Texte intégral
Mme SINCLAIR : Bonsoir.
Pendant toute la campagne des européennes, on a fait mine de s'intéresser à l'Europe alors que les enjeux de politique intérieure étaient dans tous les esprits.
De fait, depuis dimanche, ce n'est pas du Parlement européen de Strasbourg dont on parle, mais des conséquences du vote du 12 juin sur la vie politique de l'année qui vient.
Bonsoir, Philippe Seguin.
M. SEGUIN : Bonsoir.
Mme SINCLAIR : On n'a pas entendu le son de votre voix durant cette campagne. Pourquoi ?
M. SEGUIN : Je considérais qu'il était inutile de participer à un débat dont il avait été décidé qu'il n'aurait pas lieu. Alors, je me suis abstenu tout simplement.
Mme SINCLAIR : Si je ne m'abuse, vous étiez tout de même le leader du « non » à Maastricht. Cela veut dire que vous aviez des idées sur l'Europe. C'était peut-être le moment ou jamais de les dire plutôt que de faire grève ?
M. SEGUIN : Mais non, précisément. L'Europe n'était pas à l'ordre du jour. Vous l'avez vous-même rappelé à l'instant. Au moment de Maastricht, c'est vrai. On a parlé de l'Europe et, d'ailleurs, je me réjouis de constater que, du moins, le débat sur Maastricht auquel j'ai participé, auquel j'avais essayé de prendre ma part, a eu tout de même une autre gueule que celui-là.
Mme SINCLAIR : Nous allons parler tout de suite de ces élections.
[Résumé des résultats et des vagues déclenchées à droite et à gauche. Reportage.]
Mme SINCLAIR : Nous l'avons appris, il y a quelques instants, Michel Rocard a démissionné de son poste de premier secrétaire [du Parti socialiste – PS]. Il a été mis en minorité au cours du vote de confiance qu'il avait demandé, 129 voix contre, 88 pour, 48 abstentions et 2 refus de vote. Pour l'instant, on ne sait pas comment le remplacement de Michel Rocard va se passer ? Probablement, parle-t-on d'une direction provisoire.
Philippe Seguin, un mot sur le dernier combat de Michel Rocard ?
M. SEGUIN : Je crois que ce qui lui arrive est assez injuste parce que le résultat qu'il a fait, il n'en est pas le seul responsable. Cela témoigne d'une crise du Parti socialiste, d'une crise du socialisme en général. Puis, d'autre part, il faut bien dire, on a multiplié les chausse-trapes sur son chemin. J'en arrive d'ailleurs à me demander si les vainqueurs d'aujourd'hui, au Parti socialiste, ont vraiment gagné ? Parce qu'ils n'auront pas de candidat de rechange, au mieux, avant le 31 décembre…
Mme SINCLAIR : … Vous pensez à Jacques Delors qui sera libéré de son mandat de la Commission européenne, s'il le souhaite ?
M. SEGUIN : S'il franchit le pas. Or, aujourd'hui, le Parti socialiste se retrouve tout nu. Enfin, c'est leur affaire !
Mme SINCLAIR : Une question là-dessus : un Parti socialiste défait, après ces élections, cela vous arrange. Vous dites-vous : « Aujourd'hui, le combat ne se situe plus qu'à droite. La présidentielle, de toutes façons, est gagnée à droite et, à gauche, il n'y a plus d'enjeu » ?
M. SEGUIN : Non, cela me réjouit pas parce qu'il faut un débat démocratique. Cela étant, le Parti socialiste, pas plus que les autres grands partis d'ailleurs, n'a encore réussi sa mue. D'après la fin des idéologies, chacun reste dans chaque camp sur des positions idéologiques alors que, à l'évidence, les idéologies se sont effondrées et nul n'a réussi à mener à son terme la transformation qui est nécessaire en mouvements politiques modernes, en mouvements qui n'ont plus des a priori, des a priori idéologiques, j'y reviens, mais qui sont des lieux de débats et des lieux où on cherche d'abord à sélectionner des équipes de gouvernement…
Mme SINCLAIR : … Des projets.
M. SEGUIN : Et, d'autre part, à arbitrer entre les contradictions de la société, à définir des projets mais sans a priori.
Mme SINCLAIR : Les résultats de dimanche vous ont-ils surpris ?
M. SEGUIN : Non.
Mme SINCLAIR : Vous ont-ils inquiété ?
M. SEGUIN : Oui.
Cela étant, ces résultats sont l'illustration d'une évolution qui ne date pas d'hier et qui se traduit par un divorce entre les Français, entre les citoyens et, d'autre part, la chose publique et, d'autre part, leurs représentants.
Mme SINCLAIR : En tout cas, les partis politiques majeurs comme on dit, les partis politiques de Gouvernement, UDF [Union pour la démocratie française], RPR [Rassemblement pour la République] et PS, 40 % des voix.
M. SEGUIN : Les partis politiques qui n'ont pas vocation à gouverner ne se portent guère mieux mais, enfin, c'est vrai qu'on peut faire des pourcentages très significatifs. On peut se dire que, après tout, les deux partis de la majorité, ensemble, soutenus par le Gouvernement, ont réuni un électeur sur sept et qu'à eux tous les partis du Gouvernement…
Mme SINCLAIR : … À 25 % des votants, c'est-à-dire un sur sept Français.
M. SEGUIN : Oui, un électeur sur sept. Que voulez-vous ? C'est ainsi et ce n'est pas autrement parce qu'il ne faut pas oublier ceux qui ne votent pas et qui ont parfois de bonnes raisons pour ce faire.
D'autre part, si on s'en tient aux partis de gouvernement, c'est-à-dire si on reprend le PS dans le lot…
Mme SINCLAIR : … Oui, 40 %.
M. SEGUIN : C'est un sur cinq. Ce n'est pas mieux.
On peut se poser la question qu'on se pose souvent, que les économistes chenus se posent au sujet du chômage, est-ce une crise de l'offre ou est-ce une crise de la demande ? On pourrait dire que c'est une crise de la demande. D'ailleurs, pour la plupart des responsables politiques, c'est de cela qu'il s'agit…
Mme SINCLAIR : … C'est-à-dire que les électeurs ne savent pas…
M. SEGUIN : … Les électeurs ne sont pas de bons électeurs. Ils veulent le beurre et l'argent du beurre. Enfin, c'est de leur côté que sont les torts. Moi, je suis de ceux, sans vraiment de démagogie, qui pensent qu'il y a plutôt une crise de l'offre, c'est-à-dire que les gens, les électeurs, les Français, ils attendent qu'on leur parle, qu'on les écoute, mais aussi qu'on leur parle, qu'on leur explique ce qui se passe ; quelles sont les options ? Qu'on les fasse participer ; qu'on les traite en adultes. Au lieu de cela, ils ont le sentiment que leurs élus, leurs élites, en général, les abandonnent à leur sort et, en plus je le répète, ne leur donnent pas la parole. C'est un petit peu, si je puis dire, « exclus-toi », puisque l'exclusion est la grande affaire, aujourd'hui, hélas ! « Exclus-toi et puis tais-toi ». Alors, il ne faut pas s'étonner qu'ils émettent du coup un vote que je qualifierais, pour ma part, à la fois de vote de défiance et de vote de désespérance.
Mme SINCLAIR : Nous allons y revenir.
La SOFRES a demandé précisément aux Français pour l'émission « 7 sur 7 » : aux élections européennes de dimanche dernier, les listes RPR-UDF et le PS ayant obtenu que 40 % des voix, estimez-vous que ce résultat montre un déclin profond des grands partis traditionnels ? 43 %.
Ce résultat est-il en revanche un échec de circonstance qui ne se produirait pas dans d'autres élections, présidentielles ou législatives ? 41 %.
Les Français sont partagés à l'évidence. Dans l'électorat du Parti socialiste, l'idée de déclin est plus présente qu'ailleurs. Au RPR, en revanche, 54 % contre 34 % pensent que c'est un vote de circonstance.
Vous, vous pensez que c'est une longue évolution. Vous venez de le dire…
M. SEGUIN : … Je pense que ceux qui ont répondu au sondage ont tous raison, c'est-à-dire que c'est un mouvement de fond dont l'illustration a été d'autant plus nette que la situation à cette élection a été à peu près caricaturale parce que, alors là, pour ne pas donner la parole aux gens, on peut dire qu'on ne le leur a pas donnée.
Mme SINCLAIR : Vous parliez d'une autre façon peut-être de parler aux gens. Vous disiez vous-même que vous n'aviez pas été étonné par ce résultat. Le score de Bernard Tapie ne vous a pas étonné non plus ?
M. SEGUIN : Non, je pense que c'est une manifestation de cette défiance et de cette désespérance. Au-delà du problème de l'homme, au-delà du problème de Philippe de Villiers, lui-même, au-delà du problème d'autres têtes de liste, ce que révèle cette élection, c'est une crise de notre démocratie. Osons le dire !
Mme SINCLAIR : Le RPR et l'UDF avaient donc choisi de présenter une liste unique. Cette liste unique a été créditée, il y a deux mois de près de 40 %. Elle est, au bout du compte, dimanche dernier, tombée à 25 % même si elle est très loin devant toutes les autres. À votre avis, c'était une mauvaise idée si j'en déduis ce que vous venez de dire ?
M. SEGUIN : J'ai l'impression qu'on fait les choses à contretemps. Vous le disiez à l'instant, les partis politiques sont en train de beaucoup s'agiter pour s'occuper de l'élection présidentielle alors qu'ils n'ont strictement rien à faire dans l'élection présidentielle et, en revanche, sur une élection à la proportionnelle où, alors là, c'est leur devoir constitutionnel d'être là, puisque la Constitution prévoit que les partis existent pour permettre l'expression du suffrage, ils sont absents. Je préférerais de beaucoup qu'ils se taisent sur la présidentielle mais que, en revanche, lorsqu'il y a une élection européenne où il y a des gens à désigner pour le Parlement européen, chaque parti politique exprime se sensibilité.
Mme SINCLAIR : Qu'aurait-il fallu faire ?
M. SEGUIN : À la décharge de Monsieur Baudis sur lequel beaucoup de gens ont formulé des jugements peu amènes, il faut dire qu'il avait tout de même à synthétiser des sensibilités diverses, pour ne pas dire contradictoires. Alors, du coup, il a choisi de s'aligner sur le plus petit commun dénominateur. Il ne faut pas s'étonner que sa campagne ait quelque peu manqué de souffle.
De toutes façons, on savait qu'il y aurait deux listes au moins issues de la majorité, autant organiser la diversité avec, d'un côté, une liste de l'UDF et, de l'autre, une liste RPR. Mais je ne suis pas naïf et j'ai bien compris que si cela ne s'est pas fait, c'est parce que cela risquait de polluer les stratégies présidentielles des uns et des autres.
Pourquoi cela risquait de polluer les stratégies présidentielles ? D'abord, parce que personne n'avait envie de se compter ; d'autre part, parce que chacun voulait faire assaut de protestations en faveur de l'union de la majorité ; et, d'autre part, parce que personne ne voulait se découvrir sur le fond. C'est dommage parce que le débat sur Maastricht avait permis de faire avancer la réflexion sur l'Europe. On avait mis sur la table un certain nombre de vrais problèmes. Certains points-de-vue d'ailleurs s'étaient rapprochés parce qu'il y a toujours de bonnes choses à tirer d'un débat et, malheureusement, on n'a pas poursuivi ce débat. Au contraire, ceux qui ont pu tout de même dire quelque chose sont revenus un peu au point de départ, c'est-à-dire au début du débat de Maastricht.
Mme SINCLAIR : Vous faites, vous-mêmes, le lien avec le débat sur Maastricht. Tout le monde se souvient que Charles Pasqua et vous étiez associés dans le « non » à Maastricht… Du coup, cela me suggère une question : pour qui avez-vous voté, Philippe Seguin ?
M. SEGUIN : Écoutez : je n'ai pas fait campagne ; je suis allé, comme chaque citoyen, dans l'isoloir et, comme chaque citoyen, j'ai droit au secret de mon vote.
Mme SINCLAIR : Ah bon ? Même un leader politique de votre taille qui a fait justement campagne sur des thèmes qui étaient proches de ceux de Philippe de Villiers ne peut pas dire aujourd'hui pour qui il a voté ?
M. SEGUIN : J'ai voté en conscience. Cela n'a pas été d'ailleurs si facile que cela de me déterminer.
Mme SINCLAIR : Bon, on ne saura pas.
Charles Pasqua avait donné sa bénédiction aux électeurs du RPR qui voulaient voter de Villiers. Il a bien fait ?
M. SEGUIN : C'était son affaire. Pour ce qui me concerne, j'avais dit que je ne prendrais pas part à ce débat. Je n'y ai pas pris part à aucun moment.
Mme SINCLAIR : Si je transpose l'élection présidentielle, la droite, c'est en gros deux familles, deux grandes familles à peu près à égalité, le RPR et l'UDF. Faut-il un candidat unique ? Reproduit-on le modèle qu'on vient de vivre ? Ou faut-il que chaque famille ait son propre candidat ?
M. SEGUIN : Je ne sais pas ce que cela veut dire « candidat unique ». Vous me parlez de familles, mais il faut bien s'entendre sur ce qu'est l'élection présidentielle et ce qu'est le Président de la Républiques dans nos institutions. Remarquez, il est normal que l'on se trompe dans la mesure où la plupart des responsables politiques, y compris les présidentiables, se trompent eux-mêmes.
Il ne s'agit pas de désigner un super premier ministre. Il ne s'agit pas de désigner le chef de la majorité. Il s'agit de désigner un homme qui va incarner la France pendant sept ans, qui va être, par définition, au-dessus des partis, qui va être libre de toute majorité, dans lequel toute Française et tout Français pourra se reconnaître. C'est dire, par définition, que cette personne ne peut pas émaner du choix des partis. L'élection présidentielle est une affaire entre un homme ou une femme avec un projet et les Français.
Mme SINCLAIR : Tous ceux qui pensent qu'ils ont un projet à défendre doivent aller devant les Français ?
M. SEGUIN : S'ils pensent qu'ils ont la capacité à se présenter, pourquoi pas ? Sous réserve de satisfaire aux conditions constitutionnelles, de parrainage…
La notion même de candidat de la majorité, à mes yeux ou à mes oreilles, est une aberration. Il y aura forcément un ou des candidats issus de la majorité mais, en aucun cas, un candidat de la majorité parce qu'elle n'a rien à faire là-dedans.
Mme SINCLAIR : N'avez-vous pas l'impression que les électeurs de la majorité ont toujours été déçus de voir, aux dernières présidentielles, François Mitterrand gagner parce que la majorité avait été divisée ? Ils ont une soif d'union ?
M. SEGUIN : Mais ça, c'est ce qu'on raconte…
Mme SINCLAIR : … La soif d'union ? Non, elle est réelle.
M. SEGUIN : Pardonnez-moi de dire, cela pourra paraître un peu trivial, je crains que, depuis des années et des années, on ne leur bourre le crâne et je vais vous faire une double révélation.
Savez-vous pourquoi, en 1981, les Français ont voté Mitterrand et n'ont pas voté Giscard ou Chirac ? C'est tout simple : c'est parce qu'ils préféraient monsieur Mitterrand et ce n'est pas parce qu'il y avait une division de la majorité.
De même en 1988, ce n'est pas parce qu'il y avait deux candidats au premier tour qui s'appelaient monsieur Chirac et monsieur Barre qu'ils ont choisi monsieur Mitterrand. C'est parce qu'ils préféraient monsieur Mitterrand.
Puis-je rappeler que, lorsque monsieur Giscard d'Estaing a été élu en 1974, il n'était pas le seul candidat issu de la majorité de l'époque et que le général de Gaulle ne s'est pas retrouvé en 1965 tout seul face au candidat socialiste de l'époque et que, en 1969, a fortiori, c'est entre un centriste et un gaulliste que s'est joué le deuxième tour. C'est dire que cela n'a strictement rien à voir.
Toute cette agitation politicienne depuis une semaine montre qu'on n'a strictement rien compris à ce qui s'est passé dimanche dernier, à ce que cela signifie et qu'on s'engage, en matière d'élections présidentielles, sur une voie qui est totalement erronée. J'espère qu'on va se ressaisir.
Mme SINCLAIR : Vous allez dire aux électeurs qu'ils n'ont rien compris, eux non plus.
Question posée par la SOFRES : Pour la prochaine élection présidentielle, estimez-vous que, au premier tour, il est préférable qu'il y ait deux candidats de la majorité pour exprimer ses différentes sensibilités ou qu'il n'y en ait qu'un seul pour montrer son unité ?
• Il est préférable qu'il n'y en ait deux pour exprimer les différences de sensibilité : 44 %.
• Il est préférable qu'il n'y en ait qu'un seul pour montrer l'unité : 45 %.
Ceci concerne l'ensemble des Français, mais chez les sympathisants RPR-UDF, ce qui vous intéresse, 36 % en souhaitaient deux, 60 % en voudraient un.
M. SEGUIN : Madame, je ne veux pas faire engager par TF1 des dépenses que vous jugerez probablement excessives…
Mme SINCLAIR : … Il y avait longtemps.
M. SEGUIN : Mais je suis persuadé que si vous commandiez un sondage avec une question unique en demandant aux Français : « Pensez-vous que le Président de la République doit être au-dessus des partis ? » Ils répondraient « oui » à une immense majorité…
Mme SINCLAIR : … Oui, mais ça, ce n'est pas une question de sondage.
M. SEGUIN : Et ils auraient raison.
La meilleure preuve, d'ailleurs, c'est que monsieur Mitterrand n'est jamais autant populaire et n'arrive jamais autant à la plénitude de sa fonction qu'en période de cohabitation, et pourquoi ?
Mme SINCLAIR : C'était vrai la dernière fois. Là, c'est tout juste.
M. SEGUIN : Regardez les chiffres…
Mme SINCLAIR : … Oui, il est remonté au baromètre de l'IFOP. Vous voyez que vous regardez les sondages de temps en temps.
M. SEGUIN : Précisément parce que, par la force des choses, ils doivent se conformer à la définition de la fonction présidentielle que je vous donnais à l'instant.
Mme SINCLAIR : Charles Pasqua, ce matin, à L'heure de Vérité, sur France 2, a relancé l'idée des primaires en disant : « Elles ont été finalement signées par tous les leaders de la majorité ». Faut-il des primaires pour justement suggérer un candidat ? Votre réponse semble suggérer que « non ». Ou faut-il les organiser devant l'ensemble des électeurs ? Cela s'appelle le premier tour de l'élection présidentielle.
M. SEGUIN : Dans l'absolu, je ne suis pas contre les primaires : sous une réserve, c'est que tous les Français y soient invités, comme cela se passe dans un certain nombre d'États aux États-Unis et que, en quelque sorte, au lieu d'avoir deux tours à la présidentielle, on ait trois tours.
Cela étant, nous sommes maintenant à neuf mois du début de la campagne. Je crois qu'il est un peu tard pour monter un tel système. Ce contre quoi je me prononce, mais vraiment de manière définitive, irrévocable, c'est contre des ersatz qui consisteraient à organiser des primaires réservés aux parlementaires ou aux élus locaux…
Mme SINCLAIR : … Il n'a pas été question de cela…
M. SEGUIN : … Il n'en a pas été question de la part de Charles Pasqua et je lui donne bien volontiers témoignage mais enfin, vous savez, j'entends ce qui se susurre. Cela, il n'en est pas question parce que ce serait, dans un cas, le retour à la IVe République et, dans l'autre cas, le retour à la Ve République au mode 1958, c'est-à-dire avant 1962, avant la grande réforme du suffrage universel.
Mme SINCLAIR : Si je vous entends bien tout de même ce soir, c'est que la diversité des candidatures, à tous points-de-vue, est souhaitable puisqu'on vient se présenter avec son projet…
M. SEGUIN : … Je n'ai pas dit une chose pareille. J'ai dit : « Il faut laisser les gens venir avec un projet et avec leur personnalité ».
Mme SINCLAIR : Pardon de personnaliser, mais tout de même, cela vaut la peine parce que le débat est là aussi. Chirac et Balladur, ce n'est un secret pour personne, sont tous les deux aujourd'hui candidats…
M. SEGUIN : … Je ne leur ai pas entendu dire.
Mme SINCLAIR : Potentiels.
M. SEGUIN : Potentiels, je vous remercie de le rajouter.
Mme SINCLAIR : Ce n'est pas une révélation non plus de dire que Philippe Seguin était considéré, jusqu'à présent, plus proche de Jacques Chirac. Est-ce toujours vrai ?
M. SEGUIN : Je connais les deux hommes, c'est-à-dire que, dans un cas comme dans l'autre, j'ai un paramètre sur deux et j'attends le projet.
Mme SINCLAIR : Pas plus que cela ?
M. SEGUIN : J'attends le projet. Je suis cohérent avec ce que je vous ai dit jusqu'ici, j'attends le projet, mais il finira bien par arriver de la part de l'un et de la part de l'autre.
Mme SINCLAIR : Jacques Chirac est présent demain soir au journal de 20 heures, sur TF1. Peut-être aurons-nous des éclairages sur ce sujet.
Sylvie Pierre-Brossolette racontait dans L'Express, l'autre jour qu'il travaillait au vert, à la campagne, à Montfort-L'amaury, à la rédaction de ce projet. Faites-vous partie des amis qui vont là-bas réfléchir avec Jacques Chirac ?
M. SEGUIN : Oh non ! Pour une raison très simple : c'est que je suis très occupé…
Mme SINCLAIR : … Ah oui ?
M. SEGUIN : J'ai l'Assemblée nationale à présider. J'ai ma circonscription à représenter. Actuellement, je préside aussi la commission d'enquête sur le Crédit national. L'Assemblée nationale, vous le savez, à quelques activités. Je suis également le maire d'Épinal…
Mme SINCLAIR : … Donc vous n'avez pas le temps.
M. SEGUIN : Je n'ai pas le temps d'aller passer mes week-ends à Montfort-L'amaury, non.
Mme SINCLAIR : Avec Édouard Balladur, on sait que vous avez un vrai désaccord. Il considère que le vrai tournant a eu lieu en 1993 et que la présidentielle doit être le prolongement…
M. SEGUIN : … Il le dit moins que par le passé. Il est vrai que plus on va se rapprocher de 1995, moins il le dira par la force des choses.
Mme SINCLAIR : Vous, en revanche, vous avez dit clairement : « Ce Gouvernement est un gouvernement de transition et, seule, l'élection présidentielle pourra donner une autre politique ».
M. SEGUIN : Je pense que, en 1995, il y aura une sorte de consensus sur le sujet. Il faut se méfier sinon d'avoir raison trop tôt de dire les choses trop tôt. Je ne m'en méfie pas assez.
Mme SINCLAIR : Je vous entends. Vous dites que, au fond, à droite, le débat n'est pas franchement visible puisque vous dites : « Il n'y a pas encore de projet ». Vous, on sait que vous êtes un homme d'idées. Après tout, celui qui a un projet présidentiel peut se présenter devant les français. Je vous pose directement la question : Philippe Seguin, candidat l'année prochaine, est-ce envisageable ?
M. SEGUIN : Il y a une chose qui est certaine : c'est que mes idées seront présentes au moment de l'élection présidentielle et que, dans cette élection présidentielle que je considère comme capitale et celle-là en particulier, je me donnerai corps et âme. Alors maintenant pour le reste, on verra.
Mme SINCLAIR : Vos idées, c'est soit un des hommes les représente, vous en êtes suffisamment proche et avez suffisamment travaillé le projet avec lui, ou bien alors si personne ne représente ces idées, à ce moment-là ?
M. SEGUIN : Je vous laisse la responsabilité de l'explication de texte, mais je ne vois rien à y infirmer.
Mme SINCLAIR : Aujourd'hui, nous aurons eu droit à une éventualité de candidature de Charles Pasqua et à une éventualité de candidature de Philippe Seguin.
M. SEGUIN : Je crois que vous allez un peu vite en besogne.
Mme SINCLAIR : Pour lequel ?
M. SEGUIN : Pour les deux.
Mme SINCLAIR : Je crois que c'était clair ce soir. Vos idées devront être représentées dans le débat par quelqu'un…
M. SEGUIN : … Elles le seront, croyez-moi.
Mme SINCLAIR : Dernière question politique sur Bernard Tapie au président de l'Assemblée nationale que vous êtes. Elle est saisie de deux demandes de levée d'immunité parlementaire de Bernard Tapie, pouvez-vous expliquer aux Français à quelle sauce les parlementaires vont manger Tapie ?
M. SEGUIN : Deux demandes de levée d'immunité parlementaire ont été effectivement transmises par le garde des sceaux le lendemain même de l'élection. Elles auraient pu d'ailleurs, je le dis, être transmises plus tôt, quelques jours plus tôt. Ni le garde des sceaux, ni moi-même ne l'avons souhaité de manière à ce qu'il n'y ait pas d'interférences avec la campagne électorale. En tout état de cause, sauf imprévu et sauf démission de monsieur Tapie, parce que monsieur Tapie est touché par le cumul des mandats et peut à tout moment choisir de rester conseiller régional, conseiller général et député européen plutôt que député national, sous réserve de sa démission, l'examen par l'Assemblée se passera le 23 ou le 29 de ce mois.
Mme SINCLAIR : De manière aussi spectaculaire que la dernière fois, comme une mise en accusation ?
M. SEGUIN : Pour ma part, je n'en ressens pas la nécessité. Cela n'apporte rien à personne, ni à l'intéressé, ni à l'Assemblée, ni à la morale publique.
Mme SINCLAIR : Comment ferez-vous ? Sinon en séance publique…
M. SEGUIN : … Nous prendrons cela quand ça viendra. Il est possible que cela se passe en séance de nuit. Ceux qui sont présents voteront, comme cela se passe pour la plupart des textes.
Mme SINCLAIR : On va, après ce lourd dossier politique, faire une courte pause et on va aussi envisager les autres sujets de l'actualité, avec le Rwanda bien sûr, avec le débat sur l'emploi qui n'a pas été tranché par les européennes, loin de là, et qui est toujours présent en filigrane chez tous les Français.
On se retrouve dans un court instant.
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Mme SINCLAIR : Les élections européennes, certes, ont été l'événement principal de la semaine, mais il est question d'une intervention française au Rwanda – on va bien sûr en parler – ainsi que des jeunes qui planchent sur le questionnaire Balladur.
Les 15 et 25 ans sont sondés. Moi et ma famille, moi et mon école, moi et le monde du travail… sept grands thèmes pour une série de questions posées à la première personne à neuf millions de jeunes afin de mieux comprendre leur malaise et leurs espoirs.
• Mouloudji est mort.
• Les assassins de Yann Piat auraient avoué.
• Émotion et panique après l'empoisonnement d'une fillette. Émilie, 9 ans, est morte après avoir absorbé une dose de Josacine 500. Il y avait une grande quantité de cyanure dans le flacon de son médicament.
• C'est parti pour un mois de foot. Le « Mondial 94 » qualifié sobrement de plus grand événement sportif planétaire a lieu aux États-Unis et c'est une première.
• Après plus de deux mois de massacres quotidiens où les représailles se succèdent aux représailles jusque dans les églises et les hôpitaux, la France prend l'initiative au Rwanda.
Mme SINCLAIR : Le Rwanda, il en a été question au grand symposium de l'Unesco sur le développement où François Mitterrand a pris la parole. C'est là où il a prononcé cette phrase. « La France propose une intervention humanitaire au Rwanda. » Êtes-vous d'accord ou pas avec cette initiative ?
M. SEGUIN : De toutes façons, je pense qu'il fallait prendre une initiative et je me réjouis que la France ait secoué l'apathie de la communauté internationale devant une situation qui est absolument intolérable. Maintenant, il faut savoir comment on y va et pourquoi on y va. Si c'est simplement pour faire un aller et retour, j'allais dire un nouvel aller et retour, pour être là-bas des spectateurs impuissants et au mieux pour que tout recommence une fois qu'on sera revenus, cela ne sert à rien. Il faut y aller pour conduire une mission de protection et faire en sorte qu'elle ne passe pas pour un arbitrage entre les factions rivales, ce qui n'est certes pas simple. L'expérience est là pour nous le dire.
Mme SINCLAIR : La difficulté, c'est que le Front patriotique rwandais [FPR], c'est-à-dire les rebelles qui sont majorité tutsie et qui sont précisément la communauté la plus exterminée, a l'air de s'opposer à la venue des forces françaises.
M. SEGUIN : Ce qui montre bien qu'il ne faut absolument pas que nous y allions seuls. Il faut que nous y allions sous un mandat de l'Organisation des Nations unies [ONU].
À partir de ce problème et cela étant dit, cela montre bien ces difficultés qu'a eues l'Organisation des Nations unies, qu'elle a en permanence, à traduire dans les faits les résolutions qui sont votées. Cela montre qu'il y a une proposition, au moins, qui a été formulée hier par le Président de la République à l'Unesco, discours auquel vous faisiez allusion, qui mérite d'être prise en considération. C'est celle qui tend à la création d'un corps expéditionnaire permanent de l'Organisation des Nations unies. Ainsi, le secrétaire général ne sera pas contraint de passer des semaines, quand cela n'est pas des mois, à trouver des bonnes volontés pour donner de l'argent ou pour donner des hommes pour une opération qui aura été décidée par le Conseil de sécurité.
Il y a quelque chose qui ne marche pas actuellement dans l'ONU et c'est d'autant plus regrettable que, après l'écroulement des blocs, il y a tout de même un champ d'interventions extraordinaire qui s'ouvre pour l'ONU. Pendant près d'un demi-siècle, l'ONU a été paralysée par le fait que les deux grands se neutralisaient. Il était possible de ne rien faire. Aujourd'hui, tout devient possible alors que, avant, on n'arrivait pas à voter des résolutions ; maintenant, on n'arrive pas à les appliquer. Il faut trouver des moyens de les appliquer.
Mme SINCLAIR : Justement instruit par la Bosnie, le Rwanda, on a vu l'inefficacité de l'ONU. Vous proposez néanmoins que ce soit l'ONU…
M. SEGUIN : … Ce n'est pas l'inefficacité de l'ONU. C'est la mauvaise volonté de la plupart des États membres, et j'entends des États membres puissants, ceux qui ont les moyens, à mettre en oeuvre les résolutions de l'ONU. J'ai eu l'occasion de la dire depuis la tribune de l'Assemblée au président Clinton. On a un vrai problème pour ce qui concerne la mise en oeuvre de ce nouvel ordre mondial que nous appelons de nos voeux. C'est qu'il ne faut surtout pas que, dans le monde, on ait l'impression de l'iniquité, que les choses ne sont pas équitables, qu'il y a des interventions qu'on fait parce qu'il y a du pétrole et de l'argent et qu'il y a des interventions qu'on ne fait pas parce qu'il n'y a rien de tout cela.
Mme SINCLAIR : Je vais prolonger justement cette réflexion : les Français ne doivent pas bien comprendre pourquoi on nous explique depuis des mois qu'on ne pouvait pas intervenir en Bosnie et que, là, on est prêt à intervenir au Rwanda. Ce n'est pas au nombre de morts, j'imagine, qu'on agit ou qu'on n'agit pas ?
M. SEGUIN : Disons pour prendre simplement l'exemple des États-Unis, mais il est possible qu'il s'applique à d'autres pays qu'eux…
Mme SINCLAIR : … Prenons la France.
M. SEGUIN : Prenons l'exemple des États-Unis et disons qu'il est possible qu'il s'applique à d'autres pays qu'eux. Le degré d'émotion des citoyens téléspectateurs est probablement une donnée à prendre en considération.
Mme SINCLAIR : Donc la force des images n'était pas assez forte pour déclencher une intervention en Bosnie.
M. SEGUIN : En tout cas, aux États-Unis, il y a eu un changement radical d'attitude après l'attentat du marché de Sarajevo qui a ému les Américains parce qu'ils ont vu cela à des heures de grande écoute.
Mme SINCLAIR : À propos de la Bosnie, je voulais signaler Les cahiers de la règle du jeu qui est un supplément de la revue de Bernard-Henri Lévy, Bosnie, les intellectuels s'expliquent. C'est en effet un numéro spécial consacré aux intellectuels qui étaient à l'origine de la liste de Sarajevo et qui s'en sont désolidarisés par la suite. Ils expliquent pourquoi.
Passons à autre chose. Cette semaine, un grand questionnaire a été envoyé aux jeunes. C'est la suite des effets de la révolte de la jeunesse contre le CIP [contrat d'insertion professionnelle] et les inquiétudes des jeunes pour leur avenir. Ce questionnaire, est-il une bonne idée ?
M. SEGUIN : On pourra juger lorsqu'on saura l'exploitation qui en est faite.
Mme SINCLAIR : Le problème principal des élections européennes dont on parlait tout à l'heure, c'est qu'au moment où la préoccupation des gens, pas seulement des jeunes, s'est focalisée sur l'emploi, les gens n'ont pas eu conscience des liens entre l'Europe et l'emploi. Que pouvait faire l'Europe pour l'emploi ? Peut-elle quelque chose ou est-ce en effet un problème uniquement national pour vous ?
M. SEGUIN : Je crois qu'il serait très injuste de critiquer l'Europe sur son inefficacité en matière d'emploi parce qu'elle ne s'est jamais donné la lutte contre le chômage comme objectif…
Mme SINCLAIR : … J'attendais la pique contre l'Europe.
M. SEGUIN : L'Europe d'aujourd'hui, c'est la dérégulation. C'est le libéralisme. C'est l'ouverture à tout va. Ce n'est pas du tout la lutte contre le chômage.
Mme SINCLAIR : C'est aussi le livre blanc de Jacques Delors adopté par tous les chefs d'État et de gouvernement européens…
M. SEGUIN : … Parlons-en de Jacques Delors ! Jacques Delors cautionne depuis bientôt dix ans…
Mme SINCLAIR : … Il faudra peut-être dire ce qu'il y a dans le livre blanc.
M. SEGUIN : … Cette politique, depuis qu'il est président de la commission…
Mme SINCLAIR : … Rassurez-vous, son mandat se termine.
M. SEGUIN : Puis, il en exprime des remords permanents. Seulement, les remords n'améliorent pas la politique qui est conduite.
Mme SINCLAIR : Je voudrais finir ma question : il a proposé, cela a été adopté par tous les chefs d'État et de gouvernement européens, une action sur l'emploi avec des grands travaux, des grandes infrastructures, un financement… qui doit être complété éventuellement à Corfou. N'était-ce pas une action sur l'emploi au niveau européen ?
M. SEGUIN : Il a proposé effectivement de mettre en place quelques actions en termes d'infrastructures, ce qui se traduit par un prélèvement sur les recettes budgétaires des États membres qui, en conséquence, verront leurs propres moyens de faire des infrastructures, réduits d'autant. Remarquez : ce n'est pas plus mal parce que cela permettra d'avoir des investissements qui seront cohérents. Mais, enfin, il ne faut pas en attendre en termes d'emploi si, tant que les États membres acceptent de suivre, ce qui n'est pas le cas de tous, des miracles.
Mme SINCLAIR : Si vous aviez participé à la campagne européenne, imaginons, sur ce problème de liens qu'il pourrait y avoir entre l'Europe et l'emploi ou l'absence de liens, auriez-vous dit : « C'est un problème uniquement national ou l'Europe peut quelque chose » ?
M. SEGUIN : L'Europe peut quelque chose.
Mme SINCLAIR : Et peut quoi ?
M. SEGUIN : Si j'avais participé à cette campagne, s'il y avait eu une campagne sur l'Europe, j'aurais dit que nous étions confrontés à un triple problème en matière européenne : où voulons-nous aller ? Avec qui et pour quoi faire ?
Où voulons-nous aller ? Personne ne répond à cette question ou on y répond de manière subreptice.
Mme SINCLAIR : Que répondez-vous, vous ?
M. SEGUIN : Moi, je réponds démocratie deux fois. Je dis qu'il faut répondre à cette question au terme d'un débat démocratique et, d'autre part, il faut construire ensemble une entité démocratique. Or, actuellement, l'entité n'est pas démocratique.
Mme SINCLAIR : Et on revient au vieux débat sur le fonctionnement de la Commission, sur le Parlement européen, sur tout cela…
M. SEGUIN : … Mais non, non et non. Je suis incapable de toute démagogie en la matière, absolument incapable. Vous ne m'entendrez jamais critiquer la Commission sous prétexte qu'elle a…
Mme SINCLAIR : … Les instances européennes sont selon vous absentes…
M. SEGUIN : … Mais non ! Ce n'est pas la faute des instances européennes. Nous sommes devant une absence de choix. On n'a pas choisi entre le fédéralisme et quelque chose d'original. Alors on est entre les deux. On ne peut pas avoir un Parlement européen qui fonctionne dans la mesure où, en face il n'a pas de gouvernement. Comment voulez-vous que ça marche ? Un système parlementaire, il faut certes un parlement, mais un gouvernement en face pour pouvoir dialoguer. Sinon, cela n'a strictement aucune signification. Faut-il aller au fédéralisme ? Moi, je pense que « non ». D'abord, ce n'est pas souhaitable et, probablement, ce n'est pas possible.
Pour faire participer les gens aux décisions européennes qui les concernent, je souhaite qu'on conserve le Parlement européen, mais qu'on donne parallèlement un pouvoir à l'ensemble des parlements nationaux de la Communauté pour participer, eux aussi, à la construction des normes communautaires de manière à ce que les gens puissent participer, par leurs représentants directs, à la définition des règles qui vont les concerner.
Deuxième problème : avec qui ? Il y a toujours une règle dans la construction européenne. On faisait la construction européenne avec ceux qui appartenaient au continent européen, avec ceux qui le souhaitaient et avec ceux qui étaient des régimes démocratiques. Il fallait avoir ces trois conditions. Les autres, il n'y a pas de raison de les laisser sur le pas de la porte.
Je ne veux pas la mort de la Communauté. Je veux dire par là que je ne veux pas intégrer du jour au lendemain les Polonais, les Russes, les Tchécoslovaques, non, bien sûr ! Mais, du moins, commençons à faire quelque chose avec eux sur ce qui est l'objectif prioritaire de la construction européenne, c'est-à-dire la paix. Et construisons avec eux un ensemble pour la sécurité européenne.
Savez-vous que l'Europe est le seul continent à ne pas avoir, dans le cadre de l'Organisation des Nations unies, une organisation régionale de sécurité ? Même les Africains l'ont avec l'Organisation de l'Unité africaine. Vous pourrez peut-être me dire qu'elle n'est pas très efficace mais, nous, nous n'avons même pas cet ensemble.
Mme SINCLAIR : Si ce n'est pas du fédéralisme, je me trompe.
M. SEGUIN : Pas du tout ! C'est un système de sécurité. Le moment est venu pour l'Europe de devenir…
Mme SINCLAIR : … Système de sécurité qui dépasse les gouvernements.
M. SEGUIN : Pardonnez-moi de dire qu'il ira de l'Atlantique à l'Oural et au-delà, comme d'ailleurs le Président de la République, avec qui j'ai débattu au moment de Maastricht, en a reconnu la nécessité puisque, vous le savez, il a prononcé avec monsieur Clinton – il faut être juste – un des plus importants discours de la fausse campagne européenne. Il a dit que « la construction européenne devait intégrer la Russie », ce que je me tue…
Mme SINCLAIR : … C'est le quatrième hommage de Philippe Seguin à François Mitterrand dans cette émission.
M. SEGUIN : Ce que je me tue à dire depuis des mois et des mois.
Mme SINCLAIR : Permettez-moi de vous interrompre parce que cela me frappe. C'est le quatrième hommage…
M. SEGUIN : … J'avais compris. Tout le monde l'avait entendu. Ce n'est pas la peine de le répéter.
Mme SINCLAIR : Mais si, je le répète.
M. SEGUIN : C'est la troisième fois que vous le dites.
Mme SINCLAIR : Je vous demande pourquoi subitement vous voilà tellement mitterrandien ?
M. SEGUIN : Lorsque le Président de la République dit des choses auxquelles…
Mme SINCLAIR : … Plus d'hommage à Mitterrand qu'à Chirac et Balladur.
M. SEGUIN : C'est peut-être que j'ai entendu dire que lui n'était pas candidat, encore qu'il ne faille évidemment jurer de rien.
Enfin, troisième objectif…
Mme SINCLAIR : Pour quoi faire ?
M. SEGUIN : … en matière de construction européenne, pour quoi faire ? Moi, je crois que ce n'est pas pour retranscrire des modèles ultralibéraux basés sur la dérégulation tels qu'ils nous sont suggérés par d'autres pays et d'autres continents. C'est pour prévoir un modèle propre de développement avec notre propre valeur. À cet égard, oui, je crois que nous devrions nous donner les moyens de faire en sorte qu'une politique européenne soit un plus en termes d'emploi, à condition évidemment qu'on fasse l'effort, au niveau européen, qu'on n'a pas encore réussi en France, c'est-à-dire de comprendre que le problème de l'emploi n'est pas seulement un problème conjoncturel, mais un problème de structures.
Mme SINCLAIR : Pour revenir aux élections européennes, il y a tout de même 55 % des personnes qui ont voté pour des listes qui étaient favorables à la construction européenne telle qu'elle existe pour Maastricht.
M. SEGUIN : Comptez-vous Baudis dedans ?
Mme SINCLAIR : C'est ce qu'il avait dit.
M. SEGUIN : Oui, mais, moi, ce qu'on m'avait expliqué, c'est qu'on mettait d'anciens partisans du « oui » et d'anciens partisans du « non » à Maastricht, qu'on faisait en quelque sorte une liste « chabada » du côté de la majorité : un « oui », un « non », un « oui », un « non » … Puis tous les « non » ont disparu par enchantement le soir des élections. Enfin, soyons sérieux !
Mme SINCLAIR : Sur l'emploi et sur le plan national, vous aviez lancé, il y a quelques semaines, l'idée d'un grand référendum sur l'emploi et vous n'avez pas été compris. Vous avez même été tourné en dérision. On a dit : « Philippe Seguin veut demander aux Français s'ils sont pour ou contre le chômage ? »
M. SEGUIN : Il y a longtemps que j'ai constaté que le problème du chômage et le problème de l'exclusion laissaient un grand nombre de nos responsables publics, en particulier deux dont vous avez rappelé implicitement les déclarations, de très bonne humeur. Moi, je dois avouer que je m'efforce à cette bonne humeur, mais pas avec le même succès qu'eux.
Mme SINCLAIR : Essayons de faire comprendre aux gens ce que vous vouliez dire. C'est-à-dire quel genre de questions peut-on poser aux gens sur l'emploi ? Cela se résout-il par une question ?
M. SEGUIN : Il y a deux questions à nous poser en préalable et il faudrait que chaque responsable politique réponde à ces questions :
* Première question : est-ce que la situation que nous connaissons depuis 20 ans, qui se traduit aujourd'hui par 3,5 millions de chômeurs, autant de gens en situation marginale… est inéluctable, définitive ? Sommes-nous condamnés à vivre dans une société où il y a une telle proportion de chômeurs et d'exclus ?
Mme SINCLAIR : À cela, tous les hommes politiques répondent « non, nous ne sommes pas déterminés à accepter cela ».
M. SEGUIN : Ah ! … Eh bien, moi, je n'ai pas entendu la même chose.
Mme SINCLAIR : Ah bon ?
M. SEGUIN : Je n'ai pas entendu la même chose. Ils ne répondent pas parce que, ensuite, il y a immédiatement une question à poser derrière : que fait-on pour bâtir une société qui repose sur les principes de la pleine activité et de l'exclusion zéro ? Qu'on ne nous dise pas qu'on va continuer les politiques que l'on mène depuis vingt ans. Je peux vous en parler en toute connaissance de cause. J'ai participé à cette politique…
Mme SINCLAIR : … Vous avez été ministre du travail en 1986.
M. SEGUIN : Depuis vingt ans, on dit : « L'économie, ça va s'arranger et puis on va retourner au plein emploi ». Cela doit faire au moins quatre fois que je le dis devant vous, ici, mais ce n'est pas encore rentré dans tous les esprits.
Mme SINCLAIR : J'ai compris. Je vous remercie.
M. SEGUIN : Oui, mais pas dans tous.
Il y a aujourd'hui non plus seulement un décalage entre l'activité économique et, d'autre part, l'emploi, mais un découplage entre les besoins de l'économie et les besoins sociaux, les besoins des gens. Le plein emploi d'hier, le plein emploi spontané, c'est fini, terminé. Alors il faut en tirer des conséquences.
Le problème du chômage, c'est qu'il s'agit de construire une autre organisation sociale et ce n'est plus un problème d'entreprise seulement. Ce n'est plus un problème de partenaires sociaux. Je dirais même : « ce n'est plus un problème législatif voire même un problème de gouvernement. C'est un problème de société. » Lorsqu'on est confronté à un problème de société avec des réorientations radicales à opérer, c'est aux Français, et à eux seuls, qu'il revient de décider. C'est eux seuls en plus qui ont la légitimité pour faire bouger les choses. Faute de quoi il se passera ce qui se passe depuis vingt ans, c'est-à-dire « rien ». On fera des aides aux jeunes chômeurs. Après on corrigera avec des aides aux vieux chômeurs. Après on fera des aides aux moyens chômeurs d'âge moyen. On fera tout ce qu'on voudra et on ne fera rien du tout.
Mme SINCLAIR : N'est-ce pas, Philippe Seguin, l'ultime démission des responsables politiques de dire aux Français : « À vous de choisir la politique pour l'emploi » ?
M. SEGUIN : Mais pas du tout ! Il est un moment où le représentant, lorsque la réorientation est si radicale, leur dit : « C'est à vous de décider. Je reviens vers vous. Vous ne m'avez pas investi pour une changement pareil » …
Mme SINCLAIR : … Sur un problème si complexe, vous posez une seule question ?
M. SEGUIN : Je suis certain que les gens qui vont voter aux référendums se rendent compte que, en général, il n'y a pas seulement la question qui leur est posée et à laquelle il faut répondre « oui » ou « non ». Il y a un texte. Par exemple, pour le traité de Maastricht…
Mme SINCLAIR : … La question était simple. L'approuvez-vous ou ne l'approuvez-vous pas ?
M. SEGUIN : Le traité de Maastricht, vous trouvez que c'était simple ?
Mme SINCLAIR : Pas du tout. Mais la question l'était.
M. SEGUIN : Enfin ! … Ou alors il ne fallait pas faire de référendum sans traité de Maastricht. Il fallait laisser les représentants en décider.
Mme SINCLAIR : Ce que vous vouliez dire alors, c'est cela qui n'a pas été compris. C'est aux responsables politiques de proposer un projet, un programme de lutte contre le chômage et ce programme est soumis à un référendum…
M. SEGUIN : … Non, non…
Mme SINCLAIR : … Alors là, c'est la même chose.
M. SEGUIN : Ce n'est pas un programme de lutte contre le chômage…
Mme SINCLAIR : … Une autre organisation de la société ?
M. SEGUIN : Oui, oui… mais cela ne se fait pas le petit matin entre le petit déjeuner et le brunch…
Mme SINCLAIR : … J'en suis absolument persuadée. C'est pour cela que je m'interroge.
M. SEGUIN : C'est quelque chose de capital. Il s'agit de faire quoi ? Il s'agit de revoir complètement notre fiscalité qui est aujourd'hui pénalisante pour l'emploi et en particulier de transférer le financement de la protection sociale, des salaires vers l'impôt. Il ne faut plus de cotisations de manière à ce que le coût du travail redevienne concurrentiel. Il ne s'agit pas de baisser les salaires. Il s'agit de faire en sorte que les charges qui sont aujourd'hui payées pour financer la protection sociale soient payées autrement.
Deuxièmement, il faut prendre des mesures coercitives pour que les secteurs et les activités qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale ne fassent pas de la productivité à tout prix. On retrouve les pompistes de monsieur Bérégovoy et de monsieur Chirac. On en a beaucoup parlé. Pourtant, il ne s'est strictement rien passé. Pourtant, il est totalement absurde de ne plus avoir de gens dans les stations-services, d'avoir des trucs extrêmement sophistiqués avec un service qui est inexistant et une situation qui produit du chômage.
Enfin, troisièmement, il faut développer, à l'instar de ce qui s'est passé aux États-Unis et au Japon, ce qu'on appelle les services de proximité, ce qu'on a appelé ici avec dérision les petits boulots. Ce ne sont pas des petits boulots. Ce sont des activités parfaitement honorables…
Mme SINCLAIR : … C'est quand vous étiez ministre qu'on avait appelé cela « les petits boulots ».
M. SEGUIN : C'est vous dire que ces idées ne datent pas d'hier… Ce qui apporte un plus à la collectivité…
Mme SINCLAIR : … C'est aujourd'hui communément reçu d'ailleurs.
M. SEGUIN : Oui, mais que fait-on ? Seulement, aux États-Unis, ils arrivent à les faire émerger spontanément par la dérégulation. Nous, ce n'est pas conforme à notre histoire, à notre tempérament et, au Japon, ils le font parce qu'ils ont un autre type de civisme et d'organisation sociale. Ils ont 3 % de chômeurs et ce n'est pas possible. Il faut qu'on trouve notre propre voie.
Mme SINCLAIR : Si vous me permettez juste une dernière question à ce sujet, je crois que tout le monde a compris, en effet, que vous aviez des idées sur la question et, là, n'était pas le débat, que vous proposiez en effet un plan global de réorganisation du travail, de l'activité et de l'emploi. Simplement pour qu'on comprenne bien et je suis là pour, en fait, permettre qu'on comprenne bien parce que cela n'a pas été compris, ce que vous proposez, c'est que les électeurs tranchent et approuvent ou refusent un plan global sur la société et l'avenir de demain ?
M. SEGUIN : Parce que, effectivement, ce qui tombe, à mes yeux, sous le sens n'est pas mis en oeuvre car cela se heurte à toute une série de conservatismes dont la liste est absolument impressionnante.
Mme SINCLAIR : Tout à l'heure, vous disiez : « Mes idées seront présentes dans la campagne présidentielle » …
M. SEGUIN : … Y compris celle-là.
Mme SINCLAIR : Il faudrait pour que vous ne soyez pas vous-même candidat que quelqu'un reprenne ce projet de loi ?
M. SEGUIN : À bon entendeur, salut !
Mme SINCLAIR : Il me semblait que Jacques Chirac avait semblé accéder à cette idée ?
M. SEGUIN : Je suis heureux que vous ayez eu la même impression que moi. Nous allons voir si elle se vérifie.
Mme SINCLAIR : Une question très rapide pour finir. On sait à quel point vous êtes amateur de football. La Coupe du monde de foot, Philippe Seguin va courir aux États-Unis pour aller la regarder ou va se trouver devant son téléviseur ?
M. SEGUIN : Non, je n'irai pas aux États-Unis…
Mme SINCLAIR : … C'est vrai que vous n'avez pas le temps d'aller à Montfort-L'amaury. Donc vous n'avez pas le temps d'aller aux États-Unis.
M. SEGUIN : Nous allons être en session extraordinaire jusqu'au 13 juillet pour le moins.
Mme SINCLAIR : Pour le projet de l'aménagement du territoire de Charles Pasqua.
M. SEGUIN : Mais je regarderai, j'ai déjà commencé d'ailleurs. J'en suis à trois.
Mme SINCLAIR : Trois matches ?
M. SEGUIN : Oui.
Mme SINCLAIR : Ce n'est pas mal sur deux jours.
M. SEGUIN : Quasiment le carton plein.
Mme SINCLAIR : Merci, Philippe Seguin.
La semaine prochaine, je recevrai Nicolas Sarkozy, porte-parole du Gouvernement et ministre du budget, qui viendra nous dire, j'imagine, tous des initiatives du Gouvernement et de la stratégie d'Édouard Balladur.
Dans un instant, Claire Chazal recevra Alain Juppé et, bien sûr, il sera question du Rwanda.
Merci à tous.
Bonsoir.