Texte intégral
Q - Pourquoi est-ce « une imbécillité » - pour reprendre vos propos - d'inclure l'outil de travail dans le calcul de l’impôt sur la fortune ?
- « Disons qu'une fiscalité, telle que nous la concevons, serait une fiscalité économiquement efficace - favorable à l'investissement et à l’emploi - et socialement juste. L'impôt sur les grandes fortunes est un impôt qui introduit un peu de justice dans un système qui est inéquitable. Mais inclure l'outil de travail - l’entreprise - dans l'assiette de l'impôt sur les grandes fortunes risque d'avoir des conséquences pour la création d'emplois, en déstabilisant certaines entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises. Alors, je ne dissimule pas du tout la difficulté du problème, parce que c'est vrai qu'il y a un certain nombre de personnages qui ont de grandes fortunes, et qui utilisent ce biais pour les maquiller, en tout cas échapper à l'impôt. De ce point de vue, je crois qu'il faut étudier avec attention l'excellent travail du Conseil national des impôts. »
Q - Mais dire comment, justement, l'inclure, l'outil de travail !
- « Oui, oui. Mais qui offre différentes pistes. Je crois que si l'on veut concilier efficacité économique et justice fiscale, il nous paraîtrait plus judicieux d'atteindre les très hauts revenus. Soit à travers un réexamen de l'impôt ou des impôts sur les mutations - qui soulèvera d'autres questions évidemment ; aucun changement d'impôt ne laisse indifférent. Soit les tranches supérieures de l'impôt sur le revenu, mais je sais que le sujet est parfois tabou, je le déplore. Soit d'autres pistes. Surtout, je crois que si l'on veut établir en France une fiscalité plus juste - elle est loin d'être juste, je le répète, loin d'être juste ! - il faut que pour les faibles et les moyens revenus, elle soit beaucoup plus supportable. Et je pense en particulier à la fiscalité locale qui est certainement l'une des plus iniques qui soit ; qui est l'injustice même dans son système de calcul, de prélèvement, et d'assiette. Et j'espère que la priorité des priorités sera, pour cette année, de s'attaquer et au système de la taxe d'habitation et au système de la taxe professionnelle. »
Q - Pourquoi beaucoup de socialistes reprennent-ils - ou sont-ils séduits - par « cette imbécillité » d'étendre l'outil de travail à l'ISF, à commencer par F. Hollande, le premier secrétaire du PS, qui dit qu'il est souhaitable de le faire même si cela n'est pas facile ?
- « Bien sûr. Sur ce débat il y a... Je ne suis pas le seul évidemment à penser ce que je vous dis ce matin ou ce que j'ai dit... »
Q - Il pourrait quand même paraphraser F. Reynaud qui disait : « Je ne suis pas un imbécile puisque je suis douanier » ? Il pourrait dire : je ne suis pas un imbécile puisque je suis socialiste ?
- « A coup sûr, oui. Parce qu'il est, par ailleurs, notre premier secrétaire, il dit souvent des choses très justes, très sensées. »
Q - Alors ?
- « Mais c'est un débat qui est ouvert au sein du Parti socialiste et de la majorité. Personnellement, je crois qu'il faut se méfier des effets d'annonce, se méfier des effets d'affichage, qui provisoirement font plaisir. On a l'impression qu'on a accompli un acte de justice. Et puis, en définitive, on s'aperçoit parfois que cet acte de justice est inefficace économiquement - même dangereux économiquement - finalement injuste socialement, puisqu'il peut aboutir à la disparition d'emplois. »
Q - Vous redoutez une trop grande pression du Parti communiste sur la majorité plurielle ?
- « Je ne crois pas qu'il faille raisonner dans ces termes. Nous avons des convictions ; surtout nous sommes là pour gérer dans l'intérêt du pays. Il faut ouvrir des débats - c'est normal, au sein d'une majorité - et puis ensuite il faut décider. Moi, j'ai confiance dans le bon sens de notre Premier ministre, Je suis sûr que lorsqu'il rendra sur ce point les arbitrages, il aura le souci à la fois d'encourager la croissance revenue - la croissance économique revenue - et d'engager avec fermeté un changement vers une justice fiscale qui, encore une fois, est loin d'être atteinte par notre système. »
Q - L. Jospin, précisément, est aux Etats-Unis en ce moment, et en arrivant là-bas il a dit : finalement, contrairement à ce qu'on croyait, la majorité des emplois créés aux Etats-Unis ne sont pas des petits boulots ou des boulots précaires. Cela vous satisfait qu'il ait découvert cela ?
- « Absolument. Personnellement, je suis de ceux qui, depuis des années, demandent à mes nombreux amis d'observer la situation américaine pour s'inspirer du meilleur et non pas du pire. Et dans le meilleur du système américain, il y a cette créativité permanente, ce sens de l'innovation, cet encouragement à l'initiative. Alors que chez nous, trop souvent encore, on brise l'initiative, on l'entrave, on l'emprisonne. Et je pense que c'est une bonne chose que successivement, D. Strauss-Kahn, L. Jospin, aient pris une sorte de bain américain, et qu'ils puissent rapporter ici une volonté accrue de compétitivité, de créativité économique. C'est une bonne chose pour notre puissance industrielle et pour nos emplois. »
Q - Mais « le bain américain » est souvent…
- « Je dis bien le meilleur et pas le pire. »
Q - ... formé par une fiscalité très douce.
- « Je dis bien le meilleur et pas le pire ; je ne souhaite pas qu'on importe tout ce qui, du point de vue de la protection sociale, évidemment n'a rien à voir avec notre système. »
Q - Vous êtes président de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, et vous avez reçu comme tel le Dalaï-lama, à l'Assemblée nationale, qui n'a été reçu ni à l’Elysée, et ni à Matignon. La France est trop timide dans son affirmation des droits de l’homme ?
- « Soyons optimistes, comme nous l'enseigne le Dalaï-lama. Moi, je suis un militant des droits de l'homme, et de nombreux membres du Gouvernement aussi, je le crois, j'en suis sûr. Mais peut-être qu'il n'est pas absurde que dans un système démocratique, il y ait deux partitions. La partition interprétée par le législatif - après tout, l'Assemblée nationale c'est une tribune, et j'ai souhaité que la commission des Affaires étrangères soit depuis un an la tribune des droits de l'homme et des droits des peuples. J'ai invité toute une série de personnalités qui se battent pour les droits de l'homme dans le monde. Et l'autre partition, c'est celle de l'exécutif, qui peut considérer qu'il est plus efficace d'entreprendre des négociations directes, entre dirigeants - par exemple, en l'occurrence, avec les autorités chinoises - pour faire avancer, par exemple, la cause du Tibet. Disons, en étant optimiste, je crois que ces deux perspectives, ces deux approches, peuvent se compléter pour obtenir qu'enfin ! le droit à l'autonomie du Tibet soit pleinement reconnu par les autorités chinoises. »
Q - Le 21 juin c'est bientôt, après-demain.
- « Il commencera peut-être dès demain. »
Q - … Va se dérouler « un Mondial » dont vous êtes à l'origine : « le Mondial » de la musique, puisque maintenant la Fête de la musique est devenue planétaire. C'est « un Mondial » qui est gêné par un autre Mondial, celui du football. Parce qu'il y a des villes en France où on ne va pas fêter vraiment la musique à cause des supporters du football...
- « Oui, alors même que je trouve assez extraordinaire que puisse se produire demain et après-demain, le mariage du foot et de la musique. Et je suis convaincu, d'ailleurs, qu'à Paris et dans beaucoup de coins de France, les délégations étrangères seront heureuses de découvrir une France en liesse, une France vibrante, une France en mouvement, une France du talent et de l'imagination et de l'hospitalité. Et la Fête de la musique, certainement, cette année, revêtira ce caractère particulier de fête de la fraternité, et notamment vers les sportifs. Alors, je sais, je ne sous-estime pas certains risques qui peuvent exister à Toulouse ou à Lyon. Je comprends que l'on prenne des précautions, notamment vis-à-vis de la consommation d'alcool et l'organisation de certaines manifestations autour de podiums. En même temps, place tout de même à la vie. Je ne pense pas que les interdits puissent arrêter la vie. C'est dans la tête et dans le cœur de millions de gens aujourd’hui en France et dans le monde, cette Fête de la musique. On ne peut pas proclamer son report ou son interdiction. Donc, je crois qu'il faut trouver une voix sage pour qu'à Toulouse, Lyon et Paris... Parce que certains, parfois, se servent de prétextes de sécurité pour empêcher l'expression publique. Et place à l'été, place à l'amitié, place à la fraternité, place à la musique, y compris - mais avec des précautions - à Toulouse, à Lyon et à Paris ! »