Texte intégral
Pascale Amaudric
Vous irez à la finale ?
Claude Allègre
- « Oui. Bien qu’en général je préfère regarder les matchs à la télévision. J’aime voir de près ce qui se passe. »
Pascale Amaudric
Cette envolée de Chirac et Jospin dans les sondages, qu’en pensez-vous ?
Claude Allègre
- « N’avez-vous pas compris que Jospin est le capitaine de l’équipe de France ! Moi, je dis que le foot est dopé par les succès du Gouvernement ! (Rires.) Enfin, disons qu’il y a symbiose : l’emploi s’améliore, l’avenir inquiète moins, les jeunes retrouvent le moral, et le foot contribue à tout ça. »
Pascale Amaudric
Mais la cote de Chirac aussi est exceptionnelle.
Claude Allègre
- « Les Français aiment la cohabitation. Pas seulement les Français d’ailleurs : les Américains ont élu Clinton, un démocrate, mais un Sénat républicain. L’idée qu’il faut prendre les meilleurs, qu’ils soient de droite ou de gauche, est très populaire. La cohabitation se passe bien, l’intérêt de la France passe avant les petites considérations politiciennes. En Conseil des ministres, vous savez, tout est assez cool. Le Gouvernement respecte le Président, et ce dernier ne fait aucune remarque désagréable à qui que ce soit. Dans la presse, ensuite, on lit des petites phrases qu’on n’a jamais entendues… »
Pascale Amaudric
Faut-il profiter de cette euphorie pour accélérer les réformes ?
Claude Allègre
- « Il faut aller à notre rythme et faire évoluer les choses sérieusement en profondeur. Nous ne sommes pas des ludions ! Des réformes, nous en faisons dans tous les domaines. Pour ce qui me concerne, la déconcentration de la gestion se fait sans bruit et sans heurts. Les absences dans les établissements se réduisent. Sur le troisième trimestre, on a gagné trois semaines ! La violence diminue… »
Pascale Amaudric
Le « mammouth » se dégraisse-t-il ?
Claude Allègre
- « Déconcentrer, c’est faire maigrir le ventre pour muscler les jambes et les bras. L’éducation est le plus gros employeur du monde (1,2 million de personnes) mais je ne suis pas dans un « trip » d’allégement des effectifs : proportionnellement, il y a moins de personnes dans l’éducation chez nous qu’aux États-Unis ou en Scandinavie. L’éducation publique n’est pas surencadrée. Mais avec la baisse démographique, il est normal qu’on cesse d’augmenter les effectifs enseignants. »
Pascale Amaudric
Vous avez créé 40 000 emplois-jeunes à l’éducation.
Claude Allègre
- « Oui. On est numéro un et l’on en créera encore 20 000 à la rentrée. C’est une nécessité, pas un gadget. Ces emplois-jeunes sont des intermédiaires entre les enseignants et les élèves, une sorte de grand frère qui n’est pas craint. On me dit : il faut les titulariser ! Cela n’aurait aucun sens. En revanche, il se peut qu’ils soient pérennisés. »
Pascale Amaudric
Lors de sa récente visite aux États-Unis, Jospin a reconnu la qualité des milliers d’emplois créés. Il paraît que c’est vous qui l’avez converti.
Claude Allègre
- « J’ai peut-être joué un rôle pour lui faire mieux comprendre les États-Unis. Mais il n’a pas attendu ce voyage pour découvrir l’Amérique, ses forces et ses faiblesses. »
Pascale Amaudric
Ce « mea culpa » de Jospin est-il une étape dans la recherche de la fameuse « troisième voie » entre socialistes et libéraux ?
Claude Allègre
- « Il est clair que nous sommes en train de mettre en place cette troisième voie, qui n’est pas le socialisme technocratique, pas le Gosplan soviétique, pas non plus le libéralisme sauvage. L’esprit d’entreprise, la motivation, l’initiative individuelle, l’égalité des chances pour les enfants, nous les valorisons. Nous recherchons une voie originale pour le socialisme à la française. Les libéraux ont opposé Jospin à Tony Blair qui, c’est vrai, avec son physique de jeune premier, vendrait des réfrigérateurs à des Esquimaux, mais il est socialiste ! Les Anglais créent des emplois-jeunes, mettent en place le smic. On verra que le socialisme à la Jospin - plus rigoureux, plus austère - n’est pas moins efficace. Ici, tout le monde espère qu’on arrêtera d’être socialiste ! Mais non, on continuera à l’être, à lutter contre l’injustice, à croire que l’homme est perfectible. »
Pascale Amaudric
La droite aussi dit ça !
Claude Allègre
- « En tout cas, après ma présentation du plan social étudiant vendredi matin, les étudiants de droite (Ndlr : de l’UNI) nous ont dit : « Vous, vous avez fait ce que Chirac avait promis ! » Oui, il ne s’agit pas de dire mais de faire. En quatre ans, la droite n’a pas donné un centime pour améliorer la condition des étudiants. Nous, on met 1,5 milliard de francs par an pendant cinq ans. »
Pascale Amaudric
Dans le document qui présente votre bilan, le premier chapitre est consacré à l’administration, pas à l’enfant…
Claude Allègre
- « Pour expliquer le Tour de France, on commence par expliquer le vélo ! L’administration, c’est mon outil pour réformer ! Il y avait dix-neuf directions. Je simplifie à dix, dirigées par cinq femmes et cinq hommes. C’est symbolique peut-être, mais important pour la dynamisation d’une profession composée à 70 % de femmes. En un an, j’ai appris le métier de ministre ! On a dit que j’avais trop secoué le système. Mais ne vous y trompez pas : toutes les forces vives de l’éducation sont derrière moi. Pour changer, il faut bousculer. Comme dit Jacques Julliard : « Réformer est un acte héroïque en démocratie. » Mes projets avancent, c’est l’essentiel. »
Pascale Amaudric
Prenons les secteurs les uns après les autres. Quel est votre message pour le primaire ?
Claude Allègre
- « Fatiguer moins l’enfant ! D’où une réforme des rythmes de la journée. L’école a deux buts : donner le goût du travail mais aussi apprendre la joie de vivre. Apprendre à parler, lire, écrire, compter, à s’amuser, chanter, et vivre avec les autres ! »
Pascale Amaudric
Les collèges ?
Claude Allègre
- « J’attends de voir ce que donne la réforme Bayrou. Mais je veux que soient totalement maîtrisées la lecture, l’écriture, la base des mathématiques, et aussi la parole en français et dans une langue étrangère. Parler est la chose la plus importante ! A l’école, on dit souvent « silence », je souhaite que cela change ! Développer sa personnalité, son originalité et s’exprimer est essentiel. L’école ne doit pas fabriquer des spectateurs de télévision. Les talents sont plus nombreux qu’on ne croit. »
Pascale Amaudric
Le lycée ?
Claude Allègre
- « C’est le carrefour qui mène soit à la vie active, soit à l’université, soit aux filières professionnelles. Il faut que l’élève connaisse bien ces différents parcours et que les connaissances soient vraiment acquises. »
Pascale Amaudric
Vous avez dit : « Ce que nous apprenons dans les écoles est dépassé. »
Claude Allègre
- « Précisément. C’est pourquoi il faut se recentrer sur les savoirs fondamentaux, s’assurer de leur maîtrise par l’élève. L’enseignement doit être intensif, pas extensif. Il faut alléger les programmes et les horaires. Que des jeunes soient obligés de tout abandonner - le sport, la musique... - en entrant en seconde, c’est un désastre ! Soixante heures par semaine, c’est de la folie ! »
Pascale Amaudric
Un message aux étudiants ?
Claude Allègre
- « Qu’ils étudient et soient autonomes ! Nous mettons en place les conditions pour que l’université française soit la meilleure d’Europe et la plus juste. Les enfants de famille modeste qui auront mention « très bien » au bac seront aidés à 100 %. »
Pascale Amaudric
Et aux professeurs enfin ?
Claude Allègre
- « Ils exercent la profession la plus importante du pays ! Qu’ils travaillent en équipe, fabriquent des logiciels éducatifs, des CD-ROM ! La France doit devenir le fer de lance de la modernisation éducative. »
Pascale Amaudric
Que pensez-vous des multiples petits cours - hors contrat et hors de prix - qui prolifèrent pour les « échoués » de l’école publique ?
Claude Allègre
- « Je n’ai pas à intervenir mais je veux que le système public rattrape lui-même ses propres erreurs. Diversité, égalité des chances, initiative. J’ai l’impression d’être un général qui mobilise pour affronter la grande compétition du XXIe siècle : celle de la matière grise. »