Texte intégral
Intervention du ministre de la défense devant l’US CREST et le CSIS, Washington, 29 avril 1998
Je remercie l’US CREST (Centre de recherches et d'études sur les stratégies et les technologies) et le CSIS (Centre pour les sciences et les études internationales) pour cette invitation. J'aimerais vous donner un aperçu des relations franco-américaines, du point de vue du ministère de la défense, et cela à une époque où certains préfèrent souligner nos différences. Comme vous allez le constater, je ne partage pas ce pessimisme.
* Relations franco-américaines (objectifs stratégiques et intérêts de sécurité communs)
La France et les Etats-Unis n'ont jamais lutté l'un contre l’autre, car nos pays sont fondamentalement animés des mêmes sentiments et idéaux démocratiques ancrés au sein de leurs constitutions respectives et de leur pratique politique durable. En tant que membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, ils sont chargés de défendre la démocratie et les droits de l'homme dans le monde. C'est pourquoi nos politiques étrangères sont guidées par le même souci de responsabilité internationale. En tant que puissances nucléaires reconnues comme telles le traité de non-prolifération nucléaire de 1968, ils partagent également certaines responsabilités.
Il arrive que nous ne sommes pas toujours d'accord en ce qui concerne les modalités et les tactiques, et c'est bien ce qui justifie la consultation entre les alliés. Cependant, nous nous accordons toujours sur les objectifs stratégiques et sur les intérêts fondamentaux de sécurité. Est-il nécessaire de rappeler que nos liens traditionnels restent inégalités dans l’histoire ? Depuis l'époque des pères fondateurs, la France et les Etats-Unis se soutiennent et ça ne changera pas. Nous sommes toujours restés côte à côte chaque fois que nos intérêts communs et que les valeurs que nous défendions ont été menacés, lorsque les situation devenaient graves, à Berlin et à Cuba et plus récemment au Koweït et en Bosnie.
A juste titre, les Etats-Unis jouent un rôle capital dans l'amélioration de la sécurité sur le continent européen. Je pense que le gouvernement américain actuel reste fidèle à cette tradition. Il l’a prouvé lorsqu'il a pris la décision difficile d'aller en Bosnie. Le président Clinton a également décidé de maintenir une présence importante des forces américaines en Europe comme le souhaitaient tous les gouvernements européens. Le sommet de 1994 ainsi que d'autres indices ont également apporté leur soutien à l'émergence progressive d'une Europe plus unie qui s'affirme un peu plus chaque jour sur la scène internationale.
* Relations militaires franco-américaines
Laissez-moi vous parler des relations bilatérales, car elles constituent un point fondamental de notre coopération. Certains des liens solides qui unissent nos forces armées, nos scientifiques, nos gouvernements sont parfois oubliés.
* Coopération aérienne et spatiale
Dans le domaine militaire, il faut noter que plus d'une centaine d'officiers français sont présents en permanence aux Etats-Unis. Nous coopérons également en ce qui concerne les systèmes importants acquis par les forces armées françaises, en particulier le Hawkeye (système de commandement et d’alerte aérienne maritime) et AWACS (système de surveillance aéroporté). Dans le champ de la technologie, je défends le renforcement de notre coopération dans certains domaines prioritaires tels que les systèmes spatiaux. Je discuterai demain avec Bill Cohen à propos de la manière dont nous pouvons mettre en application l’accord de 1993 conclu entre Dick Cheney et Pierre Joxe. Cela peut s’avérer prometteur à un moment où la France développe, comme vous le savez, un effort spécifique dans ce secteur, confirmé par une décision que nous avons prise récemment à propos de nos programmes de commande.
* Maintien de la paix
Notre dialogue permanent à propos du maintien de la paix montre que notre point de vue est de plus en plus convergent, comme l'a confirmé le séminaire franco-américain qui s’est tenu récemment à Paris, à propos de l'importance primordiale donnée à l'entraînement au combat, de la reconnaissance de l’existence d’un continuum d'opérations au sein de la catégorie large d’« opérations de soutien de la paix », de l'impératif d'un mandat clair pour les forces présentes au sol, du besoin d'être capable de répondre avec force quand et où cela est nécessaire.
Pour tout cela, l'Afrique est une zone particulièrement bonne pour des politiques coordonnées et pour une action commune. L'Afrique n’est le « terrain de chasse » de personne (et cela est vrai pour tous les continents ou régions du monde). La prétendue concurrence entre les Français et les Américains en Afrique est une fantaisie. Au contraire, j'insisterai sur l'approche commune développée par la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis en ce qui concerne le développement de capacités de maintien de la paix et de gestion des crises. Nos pays tirent les conséquences des échecs répétés connus par le système international dans ses tentatives de réguler les crises africaines à partir de l’extérieur. De nouveaux outils doivent être développés. Une nouvelle attention doit être consacrée aux crises sur le continent. La France ne fait pas partie de ceux qui observent la tragédie africaine à distance, ou avec indifférence, de même que les Etats-Unis. Nous partageons le même souhait d'aider les Africains à remporter les défis auxquels ils font face. L'intérêt renouvelé porté par les administrations américaines est le bienvenu, vu le nombre important des problèmes auxquels il faut se confronter.
* Contrôle des armes nucléaires et de destruction massive
La convergence est aussi un mot-clé dans le domaine du contrôle des armes. Par exemple, nous avons développé une approche commune en ce qui concerne le traité d'interdiction totale des essais nucléaires, sa mise en application et ses conséquences. Nous avons développé des consultations étroites à propos de la mise en œuvre des engagements sur lesquels se sont accordés les puissances nucléaires quand le traité de non-prolifération a été définitivement renouvelé. Notre coopération dans le domaine de la prolifération des armes de destruction massive est intense ; elle sera l'un des sujets les plus importants abordés lors de mes entretiens avec Bill Cohen ; je la considère comme une priorité absolue.
* Relations transatlantiques (Europe - États-Unis ; OTAN)
Cette présentation de certaines de nos approches communes serait à elle seule simpliste, bien sûr. L'un des principaux sujets de ce qu'on appelle la confrontation entre les Etats-Unis et la France est la relation entre l'Europe et les Etats-Unis. En conséquence de quoi, nous devons nous préparer attentivement au Sommet de 1999, qui se tiendra ici, à Washington, 50 ans après la signature du traité donnant naissance à l’Alliance atlantique. Le temps est venu de penser aux objectifs et au moyen d'y parvenir dans l'ère de l'après-guerre froide. Bien entendu, nous ne repartons pas à zéro. Nous sommes tombés d'accord sur des textes importants en 1991, 1992 et 1994. Le sommet de Madrid a été la preuve qu'une importante étape a été franchie dans l'adaptation de l’OTAN.
Mais beaucoup de questions semblent ne pas avoir reçu encore de réponse, dans les esprits de nos parlementaires et de nos opinions publiques. Nous devrons répondre et convaincre. La France croit qu'un partenaire européen fort est une clé de la préservation des intérêts et de l'engagement américain sur notre continent. Aussi, l'union monétaire, ainsi que nos efforts pour mettre en place la dimension politique de l'union européenne, ou notre effort afin que le partage des responsabilités au sein de l'OTAN soit plus équilibré ne doivent pas être considérés comme une menace, mais comme une contribution pour une relation transatlantique renouvelée et renforcée. Un partenaire européen faible serait de plus en plus sujet aux critiques et, peut-être aux mépris, ici. Un partenaire fort suscite le respect mutuel, et les défis.
Il y a et il y aura toujours des domaines de concurrence. Mais clairement, nous devrions nous mettre d'accord afin de considérer que cette donnée est tout à fait naturelle, étant donné que des règles bien établies et respectées régissent cette relation. Cela peut parfois prendre du temps, mais un bon compromis est finalement à portée de main, comme le montre le récent accord sur le trafic aérien après cinq ans de négociations. De même, la décision européenne de ne pas porter plainte de manière formelle contre la loi Helms/Burton illustre notre effort commun pour surmonter les différences du moment.
* Relations France/OTAN
Mais qu'en est-il de la situation spécifique de la France vis-à-vis de la structure militaire intégrée de l’OTAN ? Je pense que la solidarité dont nous faisons preuve se passe de commentaires. Notre présence en Bosnie parle d'elle-même et démontre amplement ce que nous pouvons apporter à l’OTAN : en l’occurrence, plus de 130 officiers de la chaîne de commandement intégrée, 3 500 soldats, et la responsabilité d'un tiers du territoire de la Bosnie-Herzégovine.
Comme vous le savez, nous pensons qu'il est temps que les Européens épaulent plus efficacement leurs alliés nord-américains en assumant de plus larges responsabilités militaires. L’an dernier, à Madrid, nous avons fait les premiers pas bienvenus dans cette direction. La France continuera de prôner un plus grand équilibre entre les deux parties pour ce qui est des responsabilités de commandement ; dans le même temps, nous voulons éviter toute démarche qui pourrait affaiblir le pacte transatlantique. Les discussions en cours relatives au concept stratégique de l'Alliance démontrent que le processus de rénovation est encore bien vivant et qu'il devrait aider à faire naître une nouvelle récolte. En un mot, mon approche de l’OTAN, dans son versant militaire, peut se résumer au deux expressions qui suivent : une présence accrue dans les activités militaires, pas de présence permanente dans le commandement intégré.
* Activités françaises/OTAN
Permettez-moi pour l'heure de faire le point brièvement de la participation de la France dans une large variété d'activités de l’OTAN, puisque celle-ci est la plupart du temps ignorée par Washington.
* Présence en Bosnie-Herzégovine
Je pense bien sûr à la Bosnie, mais de nombreux domaines donnant leur forme à l'OTAN de demain peuvent également servir d’illustrations.
* Participation au CJTF
Alors que le processus de rénovation de l'OTAN gagne en importance, la France accroît sa contribution au fonctionnement de structures récemment mises sur pied, en fournissant du personnel par exemple au Centre de planification interarmées multinationale est au Groupement de force interarmées multinationales (GFIM). Cela nous semble si important que 100 officiers français ont participé au récent exercice organisé pour tester et évaluer l'efficacité du concept de GFIM.
* Contribution à l'élargissement et au partenariat de l’OTAN
L'adaptation de l'OTAN ne peut être complète si la structure ne s'ouvre pas à de nouveaux membres et si l'on ne construit pas de nouveaux partenariats.
Dès le départ, la France a contribué à favoriser un partenariat stratégique avec la Russie, puisque nous accordions une importance fondamentale à la reconnaissance du rôle exact qu'il incombe à la Russie de jouer dans la sécurité européenne. Après la signature de l'Acte fondateur à Paris en mai 1997 et grâce à la mise en œuvre d'un dialogue substantiel au sein du conseil conjoint permanent OTAN-Russie, la France contribuera à établir la preuve de notre résolution à construire des relations sûres et à développer une culture stratégique commune.
Dans le même ordre d’idée, s’assurer que l'élargissement de l’OTAN est le succès, qu'il doit être à des fins de propagation de la démocratie et de la stabilité restera un souci constant. Nous reconnaissons en le Partenariat pour la Paix un programme majeur capable de favoriser des développements positifs dans le domaine de la coopération avec nombre de pays européens non membres de l’OTAN.
* Coopération industrielle transatlantique
Dans le domaine de l'industrie de défense et des acquisitions de matériel militaire, la France partage le désir des Etats-Unis d'accroître la coopération transatlantique. Mais aucun pays ne se trouve dans une meilleure position que les Etats-Unis pour comprendre que pour atteindre un tel objectif, l'Europe doit d'abord faire le ménage chez elle. Les Etats-Unis ont montré le chemin ces dernières années.
La France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne ainsi que d'autres pays européens sont résolus à consolider leurs industries d'armement de façon à les rendre rentables en faisant jouer les lois du marché et une concurrence loyale.
La France a joué un rôle majeur en Europe ces quarante dernières années pour ce qui est des investissements dans le domaine de la défense. L’aéronautique, l’espace, les missiles et l’électronique sont des secteurs dans lesquels nos compagnies sont pas à la pointe en Europe, parfois à égalité avec les Britanniques. Nous nous sommes à présent lancés dans une réforme de grande ampleur. Une fois que ce mouvement aura gagné en intensité et en maturité, de nouvelles perspectives de coopération dans les domaines technologiques et industriels se feront jour. Cette vision est partagée par la plupart de mes homologues européens. En particulier par les cinq plus grands producteurs - Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Espagne et France - qui seront rejoints par la Suède dans quelques semaines, dont les déclarations récentes ont fixé des calendriers précis et des objectifs à leur action.
La politique de défense européenne ne sera pas définie rapidement, nous le savons. Mais nous préparons le terrain pour des actions concrètes dans les domaines des forces multinationales, des fusions industrielles, de la production d'équipement commun (missiles, frégates, satellites, systèmes antiaériens, appareils…). Je ne doute pas que le mélange de volonté politique, de stimulations économiques et financières et de consensus de plus en plus large fera qu’en temps et en heure, une politique de défense commune deviendra une réalité. Nos rapports mutuels bénéficieront de ce progrès.
* Coopération militaire franco-américaine (avenir)
Plusieurs pays, dont la France et la Grande-Bretagne, se sont engagés à redéfinir leurs structures militaires dans le but d'affronter de nouveaux défis. Ces pays ont bien l’intention de maintenir des structures militaires proportionnelles à leurs responsabilités sur le plan international. Ils ont une perception commune des menaces et des risques à venir, et éprouvent également le besoin de se préparer à affronter les crises éventuelles à l'aube du nouveau millénaire. Je pense que notre coopération avec les Etats-Unis devrait reposer davantage sur cette perception de l’avenir. Nous devrions reconnaître et encourager les efforts de chacun.
La France est un des rares pays qui :
- est prêt à consacrer une importante partie de ses ressources aux capacités de défense ;
- a une vision stratégique de l'équilibre des forces dans le monde et occupe une place importante dans les forums internationaux, ce qui lui permet de faire valoir cette vision ;
comprend que les instruments militaires peuvent jouer un rôle dans le maintien de la paix et de la sécurité nationale, et est prête à les utiliser si nécessaire ;
- souhaite encourager les valeurs de liberté et de démocratie à l'échelle mondiale. Ces éléments sont des données essentielles pour la politique internationale et la politique de défense ; ce sont ces éléments que nous partageons avec les Etats-Unis. Cela est bien plus important que les différences locales et de deuxième ordre.
Le développement d'un dialogue spécifique et d’options pratiques pour être préparés à faire face aux risques de long terme et aux crises éventuelles constitue une tâche majeure de la coopération franco-américaine ; ce thème sera en toile de fond lors des entretiens que j'aurais ici à Washington.
Point de presse conjoint du secrétaire d'Etat américain à la défense et du ministre français de la défense (Extraits) - Washington, 29 avril 1998
Comme vient de le dire Monsieur Cohen, nous nous rencontrons régulièrement et ces réunions sont dans l'ensemble très productives et constructives. Je suis venu à son invitation et je suis très reconnaissant de l'accueil que j'ai reçu au Pentagone. Comme l’a affirmé Bill Cohen, nous travaillons ensemble dans plusieurs domaines. Nous travaillons côte à côte en Bosnie, nous survolons ensemble le sud de l'Irak et plus globalement nos deux armées entretiennent des liens solides sur le plan de la coopération militaire et technologique.
Concernant les principaux sujets évoqués ce matin, je crois qu'il est important de signaler que les relations entre nos deux armées ne doivent pas être sous-estimées : nous achetons des avions américains, les Hawkeye, par exemple, pour la surveillance en mer et nous expérimentons actuellement le Rafale dans sa version Marine avec le soutien technique des Américains. Nous accueillons également un U2 sur une base française dans le but d'accomplir quelques missions. Un nombre important d'officiers de liaison font partie de nos organisations communes.
Nous bénéficions de l'apport de chacun pour le maintien de la paix et les autres opérations de crise. Nous avons appris beaucoup cette dernière décennie et nous avons tant à partager concernant nos expériences respectives sur les différents théâtres des opérations. Nous tentons également de trouver un terrain d'accord afin de faciliter nos actions communes. Je crois qu'il est utile de rappeler que nos deux pays sont parmi les plus impliqués lorsque les crises deviennent particulièrement violentes. Nous acceptons les risques et les sacrifices pour défendre la paix contre toute menace éventuelle. En ce qui concerne l’Afrique, je pense que nos politiques respectives ont fait l'objet de révisions et d'améliorations importantes. Nous y avons toujours été présents et nous entretenons de nombreux liens d'amitié avec ces pays. Nous avons toujours été impliqués en Afrique et nos méthodes sont en train d’évoluer, car nous comptons beaucoup sur les initiatives personnelles des pays africains pour faire face aux différentes crises. Nous avons en effet reconnu que les crises sur ce continent sont particulièrement difficiles à gérer et que la communauté internationale n'a pu régler cette question avec efficacité ces dernières années. Nous accueillons donc avec enthousiasme la présence renouvelée des Américains sur le territoire africain et nous espérons qu’ensemble, et avec l'aide d'autres participants occidentaux, nous pourrons aider les Africains à développer leur propre force de maintien de la paix.
J'approuve également les propos de Monsieur Cohen dans le domaine spatial. Nous voulons-nous baser sur l’Accord de 1993. A l'instar de nos amis américains, nous estimons qu'il est nécessaire de s'accorder sur une coopération de nature pratique dans les domaines de la science et de la technologie spatiale. Pour terminer, précisons que nous coopérons étroitement sur la question de la prolifération des armes de destruction massive. Je pense qu'en tant que membres permanents du conseil de sécurité détenant la puissance nucléaire, nos deux pays ont certaines responsabilités. Nous avons accès à des informations capitales sur la prolifération de ces armes. Il est essentiel que nous travaillions ensemble dans le but de contrecarrer toutes les tentatives de prolifération que nous pouvons observer. Pour maintenir cet état de fait, il faut que nous continuions à nous consulter en permanence et avec méthode, selon un modèle pratique et efficace. C'est bien le but d'une telle rencontre et je tiens à remercier vivement Bill Cohen d'avoir organisé cette visite qui a rempli toutes ses promesses.
Sénat, 5 mai 1998
Réponse du ministre de la défense à une question de Monsieur Ivan Renar, sénateur du Nord
* Musique du 43e régiment d'infanterie de Lille (réorganisation)
Q. - Ma question, quelque peu inhabituelle venant de ma part dans la mesure où, comme chacun le sait, je ne suis pas homme à marcher tellement au pas, vise un point vraiment très particulier.
Depuis des décennies, la musique du 43e régiment d'infanterie de Lille fait partie intégrante de l'histoire du département du Nord. Cette véritable institution est menacée de disparition en l’an 2000, pour deux raisons liées à la réforme des armées :
la première résulte de la fin de la conscription. La musique du 43e régiment d'infanterie est composée à 90 % d’appelés et a servi jusqu'à présent d'excellente filière « musique » pour les élèves de conservatoires ou pour les musiciens désireux de poursuivre leur apprentissage durant le service militaire ;
la seconde raison tient dans la réorganisation des régions militaires : le redécoupage en cinq régions militaires se traduit par le maintien d'une seule formation musicale d'envergure par région ; celle de Metz remplacera donc celle de Lille.
Derrière ce qui pourrait passer pour une conséquence anodine de la réforme des armées, il y a, Monsieur le ministre, la disparition d'une institution musicale de qualité profondément enracinée dans la vie régionale. La musique du 43e régiment d'infanterie est une formation de qualité, composée de 80 musiciens professionnels dont l'activité ne se limite pas à des défilés ou à des parades. En effet, elle est capable de donner de grands concerts et d'interpréter des répertoires variés et elle assure, par exemple, 180 apparitions annuelles, des tournées importantes, des enregistrements. La musique du 43e régiment d'infanterie est partie intégrante du paysage musical et symbolise, avec ses spécificités, le lien entre l'armée et la nation. Il faut d'ailleurs savoir que le département du Nord est depuis très longtemps un vivier pour la musique militaire, puisque nombre de ses élèves de conservatoires ou d’écoles de musique sont venus grossir les rangs non seulement de la musique du 43e régiment d’infanterie, mais aussi des autres formations. Le maintien d'une structure de musiciens professionnels se justifie donc à plus d'un titre :
- tout d’abord, une batterie fanfare - c'est ce qui est proposé - ne remplacera jamais en qualité la formation actuelle ;
- ensuite, cette formation pèse peu, à mon avis, dans le budget des armées. Le souci d'économie est en effet mis en avant pour justifier cette suppression : il faudrait payer 80 musiciens professionnels, alors que les appelés ne coûtaient naturellement presque rien. L'Amicale des anciens du 43e, qui défend avec passion la musique à Lille, a avancé quelques arguments de bon sens, que je me permettrai de reprendre. Ainsi, les musiques représentent 0,002 % du budget des armées. On ne fera donc que de très petites économies, qui risquent d'ailleurs d'être englouties en raison des coûts importants occasionnés par les manifestations qui imposeront la venue de musiciens et de formations extérieurs ;
- mais je ne manquerai pas, Monsieur le ministre, avant d'en terminer, de vous faire part également du sentiment d'injustice que ressentent les très nombreuses amis et défenseurs du 43e, ainsi que toute la population. En effet, la zone s’étendant de Brest à Metz risque d’être, dans deux ans, un désert sans musique militaire, alors que d'autres régions, comme l’Ile-de-France, par exemple, regrouperont neuf formations. Il s'agit non pas de déshabiller l’un pour habiller l’autre, mais de garantir plutôt une certaine égalité par un « rhabillage » général.
Ne pourrait-on pas faire autrement, Monsieur le ministre, pour garantir le maintien d’une formation de qualité à Lille ?
R. - Monsieur le sénateur, je tiens à rendre hommage à votre attachement à la vie culturelle de votre département et de votre région, et à vous indiquer que, comme vous, je suis persuadé de la nécessité du maintien et même du développement du lien armées-nation, auquel contribuent assurément les formations musicales des armées.
Cela dit, la professionnalisation des armées que nous sommes tenus de conduire maintenant entraîne bien évidemment de profondes réformes, qui ne peuvent pas laisser à l'écart les musiques militaires. Les effectifs de nos armées, je vous le rappelle, vont diminuer au total de 25 %, et l'armée de terre, à laquelle se rattache la majorité des formations musicales, verra ses effectifs baisser plus encore. C'est d'ailleurs ce qui explique que, à terme, une armée de terre dont les effectifs auront diminué de près du tiers n'aura plus que cinq régions de commandement au lieu de neuf aujourd’hui, et Lille, en effet, est l'une des villes qui perdra le commandement d'une région de l'armée de terre. En revanche, nous n'avons pris aucune option en ce qui concerne la réduction du nombre des circonscriptions militaires de défense, qui sont interarmées.
* Musiques militaires (restructurations : 33 formations contre 64)
Le nombre des musiques professionnelles doit donc baisser environ de moitié - 33 musiques militaires pour l'ensemble du territoire national au lieu de 64 - et leur effectif en professionnels uniquement spécialisés dans la musique baissera quasiment dans les mêmes proportions, passant de 2 700 à 1 200 d’ici à 2002. De ce fait, la musique du 43e régiment d'infanterie qui est aujourd'hui composée de huit professionnels uniquement musiciens et de quarante-sept appelés, doit évoluer au rythme de la professionnalisation puisque, d'ici à quatre ans, il n'y aura plus d’appelés.
Cela dit, le 43e régiment d'infanterie ne perdra pas sa musique puisque, à l'occasion de sa professionnalisation, les personnels appelés seront remplacés par du personnel professionnel à double qualification, qui aura donc à la fois une activité militaire - c'est tout de même cela qui doit être le cœur de notre activité - et une formation musicale. La musique du 43e régiment d'infanterie sera ainsi réorganisée avec 30 professionnels, et Lille, contrairement à d'autres villes importantes, conservera donc une musique militaire.
En prenant en considération l'attachement de très nombreux habitants de l'agglomération lilloise et du département du Nord à la musique du 43e, nous apportons, me semble-t-il, une réponse qui à la fois tient compte de l'impératif de concentration des armées sur leur activité principale qu’est la préparation au combat et permet de maintenir le contact armées-nation.