est rendue au nom du peuple français. Donc, le parquet lui-même ne tient sa légitimité démocratique que du fait que le ministre, issu du suffrage du peuple, est son supérieur. »
LE FIGARO. – Un parquet indépendant n'aurait-il plus de sens ?
- « Absolument aucun sens ! A partir du moment où l'on veut couper le cordon entre le parquet et le ministre, se pose la question de la légitimité et de la responsabilité des magistrats. Mais, alors, il nous faut sortir du système français pour entrer dans le modèle anglo-saxon, avec des magistrats élus par le peuple, qui retrouvent ainsi leur légitimité démocratique. Dans ce système, le juge d'instruction n'existe plus, puisque s'affrontent dans un combat judiciaire les avocats de la défense et les procureurs, avocats de la société. Avec les mêmes droits, les mêmes armes…
Entre les deux systèmes, toute réforme ne serait que louvoiement, faux-semblant et réformette. »
LE FIGARO. – Que vous répond Lionel Jospin, qui s'engage, lui, sur la voie de l'indépendance du parquet ?
- « Sur cette question comme sur d'autres, Lionel Jospin banalise le désaccord. »
LE FIGARO. – Le projet de loi de réforme du Conseil supérieur de la magistrature reviendra à l'Assemblée cet automne. Quelle sera alors votre attitude ?
- « Je m'y opposerai, personnellement, en prenant la parole à la tribune au nom des radicaux. J'en ai mardi soir averti le ministre de la Justice, à l'occasion du débat concernant la réforme du CSM. Sur ce sujet comme sur d'autres, les radicaux continueront à mener le combat républicain. »
LE FIGARO. – Lionel Jospin veut cette réforme.
- « Il l'aura peut-être, mais pas avec les voix des radicaux. Nous n'allons pas nous renier. Il lui faudra aller chercher une majorité de rechange sur les bancs centristes, comme ce fut le cas lors du vote sur le passage à la monnaie unique. »
LE FIGARO. – Le ministre de l'Économie, Dominique Strauss-Kahn, affirme qu' « il n'y aura pas de grand soir fiscal ». Le regrettez-vous ?
- « Oui. Pour davantage de justice fiscale, nous proposons de fusionner l'impôt sur le revenu, la CSG et le RDS dans un vaste et seul impôt personnel, avec une assiette plus large et des taux plus modérés. »
LE FIGARO. – Qu'en pense Lionel Jospin ?
- « A Matignon, pour l'instant, on n'est guère favorable aux nouveautés fracassantes. »
LE FIGARO. – Le premier ministre entend mettre fin au cumul des mandats, réformer les modes de scrutin régional et européen.
- « Il le souhaite, en effet. Mais je crains, là encore, qu'il ne s'agisse que d'une réforme partielle. Nous voulons une grande réforme institutionnelle pour mettre le droit en accord avec les faits. Donnons de par la loi au Président de la République des pouvoirs qu'il exerce aujourd'hui. Reconnaissons que nous sommes en régime présidentiel ! Face à ce pouvoir fort, il faut un contre-pouvoir. Réhabilitons, vraiment le Parlement, accentuons la décentralisation, simplifions le calendrier électoral. Nous proposons donc que tous, Président de la République, députés et sénateurs, soient élus le même jour pour cinq ans. »
LE FIGARO. – Et les européennes ?
- « Nous sommes hostiles au projet du Gouvernement d'« éclater » le scrutin dans plusieurs grandes régions électorales. Nous demeurons attachés au scrutin national de liste à la proportionnelle. Mais je note que les velléités actuelles de découpage auront surtout l'avantage pour le Parti socialiste de favoriser les regroupements à gauche, sous sa tutelle. »
LE FIGARO. – Le Parti radical de gauche partira-t-il seul au scrutin de juin prochain ?
- « A l'exception des élections de 1989, il y a toujours eu une liste radicale de gauche aux européennes. Nous déciderons lorsque nous connaîtrons les règles du jeu définitives. »
LE FIGARO. – Les élus radicaux ont été parmi les premiers à s'élever contre l'opposition systématique prônée par le PS dans les régions dont le président a bénéficié des voix du Front national.
- « Dans ces régions, des pans entiers de l'action régional sont en suspens : les bourses, les subventions aux organismes sociaux ou aux associations culturelles. Les problèmes peuvent durer six ans. Il faut refuser les blocages, avec intelligence, et combattre sans relâche le Front national. »
LE FIGARO. – Accepteriez-vous de participer au débat proposé par Édouard Balladur sur la préférence nationale ?
- « Nous sommes à un moment de la vie politique où le rôle des républicains est d'être vigilants. Le clin d'œil d'Édouard Balladur au FN est honteux et étonnant de sa part. Quand on observe ce qui s'est passé dans les régions, on voit poindre un pacte électoral pour les prochaines législatives. La droite est en miettes. M. Balladur joue avec la dynamite. Je soutiendrai tous ceux qui s'apposent à de tels accords ou à de tels marchandages. Tout ce qui réjouit M. Mégret doit attrister les républicains. »
LE FIGARO. – Après un an de soutien et de participation au Gouvernement de la « majorité plurielle », après les frictions que vous évoquez avec le PS, quel est l'objectif du Parti radical de gauche ?
- « Le soutien sans la génuflexion, car nos références se trouvent dans d'autres chapelles. Cependant, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que le Gouvernement réussisse. »