Texte intégral
Je voudrais, avant toute chose remercier Marisol Touraine d’avoir pris l’initiative de ce colloque avant même que les décisions du Gouvernement ne soient annoncées dans le cadre de la Conférence famille. C’est ainsi que je conçois le rôle du Parti socialiste. Nous devons exposer en amont nos préférences et débattre avec les acteurs plutôt que nous féliciter ou déplorer les décisions qui sont prises. C’est la démarche que nous avons adoptée.
Nous ne découvrons pas, soudainement, la famille. Elle est une structure permanente de nos sociétés. Cependant, elle a changé de visage, notamment ces dernières années. Cette mutation tient à des volontés personnelles : l’union sans le mariage, divorces et séparations, mais aussi par certaines formes de contraintes : les familles monoparentales, les familles déstructurées par le chômage ou éclatée par les conflits de génération.
Parallèlement, les fonctions familiales évoluent aussi. La fonction de solidarité s’est développée et élargie, notamment entre les générations. On a évoqué, à juste raison, le rôle des grands-parents.
La gauche s’est toujours refusée à mythifier la famille. A la différence des conservateurs, nous avons refusé de considérer que c’était à travers la famille que devaient se réduire toutes les politiques sociales. De même que nous avons, à juste raison, refusé de participer à des discours natalistes dès lors que les conditions d’accueil de l’enfant ne sont pas réunies. Les termes du débat ont donc changé.
Le premier principe est que la politique familiale, car il en faut bien une, doit satisfaire le désir d’enfants. On ne comprendrait pas que dans notre société, à la fin du 20e siècle, des couples renoncent à avoir un enfant parce qu’ils n’en n’ont pas les moyens ou parce qu’ils doutent des conditions d’accueil et de l’avenir de cet enfant. De ce point vue, la politique familiale présente un caractère nataliste qu’il serait absurde de nier.
Deuxième principe, la politique familiale doit accompagner les familles dans leur rôle d’éducation bien sûr, d’intégration et de solidarité. C’est pour cela qu’il faut raisonner en termes de « coût de l’enfant », auquel il faut ajouter les charges liées aux études – de plus en plus longues – et qui amène la politique familiale à prendre d’autres formes. Mais il faut ajouter aussi la couverture de l’aléa économique. Il y a en effet une forme de solidarité personnelle à travers la famille qui vient doubler les défaillances de la solidarité collective et sociale.
Troisième principe, la politique familiale doit être respectueuse de la liberté des personnes et des couples. Aujourd’hui encore, notre fiscalité ne respecte pas les comportements individuels. On le voit bien au niveau des successions. Bien sûr, il ne faut pas décourager le mariage, mais il ne faut pas nos plus pénaliser les unions fondées hors mariage. Il faut également une politique de logement qui corresponde à l’évolution du mode de vie, des couples et des familles. Liberté aussi par rapport au travail – pas simplement celui des femmes – mais celui des parents. C’est le sens du congé parental et l’on sait que dans les pays scandinaves, cette formule a été un puissant levier pour retrouver des formes « normales » de natalité. Enfin, il est indispensable d’amplifier les efforts relatifs aux modes de garde, aux droits à la formation professionnelle, au retour à l’activité des parents. La politique familiale doit affirmer le droit des femmes, car on sait que c’est toujours aux femmes que s’adressent les exigences familiales.
Une fois définis ces trois principes, quels en sont les mécanismes ?
La politique familiale ne peut se résumer aux seules prestations familiales. La politique familiale est une politique d’éducation, une politique du logement, une politique de la culture, une politique fiscale. C’est aussi une politique du droit civil parce qu’il va falloir faire évoluer notre Etat de droit en fonction des comportements individuels.
La politique familiale ne se confond pas avec l’Etat et la sécurité sociale. Il y a tout un ensemble d’intervenants que l’on oublie souvent que sont les collectivités locales et les organismes sociaux.
La politique familiale doit participer à la réduction des inégalités. Notre politique fiscale a bien des défauts : de nombreux impôts sont payés par toutes les familles – taxe d’habitation et TVA –, ou créent une redistribution à rebours puisque souvent ce sont les familles modestes qui payent proportionnellement le plus d’impôts par rapport au nombre d’enfants. Ainsi le quotient familial est doublement critiquable puisqu’en bénéficient ceux qui payent l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire un foyer sur deux, et que l’avantage est d’autant plus grand que l’on a des revenus élevés, même s’il existe un plafond.
Lorsque le Gouvernement et Lionel Jospin ont pris la décision de plafonner les allocations familiales, les socialistes n’ont pas été choqués, d’autant que déjà près de deux tiers des prestations familiales étaient distribués avec conditions de ressource. Aujourd’hui encore, notre objectif est la modulation des avantages familiaux selon le revenu. Notre objectif, c’est la solidarité. Ensuite, c’est une question de technique. S’il faut changer ce mécanisme, il faut nous proposer un dispositif qui ait les mêmes vertus : vertu de redistribution, avantage de simplification. Si nous n’en sommes pas convaincus, nous continuerons à plaider pour le plafonnement. Mais la réforme du quotient familial peut avoir des effets identiques et même préférables sur le plan de la progressivité fiscale.
Quelle que soit la technique, les gains de la redistribution doivent être réaffectés à la politique familiale. Il ne s’agit pas pour nous de faire des économies sur le dispositif. S’il doit y avoir des marges de manœuvre pour la politique familiale, nous plaidons pour que ce soit en faveur d’une allocation du premier enfant, qui peut sans doute reprendre des prestations existantes pour les refondre dans un dispositif plus cohérent. La famille naît avec le premier enfant et il est nécessaire qu’il y ait un soutien dès le premier enfant.
Nous considérons aussi que compte tenu des aléas de la vie économique, il faut prolonger le versement des allocations familiales au-delà de 19 ans pour assurer l’insertion des enfants mais aussi le soutien que leur accordent les parents.
Bref, notre volonté est d’aider les enfants. Mais il faut aussi aider les parents à assumer les tâches de plus en plus difficiles de l’éducation et de la solidarité. C’est ce qui nous paraît être aujourd’hui les deux priorités de la politique familiale qui elle-même s’intègre dans l’ensemble des politiques des pouvoirs publics. En définitive, selon que ces politiques sont bonnes ou mauvaises, tout revient vers la famille. Nous le disons ici, ce que nous souhaitons surtout c’est une bonne politique pour notre pays. Car une bonne politique pour notre pays sera une bonne politique familiale.